DOI: 10.26171/carnets-oi_0402
Introduction
Après une période d’ignorance, la genèse des créoles a fait l’objet de nombreuses études qui ont bousculé la recherche linguistique à la fin du XXe siècle. La controverse la plus connue concerne l’hypothèse dite substratiste : les langues créoles seraient « syntaxiquement des langues africaines assorties d’un lexique et d’une phonétique provenant de la langue des maîtres » (Véronique, 2000). Cette théorie a été particulièrement défendue par Lefebvre dans son étude sur le créole haïtien. Cette hypothèse est partagée par certains auteurs pour la genèse des créoles de l’océan Indien, elle reste vivace parmi les chercheurs seychellois. Mais Chaudenson la réfute vigoureusement, soutenu par Calvet (Hazaël-Massieux et de Robillard, 1997). Selon Chaudenson, les apports africains sont incontestables dans le lexique des créoles indianocéaniques, mais insignifiants dans la syntaxe (Chaudenson, 2010 : 198).
Malgré des traits lexicaux communs, les créoles à base française offrent chacun des particularités morphologiques et syntaxiques. Le réunionnais et le seychellois ont en commun un petit mot composé d’une seule lettre, le i qui fait l’objet de descriptions différentes, voire contradictoires. En réunionnais, nous faisons nôtre l’hypothèse développée par Watbled (2015) : « le /i/ joue le rôle syntaxique de marqueur prédicatif d’une proposition tensée ». Nous utilisons également l’expression « indice verbal » proposée par Cellier, comme le rappelle Watbled, et nous employons comme synonyme l’expression « particule préverbale ».
En seychellois, le i n’est pas décrit comme particule préverbale. Mais nous allons explorer cette hypothèse, à la lumière de précédentes recherches sur deux langues africaines, où nous avons identifié un a qui assure une fonction de particule préverbale à la 3e personne des conjugaisons (Hummel, 2015) : nous y voyons là une ressemblance avec le i du seychellois, qui a déjà été décrit par Corne et Moorghen (1978) comme un « i mystérieux ».
Pourquoi une telle comparaison entre langues génétiquement si lointaines ?
Il s’agit en premier lieu de mieux décrire un petit mot qui, dans chacune des langues étudiées, reste particulièrement mystérieux. Cette étude nous permet également de montrer les innovations syntaxiques dans les langues de contact, qui ne doivent pas être considérées comme des langues à part en raison de leur présumée différence avec les autres idiomes (Corrigan, 2010). Notre recherche nous amènera à re-questionner l’hypothèse substratiste des langues créoles.
Après avoir présenté nos méthodes de recherche, nous décrirons les emplois du morphème a dans deux langues africaines (voir supra). Puis nous ferons de même pour le morphème i en créole réunionnais et créole seychellois. Enfin, à la lumière de ces comparaisons, nous analyserons ce qui nous apparaît être une lente métamorphose linguistique de ces deux créoles indianocéaniques.
Méthodes de recherche
Notre recherche est le fruit d’une observation participante dans différents milieux linguistiques. Pour le sango (langue nationale de République centrafricaine), nous avons la chance de parler cette langue dans notre vie familiale depuis une quarantaine d’années. Les exemples d’énoncés sango et ngbandi cités dans cet article sont tirés de notre mémoire Etude comparée du créole réunionnais et du sango : toute langue de contact est-elle un créole ? (2015). Il s’agit majoritairement d’échanges (enregistrés et notés) avec un témoin centrafricain vivant à La Réunion, locuteur de sango national, de sango de Mobaye (ngbandi) et de français. Un autre exemple est issu d’une copie d’écran d’un post de locutrice de sango sur le réseau social Facebook (correspondance personnelle, voir annexes).
Pour le créole réunionnais, nous pratiquons cette langue depuis 2004 dans notre vie familiale et professionnelle. À cela nous ajoutons la consultation de deux posts sur le média social Facebook, ainsi qu’une copie d’écran d’un média en ligne (voir Annexes).
Pour le créole seychellois, que nous ne parlons pas, nous avons questionné des enseignantes et chercheuses universitaires seychelloises en juin 2018, dans le cadre de la préparation d’une thèse de doctorat. Parmi les énoncés notés lors de ces rencontres, nous citons ici ceux du Dr Marie-Reine Hoareau (Technical Advisor International Relations at Ministry of Education and Human Resource Development), de Joëlle Perreau (Dean of the Faculty of Arts and Social Development at the University of Seychelles), et de Marie-Thérèse Choppy (première directrice de Lenstiti Kreol Seselwa), du Dr Marie-Thérèse Purvis (enseignante dans les universités d’York et Durham, membre du Creole Language Committee of Creole Institute des Seychelles), d’Aneesa Vel (Senior Research Officer à l’université des Seychelles). Qu’elles soient ici remerciées pour leur aide.
