DOI : 10.26171/carnets-oi_0102
Connaître les méandres des sociétés créoles est aujourd’hui une nécessité, car la créolisation semble avoir plus que jamais de l’avenir devant elle. Les interpénétrations culturelles, fruits des migrations internationales et de la mondialisation sont souvent considérées comme une « créolisation » des sociétés, même hors des anciens espaces coloniaux. Les premières sociétés créoles sont apparues sous l’effet de l’expansion européenne entre le XVIe et le XVIIIe siècle, sur des terres tropicales marquées par la colonisation et l’esclavage. Toutes les conditions sont alors réunies pour que dans ces sociétés la mésentente qui porte en son sein la violence comme la nuée porte l’orage, triomphe.
Dans l’océan Indien occidental, les Mascareignes et les Seychelles ont été des colonies d’établissement ou de peuplement avant de devenir des colonies d’exploi-tation, de rapport dotées au moins d’une culture spéculative. Elles sont peuplées par immigration depuis le début des Temps modernes. Dans ces deux archipels structurés par la colonisation, des migrants – venus de gré ou de force d’Europe, de Madagascar, d’Afrique de l’Est, de l’Ouest, d’Asie – et des civilisations se sont rencontrés façonnant une identité créole1. Cette réalité est complexe pour les esclaves et leurs descendants. Marqués au fer chaud de l’esclavage ils sont tiraillés par deux « moi » : l’un qui accepte l’esclavage en désespoir de cause et l’autre qui s’y refuse de manière catégorique. F. Affergan qui aborde le processus d’aliénation chez les descendants d’esclaves de la Martinique parle de consciences abîmées qui souffrent de l’incapacité même de poser le problème de l’identité (2006, 2002)2. Il ne leur est pas aisé de déterminer une identité culturelle, sociale ou politique alors même qu’ils nourrissent le désir d’être l’autre. Comment fixer la forme de cet autre, quand le moi est issu de l’esclavage ? Ce sujet privé de liberté qui aspire à la liberté porte ce lourd traumatisme et le lègue à toutes les générations. Il doit vivre en permanence dans un entre-deux. Arraché à l’Afrique ou à Madagascar, l’esclave perd son modèle communautaire africain ou malgache ; il ne peut que le reconstituer par bribes et développer parallèlement une stratégie de résistance passive et d’évitement, pour briser à sa manière le système qui l’étouffe. Chaque individu invente ses propres stratégies et effectue son « bris collage ». Il se trouve dans un entre-deux fondé sur un vide – la perte du modèle ancestral de la société de départ – et un refus – le rejet du modèle européen. Aucun de ces deux modèles ne peut se réaliser et aucun ne vient les relayer. Les individus évitent de s’engager. L’attitude de fuite est le résultat de l’esclavage et elle perdure. Pour chacun, l’autre représente une menace. Le Noir voit dans le Blanc, un dominateur, un bourreau et le Blanc voit dans le Noir, au mieux un contestataire dangereux au pire un criminel potentiel. L’appréhension imprègne la vie sociale, proscrit tout échange, interdit l’affrontement et n’autorise que la fuite, le mimétisme ou le masque.
La colonisation française assimilatrice jette sous l’Ancien régime, les bases de la « créolité » des îles, métissage, langue créole, cuisine, musique, mentalités, structures sociales… La colonisation anglaise, davantage adepte du « développement séparé » des communautés dessine à partir de 1815 l’évolution des Seychelles, de Maurice et de Rodrigues tandis que La Réunion demeure française. L’immigration engagiste ou individuelle de l’ère industrielle apporte au peuplement de la période esclavagiste des composantes nouvelles dont certaines sont restées relativement homogènes en provenance de l’Inde, d’Afrique orientale, de Madagascar, de Chine… La « créolité », toujours et partout vivace, est restée la plus proche des origines aux Seychelles et à Rodrigues, tandis qu’elle s’est transformée à La Réunion assimilée à la France et a reculé à l’île Maurice où la population d’origine indienne est devenue majoritaire. Le fait créole a une histoire bien singulière dans chaque espace de notre zone indianocéanique et il se lit à travers trois réalités, économico-sociale, linguistique et culturelle qui permettent de répondre à la question « d’où venons-nous ? » L’Histoire ne prédit pas l’avenir, elle permet d’éviter la répétition des fautes, elle aide à répondre à la question « où allons‑nous ? ».
