DOI : 10.26171/carnets-oi_0508
Dans le monde, à la date du 06 juillet 2020, l’université Johns Hopkins (Johns Hopkins University1, 2020) fait état de plus de 11 millions de cas de Covid-19 et de plus de 500 000 morts. La planète fait face à une véritable pandémie. En effet, tous les pays et toutes les régions du monde sont concernés à des degrés divers par la maladie tant pour les cas confirmés que pour le nombre de morts (Baruch et al., 2020).
À l’échelle nationale, la France au 06 juillet 2020 présente environ 166 000 cas confirmés et près de 30 000 morts ; ces données brutes placent respectivement la France au 16e et au 6e rang mondial (Baruch et al., 2020). Avec 444 morts par million d’habitants, la France est cette fois au 6e rang derrière la Belgique, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie et la Suède. Bien entendu ces chiffres ne préjugent pas de la répartition des cas confirmés et des morts. Le moment venu, à la fin de l’épidémie, il conviendra de faire des analyses fines de cette répartition pour mettre en lumière les disparités de ces distributions et les facteurs explicatifs. Notons simplement pour le moment qu’on observe en France métropolitaine un gradient décroissant du nombre de morts pour un million d’habitants du nord-est vers le sud‑ouest.
Toujours à l’échelle de La France, les outre-mers2 occupent une position singulière. On constate (fig. 1) que tous les territoires d’outre-mer, quel que soit leur statut institutionnel vis-à-vis de la métropole française, présentent un nombre de morts pour un million d’habitants (donnée sans doute la plus fiable) toujours inférieur à la moyenne métropolitaine qui est de 444. Par ordre décroissant, les territoires se présentent ainsi : Mayotte 130, Guyane 55, Guadeloupe 38, Martinique 37 et 0 pour les autres (La Réunion, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna) (données au 02 juillet 2020). On ne s’attardera pas sur le nombre de cas confirmés pour un million d’habitants car il dépend grandement du nombre de personnes testées et de l’hétérogénéité des pratiques pour mener les tests. Cela induit trop de distorsion si l’on veut faire des comparaisons et constitue un biais pour mener des analyses pertinentes.
Ainsi, le nombre de morts pour un million d’habitants montre que les outre-mers français ont été en moyenne beaucoup moins impactés par la Covid-19 que la moyenne de la France métropolitaine. Pour essayer de donner les premiers facteurs d’explication de ces différences, il est probable que dans les outre-mers le degré d’ouverture des territoires ait joué un rôle très important. Les outre-mers, avec néanmoins des différences notables entre eux, sont globalement plus enclavés (ainsi Wallis et Futuna sont des exemples flagrants avec 0 cas dans chacune des îles) et leur accessibilité est moins grande que la France métropolitaine. Cette moins grande intensité des flux humains dans les outre-mers a donc très certainement été un facteur de protection de l’introduction de la Covid-19. À ce titre, à ce jour on voit que la grande majorité des cas dans les outre-mers sont des cas importés (plus de 70 % de cas importés par exemple à La Réunion). D’autre part, si on pose l’hypothèse que le virus suit une saisonnalité (Kissler, S. et al., 2020 ; Monto, A. S. et al., 2020) et qu’il est sensible à la température, les outre-mers habités étant presque tous, à l’exception de Saint-Pierre et Miquelon, situés dans la zone intertropicale, ils ont donc peut-être bénéficié de leur température chaude à très chaude entre décembre 2019 et mai 2020 pour limiter les effets du SARS-CoV-2. Par ailleurs, l’âge de décès des patients atteints de la Covid-19 est majoritairement le fait de personnes âgées de plus de 65 ans (Santé publique France, 2020b ; Williamson et al., 2020). La relative jeunesse des populations de certains outre-mers, en particulier Mayotte ou la Guyane, en comparaison de la France métropolitaine est aussi sans doute un paramètre à prendre en compte pour expliquer des plus faibles taux de mortalité.