Le sango et le ngbandi, si loin des créoles indianocéaniques
Il s’agit probablement d’un exemple de sérendipité1 : la compréhension de la fonction de « particule préverbale » du i créole (explicitée dans la partie IV) nous a été facilitée par la connaissance du sango. Ensuite, l’analyse du morphème a sango nous a semblé plus judicieuse en utilisant les concepts développés pour l’étude du créole réunionnais (Hummel, 2015). Nous avons alors émis l’hypothèse que le a sango et le i créole sont deux particules préverbales, alors que ces deux langues de contact n’ont aucune parenté génétique. En 2015 nous avions ainsi défini ce qu’est une langue de contact : « langue née de la réinterprétation d’une langue-cible dans un contexte de brassage de populations endogènes ou exogènes ».
Le sango et le ngbandi, langues de l’Adamawa‑Oubangui
Le sango, la langue nationale de République centrafricaine, est une langue de contact endogène créée à partir du ngbandi, langue d’une ethnie installée sur les bords de l’Oubangui, à la fois dans l’actuelle République démocratique du Congo (Congo ex-belge) et en République centrafricaine (Hummel, 2015). Selon Williamson et Blench (2004) qui s’appuient sur les classifications de Greenberg, Boyd et Kleinewillinghöfer, ces langues appartiennent à la branche Adamawa-Oubangui2 du phylum Niger-Congo, l’une des quatre grandes familles linguistiques africaines (Annexe 1). Ngbandi et sango sont des langues à tons : á n’est pas le même mot que à.
Leur graphique (p. 39) précise que le ngbandi, langue-mère du sango, fait par-tie de la sous-branche « Oubanguien » qui comprend également les langues gbaya, banda, sere, ngbaka, mba et zande, réparties le long de l’Oubangui et dans une partie du territoire centrafricain. Tout en reconnaissant la difficulté de trouver des données fiables, les auteurs avancent :
[…] la somme des chiffres fournis par Barreteau et Moñino (1978) donne un total d’environ 2 300 000 locuteurs pour les langues oubanguiennes. Le nombre total de personnes ayant pour langue maternelle une langue du groupe Adamawa-Oubangui s’élève […] à environ 3 800 0000. Ce chiffre ne tient pas compte de tous les locuteurs du sango, langue nationale de la République centrafricaine et langue véhiculaire dans les pays voisins.
La population totale de République centrafricaine est évaluée à 4,7 millions d’habitants3, dont certains sont déjà comptés dans les 2,3 millions ci-dessus. Le nombre total de locuteurs de langues oubanguiennes ne dépasse donc pas les sept ou huit millions. Quels que soient les chiffres exacts, il est évident que cette branche linguistique représente une infime minorité parmi les 1200 millions d’Africains4. Elle rassemble infiniment moins de locuteurs que la branche bantu, qui comprend la majeure partie des langues parlées en Afrique au sud de l’équateur. Et ces locuteurs oubanguiens sont situés très loin de l’océan Indien, avec lequel il n’y a jamais eu de liaisons directes. Cet élément prendra de l’importance lorsque nous discuterons de l’influence éventuelle des langues africaines dans la formation des créoles indianocéaniques.
Le a du sango et du ngbandi
Les langues ngbandi et sango contiennent toutes deux une particule a, dont les descriptions morphosyntaxiques varient d’un auteur à l’autre (Hummel, 2015). C’est un point commun avec le i des créoles réunionnais et seychellois, comme nous le verrons plus loin.
Le a du ngbandi
Parmi les différentes descriptions que nous avons pu consulter, rappelons d’abord celle de Lekens (1952), qui a bien observé les locuteurs de ngbandi au début du XXe siècle. Il note l’existence de plusieurs morphèmes très différents. Parmi eux, trois intéressent notre recherche, apparaissant systématiquement en début de mot :
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un morphème a présenté comme un pronom personnel de la 3e personne, qui peut avoir la fonction de reprise du sujet, et accolé au début des verbes (observation particulièrement importante pour la suite de notre analyse). Exemples : Aɔ : il (elle) est parti. Aɔ́ : ils (elles) sont partis. Akɔndɔ̀ tɛ́ lo akpwíri kwɛ́ : toutes ses poules (elles) sont mortes. Lekens considère que le a placé au début du verbe akpwíri est une sorte de pronom disjoint, reprise du sujet ákɔndɔ̀ tɛ́ lo.
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un morphème á présenté comme la marque du pluriel des substantifs et accolé au début des substantifs. Exemples: Hù : oiseau; áhù : oiseaux.
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un morphème â présenté comme la contraction de áwà (les êtres humains, les personnes). Áwà Ngbandi : â Ngbandi : les Ngbandi. Soit quasiment synonyme du á présenté comme le marqueur du pluriel pour les substantifs.