Les leçons du passé
Le fait créole traduit l’appartenance au pays, car ce titre est attribué à l’origine à tous ceux et toutes celles qui sont nés dans un espace colonisé. C’est le cas à l’île Bourbon, où descendants de gens libres qu’ils soient Européens ou Indiens, et descendants d’esclaves sont déclarés après leur venue au monde en tant que créoles. L’île créolise, elle abolit ainsi de fait la distance établie par le système économique en vigueur et annonce indirectement les possibles rapprochements de la société post-abolitionniste. Dans cette île de l’Indianocéanie, au début de la monarchie de Juillet, certains Européens ainsi que des descendants d’Européens après avoir échoué sur le plan économique en faisant faillite lors de la première crise sucrière, se regroupent en une association de francs-créoles, ils tentent de rebondir sur le plan politique. S’ils ne renient pas leurs racines françaises, ils se revendiquent en tant que créoles, et considèrent qu’ils sont mieux placés que ceux qui résident en France hexagonale pour prendre les décisions adéquates pour le bien-être de l’île. Après l’abolition de l’esclavage, cette appellation vaut également pour les descendants des migrants engagés. Après l’indépendance de Maurice en 1968, le désir d’imiter ce modèle amène certains dirigeants politiques à conseiller aux Noirs de rejeter désormais ce titre de créole. Ils sont conviés à rechercher leurs origines. Cela aboutit à l’appellation contrôlée « Réunionnais d’origine », qui ouvre la voie au communautarisme. Au sein de la population afro-malgache, le culte des ancêtres s’étend.
Ailleurs, aussi bien dans les colonies françaises qu’anglaises, l’attribution de ce titre est un peu plus complexe. À Maurice, l’histoire créole commence avec le marronnage des esclaves amenés d’Afrique par les premiers Hollandais débarqués en 1516. La traite des Noirs est ininterrompue pendant toute la période de colonisation française de 1715 à 1810 et sous la colonisation anglaise de 1810 à 1835. Sous la Compagnie des Indes à partir de 1727, les esclaves proviennent de Madagascar, à partir de 1733 du Mozambique, mais aussi de l’Afrique de l’Ouest, du sud de l’Inde et de l’Indonésie. Sous le gouvernement royal à partir de 1767, la traite s’accentue avec la côte est de l’Afrique. Le terme créole désigne également les enfants des esclaves nés dans l’île ainsi que ceux des esclaves émancipés. Après l’abolition de l’esclavage, la créolisation est freinée par l’arrivée massive d’engagés indiens. Les Européens et leurs descendants constituent le groupe des Blancs puis des Franco-Mauriciens. Les descendants des esclaves affranchis afro-malgaches laissés pour compte pendant toute la période de l’esclavage sont accueillis dans l’Église par le missionnaire du Saint-Cœur de Marie Jacques Désiré Laval. Il leur donne toute sa confiance, sans tenir compte de leur manque d’instruction. Il les évangélise sans répit. Des femmes qu’il appelle « conseilleuses » l’assistent pour le catéchisme et la visite des malades. Il enracine le catholicisme dans ce monde créole. Les esclaves qui ont été affranchis avant l’abolition de l’esclavage, généralement dénommés libres de couleur, ne veulent avoir aucun lien avec les esclaves libérés en 1839 ; ils suivent le modèle blanc et adhèrent à la culture française. En 1829, ils obtiennent l’accès au collège jusque-là réservés aux Blancs. Dans les années 1880, les conflits s’aggravent entre l’oligarchie blanche et les gens de couleur quand ils revendiquent la révision de la constitution et le droit de vote. À la fin du XIXe siècle, ils occupent les bas postes de la fonction publique. Au moment de l’indépendance en 1968, une annexe de la Constitution admet l’existence de trois communautés : hindoue, musulmane et chinoise. Toute personne qui par son style de vie ne peut être considérée comme appartenant à une de ces communautés, est classée dans la catégorie population générale. Par leur poids, ils donnent une force au groupe minoritaire des Blancs. Les plus métissés de cette population générale, les mulâtres au teint clair, forgent leur identité en s’appropriant la culture française, et en étant catholique. Celle-ci inclut de fait, les Afro-Malgaches ou Créoles qui représentent 30 % de la population. Dans cette catégorie fourre-tout, ils sont voués à l’invisibilité. Ils sont rejetés sur le plan social et instrumentalisés sur le plan politique. En janvier 1968, les bagarres entre musulmans et créoles révèlent la situation dramatique de ces derniers qui sont condamnés à migrer. L’élite créole gagne l’Australie et les autres, l’Europe. Le Mouvement Militant Mauricien émerge alors. Ce parti dont le slogan est « enn sel lepep enn sel nasion », prônant la lutte des classes, des militants de la cause créole croit qu’il pourrait apporter l’égalité réelle pour tous compte tenu de ses liens avec les syndicats. Or, la situation des Créoles empire. En 1901, 89,7 % des Créoles œuvrent dans le secteur public et dans les années 1990-2000 seulement 3 %. Leurs familles se retrouvent dans des cités très défavorisées situées dans les banlieues urbaines. Les Créoles pauvres occupent des emplois précaires, ou exercent les petits métiers traditionnels.
