DOI : 10.26171/carnets-oi_0507
L’originalité du paysage juridique mahorais1 n’a pas été remise en question par la départementalisation de Mayotte. La coexistence de deux droits applicables – le droit commun et le droit local – demeure. Cette réalité a conduit certains à parler de conflits internes de loi2 puisque sur le territoire national, deux droits peuvent être appliqués en fonction du statut civil de l’individu. Seules les personnes relevant du statut civil de droit local peuvent demander l’application de ce corpus. Cette prérogative est protégée par la Constitution du 4 octobre 1958 qui dispose dans son article 75 que « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ». Cependant, il ne faudrait pas se méprendre et considérer que cette question ne concerne que l’île de Mayotte. L’application du droit local suit la personne relevant du statut personnel et cela où elle se trouve. L’arrêt du 4 mars 1980 de la Première chambre civile de la Cour de cassation3 ne dit pas autre chose en retenant que « (…) la dévolution de cette succession échappait à l’application du Code civil, bien que ladite succession se fut ouverte en France et qu’un immeuble en dépendant y fut situé (…) ». Droit local ne rime pas avec territoire mahorais. Ce corpus a également vocation à s’appliquer en métropole. Les questions que pose l’existence du statut personnel et du droit local comportent ainsi une dimension nationale sous-estimée pour ne pas dire ignorée.
L’une des premières questions concerne les personnes pouvant revendiquer un tel statut. Il n’existe pas de définition légale : la pratique a retenu que les personnes originaires de l’île de Mayotte, nées à Mayotte, de parents mahorais, de nationalité française et de confession musulmane remplissaient les conditions pour relever du statut personnel et obtenir l’application du droit local. Rares sont les décisions sur cette question. L’arrêt de la Cour de cassation rendu par sa Première chambre civile en date du 27 mars 19904 est, à ce titre, précieux : « […] M. X…, né en Algérie d’un père étranger régi par le statut musulman et d’une mère algérienne de statut de droit local, ne pouvait être considéré comme français de statut civil de droit commun […] ». Même s’il ne concerne pas directement Mayotte, il constitue un élément de comparaison intéressant permettant de mieux comprendre les modalités d’acquisition de ce statut dont le caractère héréditaire semble retenu par la jurisprudence.
Une autre interrogation concerne la teneur de la règle applicable. Le droit local puise ses principes dans un recueil de droit musulman intitulé Minhadj at Twalibine ou « Guide des zélés croyants » écrit au XIIIe siècle mais dont les dispositions sont interprétées à la lumière de coutumes afro-malgaches. La place de la coutume étant très importante, l’effectivité du statut personnel a reposé pendant longtemps sur les Cadis, autorités religieuses qui avaient une compétence exclusive pour interpréter et appliquer le droit local. L’évolution juridique de Mayotte a conduit à remettre en cause les fonctions des Cadis qui ont fini par perdre leurs compétences juridictionnelles, notariales ainsi que leurs fonctions d’officier d’état civil. L’article 111 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 20065 dispose que :
Le deuxième alinéa de l’article 26 de la délibération de l’assemblée territoriale des Comores n° 61-16 du 17 mai 1961 relative à l’état civil à Mayotte est ainsi rédigé : « La célébration du mariage est faite en mairie en présence des futurs époux et de deux témoins par l’officier d’état civil de la commune de résidence de l’un des futurs époux ».
Ce texte enlève aux Cadis le pouvoir de célébrer les mariages et crée au profit des officiers d’état civil de droit commun un monopole. Désormais ils sont seuls compétents pour célébrer le mariage quelle que soit la nature de l’union, union de droit commun ou union de droit local. La suppression du rôle des Cadis conduit à poser ouvertement la question de la visibilité voire de l’invisibilité du droit local au sein du paysage juridique mahorais. Il convient de se demander comment envisager l’avenir du statut personnel lorsque les figures du droit local tendent à s’effacer et que les règles de ce corpus juridique notamment en matière de régime des unions n’ont pas de visibilité.
