Construction et usage du récit phénoménologique pour limiter les écueils d’une approche théorique et méthodologique eurocentrée ?

Construction and use of the phenomenological narrative to limit the pitfalls of a Eurocentric theoretical and methodological approach?

Marin Laborie, Patrice Bourdon et Gaëlle Lefer-Sauvage

DOI : 10.61736/carnets-oi.1205

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Référence électronique

Marin Laborie, Patrice Bourdon et Gaëlle Lefer-Sauvage, « Construction et usage du récit phénoménologique pour limiter les écueils d’une approche théorique et méthodologique eurocentrée ? », Carnets de recherches de l'océan Indien [En ligne], 11 | 2025, mis en ligne le 01 décembre 2025, consulté le 11 décembre 2025. URL : https://carnets-oi.univ-reunion.fr/1205

Cet article traite de l’intérêt du récit phénoménologique dans un contexte de recherche en territoire ultramarin et des problèmes rencontrés dans la conception d’une méthode de récit phénoménologique par un doctorant de l’Hexagone enquêtant dans un département Français d’Outre-Mer, Mayotte. L’objet de la thèse porte sur l’activité d’étudiants transformée par les outils numériques mobiles dans ce territoire aux vulnérabilités multiples. Après avoir exposé le contexte de l’étude et le cadre épistémologique retenu, celui de la phénoménologie, l’article propose de présenter un ensemble de positionnements et d’obstacles appréhendés à travers l’objectivation participante (Bourdieu, 2003)1 lors des enquêtes avec les étudiants et lors des analyses à travers la reconstruction des récits. Les données appuyant ce travail ont été récoltées avant le cyclone Chido qui a frappé Mayotte le 14 décembre 2024, ce qui pose de nouvelles questions de rapport entre subjectivités et objectivités. Les conclusions portent sur les adaptabilités constantes du doctorant qui enquête en contexte pluriculturel, et du rapport universel/spécifique des outils méthodologiques.

This article deals with the interest of phenomenological narrative whose research context is an overseas territory. It discusses the problems encountered in the design of a phenomenological narrative method by a doctoral student from the Hexagon investigating in a French overseas department, Mayotte. The subject of the thesis is student activity transformed by mobile digital tools in this territory of multiple vulnerabilities. We outline first the context of the study, and the epistemological framework chosen, that of phenomenology. We propose secondly a set of positionings and obstacles apprehended through participatory objectivation (Bourdieu, 2003) during surveys with students and during analyses through the reconstruction of narratives. The data that support this work were collected before Cyclone Chido hit Mayotte on December 14, 2024. This raise new questions about the relationship between subjectivities and objectivities. Conclusions focus on the constant adaptability of the doctoral student investigating in a multicultural context, and the universal/specific relationship of methodological tools.

Préambule

Cet article porte sur l’approche épistémologique et méthodologique d’une recherche sur le territoire indianocéanique de Mayotte. Le cyclone Chido a eu lieu le 14/12/2024, causant une catastrophe humanitaire et climatique sans précédent, et mettant en exergue les défaillances de l’État dans l’accompagnement, la reconstruction et la compréhension du territoire. L’arrivée de la catastrophe avec le cyclone nous conduit à modifier la présentation de l’article et son contexte qui doit être nuancé puisqu’à l’heure où ces lignes sont écrites, l’Université de Mayotte effectue un recensement de ses usagers, employé.e.s comme étudiant.e.s, et l’urgence est à satisfaire les besoins vitaux en eau, nourriture et logement. De plus, les dommages sur les infrastructures sont tels que toute reprise d’activité est incertaine. Les théories de l’activité qui sont donc mobilisées dans cette recherche demeurent essentielles et adaptées aux problématiques du territoire, et les interrogations méthodologiques de travail posées dans cet article à travers l’éthique et la posture du chercheur dans de tels contextes restent nécessaires et obligatoires dans des recherches pluriculturelles et contextes extrêmes.

Introduction

Cet article est issu d’un travail de thèse en cours qui s’inscrit dans un projet ANR2 PIA33, projet intitulé Démonstrateur eXtensible - Mobile Éducation Mayotte (X-MEM). Ce projet vise, à l’origine, la transformation des pratiques numériques institutionnelles à l’Université de Mayotte, notamment dans l’usage du numérique mobile. L’objet de cette thèse porte sur l’activité d’apprentissage des étudiants de l’Université de Mayotte médiée par le smartphone. La question principale est à ce jour la suivante : dans quelle mesure l’usage personnel du smartphone soutient-il l’activité d’apprentissage des étudiant.e.s du CUFR de Mayotte et comment se construit-elle ? Cette question a conduit à prendre des distances avec des méthodes standard comme le questionnaire ou l’analyse de contenu thématique et amené à interroger l’épistémologie et la méthodologie développées dans le territoire mahorais pour répondre à cette question.

L’objet de l’évolution des pratiques numériques enseignantes et étudiantes visées initialement par le projet semble à ce jour encore plus décalé des réalités du quotidien en temps de crise. Il l’était déjà, notamment en relation aux équipements numérique des étudiants, à leurs pratiques et à des manques infrastructurels plus généraux. Quant à l’objet de cet article qui avait pour but de rendre compte des choix épistémiques et méthodologiques dans le contexte de Mayotte, la catastrophe induit un renouvellement des questionnements dans la façon dont les données vont être appréhendées, objectivées et analysées. L’épistémologie et la méthodologie mises en œuvre dans ce cadre et les choix réalisés dans un contexte unique font l’enjeu de cet article, avec la réflexivité sur les choix réalisés dans un contexte unique.

Après avoir décrit brièvement le contexte général et historique de Mayotte et la population estudiantine, nous interrogeons le dispositif méthodologique des récits phénoménologiques choisi, à travers un ensemble d’illustrations d’enquête, qui questionnent les postures du chercheur.

Questionnements de départ

Quelle épistémologie adopter pour faire de la recherche dans un milieu pluriculturel et plurilingue, avec une histoire en partie construite dans un vécu colonial4, qui n’est pas partagé par les enquêteurs ? Ceux-ci sont, à l’inverse, les représentants des colonisateurs, issus de catégories socio-professionnelles favorisées et avec des codes sociaux, linguistiques, globalement distincts des enquêtés. Le terrain indianocéanique de Mayotte peut être qualifié « d’extrêmophile »5. Pour certains auteurs, il est « traversé par des tensions contradictoires impactant, au prix de profonds bouleversements, l’activité et les pouvoirs d’agir des personnes concernées (...) »6. Cette situation ambivalente et polarisante implique une mobilisation de ressources tout autant diversifiées et au-delà une transformation de normes de l’action publique. Du point de vue de la recherche, cette situation accentue les contrastes entre enquêteurs et enquêtés et nécessite sans cesse des adaptations méthodologiques et éthiques. Dans cette perspective, notre approche s’ancre dans la phénoménologie pour saisir ces ambivalences à partir de l’expérience des acteurs.

L’approche phénoménologique pour construire un cadre théorico-méthodologique

La phénoménologie vise l’étude compréhensive et descriptive de l’expérience telle qu’elle est expérimentée dans la conscience des individus. Suivre une approche phénoménologique, c’est une invitation « à se tourner et retourner vers les témoignages et les observations avec la volonté d’être instruits par eux avant de se les approprier »7. Cette approche phénoménologique des données recommande d’accueillir les informations des acteurs dans le moment de l’entretien avec empathie : « c’est être en mesure de changer de paradigme, changer son angle de perception, autrement dit adopter le point de vue de l’autre en se glissant dans sa peau pour épouser son âme et sa rétine »8. Dilthey9 décrit cette attitude empathique comme une méthode descriptive consistant à revivre, dans notre pensée, les situations qui apparaissent comme signifiantes par les sujets, attitude que nous avons suivie dans la récolte des données et dans certaines étapes de la construction des récits que nous verrons plus loin.