Jusque dans les années 1960, la grande majorité des Créoles mauriciens reste étrangers à la chose publique. Ils ont été si délaissés que le pays est secoué dans les années 1980 par le malaise créole. Ce malaise social affecte aussi l’Église. Le monde créole à la quête de son identité l’interpelle de plus en plus. Au sein de l’Église, l’africanité des Créoles n’est guère appréciée par ceux qui sont friands de culture française. La question culturelle et le fait créole pendant longtemps ne sont pas pris en compte. L’admission des premiers Créoles au sacerdoce est un pas décisif dans la constitution d’un clergé plus proche des réalités locales. C’est Roger Cerveaux, un prêtre créole, qui exprime ouvertement le malaise créole. Les Créoles qui connaissent le travail précaire perçoivent de bas salaires, ont des difficultés de logement, sont victimes, dit-il, de l’esclavage, de leur propre intelligentsia, de la politique culturelle aliénante de l’Église et des politiciens soucieux de leurs propres intérêts. Il porte le mal-être créole au devant de la scène publique pour provoquer un sursaut au moins chez les catholiques. Son intervention a le mérite de forger le terme de « malaise créole ». Monseigneur Piat dit de la culture créole à Maurice qu’elle est la réalité la plus diffuse. « On la croise à chaque coin de la rue, on la rencontre au détour de chaque conversation, on la hume à chaque repas, elle nous saute aux yeux et nous fait des clins d’œil dans les jardins et les maisons des Mauriciens de toute origine »3. Mais lorsque le Créole cherche à appréhender son histoire, il ne trouve le plus souvent qu’une vision péjorative et dénigrante du Noir. L’histoire coloniale aborde l’esclavage pour dénoncer ses atteintes au bon fonctionnement de ce système. Les écrits des premiers historiens mauriciens diffusent les mêmes clichés. Ils sont souvent entachés de parti pris idéologique, aussi bien ethnicisant que politique. Lors de la crise du début des années 1990, les Créoles sont durement touchés. Ces années sont cependant marquées par une remise en valeur des sources africaines de la culture créole. Des groupes culturels créoles tissent des liens avec l’Afrique, tel Mo man twa. Le mouvement Rastafari prend racine dans le milieu afro-créole. Ses adeptes sont identifiables à leurs dreadlocks, longues tresses de cheveux. La musique reggae influence la musique et donne le seggae. Les jeunes des banlieues ont par la musique la possibilité de critiquer la société. Lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 1er février 1993, des prêtres créoles demandent à l’Église de s’occuper davantage de ses enfants les plus pauvres, les Créoles qui sont à 85 % catholiques et créent un cataclysme au sein de l’Église. Ceux qui soulèvent la question créole sont accusés de division. Monseigneur Piat livre dans sa lettre pastorale d’octobre 1993 ses « Réflexions sur le malaise créole ». Il affirme l’incapacité de l’Église à prendre le leadership social et politique de ce groupe afin de le sortir de l’exclusion. Depuis 1993, chaque 1er février est commémoré la revendication de l’identité créole et la reconnaissance de la place des créoles dans la société mauricienne. Compte tenu de l’incapacité des organisations socioculturelles créoles à se fédérer, l’Église catholique se voit contrainte d’assurer leur défense. En 1998, le Père Patrick Fabien dénonce l’ostracisme dont sont victimes les Créoles au sein de la fonction publique. Au cours des émeutes de 1999, à la suite de la mort brutale en prison du chanteur Kaya dans la nuit du samedi 20 février, en l’absence d’un leadership reconnu, le cardinal Margéot porte les revendications des émeutiers et parvient à calmer les esprits. La prise de conscience identitaire créole s’en trouve accélérée. Désormais ils veulent occuper toute leur place dans la société et réclament des stratégies de développement qui intègrent les Créoles au lieu de les exclure. Certaines de ces organisations désirent une filiation quasi exclusive avec l’Afrique, notamment le Mouvman Morisien Kréol Afrikin. D’autres privilégient l’identité créole. Même si des prêtres sont plus attentifs aux clameurs des Créoles, le rapport du synode de 1997-2000 souligne avec force leurs souffrances, la triste situation de leurs enfants délaissés du système éducatif. Ils n’admettent pas que ces derniers ne soient pas admis dans les écoles et les collèges catholiques. L’Église est accusée d’être encore trop proche des riches et de favoriser les Blancs qui l’accaparent. Jocelyn Grégoire, prêtre psychothérapeute, et enseignant à l’université de Pittsburgh aux États-Unis, issu d’une famille créole modeste, se proclame créole avant d’être prêtre. Il créolise les textes bibliques pour les rendre accessibles et use du chant pour assurer son enseignement et capter l’attention des fidèles. Il est un symbole identitaire et emblématique de la communauté créole. Les Créoles admettent désormais que l’Église ne peut pas tout pour eux et qu’il ne lui revient pas de répondre à toutes leurs attentes.