Ensuite nous privilégions la description de Mbulamoko (1973) qui, le premier, introduit la notion de préfixe verbal en étudiant le ngbandi. Voici ce qu’il écrit (p. 113 en note) à propos du morphème a : « Nous distinguerons cependant, de façon nette et claire, le substitut personnel (préposé au lexème verbal) du préfixe verbal proprement dit (préfixe a- de la non-personne). » En traduisant en langage courant, nous dirions que ce « préfixe verbal » de la 3e personne (la « non-personne ») ne peut pas être confondu avec le pronom de la 3e personne du singulier ou du pluriel (que l’auteur appelle « substitut personnel »). Cette distinction n’a pas été reprise par les autres linguistes, mais elle nous semble particulièrement importante pour notre analyse.
Le a du sango, langue de contact
Tous les Centrafricains connaissent la relation génétique entre leur langue nationale, le sango, et le ngbandi. Même s’ils n’utilisent pas ce dernier terme pour désigner la langue de l’ethnie Sango, établie depuis des siècles dans la région de Mobaye. En République centrafricaine (RCA), on parle de « sango de Mobaye » ou de « sango riverain », qui sont les variantes locales du ngbandi. Cette formulation populaire conforte les études linguistiques qui considèrent toutes le sango comme une langue de contact issue du ngbandi.
Certains auteurs comptent même le sango parmi les créoles. C’est notamment le cas de Crystal (1997), cité par Wolff (2004), qui place le « sango, créole à base ngbandi de République centrafricaine » dans sa liste des pidgins et créoles africains. C’est aussi le cas des auteurs de l’Atlas of Pidgin & Creole Language Structures (2013). Même si ce classement nous semble sociologiquement contestable – les locuteurs de sango ne se considèrent pas comme locuteurs d’un créole –, il a une justification strictement linguistique et n’entravera pas notre analyse.
Nous retrouvons en sango le morphème a du ngbandi (Hummel, 2015). Dans son étude The Sango Language and Its Lexicon (1997), Thornell présente le a comme un « marqueur d’accord » du verbe par rapport à un sujet substantif. Elle détaille:
The verb is marked for agreement when the subject is expressed by a noun […], but not in other cases […]. The agreement marker consists of the prefix a- which is attached to the main verb or the auxiliary where there is one. This marker is derived from the impersonal pronoun 3rd person singular a.
Même si l’analyse de cette dernière phrase nous semble pertinente (le marqueur a- est vraisemblablement dérivé du pronom de 3e personne), nous contestons cette présentation, car la notion de « marqueur d’accord » nous semble peu efficace lorsqu’elle s’applique exclusivement pour les verbes suivant un substantif à la 3e personne. Nous lui préférons la notion de « marqueur préverbal » ou « particule préverbale ».
Nous affirmons depuis 2015 qu’il existe en sango deux morphèmes différents. Il y a d’abord le « á » (transcrit â par Thornell), un affixe qui marque le pluriel devant les substantifs, et n’intervient pas dans notre démonstration, mais que nous devons garder en mémoire. Puis il y a le à que nous définissons comme particule préverbale, car ce morphème apparaît en sango devant le verbe, après un sujet substantif à la 3e personne (sauf après le pronom lo de 3e personne singulier). Nous rappelons ici les exemples déjà cités en 2015 (témoin centrafricain) :
Sango de Mobaye (ngbandi) : á ya ngambi à ndo à té yé
Sango de Bangui (sango national) : á molengué à éké té kobé
Français : Les enfants mangent/sont en train de manger
Dans les deux langues, le á préfixé au sujet marque le pluriel. Dans les deux langues, le à est placé avant le verbe. Cette particule préverbale n’apparaît qu’une fois en sango de Bangui, devant le syntagme verbal éké té kobé (être en train de manger), alors qu’elle apparaît deux fois en ngbandi, un fois devant ndo (être en train de…) et une fois devant le syntagme verbal té yé (manger).
La particule préverbale à, manifestement issue du ngbandi, n’est cependant pas un simple calque du ngbandi en sango. Une autre phrase du même témoin montre qu’elle apparaît en sango sans préexister en ngbandi :
Sango de Mobaye (ngbandi) : Ala nín nongo nin ndin
Sango de Bangui (sango national) : Ala à yéké gwé andé kékéréké
Français : Ils vont partir(ont) demain
Notons également que le morphème à est utilisé dans les phrases à sujet indéfini comme a du mbi biri ? (« m’a-t-on enfanté hier ?). Il se traduit par le sujet indéfini « on » en français, dans une phrase strictement identique en sango de Mobaye (ngbandi) et en sango national. Ce qui peut amener certains chercheurs à définir ce mot comme un sujet, par exemple dans le Dictionnaire sango-français de Bouquiaux et al. (1978). Nous contesterons plus loin cette analyse.
Car nous avons formulé dès 2015 une hypothèse : ce morphème à du sango serait une reprise et une restructuration du morphème à du ngbandi, dans le processus de création de la langue de contact. Nous y reviendrons.