Il est aussi question, d’autant plus dans cette approche, d’accorder « de la valeur à l’expérience du sujet » tout en tentant d’analyser ce qui peut être sous-jacent ou caché vis-à-vis des propos énoncés10. Cette expérience se construit en interaction constante avec l’environnement (social et naturel) à travers l’action. Ainsi, l’expérience participe d’une connaissance incarnée par une histoire, un corps11, d’où la pertinence d’une perspective phénoménologique. Celle-ci doit nous permettre d’assoir notre cadre d’analyse dont l’enjeu est l’articulation de la théorie de l’activité avec une approche plus socio-anthropologique en mesure de prendre en compte les spécificités d’un terrain indianocéanique.

L’analyse de l’activité humaine est ce qui composait au départ notre cadre théorique, plus précisément la théorie historico-culturelle de l’activité ou CHAT12. Elle repose sur le concept de système d’activité. Ce dernier est un modèle théorique pour lequel l’analyse de l’action humaine est le produit d’une interaction dynamique entre un sujet, un objet (but), et des outils. La dimension culturelle apparaît dans le sens où les sujets appartiennent à une communauté de pratique avec ses règles et sa division du travail. Ce concept doit permettre de comprendre le développement des pratiques collectives et individuelles qui émergent à partir de contradictions internes et externes. Pour Engerström, au sein de ces systèmes d’activité, les contradictions sont sources de tensions et de frein de l’activité. Elles sont, dans ce sens, la clé du développement et l’évolution de cette dernière. Alors que les travaux sur les théories de l’activité d’Engeström connaissent une renommée internationale dans la littérature scientifique, son adaptation questionne dès lors qu’ils sont employés dans des contextes et cultures distincts de ceux dont ils sont issus au départ.

La perspective phénoménologique que nous retenons propose une méthodologie centrée sur le récit phénoménologique pour accéder à une connaissance incarnée par les sujets. Cet outil doit permettre d’intégrer dans la théorie de l’activité des dimensions plus socio-anthropologiques. C’est un récit de quelques pages réalisé par le chercheur à partir d’un entretien, il vise à saisir le monde tel qu’il apparaît à la conscience du sujet, en respectant la subjectivité et la singularité du vécu. Il repose sur une écoute attentive et une restitution fidèle du discours, pour en extraire l’essence du phénomène étudié. Ces récits permettent de restituer une partie de l’historicité du sujet et reconstruire les systèmes d’activités d’apprentissage des étudiants en relation avec leurs cursus universitaire et leurs biais de développement par les contradictions. L’association de la phénoménologie avec la CHAT devrait donc permettre de relever les contradictions des systèmes d’activités en jeu en respectant fidèlement la perspective et l’expérience de l’acteur.

Problématique

Nombre de méthodologies en sciences humaines et sociales sont ancrées dans une épistémologie eurocentrée, c’est-à-dire une vision du savoir construite à partir des normes, catégories et hiérarchies propres à l’histoire intellectuelle de l’Europe occidentale13. Cela tend à marginaliser les expériences cognitives, sociales et culturelles issues des Suds, en imposant une universalité supposée de concepts occidentaux14, mais aussi des méthodes, cependant évolutives. Dans ce contexte, la phénoménologie, en tant qu’approche centrée sur l’expérience vécue, devrait permettre de renouveler la théorie de l’activité en tenant compte notamment des conditions socio-anthropologique et historique plus large des sujets concernés. À Mayotte par exemple, les échanges se font moins sur une logique marchande que « sur une logique de dette, de don et de contre-don qui traverse l’ensemble des relations sociales à Mayotte »15. Ces travaux socio-anthropologiques et en sciences juridiques rendent compte d’hybridation avec le modèle marchand des sociétés européennes, qui met en concurrence deux modèles de pratiques des jeunes16.

En ce sens, bien que la théorie de l’activité propose une grille de lecture essentielle et qui se veut potentiellement universelle, les méthodologies d’accès sont discutées. Dans notre recherche, nous avons donc proposé de mettre en place des récits phénoménologiques pour accéder à l’activité des étudiants à travers un cadre théorique et méthodologique en renouvellement face aux enjeux d’une recherche en contexte post-colonial. Notre cadre méthodologique doit permettre une approche socio-anthropologique contribuant à prendre en compte des dimensions d’analyses sociétales qui traversent le système d’activité mais qui restent dans l’implicite de la notion de culture tel que généralement employé dans la CHAT. Dans ce sens, nous sommes dans une démarche abductive puisque c’est la méthodologie retenue et l’analyse qui vont nous permettre de stabiliser des dimensions d’analyses et des concepts aux croisements de la CHAT et de la socio-anthropologie.

Si la méthodologie des récits phénoménologiques a été largement décrite dans les travaux de Paillé et Mucchielli (2011), leur adaptation et mise en tension sont un enjeu dans le contexte de recherche mené à Mayotte. Certes, l’approche phénoménologique, comme toute approche qui se veut scientifique, intègre un « décentrage de l’analyste par rapport à ses catégories interprétatives trop précises ou potentiellement aveuglantes »17. Si ces repères théoriques et conceptuels interviennent dans l’analyse une fois les données parcourues avec, par exemple, une catégorie issue de notre cadre théorique qui s’avère être robuste dans les données, les premières lectures et le début d’analyse des données doivent se faire dans l’intention de ne pas projeter d’emblée des interprétations qui ne seraient pas ancrées dans les données.

Les questionnements ouverts et les relances formées dans les entretiens autour de questions centrales détaillées par les auteurs (par exemple « Comment est-ce que… », « Si je comprends bien, tu dis que… ») restent nécessaires. Mais l’appropriation des verbatims d’entretiens menés en vue d’une transformation par le chercheur en récit phénoménologique, interroge la pratique herméneutique dans le double travail d’objectivation, celui de la subjectivité des différents sujets et celui du chercheur dans la relation à son objet de recherche.

En effet, les questions que nous pouvons nous poser pour la réalisation des récits en tentant de nous mettre à la place du sujet reviennent à ancrer la phénoménologie qui nous intéresse dans une herméneutique. En ce sens, Bruner18 avance que le récit est ouvert aux questionnements et aux conflits intérieurs de l’analyste de par sa construction. Une histoire ne se prête donc pas à une seule et unique interprétation analytique. Finalement, le but de l’analyse herméneutique est « de rendre compte de ce que signifie une histoire, d’une manière qui soit à la fois convaincante et non contradictoire »19.

Nous entendons discuter ici d’une méthodologie particulière pour appréhender l’activité d‘apprentissage des étudiants à Mayotte et les enjeux de l’usage du smartphone dans cette activité. L’objectif, ici, est d’argumenter en faveur de l’utilisation de la méthode du récit pour rendre ce récit utile dans la négociation culturelle qu’entreprend le chercheur entre son monde social et celui qu’il étudie. Cela, en produisant des récits qui ne se prêtent pas à une seule et unique interprétation analytique, mais dont le contenu reste convaincant dans le dévoilement des pratiques sociales, des tensions et transformations de l’activité d’apprentissage.

Méthodologie de la recherche : population enquêtée

Le taux d’étudiants boursiers de l’enseignement supérieur sur critères sociaux en licence à l’Université de Mayotte était de 59 % (38 % dans l’Hexagone), dont 59 % au dernier échelon contre 6,7 % au plan national en 2020 (Contrat pluriannuel 2020-2025 de l’Université de Mayotte, p. 6). L’enquête conduite pour le travail de thèse sur une population de 29 étudiants pointe ces vulnérabilités économiques (tableau 1).