Les îles du sud-ouest de l’océan Indien sont liées par leurs anciens échanges de population. Des habitants de l’île Bourbon assurent la présence française à l’île de France à la fin de l’année 17214, avant l’arrivée d’une expédition placée sous les ordres de l’ingénieur Denyon, le 6 avril 17225. Malgré les nombreuses prises de possession des îles Seychelles par la France – expéditions de Lazare Picault en 1742, 1743, 1744, et de Nicolas Morphey en 1756 – elles restent inhabitées et servent uniquement de refuge aux pirates de manière épisodique. Faute de moyens financiers, la Compagnie des Indes ne peut les mettre en valeur. Leur situation change après la faillite de la Compagnie des Indes. En 1768, une nouvelle expédition de reconnaissance placée sous le commandement de Marion Dufresne est effectuée. Il accorde de l’intérêt aux projets chimériques d’un armateur, Brayer du Barré. Le 12 août 1770 ils l’autorisent à fonder un établissement sur l’îlot de Sainte-Anne. Les premiers colons, sous le commandement de Delaunay, représentant de Brayer, débarquent le 27 août 1770. Il s’agit de 15 Blancs, accompagnés de 7 esclaves, 5 malabares et une négresse. La plupart de ces colons regagnent l’île de France en janvier 1772. Pourtant la population progresse, car le 27 octobre 1771, l’officier de milice, Gillot, a été envoyé par Poivre, accompagné d’une quarantaine d’ouvriers blancs et noirs. Comme cette première colonisation débute bien, en 1772 l’intendant décide de créer un nouvel établissement, dont il confie la direction à Gillot. Même s’il est d’abord l’envoyé de Brayer avant d’être celui de l’administration, il se heurte aux gens déjà sur place, et notamment à Delaunay. Gillot est dans une position difficile. La Pérouse passant à Sainte-Anne en 1773 y a vu des habitants mourant de faim, détruisant les tortues de terre, au lieu de chercher leur nourriture dans les productions de la terre. En 1775-1776, la situation des Seychelles est lamentable. Selon le témoignage de Bougainville, en 1775, les esclaves marrons, les soldats déserteurs jettent la désolation dans la pauvre colonie. Cette première colonisation est inspirée par une passion, celle de Poivre pour les épices. Quand il est rappelé en France, ses successeurs se désintéressent des Seychelles. Brayer déplore que La France n’ait pas encore de plans pour peupler ces îles. À partir de 1777-1778 jusqu’à l’occupation anglaise, les Seychelles doivent jouer le rôle de base militaire grâce à sa bonne situation sur la route des Indes, à la qualité de la rade de Mahé, à l’absence de cyclones, à la réputation de salubrité des îles qui forge le mythe du pays providentiel. Les soldats qui désirent rester aux Seychelles reçoivent des concessions. Comme certains sont des sujets de mécontentement, l’idée d’une sélection des immigrants en vue d’une organisation rationnelle du peuplement et de la mise en valeur des Seychelles reste l’une des préoccupations des administrateurs. Le ministre des Colonies soutient plutôt le passage d’habitants des îles de France et de Bourbon. Mais la venue de créoles ne plaît pas à tous. Ils sont présentés comme trop peu laborieux, trop inconstants, trop enclins à la passion de la chasse et de la pêche. Saint-Amand demande au ministre en 1775, l’envoi de dix à douze familles paysannes de France. Dans les premières années de l’administration royale, le choix porte sur des gens d’origine métropolitaine, notamment des officiers retraités. En 1788, les Seychelles compte huit Blancs et trois libres qui ont au total 219 esclaves. Gillot leur reproche d’être indisciplinés, violents, paresseux, ivrognes, débauchés, de piller les ressources naturelles de l’archipel. Personne ne travaille vraiment. Il est très déçu par les chirurgiens. Jacquin est un « petit vaurien ivrogne », « il m’a tué un noir dit-il, a voulu malgré tout accoucher l’une de mes négresses qui ne pouvait être enceinte et a fait faire une fausse couche à une autre malgré qu’on lui ait représenté cent fois qu’elle était grosse, ce qu’il niait toujours ». Son successeur Popeguin est également porté sur la bouteille. Il n’a cessé d’être ivre pendant les quatre premiers mois de sa résidence. Gillot vante Savy qui a le mérite d’être le seul à ne pas protester contre sa circulaire du 22 février 1786 concernant la surveillance des pirogues dans l’espoir de limiter le marronnage et le trafic des tortues. Gillot est favorable à l’expulsion des gros propriétaires d’esclaves et leur remplacement par une demi douzaine de Bourbonnais, gens honnêtes. Même de couleur qui « actifs, vigilants, munis d’une douzaine d’esclaves sans plus, mettraient de l’émulation entre eux ». Si Gillot est un aigri qui se sent persécuté par tous, ses remarques sur les déprédations commises aux Seychelles sont réelles et reconnues par les administrateurs de Port-Louis. Caradec se félicite de l’harmonie qui règne entre les habitants. Il présente d’Offay comme le plus honnête homme. Par contre il est sévère envers Savy, le protégé de Gillot, alcoolique, grossier et violent dans son ménage. Il met à son actif d’avoir réussi à policer les mœurs de cette petite colonie. Il se plaint de la médiocrité de la mise en valeur des terres. À partir de 1789, Malavois, ingénieur géographe, s’attache à rendre cohérente la mise en valeur de ces îles. Son ordonnance du 30 juillet 1787 organise les Seychelles. Il décide d’accorder des concessions à des Créoles des îles de France et de Bourbon et à ceux des îles Seychelles à condition qu’ils soient de bonne vie et mœurs, mariés ou enfants de colons, exerçant un métier dans la navigation ou l’agriculture. L’entrée de gueux est interdite dans la colonie. En 1790, Mahé ne compte que 12 citoyens blancs actifs. En 1791, un recensement fait état de 65 Européens de tout âge et de tout sexe dont 20 citoyens actifs, 20 personnes libres de couleur, 487 esclaves soit un total de 572 habitants. À l’époque de la première Révolution, les Seychelles reçoivent des déportés politiques à partir de La Réunion ou de la métropole : des opposants politiques, mais aussi des « gens sans aveu », sont exilés aux Seychelles, à l’île de la Digue. Des condamnés de l’affaire de la « machine infernale » sont envoyés dans l’archipel en 1801 avant d’être pour partie transférés à Anjouan en 1802.