Les créoles réunionnais et seychellois, seuls créoles à posséder le i
À des milliers de kilomètres de l’Oubangui, deux langues créoles possèdent une particularité unique parmi les créoles à base française : un petit mot i dont la description semble aussi problématique que celle du a centrafricain. Sans entrer dans les détails, rappelons que ni les créoles français de l’Atlantique, ni les créoles mauricien et rodriguais, pourtant génétiquement très proches des créoles réunionnais et seychellois, ne possèdent ce morphème, qui constitue une particularité à la fois réunionnaise et seychelloise. Voyons d’abord quelques descriptions du i réunionnais, avant d’aborder le i seychellois.
Le i du créole réunionnais
Pionnier dans l’étude du créole réunionnais, Chaudenson (1974 : 966-968) a classé le i dans les néologismes créoles. Selon lui, ce morphème serait issu de la transformation du pronom français « il », souvent reprise du sujet dans le français populaire (comme dans « mon homme, il travaille »). En 1978, Corne et Moorghen proposent une étymologie quelque peu différente :
on postulera une copule sous-jacente, avec le verbe enchâssé. Ainsi, m i mâz proviendrait de (la structure sous-jacente à) muê le ki mâz (avec effacement obligatoire de le, et réduction de ki à i par une règle morphologique n’opérant que dans ce contexte.
Sans contester ces deux hypothèses étymologiques, plus complémentaires que contradictoires, nous privilégions l’approche de Watbled (2015) qui affirme : « il vaut mieux postuler que /i/ joue le rôle syntaxique de marqueur prédicatif d’une proposition tensée ». L’auteur explique la différence entre formes verbales « tensées » et « non tensées », calques des mots anglais tensed et nontensed : les verbes tensés sont ceux qui portent une flexion (présent, imparfait, futur, conditionnel) ; les verbes non tensés sont l’infinitif et le participe.
Selon l’auteur,
le préverbe /i/ possède les propriétés suivantes :
– il joue un rôle démarcatif en séparant le sujet du prédicat ;
– il signale que le syntagme prédicatif est tensé ;
– il indique que ce qui est à sa gauche est le sujet d’une proposition finie.
Il cite un exemple qui résume ces trois propriétés : /zot i dor pa/. Où /zot/ est sujet, /i dor pa/ est le prédicat. Le syntagme prédicatif est ici tensé, il s’agit d’une proposition finie. Ce qui est à gauche du /i/ (/zot/) en est le sujet.
Concernant les phrases du créole réunionnais qui ne possèdent pas ce i, Watbled (2015) assure : « les différents cas de non-occurrence de /i/ se ramènent soit à des effacements par des règles de sandhi5, soit à l’application d’un principe d’économie morphosyntaxique consistant à éviter ou à bloquer toute redondance. » L’auteur signale également l’existence d’un i prosodique, qui intervient « Pour rendre dissyllabique un verbe monosyllabique comprenant une forme préfixée en /l-/ ou /n-/ […] » si le verbe « n’est pas suivi d’un syntagme syntaxiquement gouverné par lui ».
L’auteur réfute toute valeur sémantique à ce préverbe i. Ce morphème n’a aucune valeur temporelle (il n’exprime ni le présent, ni le passé, ni le futur). Il n’a pas non plus de valeur aspectuelle (ni perfectif, ni imperfectif). Ce qui empêche de le classer parmi les « marqueurs TMA (temps, mode, aspect) » considérés par certains linguistes comme des spécificités des créoles. Cet indice verbal, ou particule préverbale, est donc un simple « marqueur prédicatif » en créole réunionnais.
Le « i mystérieux » du créole seychellois
Reconnaissons à Corne et Moorghen la justesse de la formule lorsqu’ils parlent, dès 1978, d’un « i “mystérieux” en seychellois et en réunionnais ». Avec Watbled, nous venons de le démystifier pour le réunionnais, mais la formule reste presque exacte pour le seychellois.
Voyons comment le i seychellois est décrit par différents chercheurs.
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Le i fait l’objet de deux définitions dans le Diksyonner kreol-franse, Dictionnaire créole seychellois-français (1999). Dans une première entrée, il est présenté comme le pronom de la 3e personne (il, elle), et comme la répétition du sujet (Mon lisyen i nwar). Dans une seconde entrée, le i est défini comme une « forme de négation dans les interrogations oratoires ». L’exemple cité (Ou pa i ti konnen ki sa i vre ? Vous ne saviez pas que c’était vrai ?) ne nous semble pas convaincant.
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Le i serait une « reprise du sujet » pour Corne et Moorghen (1978, p. 63 et suiv.). Les auteurs reconnaissent que :
Synchroniquement […] la distribution de i paraît complètement arbitraire. Notre règle d’insertion rend compte de la distribution de i-reprise, mais elle n’explique pas pourquoi i n’apparaît pas devant certains éléments (ti, pe, pu, pa), ni pourquoi la reprise est facultative (avec a(va), fek, n + Voyelle). Le problème est de trouver une explication plausible à cette distribution apparemment arbitraire. Pour ce faire, nous devons chercher les origines de ce i. […] La reprise en seychellois a un parallèle évident en français : le chien il vient ; les chiens ils viennent. En français populaire, et au 17e siècle, il(s) est phonétiquement [i] quand une consonne initiale suit.