Sur près de 2000 étudiants à l’Université de Mayotte, 29 étudiants sont rencontrés pour l’enquête, 16 sont boursiers échelon 7, et 5 sont « ayant droits » à une bourse d’échelon 7 et ne l’ont pas encore demandée ou sont en attente de la recevoir. Notons que les étudiants répondant à l’enquête qualitative ont été rencontrés sur le site de l’université en dehors de leurs heures de cours ce qui introduit un biais puisqu’ils sont plus susceptibles d’être sur le site pour bénéficier d’espaces de travail qu’ils n’ont pas forcément chez eux, en comparaison avec les non boursiers.

Tab. 1. Données descriptives de la population étudiante enquêtée

Sexe biologique

Nombre de boursiers échelon 7

Langues parlées

Type de logement

16 femmes

13 hommes

16 boursiers

5 non boursiers mais ayant droit échelon 7

16 parlent shimaoré/français

4 parlent shimaoré/kibushi/français

7 parlent 3 langues vernaculaires (et plus)/français

6 bangas

5 maisons

22 appartements

Après avoir mené 15 entretiens semi-directifs exploratoires entre janvier et avril 2023, nous réalisons des entretiens semi-directifs destinés à être transformés en récits phénoménologiques entre novembre 2023 et mars 2024 (N = 29 entretiens).

Le contexte de l’étude fut instable et imprévu : l’université a été bloquée pendant près de 3 mois pour causes de violences sociales sur l’île. Aussi, plusieurs entretiens ont été menés en distanciel.

Les dimensions principales étudiées à travers les entretiens sont les suivantes : activité d’apprentissage des étudiants, outils mobilisés, rapport aux outils, communauté partageant l’activité.

Résultats sur la construction des étapes de transformations d’un entretien en un récit phénoménologique : les critères de sélection

Au départ, Paillé et Mucchielli (2011) proposent des exemples de questions que le chercheur peut se poser pour aider à synthétiser l’essence du témoignage : « Qu’est-ce qui est avancé, exprimé, mis de l’avant ? », « Quel est le vécu explicité à travers ses propos ? », « Qu’est-ce qu’il y a ici ? », « Qu’est-ce qui se déroule, qu’est-ce qui a lieu ? »20. Pour ces auteurs, les énoncés phénoménologiques sont des phrases allant à l’essentiel de la portion de corpus étudiée ; ils peuvent être tirés du témoignage ou être une reformulation authentique des verbatims par le chercheur.

Dans notre cas, nous avons principalement articulé des énoncés tirés du témoignage reprenant largement les verbatims des sujets, tout en les synthétisant quand nécessaire et en supprimant les redondances, dans l’objectif de se prémunir de réécriture méliorative voire téléologique du matériau collecté correspondant à nos pistes de recherche. Cette étape est particulièrement délicate et décisive pour la suite de l’analyse des données, puisqu’elle structure l’essence de la production des récits phénoménologiques.

L’énonciation des critères ci-dessous ne répond pas à un ordre chronologique ou hiérarchique dans leurs mises en œuvre, ils sont fluides et un même verbatim peut être sélectionné comme énoncé phénoménologique à travers différents critères.

1. La structure interne de la séquence recomposée et l’ordre de la séquence essayent de préserver au mieux la cohérence du récit de l’étudiant, cela même si la cohérence des propos de l’étudiant sur un même sujet peut apparaître illogique.

Pour la structure interne, les verbatims sélectionnés peuvent ne pas être liés à la même séquence verbale, puisque l’étudiant peut revenir soit de lui-même sur un sujet soit à travers nos relances d’approfondissement qui peuvent arriver plus loin dans l’entretien. Cette logique s’applique également à l’enchaînement des séquences qui ne correspondent donc pas nécessairement au déroulé de l’entretien.

Question générale posée en relation avec ce critère : Est-ce que le verbatim participe à une séquence dans les propos du sujet et s’articule avec d’autres verbatims ? Est-ce qu’il est pertinent pour comprendre le contexte ?

Dans ce qui précède les extraits suivants issus de la retranscription de l’entretien, Bouchra explique qu’elle va faire ses propres recherches (smartphone), puis contacter l’enseignant quand il y a quelque chose qu’elle ne comprend pas, ou appeler un camarade et dit préférer travailler au CDU plutôt que chez elle.

Extrait 1 (10 minutes 12 secondes de l’entretien) :

Étudiante :

- « J’y vais souvent avec un camarade, un camarade de classe. Et on travaille chacun seul. Et quand on a une question, on s’entraide. Chacun demande à l’autre. On essaye de... »

Extrait 2 (26 minutes et 17 secondes de l’entretien) :

Marin :

- « Je me trompe ? C’est bien ce que tu as dit ?

Étudiante :

- Oui, oui, je travaille avec un… une camarade. Mais disons, on ne travaille pas... On ne travaille pas beaucoup comme... Aujourd’hui on va travailler sur telle matière et travailler ensemble comme ça. Disons, moi, ma situation familiale ne me permet pas de travailler comme elle travaille. Du coup on vient au CDU, chacun à son propre cours. Et si l’autre a une question et tout, on échange. On se sent en besoin de demander, on demande et tout […] ».

Extrait de récit phénoménologique de Bouchra (12/03/2024) : « J’y vais souvent avec une camarade, au CDU, une camarade de classe. Et on travaille chacun seul. Et quand on a une question, on s’entraide, chacun demande à l’autre. Aujourd’hui, on va travailler sur telle matière et travailler ensemble comme ça […] ».

Dans la retranscription de l’entretien, Bouchra complète les deux premières phrases de ce passage 10 pages de retranscription plus tard. Lors de la construction du récit, les deux passages sont rassemblés pour la cohérence du récit.

Si un verbatim peut participer à la compréhension et la logique du récit du point de vue du lecteur tout en respectant la perspective du sujet, même s’il n’est pas signifiant au premier abord, il sera également conservé afin de contextualiser les autres énoncés phénoménologiques et participer ainsi au récit même, avec une certaine souplesse pour mettre en scène les illogismes du récit du sujet. Ici le verbatim « ma situation familiale ne me permet pas de travailler comme elle travaille » sous-entend qu’elle est exposée à des distractions en milieu familial et qu’elle préfère travailler à l’université où son amie va la rejoindre même si celle-ci pourrait travailler plus sereinement chez elle. Ce même passage est à relier aussi au contexte infrastructurel évoqué dans d’autres verbatims, qui fait que quand l’eau n’est plus potable à l’université celle-ci ferme, ce qui accroît la vulnérabilité de certains étudiants du point de vue de leurs activités d’apprentissage et des outils et espaces accessibles.

2. Le verbatim possède des éléments signifiants vis-à-vis de notre problématique et de nos pistes de recherches.

Dans cette sélection apparaît une mise à l’épreuve du questionnement du chercheur pouvant représenter un conflit intérieur avec un besoin de négociation vis-à-vis du récit du sujet et de son expérience. Question générale posée en relation avec ce critère : Quelles significations (sens caché, intentionnalité) cela a pour le sujet ?

Le critère 2 revient à l’essence de ce qui fait le récit phénoménologique pour Paillé et Mucchielli, puisque nous reprenons leur approche du récit phénoménologique. Il a donc été retenu comme critère permettant de sélectionner les verbatims définis comme énoncés phénoménologiques qui participeront ensuite à la construction du récit, avec d’autres points majeurs que nous avons ajoutés. En effet il s’agit pour le chercheur d’articuler à travers un récit « les éléments les plus phénoménologiquement probants de l’entretien »21, c’est-à-dire les éléments signifiants au regard de la problématique de notre recherche tout en respectant la logique propre au témoignage22. Dans l’un des deux extraits de retranscription d’entretien suivant, servant d’exemple, Anissa relate une partie de l’usage qu’elle fait de son smartphone. Dans l’autre extrait, elle explique que le téléphone lui sert uniquement pour « des trucs pas importants ». Pour les chercheurs, il y a ici un non-sens puisque l’usage qu’elle en fait participe tout de même à structurer son activité d’apprentissage de façon conséquente. Dans le récit, les deux passages ont été utilisés de façon à ce que la perspective de l’acteur soit fidèlement retranscrite en préservant ce qui est à nos yeux une incohérence.