Fig. 1. Quelques données comparatives entre la France métropolitaine et les outre‑mers
Nombre de cas confirmés |
Nombre de morts |
Nombre de cas confirmés pour un million d’habitants |
Nombre de morts pour un million d’habitants |
|
France |
166 000 |
29 752 |
2 477 |
444 |
Mayotte |
2 643 |
35 |
9 790 (8 260) (1) |
130 (109) (2) |
Guyane |
4 268 |
16 |
14 717 |
55 |
Guadeloupe |
182 |
15 |
460 |
38 |
Martinique |
242 |
14 |
642 |
37 |
La Réunion |
528 |
0 (3) |
614 |
0 |
Nouvelle-Calédonie |
21 |
0 |
74 |
0 |
Polynésie française |
62 |
0 |
223 |
0 |
Saint-Pierre et Miquelon |
1 |
0 |
167 |
0 |
Wallis et Futuna |
0 |
0 |
0 |
0 |
(Classement décroissant en fonction du nombre de morts pour 1 million d’habitants)
Notes :
(1) Officiellement la population de Mayotte est de 270 000 habitants, si l’on tient compte de la population illégale (peut-être 50 000 personnes) cela donne environ 320 000 habitants. Le chiffre entre parenthèse tient compte de cette population officieuse.
(2) Idem.
(3) Officiellement il y a eu 2 morts à La Réunion mais ce sont deux personnes venues de Mayotte qui sont décédées après leur transfert à La Réunion ; dans ces conditions, nous ne comptons pas ces patients décédés dans les statistiques de La Réunion.
Source : d’après Baruch et al., 2020 ; Johns Hopkins University, 2020 ; calculs de l’auteur.
Ces apparents avantages comparatifs des outre-mers ne doivent cependant pas conduire à occulter leur vulnérabilité sociale, économique et sanitaire. Cette vulnérabilité se lit dans les indicateurs usuels qui mesurent les performances des territoires : taux de chômage, pourcentage de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, espérance de vie, mortalité infantile, alphabétisation, offre, accessibilité et qualité des soins, IDH… Tous ces indicateurs soulignent que les territoires ultramarins sont globalement moins performants que la moyenne métropolitaine française. La pandémie de Covid-19 aura donc des conséquences économico-sociales et sanitaires pour les semaines et les mois à venir. Pour les seules conséquences sanitaires, on voit déjà apparaître une surmortalité dans les outre-mers car à l’instar de tous les territoires métropolitains les patients ont peu utilisé l’offre de soins depuis le début du confinement le 17 mars 2020. Cela conjugué aux reports des opérations dites non urgentes, sur préconisation du plan blanc, afin d’augmenter les capacités d’accueil des éventuels patients touchés par la Covid-19, ont mis les patients outre-mers dans une situation de vulnérabilité sanitaire accrue alors même que les pathologies outre-mers présentent des incidences supérieures à celles de la moyenne de la métropole. On peut ici citer les maladies chroniques comme le diabète, l’obésité, l’hypertension, certains cancers, les maladies cardio-vasculaires (Creusvaux, 2015) mais également les maladies infectieuses (Taglioni, 2019) à transmission vectorielle comme la dengue, le virus Zika, le chikungunya, la leptospirose, l’ulcère de Buruli, le paludisme… L’offre de soins dans les outre-mers est par ailleurs inférieure à celle de la moyenne de la France métropolitaine et cela aggrave encore la prise en charge de malades qui ont fait l’impasse sur leurs soins de mars à mai 2020.
La situation globale de la Covid-19 que l’on vient d’aborder est bien entendu à nuancer suivant l’outre-mer concerné. Ainsi, Mayotte comme la Guyane présentent, face à la Covid-19, certaines particularités au sein des territoires ultramarins. Nous allons dégager quelques spécificités propres au territoire mahorais.
Le premier cas de la Covid-19 à Mayotte est signalé le 13 mars 2020, c’était un cas importé de France métropolitaine (Santé publique France, 2020c) ; pour comparaison les premiers cas en France métropolitaine ont été signalés à partir du 24 janvier 2020 (Santé publique France, 2020c). L’épidémie a été contenue jusqu’à fin avril 2020 avec un peu plus de 500 cas confirmés au 30 avril 2020. Ensuite, on note une forte augmentation du nombre de cas, 1 000 cas début mai et 2 643 à la date de cet article (soit le 02 juillet 2020) ainsi que 35 décès déclarés au total à la même date et 10 personnes en réanimation (Santé publique France, 2020d). La répartition des cas confirmés de la Covid-19, sans être homogène, concerne les 17 communes de l’île. Les plus fortes incidences ont été enregistrées à Mamoudzou et à Brandélé (sur Grande-Terre) et à Dzaoudzi et Pamandzi (sur Petite-Terre), ce qui est à mettre en corrélation notamment avec la répartition de la population à Mayotte.