Non seulement l’hypothèse étymologique est cohérente, mais en plus l’hypothèse de reprise du sujet nous éclairera dans notre recherche. Les auteurs confirment cependant leurs hésitations (p. 69) : « Il n’est pas clair, dans une description synchronique de S (créole seychellois), dans quelle catégorie lexicale on devrait classer ce i […] ».
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Le i serait parfois un pronom personnel et parfois un marqueur du prédicat (predicate marker) pour Michaelis et Rosalie (2013).
Le i seychellois reste effectivement mystérieux. Une étude comparative de plusieurs langues de contact permet de proposer de nouvelles hypothèses.
Discussion : la particule préverbale, point commun de plusieurs langues de contact
À l’exception des créoles réunionnais et seychellois, issus du bourbonnais6 (Chaudenson, 2010), les autres langues évoquées ici n’ont guère de proximité génétique. Ce sont toutes des langues de contact, soit exogènes (créoles), soit endogènes, et nous allons passer en revue quelques points communs.
Quand des langues différentes présentent d’étonnantes similitudes
A l’origine était le pronom personnel
Dans de nombreux créoles, le pronom personnel de la 3e personne du singulier (équivalent du français « il » ou « elle ») est issu de la transformation de la langue européenne. Ainsi voit-on en créole guadeloupéen le pronom personnel de la 3e personne du singulier i, dont on devine l’étymologie : il vient du « il » français, même s’il peut aussi représenter une femme et se traduit aussi par « elle ». Michaelis en donne deux exemples dans son Atlas of Pidgin & Creole Language Structures (2013 : 302), citant Colot & Ludwig : I dòktè (S/he is a doctor) et I anlè pon-la (S/he is on the bridge).
Il en va de même pour le créole de Guinée Bissau, à base portugaise, où la 3e personne du singulier peut s’exprimer par les pronoms i ou l ou el, comme l’indiquent Intumbo et al. dans The Survey of Pidgin & Creole Languages (2013 : 31) : I mata si kabesa (He killed himself).
On peut facilement admettre qu’il existe un i seychellois, créé à partir du « il » français, qui remplit la même fonction, comme l’indique le Diksyonner kreol-franse (op. cit.). On peut aussi citer la série d’exemples suivants : i la (il est là), i ti la (il était là), i pou la (il sera là)7.
Quand le pronom personnel devient copule
Comme le soulignent Corne et Moorghen (1978), le i seychellois provient vraisemblablement de la reprise du sujet « il » en français. Cela ne l’empêche pas de subir une autre transformation à la fois sémantique et syntaxique : il devient aussi copule. C’est l’hypothèse que nous formulons à la lecture de divers exemples déjà publiés. Ainsi voit-on le Diksyonner kreol-franse (op. cit.) proposer la phrase Mon lisyen i nwar avec la traduction française « Mon chien est noir », où le mot « être » remplit ici la fonction de copule. Il en va de même pour la phrase La rivyer i plen (« The river is full ») qui se transforme au passé en La rivyer ti plen (« The river was full »)8.
Une évolution similaire est observée en créole du Cap Vert par Baptista (2002). L’auteure explique que le petit mot e, issu du portugais peut figurer à la fois comme pronom personnel de la 3e personne (clitic subject position) et comme copule. Elle postule: « I propose that the copula is derived from the pronoun » (p. 109). Juste avant (p. 108), Baptista cite les travaux d’Ichinose (1993), qui explique qu’en créole de Guinée Bissau, le i, équivalent du e cap-verdien, est issu du pronom portugais de la 3e personne du singulier ele. Il assure la double fonction de pronom (3e personne du singulier) et de copule. Baptista cite l’exemple :
El i pursor ba
s/he COP professor ANT (S/he was a professor)
Il ne faut cependant pas en déduire qu’il s’agit là de traits spécifiques des langues créoles. Il suffit d’observer le mauricien pour voir que la restructuration du lexique français n’y a pas abouti au même résultat qu’en réunionnais et seychellois, malgré la proximité géographique et culturelle de ces îles, et malgré l’origine bourbonnaise commune (Chaudenson, 2010). L’existence de ces troublantes similitudes indique que des langues très éloignées géographiquement peuvent avoir des évolutions internes parallèles, sans nécessiter une influence étrangère.
L’expression du sujet impersonnel
Dans certaines langues, le même mot assurant une fonction de pronom et/ou de copule peut servir à exprimer le sujet impersonnel et/ou explétif. C’est le cas en créole seychellois, pour lequel Michaelis cite (Atlas, op. cit. p. 310) Be ler i annan koudvan zot pa reste lo sa zil ? (But when there is a hurricane, they don’t stay on the [island]?). Nous avons également entendu i posib (c’est possible)9 et i fer so (il fait chaud)10. Dans ce dernier cas, il est facile de soupçonner l’étymologie du i qui viendrait du « il » français, mais cela ne contredit pas notre analyse.