Extrait 1 de l’entretien de Anissa (13/03/2024) : « J’utilise le téléphone vraiment pour des trucs pas importants hein ».

Extrait 2 de l’entretien de Anissa (13/03/2024) : « La plupart du temps, j’utilise mon téléphone pour tout ce qui est exercice, tout ça. Genre, en mode, je vais chercher des petites définitions par-ci, par-là. Et c’est avec ça que je m’entraîne le plus ».

Il s’agit également de porter une attention particulière et de mettre en lumière dans le récit ce qui « jaillit » des données, les éléments particulièrement signifiants, les contrastes, les points de rupture et les contradictions23. Derrière cet ensemble de mots (contraste, points de rupture, contradictions, tensions), se dissimule le sens profond des choses auquel nous, chercheurs, souhaitons accéder pour comprendre notre objet d’étude. Dans la pensée du chercheur se joue ainsi une négociation perpétuelle dans la construction du récit à travers le choix des verbatims participant aux énoncés phénoménologiques, à partir de ce qui est signifiant pour le sujet et pour le chercheur.

Pour répondre à cela, un ensemble de questions interne est posé par le chercheur visant à comprendre l’intentionnalité du sujet à travers son discours : Quel est le sens caché ou sous-jacent à ce verbatim ? Quelle est l’intentionnalité du sujet en disant cela ? Quelles significations cela a pour le sujet ? Qu’est-ce qu’il veut dire en disant cela ?

3. Le verbatim est précédé de l’expression d’états particuliers : rire, hésitation, gêne, etc. Question générale posée en relation avec ce critère : Quels états particuliers je peux identifier au moment où il/elle dit ce verbatim ?

Voici un exemple de verbatim d’entretien retenu en relation avec ce critère pour construire le récit phénoménologique :

Extrait de l’entretien de Walida (08/02/2024) : « Oui, mais c’est pas tous les enseignants (rire). J’insiste là-dessus parce que c’est pas, on va dire, la majorité des enseignants, ils tolèrent, mais y en a d’autres c’est vraiment pour une histoire de concevoir le cours qu’on puisse mieux retenir que… ».

Walida expliquait auparavant que les enseignants demandaient de ne pas utiliser le smartphone dans des situations de prise de notes, afin que les étudiants prennent des notes uniquement manuscrites. Dire cela semblait la gêner en raison de l’aspect critique de ses propos vis-à-vis des enseignants, qu’elle relativise ensuite après avoir ri.

Pour le choix du critère 3, différents auteurs ont souligné l’importance du registre émotionnel et du contexte enveloppant un verbatim24 et cela même dans le domaine de l’analyse de l’activité avec la CHAT, à partir de verbatims issus d’entretiens25. Nous avons donc fait le choix de retenir ce critère comme participant à sélectionner les verbatims pouvant être retenus comme énoncé phénoménologique.

4. Le verbatim correspond à un flux oral continu sans besoin de relance

Au-delà de ces critères, il est question ici de notre posture de chercheur à travers laquelle, dans un continuum avec notre technique d’entretien, nous avons porté une attention particulière aux verbatims issus de moments de fluence verbale. Du point de vue de notre ancrage dans la phénoménologie, il est difficile d’ignorer un verbatim dans lequel l’enquêté se laisse aller à un flux de parole ininterrompue sans besoin de relance de la part de l’enquêteur et celui-ci mérite, ne serait-ce que par son volume, un intérêt particulier. Bourdieu26 (1976) explique cela à travers le climat de confiance entre enquêteurs et enquêtés, qui une fois instauré peut permettre ce genre de situation, donnant un accès plus profond au vécu de l’enquêté. Lors de l’enquête exploratoire, les entretiens ouverts étaient difficiles à mener et les échanges étaient généralement très brefs et fermés, aboutissant à des entretiens courts et difficiles à exploiter. Par moment cependant, les enquêtés pouvaient soudainement se livrer sur un thème ou un sujet qui leur tenait à cœur, révélant des informations précieuses. Cela renforce l’intérêt porté à ces verbatims même s’ils ont été produits dans d’autres conditions, les entretiens composant le corps de nos données étant semi-directifs et ayant été réussis par rapport aux entretiens exploratoires notamment grâce à des adaptations méthodologiques.

Compte tenu de leur volume, ces verbatims ont été davantage sujets à des remaniements explicités précédemment lors de leurs transformations en énoncé phénoménologique. Il est aussi question à travers l’attention prêtée à ces longs verbatims de ne pas rompre avec l’empathie et l’écoute développées lors des entretiens. Les situations rapportées par les enquêtés, de par un contexte extrêmophile, sont parfois violentes et empreintes de vécus difficiles. Le choix avait été d’écouter ces situations même quand elles sortaient du cadre de l’entretien, pour ne pas rompre avec le lien et le climat de confiance instauré dans ce cadre. Il est donc aussi question à travers ce quatrième critère de se placer dans une continuité vis-à-vis de ce choix.

Les verbatims ainsi retenus sont immédiatement transformés en énoncés phénoménologiques en marge de l’entretien. Des opérations de transformation du verbatim ont ensuite pu être réalisées quand cela a été estimé nécessaire :

  • Une simplification pour une phrase plus directe quand la phrase était longue ou difficile à comprendre, ou l’ajout de ponctuation.

  • Une modification de la phrase en retirant des éléments ne changeant pas son sens pour que cela soit plus aisé à lire et comprendre.

  • À l’inverse, des éléments recontextualisant la phrase et aidant à sa compréhension ont pu être incorporés quand elle était trop directe ou difficile à comprendre.

  • La suppression des redondances/répétitions dans le cas où elles ne sont pas porteuses d’un sens particulier pour le sujet. Les insistances consécutives sur un même élément ont été gardées parce que porteuses de sens. En revanche dans le cas où deux éléments signifiants apparaissent dans un énoncé phénoménologique puis plus loin dans un autre énoncé, un des deux éléments a été retiré ou incorporé à l’autre quand il y avait une légère variation entre les deux.

En dehors de ces critères, le choix a été fait lors d’une reprise de retirer une partie d’un verbatim de la transcription parce qu’il semblait trop sensible à la relecture en dépit de l’explicitation du caractère anonyme de l’entretien. Mayotte est un département français d’outre-mer où marqué par des situations extrêmes27, notamment en termes de vécus traumatiques. Dans le verbatim, des histoires relatées par des étudiants semblaient trop sensibles pour apparaître dans la transcription, et donc potentiellement dans le récit phénoménologique.

La troisième étape de l’examen phénoménologique consiste en la rédaction de récits phénoménologiques. Ces récits individuels seront ensuite respectivement proposés à la lecture et à la modification par chaque étudiant. Avec cet outil, il s’agit de compiler sous la forme d’un récit les évènements les plus marquants et signifiants de l’entretien d’après les critères définis précédemment, tout en restant fidèle aux dires du sujet à travers des annotations. Les récits ont été écrits à la première personne, pour « favoriser l’expression de la pensée authentique du sujet »28 à travers le processus d’écriture même par le chercheur. Il s’agit aussi, à travers ce choix, de rappeler que les données et les résultats impliquent de vraies personnes en stimulant l’empathie chez le lecteur. Le texte ainsi rédigé doit permettre d’accéder au point de vue de l’acteur, telle une perspective émic29, nécessaire à l’analyse de l’activité. Pour Engeström (1987) l’analyse du système d’activité demande une complémentarité entre la perspective globale du système et le point de vue du sujet. Le récit phénoménologique participe ainsi, en resituant la perspective émic du sujet, à la reconstruction par le chercheur du système d’activité de l’étudiant. Dans notre cas, il s’agit d’utiliser ce cadre « dans l’analyse des processus développementaux prenant place “dans la nature” »30, autrement dit, comment l’étudiant développe son activité d’apprentissage individuellement et avec ses pairs notamment avec l’usage du smartphone en dehors d’une recherche action/développementale.