Les Seychelles et Rodrigues, dépendances de Maurice, ne se tournent pas vers la production sucrière et ne connaissent pas d’immigration indienne massive. L’essentiel du peuplement provient de l’esclavage. Les esclaves sont issus surtout d’Afrique : lors de leur émancipation en 1835, ils sont au nombre de 6 521 dont 282 Malgaches, 3 924 Mozambicains, 2 231 Créoles… Restées à l’écart de l’immigration indienne, les Seychelles forment une société créole très métissée et catholique.
Cependant, le terme « créole » ne désigne pas seulement des êtres humains : il n’est pas anthropocentrique puisque très vite, il est employé pour qualifier des animaux, des plantes et des choses (matérielles ou immatérielles). Autrement dit, le mot « créole » concerne tous les ordres du réel, le vivant comme l’inerte, et désigne comme pour les êtres humains, l’adaptation dans l’espace nouveau d’animaux, de plantes ou de choses qui n’en sont pas originaires. On a ainsi la cuisine créole qui se distingue par son usage d’épices et de piments, ses couleurs et ses saveurs, le goûter créole matinal fait de riz chauffé, ou de sosso maïs, le goûter de fin d’après-midi composé de ravages (manioc ou patate ou songe ou cambarre bouilli), la musique créole (le moutya6, le séga et le maloya), la case créole avec son bardeau et ses lambrequins, l’architecture créole… Ce processus d’adaptation à l’espace d’êtres humains, d’animaux, de plantes et de choses est appelé processus de créolisation. C’est un processus qui a commencé depuis la découverte de l’Amérique en 1492 et qui se continue aujourd’hui, sous des formes diverses, de manière ininterrompue. À La Réunion dans les années 1980, le mouvement Créolie est lancé pour défendre la culture créole, la vie créole qui s’écoule au rythme lent du café qui se déverse dans la grègue.
Les nombreuses langues parlées dans chaque espace aux premières heures de l’esclavage sont source d’incompréhensions et de discordes. Pourtant, partout, un miracle s’est produit, une langue nouvelle, le créole, se fraie une voie pour restaurer l’harmonie, pour permettre la communication entre maîtres et esclaves et mettre fin à la babellisation. Les colons français du XVIIe siècle ne disposent pas d’une langue unifiée qu’ils peuvent facilement imposer aux Amérindiens et aux esclaves noirs7. Chaque groupe ethno-culturel apporte sa part et personne ne peut revendiquer l’essentiel. La langue créole est d’emblée la langue maternelle des premiers enfants créoles, c’est-à-dire nés sur place, qu’ils soient blancs ou noirs. Les Blancs, même quand ils se sont enrichis grâce au commerce du sucre de canne à partir de 1670-80, pour les Antilles devenant du même coup des « Békés », et grâce au commerce du café puis du sucre pour ceux de l’île Bourbon n’ont jamais cessé de parler créole. À La Réunion, le créole n’a pas droit de cité à l’école. Il est sujet de division. Dans les années 1970, des revues (Bardzour mascarin, Fangok) tentent de lui donner ses lettres de noblesse. L’ouvrage d’Axel Gauvin Du créole opprimé au créole libéré donne une idée des scories qui jonchent la route de l’officialisation de cette langue. La création du CAPES créole et la reconnaissance des langues régionales ne peuvent que dédramatiser la situation. Le travail de Lofis la lang avec les municipalités lui donne une plus grande visibilité. Mais le chemin de l’apaisement est encore long. À Maurice, la langue créole parlée par la majorité des habitants n’a pas de statut officiel. Sa promotion a été menée par un mouvement politique de gauche, Lalit, à travers des campagnes d’alphabétisation, des concours littéraires qui ont stimulé l’écriture en créole. Le groupe des descendants d’esclaves défini comme créole revendiquent le créole comme langue car leurs aînés ont joué un rôle fondamental de catalyseur dans la production de cette langue. Le créole, langue longtemps dépréciée et rejetée, est la seule maîtrisée par les Créoles. Ils n’ont aucune langue ancestrale de référence. Le travail de Dev Virasammy pour promouvoir le créole à Maurice, qu’il appelle d’ailleurs le morysien (mauricien), pour bien montrer que cette langue n’est pas l’apanage d’un seul groupe ethno-culturel et qu’elle doit être élevée au rang de langue nationale de la majorité des Mauriciens. Son utilité reconnue a favorisé une approche moins idéologique et son acceptation nationale. Après bien des tâtonnements, le journal télévisé de 19 heures, heure de grande écoute, est en créole mauricien. Mais il n’a pas d’existence officielle, alors qu’il est visiblement une langue de communication populaire. Les initiatives prises par certains groupes socioculturels créoles pour faire reconnaître la langue créole comme la langue des Créoles vient compliquer la situation linguistique à Maurice. Or, historiquement, il n’existe pas un usage ethnique de la langue, puisqu’il apparaît pour faciliter la communication entre maîtres et esclaves. Il est parlé par tous. Même les Indiens entrés massivement au temps de l’engagisme, apprennent le créole mauricien et l’utilisent. C’est une langue de communication trans-ethnique. Aujourd’hui, il est parlé par 80,5 % de la population, le Bhobpuri, par 12,7 %.