Baptista fait une remarque similaire pour le cap-verdien (op. cit., p. 255). Elle démontre qu’une construction avec prédicat adjectival nécessite le mot « e », qui fonctionne comme une copule : e difisi pa konta nha (it is difficult to tell you), era difisi pa konta nha (it was difficult to tell you). En français, nous traduirions par « c’est » ou « c’était », une forme impersonnelle.
En seychellois, Michaelis et Rosalie (op. cit. p. 267) citent la phrase I fer avek kwa ? (With what does one make it/is it made?). Les auteurs considèrent i comme un pronom de 3e personne singulier. Mais l’anglais le traduit par one ou par la voix passive ; le français dirait « on ». De notre point de vue, le mot i assure là la fonction de sujet impersonnel.
Le réunionnais utilise également le i dans des formes impersonnelles, qui sont en fait des structures sans sujet exprimé : i shap pa ! (on n’en s’échappe pas, impossible d’y couper)11 (Annexe 2), i met azot sa ! (ça vous épate !)12 (Annexe 3), i guingn lo pus a fors frékant lo shien (à force de fréquenter les chiens, on attrape des puces)13 (Annexe 4).
Ces constatations ne se limitent pas aux créoles à base européenne. En sango, le mot a sert à traduire le pronom impersonnel « on », comme dans la phrase Ala gui koua, ka a mou ni na ala ma ! (ils cherchent la mort, eh bien qu’on la leur donne !)14 (Annexe 5). Si, de notre point de vue, ce morphème a n’a pas valeur de pronom personnel de 3e personne en sango, il l’a en ngbandi (Lekens, 1952). Et nous partageons ici l’analyse de Thornell (op. cit. p. 73) : « This marker is derived from the impersonal pronoun 3rd person singular a. » Il est vraisemblable que ce pronom de 3e personne ngbandi a été restructuré en sango pour y assurer d’autres fonctions, notamment celle du sujet impersonnel.
Il est frappant de constater cette similitude dans les restructurations opérées dans des langues aussi différentes du point de vue génétique et aussi éloignées géographiquement. C’est cet exercice comparatif qui nous amène à approfondir notre hypothèse de particule préverbale.
Le marqueur préverbal ou particule préverbale ou indice verbal
Le « dummy predicate marker » du seychellois
Perspicaces, Michaelis et Rosalie affirment (2013, p. 266) :
In Seychelles Creole there is a dummy predicate marker i in the third-person singular and third-person plural, which occupies the position directly to the left of the finite predicate when no tense-aspect-mood or negation marker is present.
Même si l’adjectif « dummy » (factice) ne nous semble pas adéquat, nous constatons que ces auteurs décrivent le i comme un marqueur du prédicat (predicate marker, PM), c’est-à-dire avec une fonction différente de celles qui sont proposées par les autres auteurs. Il s’agit bien là d’une fonction originale, qui ne contredit pas l’hypothèse étymologique d’une « reprise du sujet », comme l’ont proposé Corne et Moorghen.
Michaelis et Rosalie citent de nombreux exemples, dont certains ne nous semblent pas pertinents, car ces emplois de i qui relèvent plutôt de la copule. Nous en avons cependant relevé qui correspondent à un predicate marker :
Mari i depas tou bann fiy lo grander. (p. 264)
Mari PM surpass all PL. girl on tallness
« Mari is taller than all the girls ».
Pier i manz mang. « Peter eats a mango/ mangoes » (p. 266).
L’analyse de Michaelis et Rosalie nous semble particulièrement intéressante parce qu’elle fait écho aux études menées sur d’autres langues. En particulier sur le créole réunionnais, où Watbled affirme que le i est un « marqueur prédicatif » (voir supra). Cela ne contredit pas l’analyse formulée par certains de nos interlocuteurs seychellois, qui considèrent ce i comme une « reprise du sujet » : leur remarque est étymologiquement juste, mais nous choisissons ici de dépasser la simple étymologie.
Le « predicate marker » du sango
Cette analyse peut s’appliquer à des langues parlées à des milliers de kilomètres de l’océan Indien. Comme le ngbandi pour lequel, rappelons-le, Mbulamoko introduit la notion de « préfixe verbal ». Il n’est donc pas étonnant qu’on en retrouve la trace en sango (Hummel, 2015).
Il nous semble particulièrement révélateur que dans The Survey of Pidgin & Creole Language vol. 3 (2013), Samarin décrive le mot « a » comme un « predicate marker » (PM) dans plusieurs phrases (p. 18) :
(31) Zowa a-ga laso ?
who PM-come today
« Who came today? »
(32) Melenge so a-ke zowa ?
child DEM PM-COP who
« Who is this child? »
Se rapprochant ici de Thornell (p. 118-121), Samarin explique (p. 17) que la marque du passé awé est composée du « predicate marker » a suivi de wé qui signifie « finir » ou « terminer » en ngbandi, ce qui nous semble pertinent. Il n’y a aucun emploi du a qui puisse s’apparenter à un pronom sujet ou à un marqueur d’accord.