Le récit phénoménologique apparaît ainsi être un outil adéquat pour retracer les perspectives de chacun des sujets formant leurs propres systèmes d’activité. Il s’agit de découvrir les contradictions dépassées et les leviers sous-jacents aux contradictions actuelles31, leurs cycles expansifs, ainsi qu’une perspective plus globale du système une fois les différents récits individuels de chaque étudiant produits. En effet, le récit phénoménologique permet d’adopter un regard de l’intérieur, avec une démarche partant du point de vue des acteurs. Ainsi « les résultats comportent tant des informations sur la culture des acteurs que sur les interactions sociales qui caractérisent le phénomène »32. Dans notre recherche, cet outil va donc permettre de resituer la perspective, le point de vue et l’expérience de chaque étudiant, avant de théoriser à partir des différents récits pour mieux comprendre les leviers de l’activité d’apprentissage des étudiants de l’Université de Mayotte médiée par le smartphone et éprouver la robustesse des concepts théoriques employés avec un deuxième outil d’analyse présenté plus bas.

Cependant, comme tout outil méthodologique, il comporte plusieurs biais auxquels nous avons prêté attention, trois en particulier. La subjectivité de l’interprétation du récit par le chercheur est un premier biais, même si l’outil en question permet à notre sens une subjectivation renforcée par rapport à d’autres outils, le risque de fausses interprétations ou de surinterprétations reste évidemment présent. L’écriture du récit ouvre aux conflits intérieurs de l’analyste au-delà de l’usage des citations de verbatim. La reconstruction du récit par le chercheur comporte également un biais en elle-même, puisque nous sélectionnons un ensemble de verbatims pour les intégrer/transformer dans la construction du récit. Cependant, c’est aussi ce qui permet au chercheur d’advenir en tant que sujet face aux ambivalences du terrain. Un autre biais réside dans le risque, conscient ou inconscient, de vouloir rendre les récits cohérents, ce qui peut effacer les contradictions et discontinuités faisant partie intégrante de l’expérience, parfois extrêmement porteuses de sens.

L’objectivation participante à travers le récit : quelle posture pour le chercheur ?

Le choix et la réalisation de récits phénoménologiques pour une recherche dans le territoire indianocéanique français de Mayotte permettent de développer une objectivation participante contrebalançant le risque d’une subjectivité trop prégnante induite par la phénoménologie : « La connaissance scientifique et la connaissance de soi-même et de son propre inconscient social avancent main dans la main »33. Devereux34 admet que la reconnaissance de nos propres angoisses dans la construction des théories et des travaux de recherche joue un rôle crucial dans la reconnaissance des sciences de l’homme comme dignes de confiance.

Bouveresse rappelle à ce sujet les travaux de Bourdieu sur le processus d’objectivation de « professionnels de l’objectivation »35 qui montrent que dans les disciplines étudiées, les sujets de recherche travaillés sont statistiquement dépendants avant tout du parcours pédagogique effectué par les chercheurs eux-mêmes, ainsi que des origines, des trajectoires sociales et du sexe. Les formations et les parcours scolaires et académiques influencent donc également les modes de pensées et le travail d’objectivation dans nos travaux scientifiques.

Notre propre objectivation conduit à prendre du recul vis-à-vis de notre parcours académique en particulier. L’auteur principal a été diagnostiqué dyslexique avant le collège, avec un parcours scolaire chaotique, accompagné de sorties du système et un lien social maintenu à travers l’usage des réseaux sociaux sur internet. Il a suivi une licence de psychologie avec des options en sociologie et recherche avant de bifurquer vers un master recherche métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation. Cette description d’éléments de parcours éclaire probablement, d’un point de vue psychosocial, l’intérêt manifesté par celui-ci pour une proposition de thèse sur les difficultés rencontrées dans l’activité d’apprentissage des étudiant.e.s. Celles-ci sont en lien avec l’usage du smartphone et des réseaux sociaux, pris dans une dimension (latente) techno-imaginaire de « libération et sauvetage » du parcours universitaire. De fait, le « nous » de cet article est aussi un « je », celui du doctorant et de son identité, en partie partagée culturellement par les co-auteurs encadrants de thèse36.

Bourdieu (1976) reconnaît d’ailleurs la phénoménologie pour son insistance sur l’expérience vécue et la subjectivité. En particulier, il apprécie le rôle que la phénoménologie attribue à la manière dont les individus donnent sens à leur monde à travers leurs pratiques et leur perception. Ces aspects sont compatibles avec l’objectivation participante, ici mobilisée pour nuancer le risque d’une subjectivité trop prégnante induite par la phénoménologie. Bourdieu est cependant critique vis-à-vis de la phénoménologie pour son insuffisance à dépasser le niveau du vécu individuel et la sur-subjectivation, mais s’en inspire pour souligner l’importance de l’expérience et des pratiques. L’objectivation participante peut être vue comme une tentative de synthèse : elle cherche à combiner les intuitions phénoménologiques avec une analyse rigoureuse des structures sociales, de l’assujettissement, qui participent, dans notre cas, à l’analyse de l’activité. Le chercheur est à la fois sujet et objet dans cette posture d’« objectivation participante »37.

On peut alors avancer que, dans la continuité de la pensée de Devereux et de Bourdieu, rigueur scientifique et reconnaissance de l’influence de notre identité sur nos travaux en sciences humaines et sociales sont profondément liées. Si au départ notre regard était imprégné de l’idée selon laquelle le téléphone portable était un outil crucial pour l’apprentissage universitaire des étudiants, la parole des étudiants en entretien puis la construction des récits nous ont fait évoluer vers la prise en compte de tout un ensemble de paramètres gravitant autour de l’activité. Cette construction a amené à une évolution de ce regard initialement techno-imaginaire hérité d’une expérience personnelle quotidienne des réseaux sociaux et de leurs sociabilités. Le téléphone portable joue un rôle dans l’apprentissage de ces étudiants, mais les pratiques de l’outil demeurent ambivalentes. Elles sont à la fois restreintes en raison des vulnérabilités multiples liées au territoire, aux conditions socio-économiques et aux habitudes d’usages culturelles dans la vie quotidienne, mises en place dans ce contexte ; et en même temps elles se substituent à l’usage de l’ordinateur pour d’autres vulnérabilités territoriales (sécurité, transports, fermetures de l’université, et donc de sa salle d’ordinateur, pour raisons infrastructurelles).

Le récit d’Elina met par exemple en exergue les problématiques qu’elle rencontre dans l’usage de son ordinateur pour ses études en lien avec l’insécurité sur le trajet qu’elle va faire à pied entre l’arrêt de bus « collège » et l’université qui n’est pas desservie par la ligne de bus :

Extrait du récit phénoménologique d’Elina (12/03/2024) : « Je ne l’emmène pas tout le temps vu qu’au bord de la route, le fait de monter, de partir jusqu’au collège et monter jusqu’ici avec un ordi à la main, ce n’est pas possible ».

En l’occurrence, on apprend ici que l’étudiante favorise le téléphone portable à l’université en raison de la peur de se faire prendre son ordinateur portable sur le trajet. Cette insécurité dans la mobilité élargit une facette de notre objet de recherche portant sur l’usage du téléphone portable dans la structuration du système d’activité de l’étudiant et suggère la complexité des déterminations inhérentes dans l’apprentissage des étudiants.