Aux Seychelles, à Mahé, l’Institut Créole créé en 1987 est un véritable temple de la culture créole sous ses aspects littéraires. Abrité dans une maison coloniale, cette structure fait la fierté de toute une nation par le travail accompli pour promouvoir la langue et la littérature créoles depuis une trentaine d’années. La réputation de ce centre de recherches doté d’une maison d’édition dépasse largement les frontières seychelloises grâce à la richesse de ses travaux.
La réponse à la question « D’où venons-nous ? » fait ressortir la circulation d’habitants de La Réunion vers Maurice, Les Seychelles, suivie parfois de leur installation. Il est sûr aujourd’hui que ces Réunionnais n’ont pas manqué de diffuser leur culture créole, puisque ces trois pays ont un héros en commun, « P’ti Zan »8. Ce personnage naît à La Réunion. Il apparaît lorsque les Français installés à Fort-Dauphin se révoltent contre l’autoritarisme de Pronis et sont envoyés sans vivres, sans médicaments, sans eau pour mourir à petit feu. Déposés dans la zone actuelle « Quartier-Français », ils remarquent qu’ils ne mourront pas de faim. La recherche de l’eau ayant été couverte de succès, ils décident de remercier celui qui a dressé le couvert pour eux et qui assure leur survie. Ils attribuent aux deux bras de rivière trouvés le nom de « saint Jean ». Ils placent par la même occasion l’île sous la protection de ce saint. Dès lors, tous ceux qui vivent dans cette île ne peuvent être que des « P’ti Zan ». « P’ti Zan » est devenu le héros des contes populaires créoles. Cet individu espiègle est débrouillard. Il parvient à tirer son épingle du jeu dans les circonstances les plus délicates.
Le fait créole se définit comme un fait économique et social puisqu’il a pour base d’appui l’économie de plantation et d’habitation, comme un fait de culture et de civilisation à l’échelle d’ensemble des Caraïbes et des Amériques ainsi que dans l’océan Indien, et comme fait linguistique qui dans le système complexe des psychologies, des attitudes et des appellations est sans doute le plus significatif précise Danielle Palmyre dans son ouvrage Culture créole et foi chrétienne. De plus, elle souligne fort justement que « Le fait créole atteste du passage d’une logique binaire, d’une philosophie de l’identité par rejet de l’altérité à une synthèse alternative, non dialectique de l’expérience caraïbéenne, afro-américaine et indianocéanique, chacune possédant ses traits propres »9.
Dans les sociétés de plantation au temps de la canne à sucre pour les uns et du caféier pour les autres, la plantation ou l’habitation a été le creuset, la matrice même de la culture créole. En même temps que la langue, naissent progressivement une cuisine créole, une musique créole, une pharmacopée créole, une architecture créole. Au final, ces sociétés ont enfanté une « civilisation créole » forte de tous ses signes de diversité. Outre les créations linguistiques, cette civilisation donne à voir des synthèses culturelles, des constructions religieuses et des métissages inédits dans l’histoire. Ces sociétés ont frisé le pire ; elles viennent de loin. Dans leur marche aujourd’hui tous doivent avoir conscience des virus diviseurs pour sortir de la voie de l’isolement, de la compétition et entrer dans la voie de la complémentarité, de la coopération franche, dans laquelle chacun se sent grandi et plus fort pour affronter les défis de ce XXIe siècle.