Faut-il s’étonner que le sango dispose d’un « predicate marker » comme le créole seychellois ? Au contraire, cette similitude conforte notre hypothèse. Ce « predicate marker », nous le renommons « particule préverbale », avec comme synonymes « marqueur préverbal », « marqueur prédicatif » ou « indice verbal », selon les formules déjà usitées par d’autres chercheurs. En l’occurrence, peu importe l’expression choisie : l’essentiel est pour nous de montrer que des restructurations parallèles peuvent opérer dans les langues très éloignées, à la fois du point de vue génétique et du point de vue géographique.
Une restructuration toujours à l’œuvre, un camouflet pour l’hypothèse substratiste
En ce début de XXIe siècle, quel intérêt comporte cette comparaison ?
Les trois « i » homophones du seychellois
Les comparaisons entre langues nous permettent d’abord de proposer une triple valeur pour le i seychellois. Etymologiquement, ce i vient vraisemblablement d’un mot français (probablement le pronom « il »). Et contrairement à ce qu’écrivent Corne et Moorghen (1978, voir supra), il est inutile de chercher les origines de ce i pour trouver une « explication plausible à cette distribution apparemment arbitraire ».
Dans l’explication que nous proposons, il y a en réalité trois i différents dans le créole seychellois. Nous parlerons d’homophones, afin d’insister sur le fait qu’il s’agit de morphèmes différents, issus de restructurations différentes et peut-être successives, malgré une prononciation similaire. Il peut être intellectuellement séduisant de chercher des étymologies différentes pour ces homophones, car nous ne pouvons pas écarter l’éventualité d’une ou plusieurs attractions paronymiques pendant les deux siècles de construction du créole. Mais même si c’était vrai, cela ne changerait rien à notre hypothèse.
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i est pronom personnel de 3e personne, masculin ou féminin, en position de sujet, ce qui n’est pas le cas en réunionnais.
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i est copule verbale (au présent), ce qui n’est pas le cas en réunionnais.
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i est particule préverbale. À ce titre, il remplit aussi la fonction de sujet impersonnel, comme le font le i réunionnais et le a sango.
Les métamorphoses modernes des i seychellois et réunionnais
Qu’il s’agisse du réunionnais ou du seychellois, il est vraisemblable que ces deux langues n’ont pas toujours connu l’emploi du i tel que nous l’avons décrit ici. Dans sa polémique avec d’autres chercheurs sur le bourbonnais, Chaudenson (2010 : 115) suggère que l’indice verbal i du réunionnais n’est apparu ou n’a été généralisé qu’après 1720 à l’île Bourbon/La Réunion. Ce qui expliquerait que cette particule n’existe pas en mauricien, langue qui s’est construite après cette date, sans influence ultérieure du réunionnais en raison de l’isolement des deux communautés linguistiques.
Comment expliquer la présence du i en seychellois, langue formée après 1770 à partir des parlers des colons et esclaves bourbonnais et mauriciens ? Pour Chaudenson, le lien de parenté entre bourbonnais/réunionnais d’après 1770 et sey-chellois est clair, même si aucune donnée historique ne nous permet de le dater et d’expliquer pourquoi les usages du i sont différents en réunionnais et en seychellois actuel. Il nous faut juste constater que les restructurations ont été différentes selon la situation géographique, ce qui n’a rien d’étonnant.
Ces restructurations sont toujours à l’œuvre en ce début du XXIe siècle. En réunionnais, par exemple, on assiste à une lexicalisation du mi, qui était à l’origine une agglutination de moin + i (je). Les jeunes Réunionnais disent mi nana, alors que le créole, tel que décrit par les linguistes, aurait dit moin nana puisqu’il y a incompatibilité entre l’indice préverbal i et le verbe avoir nana (Watbled, 2013).
En seychellois, le Dr Marie-Pierre Hoareau fait une expérience devant nous15. Elle demande à deux collaboratrices de traduire les phrases this girl is nice et those girls are nice.
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V., 42 ans, traduit sa fiy i zantiy et sa bann fiy zot zantiy.
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R., 18 ans, traduit sa fiy i zoli et sa bann fiy i zoli.
Ne nous attardons pas sur le choix des adjectifs synonymes zantiy ou zoli, qui n’a pas d’importance pour notre démonstration. En revanche, nous remarquons que la première locutrice respecte une norme grammaticale : l’adjectif est précédé au pluriel du pronom zot, reprise du sujet sa bann fiy. C’est cohérent avec la phrase au singulier, où elle a utilisé le morphème i, qui a l’avantage de pouvoir être interprété étymologiquement comme une reprise du sujet, et syntaxiquement comme une copule.