L’invisibilité des figures du droit local
La fin des fonctions d’officier d’état civil des Cadis est un exemple de cette perte de visibilité du droit local. Cependant, la compétence des officiers d’état civil de droit commun ne remet pas en question la qualification d’union de droit local qui demeure la qualification alternative à celle d’union de droit commun.
La qualification d’union de droit local
Le statut conditionne l’application du Droit à Mayotte6. La qualification de « Mahorais » constitue une information essentielle du fait de la corrélation entre statut personnel et droit local. Cette information est connue des services de l’état civil. En effet, à Mayotte, il existe un double registre dans lequel les actes de l’état civil sont reportés soit sur le « registre droit local - DL » soit sur le « registre droit commun - DC ». Cela permet de connaître le statut de la personne et le droit applicable en fonction de la situation à traiter. Afin de renforcer l’efficacité de ce double registre, la réforme de l’état civil conduite à Mayotte dans les années 20007 s’est intéressée à la question de la qualification des personnes vivant sur ce territoire. Cette mission a été confiée à la Commission de révision de l’état civil (CREC) qui était « chargée d’établir les actes de naissance, de mariage ou de décès qui auraient dû être portés sur les registres de l’état civil de droit commun ou de droit local à Mayotte »8. Après examen du dossier, la commission déterminait le statut de la personne et, par conséquent, le droit qui lui était applicable. Soit la personne était confortée dans le statut auquel elle pensait appartenir et cela ne soulevait pas de difficultés particulières, soit au contraire, des requalifications pouvaient intervenir lorsque la commission décidait que la personne relevait d’un autre statut que celui qu’elle pensait avoir. Ces requalifications ont été nombreuses et souvent mal comprises par la population du fait de l’absence de lisibilité des critères retenus par la CREC. Ses travaux ont pris fin, la procédure pour obtenir un acte de naissance reconstitué n’est plus en vigueur depuis le 31 juillet 2010. Il reste un goût d’inachevé et des zones d’ombre quant à la qualification de certaines personnes dont le cas n’a pas été traité. Cette tentative de clarification a finalement plus semé le trouble qu’apporté de la sérénité juridique.
La qualification de l’union d’un couple est déterminée à partir de celle de ses membres. Ainsi, une union est régie par le droit local si les conjoints relèvent tous les deux du statut personnel : elle est alors qualifiée d’union de droit local.
L’union entre une personne de droit commun et une personne de droit local sera qualifiée d’union de droit commun.
Enfin, le mariage célébré entre une personne d’un statut personnel (Mayotte) et une personne relevant d’un autre statut personnel (Nouvelle-Calédonie) sera une union de droit commun.
Le texte applicable à la question de la qualification du mariage et du droit applicable à cette union9 est l’article 510 de l’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 201011 qui dispose que :
Dans les rapports juridiques entre personnes dont l’une est de statut civil de droit commun et l’autre de statut civil de droit local, le droit commun s’applique.
Dans les rapports juridiques entre personnes relevant du statut civil de droit local, le droit local s’applique lorsque ces rapports sont relatifs à l’état, à la capacité des personnes, aux régimes matrimoniaux, aux successions et aux libéralités.
Dans les rapports juridiques entre personnes qui ne sont pas de statut civil de droit commun mais relèvent de statuts personnels différents, le droit commun s’applique sauf si les parties en disposent autrement par une clause expresse contraire.
Les Cadis n’étant plus compétents pour célébrer les mariages entre personnes de droit local, ce sont les officiers d’état civil qui le sont. Se pose alors la question du maintien de la qualification d’union de droit local.
Le maintien de la qualification d’union de droit local
La loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration12 a mis fin à cette compétence des Cadis. Son article 111 précise que :
Le deuxième alinéa de l’article 26 de la délibération de l’assemblée territoriale des Comores n° 61-16 du 17 mai 1961 relative à l’état civil à Mayotte est ainsi rédigé : « La célébration du mariage est faite en mairie en présence des futurs époux et de deux témoins par l’officier d’état civil de la commune de résidence de l’un des futurs époux ».
L’officier d’état civil de droit commun est compétent pour célébrer les unions quel que soit le statut des futurs mariés.