La construction des sociétés créoles
Ces sociétés créoles doivent donner corps coûte que coûte à l’Indianocéanie et doivent croire plus que jamais en l’Indianocéanie10. Cet objectif-là se pose aujourd’hui en termes de devoir et constitue leur force. Au milieu du XIXe siècle, à La Réunion, Aimée Pignolet de Fresnes, ainsi que Frédéric Levavasseur créent de grandes œuvres utiles à La Réunion, mais aussi aux peuples de notre environnement géographique et à ceux du monde entier, en prenant en compte justement la misère. Leur modèle doit être aussi imité. Pour réussir cette construction, les sociétés créoles ont tout à gagner en puisant les matériaux de base dans l’Histoire du marronnage. L’essentiel des travaux donne une image négative du marron. Il est présenté comme un être malfaisant, dangereux, amoral. C’est un fossoyeur de l’économie qui préfère vivre à l’état sauvage. Or, partout, le marronnage est une négation du système esclavagiste. L’esclave s’enfuit pour se débarrasser des carcans de l’habitation, reconquérir sa liberté ravie, boire à la coupe de sa culture ancestrale et reconstituer le modèle de vie africain et malgache. À la volonté coloniale de les domestiquer comme des animaux, les esclaves opposent la fuite. Le marronnage est une sortie de la domestication voulue par un système économique qui allie l’animalisation à la marchandisation d’êtres humains. En optant pour le marronnage, l’esclave devient un adepte de la débrouillardise, de l’esprit « p’ti johannique » lui permettant d’assurer ses besoins quotidiens, tout en se débarrassant des oripeaux des circuits officiels. Cet état d’esprit se retrouve chez les descendants d’esclaves dans la société post-esclavagiste à travers les « békér d’klé » à La Réunion et le triangaz à Maurice. Le marronnage donne libre cours à la solidarité à travers le coup d’main. Les populations créoles marquées par une conception communautaire de la vie évoluent plutôt hors des sentiers du capitalisme. Elles critiquent les réussites individuelles. La consommation instantanée et ostentatoire est un reste du comportement du marron. C’est une revanche sur les humiliations du passé, mais elle s’effectue sans tenir compte de ses capacités économiques et financières. Pour survivre, le marron accumule pouvoir et richesse. Le marron représente l’espoir de tout un peuple à la liberté et à la dignité. Le marronnage prouve que l’esclave n’a pas seulement gémi sur son sort. Il ne s’est pas comporté en victime docile. Il a pris l’initiative de s’engager, de résister face au mal qui l’opprime. Il n’a pas attendu sagement d’être libéré, il s’est libéré. La résistance suppose le maintien et la réinvention de traditions face au pouvoir colonial qui croit en l’amnésie, d’où l’importance de la danse, du chant, du rythme, des rituels religieux, du culte aux ancêtres. Toute la parole en monde créole laisse entrevoir l’âme de la résistance créole. Cependant, la vraie libération consiste à quitter la position de victime pour devenir acteur de son histoire. L’esclave mobilise son énergie pour s’élever et s’installer dans la sylve altière parce qu’il veut vivre en osmose avec la nature et parce qu’il refuse les bassesses de l’espace habitationnaire. Pour vivre en paix, il s’éloigne de son maître.
La coopération ne peut s’arrêter aux rencontres sportives et culturelles, l’économique doit primer. L’ambition de La Réunion doit être la mise en œuvre d’une politique de co-développement durable à l’échelle régionale. Premièrement pour accompagner autant que nécessaire le développement des peuples frères de l’océan Indien. Deuxièmement, pour assurer la stabilité et la sécurité dans la région. Car le malheur de l’un ne peut que rejaillir sur les autres. Le sous-développement d’un pays ne peut qu’entraîner la déstabilisation de pays voisins, notamment par l’immigration clandestine ainsi que que cela se passe entre Anjouan et Mayotte. « Si tu ne m’aides pas à vivre chez moi, je viendrai mourir chez toi ». Cette politique de co-développement doit être conduite tant au niveau multilatéral que bilatéral. Pendant longtemps concurrentes, les îles de l’océan Indien doivent viser désormais la complémentarité. Cette nécessité a été abordée lors des États généraux pour l’Outre-Mer organisés à La Réunion entre mai et juillet 2009 et a été diffusée auprès du grand public dans l’ouvrage L’insertion de La Réunion dans son environnement géographique. Les différences de ces îles doivent être utilisées comme des atouts. Madagascar dispose de grandes richesses humaines et naturelles, Maurice maîtrise les problématiques de l’ouverture internationale, La Réunion est riche de ses pôles d’excellence, les Seychelles et les Comores ont d’énormes potentialités dans le domaine maritime. L’union des Chambres de commerce de l’océan Indien est appelée à organiser cette complémentarité et à multiplier les partenariats d’entreprises. La Réunion avec ses atouts technologiques, sa stabilité économique et politique, son appartenance à la France et à l’Europe, peut se développer tout en servant le développement économique de certains pays de son environnement régional. Le nouveau modèle de développement de La Réunion doit s’inscrire dans les productions à forte valeur ajoutée et de l’immatériel, dans les domaines d’activités stratégiques. La Commission de l’Océan Indien ayant montré ses limites, il est préconisé de passer à la Communauté de l’Océan Indien, à la création