Le récit de l’étudiant Bakari illustre ces vulnérabilités qui structurent l’usage du smartphone dans l’activité d’apprentissage. Bakari explique que le groupe Whatsapp qu’ils ont constitué avec deux collègues pour étudier sert aussi à échanger sur un autre plan : prendre soin les uns des autres parce qu’ils sont loin et qu’il est difficile de se voir en présentiel pour étudier :

Extrait de récit phénoménologique de Bakari (12/03/2024) : « Nous avons juste créé notre groupe de 3, il n’y a pas de groupe whatsapp de promotion. Le groupe nous sert aussi à parler, à prendre soin de l’autre et voir si on va bien, communiquer et échanger avec le groupe. Prendre des nouvelles, je l’appelle pour savoir si elle va bien ou pas, si elle n’est pas malade, si elle n’est pas... elle est pas bien ».

Ici la distance évoquée à travers « être loin » prend un sens spécifique à Mayotte, puisque que le réseau de transport en commun est inexistant ou peu efficace. De même l’université peut être fermée pour des raisons d’insécurité ou de coupures d’eau. C’est dans ce sens que nous interprétons l’hésitation à la fin de cet extrait de récit.

Extrait de récit phénoménologique de Hairia (18/03/2024) : « Nous à Mayotte on ne fonctionne pas comme les autres. On peut ressentir qu’on a besoin de parler, qu’on a besoin de quelque chose, mais on ne va pas le dire directement. On ne va pas aller voir quelqu’un pour lui parler, voilà il y a ça qui me dérange. Et puis on suppose que tout va bien, qu’on n’a besoin de rien alors que... On a besoin de beaucoup de choses. On a honte, je me permets de dire. Par exemple, moi j’ai besoin d’un ordinateur. J’ai honte d’aller voir les membres de l’université pour leur demander de me prêter ou de me donner un ordinateur gratuitement ».

Quant à Hairia, elle explique qu’en qualité de Mahorais, le fait de parler quand on ressent le besoin de se confier ou de demander quelque chose peut être difficile : elle parle de la « honte » qu’elle peut ressentir vis-à-vis de ses besoins notamment numériques relatifs à sa situation économique défavorisée (boursière échelon 7 non salariée) et/ou celle de ses parents et le fait de le taire vis-à-vis des acteurs de l’université. Ici les attentes sont loin d’être explicitées et le récit dans sa totalité permet de mieux les saisir.

Ce type de données inattendues qui apparaissent dans les récits phénoménologiques ont fait évoluer notre regard, lié à ce que nous sommes à travers notre expérience, vers une approche plus systémique de l’usage du téléphone portable dans l’activité d’apprentissage. Intégrer ces types de verbatims dans le récit nous permet de saisir des conditions sociales plus larges qui participent aux contraintes de l’activité de l’étudiant et le rôle que prend le smartphone dans cette activité. L’arrivée à Mayotte en 2022 en tant que néo-arrivant, et n’y ayant donc jamais résidé auparavant, interroge d’autant plus notre « propre rapport à l’ordre social, à autrui et aux cultures locales »38, au-delà de l’aspect identitaire. Le récit phénoménologique permet d’objectiver notre identité et notre position sociale, de facto surplombante par rapport aux étudiants enquêtés dans un système de rapports sociaux complexe que certains auteurs qualifient de « rapports sociaux inter-ethniques » ou de « rapport d’origination »39. Le fait même d’être employé par l’Université de Mayotte en tant que doctorant, blanc, venant de l’Hexagone et ne parlant pas une ou plusieurs des langues vernaculaires, place le doctorant dans un rapport social dominant véhiculant un ensemble de non-dits dans l’interaction avec les étudiants enquêtés.

L’objectivation est d’autant difficile à la suite du cyclone Chido, puisque les liens créés par l’auteur principal pendant plus de deux ans avec les étudiants et personnes enquêtés à Mayotte exacerbent l’empathie, la compassion, la volonté de « sauver le monde », et une foule de sentiments difficiles à décrire et à comprendre pleinement. Ces nombreuses relations dépassent le simple cadre de celles entre enquêteur et enquêté, ce qui transforme le regard porté sur les données. Ce regard est amené aujourd’hui à intégrer davantage, dans le double travail d’objectivation (celle des acteurs observés et celle des auteurs), les vulnérabilités/vulnérabilisations des populations locales40. Or ces vulnérabilités/vulnérabilisations, comme nous l’avons suggéré précédemment, sont une construction socio-historique résultant notamment des politiques publiques de l’État français menées en territoire ultra-marin et plus spécifiquement à Mayotte41. Du point de vue du travail d’objectivation sur les acteurs observés, nous sommes d’autant plus touchés et attentifs aux expériences et faits reportés liés aux vulnérabilités/vulnérabilisations dans les récits phénoménologiques. Cela est également délicat au niveau du travail d’objectivation participante, puisque si les auteurs ayant résidé à Mayotte n’ont pas échappé aux tensions du territoire (crise de l’eau et de l’électricité, insécurité de différentes natures, etc.), celles-ci restent sans commune mesure avec ce que vivent les populations les plus vulnérables qui cumulent les différentes vulnérabilisations.

Pour continuer à illustrer le développement de l’objectivation participante au fur et à mesure du processus de recherche, nous donnons l’exemple de deux phases dans la mise en œuvre de la méthodologie. Premièrement, il y a une évolution flagrante de la durée des entretiens entre l’enquête exploratoire (N = 15 entretiens, d’une durée moyenne de 10 minutes) et la récolte de données principales, avec des entretiens exploratoires difficiles et peu approfondis. Cette première épreuve nous a amenés à réfléchir à la posture de contact avec les étudiant.e.s qui était celle d’un étudiant/doctorant faisant une recherche auprès d’étudiant.e.s de l’université de Mayotte sur la façon « dont ils apprennent avec le numérique ». Au départ de l’enquête exploratoire, nous avons essuyé beaucoup de refus des étudiant.e.s pour un entretien. Nous nous sommes rendu compte, après coup, qu’une part des refus d’entretien et qu’un dialogue absent lors de l’entretien (acquiescement, réponse courte qui coupe à la discussion), provenait probablement d’une attitude trop formelle et académique. Deuxièmement, lors de la deuxième phase de récolte de données, nous avons compris avec l’expérience de l’enquête exploratoire qu’il fallait avant tout instaurer une relation de confiance. Ce que nous avons par la suite tenté de faire avec des moments informels avant l’entretien où se tisse un lien avec l’étudiant. Comme l’énoncent Weiss et Lefer Sauvage dans un travail d’enquête à Mayotte, « de la qualité du lien noué dans la rencontre éphémère de l’entretien dépend la pertinence et l’authenticité du corpus récolté »42. Cela est d’autant plus le cas dans un contexte ultra-marin comme Mayotte où l’on peut parfois observer une méfiance légitime vis-à-vis des données sensibles qui pourraient être récoltées au cours de l’entretien, à l’exemple de document d’identité ou le lieu d’habitation. Pour réaliser certains entretiens, des écarts ont dû être faits, aussi bien dans le contenu thématique questionné (avec des questions qui ne sont pas suivies à la lettre, loin d’une perspective reproductiviste de l’expérimentation) que dans la forme de l’entretien. Nous avons remarqué que nous avons autorisé, au fur et à mesure des entretiens, la présence d’autres personnes en plus de celle spécifiquement enquêtée (amie et auditrice d’une personne enquêtée ne participant pas aux échanges, ou sur un banc proche des amies en question). Comme plusieurs chercheurs avant nous43, nous l’avons interprété comme le besoin d’un partage collectif d’une parole, mais aussi la difficulté de se retrouver en binôme dans une société musulmane et communautaire.

Conclusion

Cet article a pour objet une analyse critique de l’emploi du récit phénoménologique comme outil méthodologique pour répondre à une question de thèse portant sur l’activité d’apprentissage des étudiants en territoire de Mayotte.