Il est important de l’affirmer haut et fort : le fait que l’officier d’état civil de droit commun célèbre le mariage entre deux personnes de droit local n’a aucune incidence sur la qualification de cette union. Le statut de celui qui célèbre une union n’a jamais été pris en compte pour déterminer tant la qualification que le droit applicable à l’union en question.
La qualification de l’union, comme cela a été présenté précédemment, est déterminée en fonction du statut des conjoints. Ainsi, une union célébrée par un officier d’état civil de droit commun entre deux « Mahorais » de statut personnel est une union de droit local.
L’officier d’état civil de droit commun inscrit l’union qu’il a célébrée sur le registre de droit local et non sur le registre de droit commun. Cette inscription sur le registre ad hoc assure tant la vitalité que l’effectivité du statut personnel à Mayotte. Il n’est pas concevable qu’un mariage entre personnes de droit local même célébré par un officier d’état civil de droit commun soit inscrit sur le registre de droit commun13. Ce serait une atteinte au statut personnel qui est constitutionnellement protégé. Le maintien en mairie dans les services de l’état civil du double registre est une condition sine qua non de la conservation du statut personnel de droit local à Mayotte.
Ce point de droit ne semble pas véritablement perçu. La population mahoraise a tendance à croire que les unions célébrées par l’officier d’état civil de droit commun ne peuvent être que des mariages de droit commun. Il est vrai que les mariages de droit local ressemblent beaucoup à des mariages de droit commun : même lieu de célébration, même personne qui célèbre l’union.
De plus, l’union de droit local n’est pas régie par le droit local mais par le droit commun. L’ordonnance de 2010 en a décidé ainsi comme le précise son article 914 :
[…] les dispositions des chapitres Ier [Des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage], II [Des formalités relatives à la célébration du mariage], III [Des oppositions au mariage], IV [Des demandes en nullité de mariage] et VII [De la dissolution du mariage] du Titre V [Du mariage] du Livre Ier du Code civil sont applicables aux personnes relevant du statut civil de droit local […].
Par conséquent, sous réserve de certains articles15, le régime juridique applicable aux unions de droit local est le régime juridique applicable aux unions de droit commun.
Si on récapitule, même lieu, même personne qui célèbre le mariage, mêmes conditions de validité, tous ces éléments concourent à créer l’apparence d’une union de droit commun. Le droit local n’est plus perceptible. Tous ses signes distinctifs ont disparu : plus de Cadi célébrant l’union, plus de tuteur wali. En effet, les règles du droit local en matière de mariage nécessitent la présence d’un tuteur matrimonial, appelé tuteur wali, qui accepte l’union pour le compte de la future épouse. Sur ce point, la non application du droit local est justifiée par l’alinéa 2 de l’article 1er de l’ordonnance de 2010 qui rappelle que « l’exercice des droits, individuels ou collectifs, afférents au statut civil de droit local ne peut contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ». Ce texte restreint l’application du droit local si ses règles conduisent à remettre en question un principe fondamental du droit français comme le principe d’égalité femme/homme. S’agissant de la présence d’un tuteur matrimonial, il existe bien une différence de traitement en droit local fondée sur le sexe du conjoint car si le futur époux exprime seul son consentement, la future épouse ne s’exprime pas par elle-même. Cette différence contraire au principe d’égalité peut expliquer le choix radical des rédacteurs de l’ordonnance qui ont préféré retenir l’application du droit commun en matière de mariage plutôt que d’essayer de maintenir un droit local amputé de ses caractéristiques essentielles.
Enfin, l’article 7 de l’ordonnance livre une version particulière de l’alinéa 1er de l’article 75 du Code civil destinée uniquement aux unions de droit local. Cette disposition, relative aux modalités de célébration du mariage, précise que « Le jour désigné par les parties, après le délai de publication, l’officier de l’état civil célèbre le mariage, à la mairie, en présence d’au moins deux témoins, ou de quatre au plus, parents ou non des parties ». Cette version ne reprend pas la référence au régime primaire contenue dans la version initiale du texte qui in fine demande à l’officier d’état civil de faire « lecture aux futurs époux des articles 212 et 213, du premier alinéa des articles 214 et 215, et de l’article 371-1 du présent code ». Les conjoints de droit local n’étant pas soumis au régime primaire, l’on comprend pourquoi cette partie du texte a été supprimée dans la version « mahoraise ». L’alinéa 1er de l’article 75 du Code civil connaît ainsi deux versions, celle applicable aux époux de droit commun qui est dans le Code civil et celle applicable aux époux de droit local qui n’a pas été intégrée au Code civil et qui se trouve dans l’ordonnance du 3 juin 2010.