En revanche, la plus jeune locutrice utilise le morphème i pour la phrase du pluriel, contribuant ainsi à son usage comme copule. Nous sommes là en présence d’une métamorphose moderne du seychellois, qui s’inscrit dans une démarche de restructuration interne d’une langue.
Ces métamorphoses contredisent l’hypothèse substratiste
Ces métamorphoses modernes doivent être observées à la lumière des précé-dentes études, dont certaines ont abouti à l’hypothèse d’un substrat africain pour le créole seychellois. Michaelis et Rosalie (2013 : 262) résument la situation:
The possible substrate languages would have been spoken across an area from the southernmost part of Somalia to the South of Mozambique. […] Therefore some of the most probable substrate languages for Seychelles Creole are Swahili, Mwera, Makonde, Yao, Makua, and Sukuma/Nyamwezi.
Selon l’hypothèse substratiste, ces langues bantoues auraient donc transmis des éléments morpho-syntaxiques au créole seychellois. Se référant aux travaux de Baker, Marie-Thérèse Choppy, pionnière de l’enseignement du créole, auteure du premier livre de seychellois pour étrangers I fasil fasil, assure que les modalités verbales du créole seychellois sont héritées de l’Afrique16. Selon elle, le morphème i pourrait faire partie de cet héritage africain, à l’instar des marqueurs temporels ti, pou, in…
Paradoxalement, notre étude comparative aboutit à la conclusion inverse. Si le i seychellois, et son cousin le i réunionnais, ont effectivement des ressemblances avec une langue africaine, cela n’a rien à voir avec un quelconque héritage africain. En effet, les langues bantoues ont une structure morpho-syntaxique très différente de celle du sango. Sango et ngbandi sont des langues majoritairement isolantes, comme les créoles, alors que les langues bantoues sont flexionnelles, avec un système de classes et d’affixes totalement inconnus dans les créoles indianocéaniques.
Si les créoles réunionnais et seychellois – qui, rappelons-le, sont des langues exogènes (voir supra), donc sans substrat stricto sensu, – avaient subi une influence africaine, celle-ci se manifesterait par tout un ensemble de propriétés morphologiques analogues à celles des langues bantoues, ce qui n’est absolument pas le cas. A notre connaissance, il n’existe pas d’équivalent du i créole dans les langues bantoues. Celles-ci comportent des affixes de classes nominales qui peuvent se traduire en français par une reprise du sujet… ou ne pas être traduits, comme le montrent deux exemples du swahili cités par Watters (2004) :
– p. 263, un exemple tiré des travaux de Thompson et Longacre (1985 : 181) :
Baba a-na-po-pika chakula, kuna pilipili
Père C1 : MS-PRES-REL-cuire nourriture, il y a beaucoup poivre
« Quand père fait la cuisine, il y a beaucoup de poivre »
a est ici analysé comme le marqueur de la classe d’accord nominal (accord du verbe avec un sujet humain), devant le marqueur temporel du présent na.
– p. 235, un exemple tiré des travaux de Vitale (1981 : 32) :
Halima a-na-pika ugali
Halima 3SG-PRES-cuire boule
« Halima est en train de préparer la boule »
a est ici analysé comme un marqueur de la 3e personne du singulier, devant le marqueur temporel du présent na.
On trouve ici un morphème qui ressemble phonétiquement au marqueur préverbal a du sango, mais s’inscrit dans une série de plusieurs affixes. Cette série d’affixes n’existe ni en sango ni dans les créoles indianocéaniques. Cette ressemblance n’est donc pas suffisante pour y voir une possible influence substratique ayant abouti à l’apparition des i créoles. Encore moins en réunionnais, car à La Réunion, l’influence malgache est bien plus importante que l’influence bantoue dans le lexique et la toponymie. Or, pas plus que le swahili, le malgache ne possède d’équivalent du i réunionnais.
Au contraire, nous voyons dans cette comparaison entre créoles et sango la preuve que chaque langue se métamorphose selon des restructurations internes, lesquelles peuvent se produire de manière plus ou moins analogue dans des langues très éloignées, sans nécessité de contact entre ces langues.
Conclusion
L’audacieuse comparaison entre deux créoles indianocéaniques et une langue africaine de l’Adamawa-Oubangui met en évidence des similitudes dans la formation de ces langues de contact. À des milliers de kilomètres de distance, on observe la restructuration d’un pronom personnel qui peut devenir copule ou particule pré-verbale. Ces similitudes ne s’expliquent pas par un contact de ces langues (non attesté historiquement), mais plutôt par des évolutions internes qui peuvent se produire dans toutes les langues, qu’il s’agisse de créoles à base européenne ou d’autres langues de contact.
L’étude du i mérite encore beaucoup d’attention, particulièrement en seychellois où la fonction de particule préverbale pourrait être analysée à la lumière des études récentes sur le réunionnais et du parler des jeunes générations. Ce qui n’invalide pas les recherches étymologiques, et laisse toute sa place à la discussion sur la genèse des créoles de l’océan Indien.