Après avoir présenté le contexte de ce département outre-mer, nous avons explicité le cadre épistémologique de l’usage du récit phénoménologique. La méthode est explicitée dans la littérature44 mais mérite d’être appropriée et adaptée au terrain de cette recherche. Au cours de l’appropriation et de l’emploi de cet outil, nous avons rencontré un ensemble de difficultés face à des questions logiques pour lesquelles nous n’avions pas toutes les clés de réponse : le récit doit-il suivre un ordre chronologique ? Qu’est-ce qui fait le récit ? Quels éléments peuvent être considérés comme signifiants et méritant d’y figurer, ou non ? Ce signifiant doit-il s’ancrer dans notre perspective, dans celle du sujet, ou dans un compromis entre les deux ? Le développement d’un ensemble de critères est une réponse aux difficultés rencontrées dans l’utilisation de cet outil méthodologique. Nous mettons donc en exergue une façon de construire des récits phénoménologiques en précisant les critères retenus à partir de recommandations existantes dans la littérature45 et en concevant d’autres critères.

Par rapport à des outils plus communs mobilisés dans le champ de l’analyse de l’activité, les récits phénoménologiques permettent de restituer une partie de l’historicité du sujet. Ce qui dans notre cas contribue à reconstruire les systèmes d’activité et leurs moyens de développement à travers les contradictions rencontrées. L’association de la phénoménologie avec la CHAT devrait donc permettre par la suite de relever les contradictions des systèmes d’activités en jeu en respectant fidèlement la perspective et l’expérience de l’acteur. Le récit phénoménologique réalisé pour chaque individu permet de ne pas perdre le fil conducteur des expériences individuelles, les conditions sociales de chaque sujet qui participe à la structuration de l’activité d’apprentissage. La reconstitution de ce monde collectif « dont chacun des acteurs n’a qu’un petit bout, bien qu’il participe à la construction collective »46 arrive ultérieurement et est permise par la construction des récits phénoménologiques individuels. En ce sens, cet outil permet d’accéder à la genèse des systèmes d’activité individuels et collectifs des étudiants en tant que formation à voix multiples47.

En limite, il faut préciser que la méthode employée est coûteuse en temps. En effet, avant de pouvoir accéder aux résultats, il faut réaliser des entretiens ouverts ou semi-ouverts, transcrire les entretiens, les annoter, faire un récit à partir de chaque entretien et proposer à la relecture les entretiens à chaque individu enquêté respectivement. Les récits ainsi obtenus peuvent être considérés comme un résultat de recherche en tant que tel48, qui peuvent être approfondis par un autre outil d’analyse. Le temps « minimal » pour parvenir aux résultats de la recherche est donc généralement plus long qu’avec d’autres méthodologies. Cela peut être délicat dans une recherche circonscrite à un laps de temps relativement court. De plus, Allès et Perrodin (2024) constatent que les formes « d’entravement » de la recherche évoluent progressivement, ce qui est également un obstacle à ce genre de méthodologie d’autant plus dans le cas où l’on souhaiterait revoir les personnes enquêtées pour approfondir des points de l’entretien ou demander une validation avec ou sans modification du récit phénoménologique. Dans notre cas, le cyclone Chido ayant produit un cataclysme humanitaire, cela questionne du point de vue de la recherche la reproductibilité même des données obtenues. Ça rend délicat une deuxième entrevue, voire impossible pour un certain moment selon une posture éthique qui questionne la recherche de productivité scientifique vis-à-vis du vécu traumatique de la population touchée. Cependant, l’outil développé permet de mettre en exergue des vulnérabilités déjà en place ayant participé à la catastrophe49 quand bien même cela ne porte pas directement sur l’objet de l’étude.

Nous suggérons enfin que l’appropriation des entretiens menés en vue d’une transformation par le chercheur en récit phénoménologique interroge la pratique herméneutique dans le double travail d’objectivation, celui de la subjectivité des différents sujets et celui du chercheur dans la relation à son objet de recherche. Ainsi, le récit permettrait de développer davantage l’objectivation participante : faire un récit de chaque entretien individuel permet de resituer à chaque nouveau récit notre expérience vis-à-vis de l’expérience d’un autre sujet, et donc de la cerner d’autant plus consciemment.

De plus, il apparaît que le récit phénoménologique permet de mettre davantage en exergue des faits inattendus, surprenants, des tensions, qu’une autre méthode comme l’analyse de contenu thématique. Le récit phénoménologique est un outil issu d’une démarche et d’une épistémologie elle-même phénoménologique. Cependant, ce n’est pas tant l’épistémologie dans laquelle s’inscrit ce récit qui importe, mais plus la manière dont elle permet de déplacer notre regard de façon éclairante sur nos objets de recherche50 ().

1 Pierre Bourdieu, « Le sens pratique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2(1), 1976, p. 43-86.

2 Agence nationale de la recherche.

3 Programme des investissements d’avenir.

4 Clémentine Lehuger, « Se réinventer à Mayotte. La migration des agent·es métropolitain·es au sein de l’État postcolonial », Revue européenne des

5 Nathalie Wallian, Marie-Paule Poggi, Gaëlle Lefer Sauvage, « Avant-propos. Les Savoirs de l’extrême », dans Wallian, Poggi, Lefer Sauvage, Les

6 Ibid., p. 409.

7 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 2011, p. 86.

8 Omar Zanna, Djamel Bentrar, « Empathie et intersubjectivité : deux composantes du sens commun », Nouvelle revue de psychosociologie, n° 37(1), 2024

9 Wilhelm Dilthey, Introduction à l’étude des sciences humaines (Einleitung in die Geisteswissenschaften) : essai sur le fondement qu’on pourrait

10 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 86.

11 F. J. Varela, E. Thompson, & E. Rosch, The embodied mind, revised edition: Cognitive science and human experience, MIT press, 2017

12 Yrjö Engeström, Learning by Expanding: An Activity-Theoretical Approach to Developmental Research (2e ed.), Cambridge University Press, 2014.

13 R. Grosfoguel, « Les dilemmes des études ethniques aux États-Unis. Entre multiculturalisme libéral, politique identitaire, colonisation

14 R. Connell, F. Beigel, & J. B. Ouédraogo, “Building Knowledge from Fractured Epistemologies”, Méthod(e)s : African Review of Social Sciences Met

15 É. Ralser, H. Fulchiron, A. Siri, et E. Cornut, La place de la coutume à Mayotte, IERDJ-Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la

16 É. Ralser et al., op. cit.

17 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 88.

18 Jeyrome Seymour Bruner, L’éducation, entrée dans la culture : les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle, Paris, Retz, 1996

19 Ibid., p. 171.

20 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 90-91.

21 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 92.

22 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit.

23 Ibid.

24 Anselm Strauss, Juliet Corbin, Basics of qualitative research, n° 15, Newbury Park, CA, Sage, 1999. Kathy Charmaz, Constructing Grounded Theory (2e

25 Sylvie Barma, Marie-Caroline Vincent, Samantha Voyer, « Défis de traduction et d’analyse », Revue internationale du CRIRES : innover dans la

26 Pierre Bourdieu, op. cit., 1976, p. 43-86.

27 Nathalie Wallian et al., op. cit.

28 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 94.

29 Ibid., p. 92.

30 Jaakko Virkkunen, Marika Schaupp, « From change to development: Expanding the concept of intervention », Theory & Psychology, n° 21(5), 2011, p. 62

31 Engeström et al., 1999.

32 Jean-Gabin Ntebutse et Nicole Croyere, « Intérêt et valeur du récit phénoménologique : une logique de découverte », Recherches en soins infirmiers

33 Pierre Bourdieu, « participant objectivation », Journal of the Royal Anthropological Institute, n° 9(2), 2003, p. 289.