L’union de droit local demeure une réalité juridique malgré l’apparence d’union de droit commun que le régime juridique applicable crée : mêmes modalités de célébration (sous réserve de l’absence de la lecture par l’officier de l’état civil de certains articles du régime primaire) et mêmes conditions de validité du mariage. La disparition de la scène matrimoniale du Cadi et du tuteur wali ne fait qu’accompagner l’invisibilité des règles du droit local.
L’invisibilité des règles de droit local
Les règles du droit local ont-elles disparu ? La réponse est affirmative pour le régime du mariage comme on vient de le constater. S’agissant du droit des régimes matrimoniaux, la réponse est plus délicate. En effet, pour pouvoir disparaître, il a fallu exister à un moment. Or, la conception qu’a le droit local du mariage ne lui permet pas d’envisager l’existence d’un régime matrimonial. En outre, la primauté du principe d’égalité a conduit à la disparition d’institutions du droit local.
Le mariage, une union de personnes
Pour le droit local, le mariage est une union de personnes. Cela signifie que le mariage ne développe aucun effet patrimonial. L’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010, ratifiée par la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010, définit le domaine du droit local dans son article 1er : « Le statut civil de droit local régit l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités ». Les régimes matrimoniaux sont expressément visés. Or, le mariage en droit local ne produisant aucune conséquence patrimoniale, le droit des régimes matrimoniaux n’existe pas.
La pratique notariale a pris l’habitude de raisonner à partir du régime de la séparation de biens de droit commun. Ce mode d’organisation patrimoniale du couple permet, comme le précise l’article 1536 du Code civil, à chacun des époux de conserver « l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels ». De plus, « chacun d’eux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage […] ». Ce régime matrimonial évite aux époux que leur union de personnes ne devienne également une union de biens ; ce qui techniquement ressemble à la situation juridique d’époux de droit local.
Si le droit commun est marqué par le principe de la liberté des conventions matrimoniales16, ce n’est pas le cas du droit local.
En droit local, le concept même de régime matrimonial n’a pas de sens. Les époux n’ont pas la possibilité de choisir une organisation patrimoniale tout simplement parce que leur union ne peut présenter de telles conséquences. D’où l’incongruité de retrouver, dans le champ d’application du droit local, les régimes matrimoniaux.
Les conditions de célébration des unions de droit local sont extrêmement similaires à celles des unions de droit commun. Elles en ont l’apparence. Souvent les époux croient à tort avoir consenti à une union régie par le droit commun et être soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts. Les études notariales reçoivent parfois de tels couples qui demandent un changement de régime matrimonial afin d’adopter le régime de la séparation de biens qui est celui qui correspond le plus à la conception du mariage en droit local. Dans ce cas, les notaires leur expliquent qu’ils n’ont pas besoin de réaliser un changement de régime matrimonial car leur union est bien une union de droit local qui ne développe aucun effet patrimonial.
Le droit local n’a pas la possibilité de se manifester sur le terrain des régimes matrimoniaux qui relève d’une conception du mariage qui lui est étrangère. Son invisibilité est alors consubstantielle à la définition qu’il a retenue du mariage qui n’est qu’une union de personnes et jamais une union de biens. Ce constat explique sans doute la rédaction de l’article 10 de l’ordonnance du 3 juin 2010 qui dispose que « Toute femme mariée ou majeure de dix-huit ans peut librement exercer une profession, percevoir les gains et salaires en résultant et disposer de ceux-ci. Elle peut administrer, obliger et aliéner seule ses biens personnels ». Ce texte est déroutant car ses tournures de phrases font expressément référence au régime primaire de droit commun. L’article 223 du Code civil précise que « chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer […] », et l’article 225 du Code civil prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels ». C’est plus qu’une inspiration, à la différence près tout de même que ce texte protège l’activité juridique des femmes en général, qu’elles soient mariées ou non, en consacrant leur liberté professionnelle et patrimoniale : « […] Toute femme mariée ou majeure de dix-huit ans […] ». Il ne s’agit donc pas d’un embryon de régime primaire de droit local.