d’une zone de libre échange COI. Il s’agit de faire de la COI vis-à-vis du COMESA et de l’Unité Africaine le laboratoire qu’a été le BENELUX au niveau de la construction européenne. Paul Hoarau, un des chantres de l’Indianocéanie, encourage les Réunionnais à devenir acteurs de l’Indianocéanie, à construire cette Indianocéanie. Il leur dit à ce propos : « À La Réunion, nous ne sommes pas en France, nous ne sommes pas en Europe, nous ne sommes pas en Afrique, nous ne sommes pas à Madagascar, nous ne sommes pas en Inde, nous ne sommes pas en Chine, nous sommes dans l’océan Indien, au milieu des îles du sud-ouest de l’océan Indien (Maurice, Rodrigues, Les Seychelles, les Comores, Mayotte, Madagascar…) ». C’est un nouvel espace géopolitique qui se met en place. Un espace-chance pour toutes ces îles, et une chance possible, parce que les peuples de ces îles ont un fond culturel commun fort pour les souder, qui peut être un tremplin puissant pour un développement communautaire organisé par eux. Chacune de ces îles ne pourra pas se développer de façon harmonieuse, équilibrée, réussie, isolément. Chacune est condamnée à faire appel à des solidarités extérieures. Selon les modalités de cet appel d’une île à l’autre, de larges espaces de ces pays, au sens strict du terme (des espaces de terre), et d’autres richesses diverses, risquent de devenir propriétés de puissances financières étrangères dont le souci sera de servir leurs intérêts en premier lieu, et ceux des îles à la marge. Cette éventualité de bradage peut devenir, pour des hommes au pouvoir, une tentation de privatisation du processus pour leur profit personnel. L’Indianocéanie si elle devient une communauté intégrée avec tout ce que cela implique, offre aux peuples de ces îles des ressources, des marchés, des espaces, des moyens propres, pour le développement de l’ensemble de la communauté, selon le principe de subsidiarité. La maîtrise du développement pourra rester aux seuls Indiaocéaniens. Ces États et ces peuples unis pourront mieux faire face, ensemble, aux défis de la mondialisation.
Ces îles ont des histoires communes, celle de leur peuplement, celle de l’époque coloniale ; leurs peuples sont cousins, et les échanges familiaux, économiques, culturels et sportifs sont fréquents et intenses. Ces îles partagent entre elles une vie commune très active. La politique les a voulues séparées ; son devoir aujourd’hui est de les rassembler pour une coopération communautaire. Leurs relations communes avec les continents des origines (Afrique, Asie, Europe) seront très utiles à la commu-nauté. La rencontre de civilisations différentes sur l’espace restreint de notre île, n’a pas provoqué de « choc », mais au contraire, a généré un « vivre-ensemble » sur fond de métissage et de respect de l’autre. La diversité des origines, le métissage, l’appropriation du français (ou de l’anglais pour les Mauriciens) et la création de la langue créole, tout cela a engendré une culture nouvelle, la culture créole.
Chaque île en Indianocéanie a peur des immigrations sauvages en provenance des autres îles. La politique qui découle de cette peur provoque quelquefois des drames humains épouvantables, et coûte, de façon directe ou indirecte, très cher. Pourtant, la communauté indianocéanienne ne s’accomplira que le jour où la circulation des personnes, des biens et des capitaux à l’intérieur de cet espace sera libre.
Conclusion
L’Indianocéanie est une chance pour chacune des îles et pour leurs peuples. À condition que les États arrivent à comprendre que la volonté de coopérer dans une communauté de destin doit primer sur toute autre considération ; et que le jeu de la mondialisation doit être mené unis, pas chacun de son côté. Ces pays, prospères grâce à la coopération communautaire, seront davantage indépendants, qu’isolés et exsangues, à la merci des exigences de bailleurs extérieurs, pour assurer leur subsistance.
Alors si l’Histoire du peuplement des îles de l’Indianocéanie s’est faite à l’origine dans les cris et les pleurs, en fixant sur elles des êtres coupés momentanément de leur histoire première, elles ont été pour tous – quelque soit leur statut de départ – l’espace du rebondissement. L’impératif aujourd’hui est de nouer des liens avec les îles de l’environnement immédiat. Le salut de chaque pays passe par sa capacité à nouer des liens avec les pays de son bassin géographique. Chacun doit tirer sa force au sein de son espace géographique, de la libre circulation des biens et des hommes au cœur de cet ensemble indianocéanique. Il ne s’agit pas pour les Indianocéaniens de couper les liens avec les anciennes métropoles (France, Angleterre…) ou de rejeter les appartenances à l’Union Africaine, à l’Union Européenne, au COMESA, à la SADC, à la Ligue Arabe. Non, il s’agit d’ajouter à ces liens, fruit d’une histoire, des liens nouveaux avec les pays de l’environnement immédiat sans peur et sans relâche. À une époque où l’argent mène le monde, où pour être compétitif il faut diminuer le coût de production, les économies réalisées par le raccourcissement de la distance ne sont pas à négliger. Cela vaut pour le tourisme, mais aussi pour tous les secteurs de l’économie. La création partout d’entreprises fortes complémentaires, mais non concurrentes, en fonction des potentialités des uns et des autres, est un impératif pour que ces terres créoles soient des espaces dynamiques, accueillants, chaleureux, où il fait bon vivre.