34 George Devereux, From Anxiety to Method in the Behavioral Sciences, Berlin, Boston, De Gruyter Mouton, 1967.

35 Jacques Bouveresse, Bourdieu, savant & politique, Agone, 2004, p. 168.

36 Notes de contextualisation des auteurs qui n’apparaît pas dans cette version par souci d’anonymisation.

37 Pierre Bourdieu, op. cit., 2003, p. 282.

38 Pierre Olivier Weiss et Gaëlle Lefer Sauvage, 2023, p. 29.

39 Christian Poiret, « Les processus d’ethnicisation et de raci (ali) sation dans la France contemporaine : Africains, Ultramarins et “Noirs” », Revue

40 Benoit Giry, La sociologie et les catastrophes, Paris, La Découverte, 2023.

41 Nicolas Roinsard, op. cit., 2022.

42 Pierre Olivier Weiss et Gaëlle Lefer Sauvage, 2023, p. 28.

43 Miki Mori, Esméralda Longépée, Gaëlle Lefer-Sauvage, Arnaud Banos, Nicolas Becu, Philippe Charpentier, Thomas Claverie, Matthieu Jeanson, Mathieu

44 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., 2011.

45 Jean-Gabin Ntebuste et Nicole Croyere, 2016 ; Pierre Paillé et Alex Mucchielli, 2011.

46 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit. p. 87.

47 Yrjö Engeström, Reijo Miettinen, Raija-Leena Punamäki, Perspectives on activity theory, Cambridge University Press, 1999.

48 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, 2011.

49 Benoît Giry, La sociologie et les catastrophes, Paris, La Découverte, 2023.

50 Jacques Bouveresse, op. cit., 2004.

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1 Pierre Bourdieu, « Le sens pratique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 2(1), 1976, p. 43-86.

2 Agence nationale de la recherche.

3 Programme des investissements d’avenir.

4 Clémentine Lehuger, « Se réinventer à Mayotte. La migration des agent·es métropolitain·es au sein de l’État postcolonial », Revue européenne des migrations internationales, n° 40(2 et 3), 2024, p. 59-79. Nicolas Roinsard, Une situation postcoloniale-Mayotte ou le gouvernement des marges, Paris, CNRS éditions, 2022.

5 Nathalie Wallian, Marie-Paule Poggi, Gaëlle Lefer Sauvage, « Avant-propos. Les Savoirs de l’extrême », dans Wallian, Poggi, Lefer Sauvage, Les savoirs de l’extrême : Médiation-appropriation en contextes, Éditions des archives contemporaines, 2023, p. 9-16.

6 Ibid., p. 409.

7 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Paris, Armand Colin, 2011, p. 86.

8 Omar Zanna, Djamel Bentrar, « Empathie et intersubjectivité : deux composantes du sens commun », Nouvelle revue de psychosociologie, n° 37(1), 2024, p. 193.

9 Wilhelm Dilthey, Introduction à l’étude des sciences humaines (Einleitung in die Geisteswissenschaften) : essai sur le fondement qu’on pourrait donner à l’étude de la société et de l’histoire, Paris, Presses Universitaires de France, 1942.

10 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 86.

11 F. J. Varela, E. Thompson, & E. Rosch, The embodied mind, revised edition: Cognitive science and human experience, MIT press, 2017

12 Yrjö Engeström, Learning by Expanding: An Activity-Theoretical Approach to Developmental Research (2e ed.), Cambridge University Press, 2014.

13 R. Grosfoguel, « Les dilemmes des études ethniques aux États-Unis. Entre multiculturalisme libéral, politique identitaire, colonisation disciplinaire et épistémologies décoloniales », Idées d’Amériques, (2), 2012.

14 R. Connell, F. Beigel, & J. B. Ouédraogo, “Building Knowledge from Fractured Epistemologies”, Méthod(e)s : African Review of Social Sciences Methodology, 2(1-2), 2017, 5-13.

15 É. Ralser, H. Fulchiron, A. Siri, et E. Cornut, La place de la coutume à Mayotte, IERDJ-Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice, 2022, p. 30.

16 É. Ralser et al., op. cit.

17 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 88.

18 Jeyrome Seymour Bruner, L’éducation, entrée dans la culture : les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle, Paris, Retz, 1996.

19 Ibid., p. 171.

20 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 90-91.

21 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 92.

22 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit.

23 Ibid.

24 Anselm Strauss, Juliet Corbin, Basics of qualitative research, n° 15, Newbury Park, CA, Sage, 1999. Kathy Charmaz, Constructing Grounded Theory (2e ed), Sage, 2014.

25 Sylvie Barma, Marie-Caroline Vincent, Samantha Voyer, « Défis de traduction et d’analyse », Revue internationale du CRIRES : innover dans la tradition de Vygotsky, n° 4(2), 2016, p. 41-49.

26 Pierre Bourdieu, op. cit., 1976, p. 43-86.

27 Nathalie Wallian et al., op. cit.

28 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., p. 94.

29 Ibid., p. 92.

30 Jaakko Virkkunen, Marika Schaupp, « From change to development: Expanding the concept of intervention », Theory & Psychology, n° 21(5), 2011, p. 629.

31 Engeström et al., 1999.

32 Jean-Gabin Ntebutse et Nicole Croyere, « Intérêt et valeur du récit phénoménologique : une logique de découverte », Recherches en soins infirmiers, n° 124(1), 2016, p. 35-36.

33 Pierre Bourdieu, « participant objectivation », Journal of the Royal Anthropological Institute, n° 9(2), 2003, p. 289.

34 George Devereux, From Anxiety to Method in the Behavioral Sciences, Berlin, Boston, De Gruyter Mouton, 1967.

35 Jacques Bouveresse, Bourdieu, savant & politique, Agone, 2004, p. 168.

36 Notes de contextualisation des auteurs qui n’apparaît pas dans cette version par souci d’anonymisation.

37 Pierre Bourdieu, op. cit., 2003, p. 282.

38 Pierre Olivier Weiss et Gaëlle Lefer Sauvage, 2023, p. 29.

39 Christian Poiret, « Les processus d’ethnicisation et de raci (ali) sation dans la France contemporaine : Africains, Ultramarins et “Noirs” », Revue européenne des migrations internationales, n° 27(1), 2011, p. 107-127.

40 Benoit Giry, La sociologie et les catastrophes, Paris, La Découverte, 2023.

41 Nicolas Roinsard, op. cit., 2022.

42 Pierre Olivier Weiss et Gaëlle Lefer Sauvage, 2023, p. 28.

43 Miki Mori, Esméralda Longépée, Gaëlle Lefer-Sauvage, Arnaud Banos, Nicolas Becu, Philippe Charpentier, Thomas Claverie, Matthieu Jeanson, Mathieu Le Duff, Damienne Provitolo, et al., « Climate change by any other name : Social representations and language practices of coastal inhabitants on Mayotte Island in the Indian Ocean », Public Understanding of Science, n° 33 (8), 2024, p. 978-997 ; Weiss et Lefer Sauvage, 2024.

44 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit., 2011.

45 Jean-Gabin Ntebuste et Nicole Croyere, 2016 ; Pierre Paillé et Alex Mucchielli, 2011.

46 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, op. cit. p. 87.

47 Yrjö Engeström, Reijo Miettinen, Raija-Leena Punamäki, Perspectives on activity theory, Cambridge University Press, 1999.

48 Pierre Paillé et Alex Mucchielli, 2011.

49 Benoît Giry, La sociologie et les catastrophes, Paris, La Découverte, 2023.

50 Jacques Bouveresse, op. cit., 2004.

Marin Laborie

Doctorant à Nantes Université (REN) rattaché au CUFR de Mayotte

Patrice Bourdon

Professeur des universités en sciences de l'éducation et de la formation - Nantes université – CREN (UR 2661)

Gaëlle Lefer-Sauvage

Maitresse de conférences en sciences de l'éducation et de la formation - Université de Picardie Jules Verne - CAREF (UR 4697), associée LCF (UR 7390)