En droit commun, l’évolution du droit des régimes matrimoniaux avec notamment la création du régime primaire a accompagné la promotion de la femme et en particulier de la femme mariée au sein de la société française. Il n’est pas étonnant que le même mouvement irrigue le droit local alimenté par les principes fondamentaux du droit commun. On ne peut pas créer de régime primaire en droit local du fait de l’absence de régime matrimonial. Aussi la seule façon de reconnaître aux femmes et aux femmes mariées l’égalité de leurs droits, l’effectivité de leur qualité d’acteur juridique, est de reprendre les règles du régime primaire et de les généraliser pour les faire sortir du cadre des régimes matrimoniaux. C’est ce qu’a voulu faire l’ordonnance de 2010.
La quête d’égalité explique également la disparition d’institutions emblématiques du droit matrimonial local.
La disparition d’institutions du droit local
L’alinéa 2 de l’article 1er de l’ordonnance de 2010 dispose que « L’exercice des droits, individuels ou collectifs, afférents au statut civil de droit local ne peut contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français ». La recherche d’effectivité du principe d’égalité femme/homme a conduit à la disparition d’institutions du droit local telles que la répudiation et les unions polygamiques17.
Le régime juridique du mariage de droit commun est désormais applicable aux unions de droit local qui sont soumises en grande partie aux dispositions du Code civil et notamment aux dispositions relatives au divorce. La répudiation est interdite. Du reste, elle l’était déjà depuis la loi de programme pour l’outre-mer du 21 juillet 200318. L’ordonnance de 2010 enterre définitivement la répudiation qui constituait une manifestation traditionnelle du droit local. De la même façon, les unions polygamiques sont interdites. L’ordonnance du 3 juin 2010 parachève leur disparition progressive initiée, comme pour la répudiation, par la loi de programme pour l’outre-mer du 21 juillet 200319. Son article 9 présente une version spécifique de l’article 147 du Code civil qui est ainsi rédigé : « On ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du ou des précédents mariages ». À l’instar de ce qu’on a pu constater avec l’article 75 du Code civil, l’article 147 est également doté de sa version « mahoraise ». Alors que la version de « droit commun » prévoit qu’« on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier », celle applicable aux personnes de droit local envisage au pluriel la question des éventuelles unions précédentes.
L’interdiction de la répudiation et de la polygamie ne vaut que pour l’avenir, les textes n’ayant pas de portée rétroactive. Dès lors coexistent aujourd’hui au sein de la société mahoraise des unions monogamiques et des unions polygamiques. De la même manière, les femmes répudiées à une époque où la répudiation était licite continuent de subir les conséquences de cet acte.
En définitive, l’évolution de l’application du droit local à Mayotte a conduit à ce que des pans entiers ne soient plus appliqués. Le droit local perd en visibilité. Devient-il invisible pour autant ? La réponse est complexe. Des institutions inégalitaires comme la répudiation ou la polygamie n’ont plus leur place dans ce corpus. De plus, comme on l’a vu, l’alignement des modalités de célébration des unions de droit local sur les unions de droit commun donne l’impression que le droit local matrimonial a disparu de la vie mahoraise. Or, le paysage juridique mahorais n’a pas changé puisque le droit local est toujours présent. Le principe d’un mariage qui ne produit pas de conséquences patrimoniales demeure. Ainsi des époux de statut personnel, malgré l’absence d’un contrat de mariage rédigé chez un notaire, ne créent pas de communauté de biens. La conception du mariage en droit local n’est pas remise en cause et la mention « DL » sur le registre de l’état civil doit toujours conduire le praticien à ne pas appliquer les règles de la communauté légale.