En dépit de son statut de département d’outre-mer depuis 2011, le 101e département de la République française, Mayotte connaît de façon récurrente des obstacles structurels à son développement. Ce territoire de 374 km2, situé dans l’archipel des Comores, a choisi de rester sous souveraineté française lors de l’indépendance des Comores (1975) auxquelles il appartient géographiquement. Cette ancienne colonie de plantation est devenue, de par son statut et son niveau de vie, une enclave convoitée au sein d’un espace régional pauvre et soumise à une très forte pression migratoire de la part des îles voisines (notamment depuis Anjouan). Il est communément admis que 45 à 50 % de la population est d’origine étrangère (Chaussy ; Merceron, 2019) à Mayotte. À cette population d’origine mahoraise et étrangère (principalement en provenance de l’Union des Comores) s’ajoute une population clandestine dont il est difficile par définition d’estimer le nombre ; d’autant plus qu’elle est très fluctuante par le jeu des reconduites à la frontière (Taglioni, 2015). On retient généralement qu’il y aurait environ 50 000 personnes clandestines à Mayotte (Legeard, 2012) ce qui porterait la population totale de Mayotte à environ 270 000 personnes recensées et 50 000 clandestins, soit environ 320 000 habitants en 2020. Les conditions de vie des clandestins comoriens à Mayotte sont des plus précaires. Ils occupent des emplois subalternes et non déclarés, résident dans des habitats dégradés et sont considérés avec les autres étrangers par les Mahorais comme la cause de tous les maux socio-économiques du territoire. Les dynamiques socio-spatiales de Mayotte sont marquées par cette société à deux vitesses avec d’un côté les Mahorais et de l’autre les étrangers d’origine comorienne qu’ils soient réguliers ou clandestins. Cette fracture a d’autant plus de conséquences que les indicateurs de développement nous rappellent que Mayotte est un département qui cherche son développement. Ainsi, le chômage est de l’ordre de 26 % (Insee) avec une population très jeune, la moyenne est de 23 ans (Chaussy ; Merceron, 2019), particulièrement concernée par le non-emploi. Le PIB par habitant est de l’ordre de 3 fois moins que celui de la métropole française (Insee). Par ailleurs, l’analphabétisme est extrêmement important dans l’île avec son corollaire à savoir un très faible niveau de qualification. L’habitat est marqué par la précarité avec 39 % des résidences principales qui sont en tôle, en bois, en végétal ou en terre, 59 % des résidences principales ne bénéficient pas du confort sanitaire de base et un tiers des ménages n’a pas l’eau courante (Chaussy ; Merceron, 2019) ; pour finir un chiffre résume bien la situation car 84 % des habitants à Mayotte vivent sous le seuil de pauvreté (Insee). Enfin, Mayotte est marqué par un fort accroissement démographique (accroissement naturel important et taux migratoire positif). Aujourd’hui Mayotte connaît la plus forte densité de population des outre-mers avec environ 700 habitants/km2.
En ce qui concerne l’offre de soins (ARS, 2019), elle est très limitée avec environ 27 médecins libéraux (soit une densité pour 100 000 habitants de 3 fois inférieure à celle de la métropole française), 16 lits de réanimation dans un hôpital qui offre 418 lits seulement et qui ne peut à lui seul répondre à l’urgence sanitaire engendrée par la Covid-19. Des Mahorais malades du coronavirus sont d’ailleurs régulièrement évacués sur le département voisin de La Réunion pour y être soignés au CHU. La situation est d’autant plus tendue qu’une épidémie de dengue continue de sévir à Mayotte qui enregistre environ 16 morts et plus de 4 200 cas depuis le début de l’année 2020 (Santé publique France, 2020a).
Comme dans tous les départements de France, le confinement a été rendu obligatoire par décret du 16 mars 2020 qui est entré en vigueur dès le 17 mars 2020 mais il n’a été que très partiellement respecté par la population. À ce propos, la date du 11 mai 2020 n’a pas été celle de la fin du confinement à Mayotte, le département, classé en orange, comme la Guyane, est toujours au 04 juillet 2020 théoriquement confiné. Dans les faits, les écoles rouvrent tant bien que mal et la vie économique et sociale reprend son cours chaotique. Par ailleurs, l’état d’urgence, qui se termine au 10 juillet 2020 partout en France, est prolongé jusqu’au 30 octobre 2020 à Mayotte et la Guyane. Cet état d’exception au régime général est mal perçu par les autorités mahoraises qui le vivent comme une stigmatisation de la population mahoraise.
Dans les conditions que l’on vient d’évoquer, la Covid-19 trouve dans le département de Mayotte des paramètres favorables à sa propagation avec une offre de soins limitée et insuffisante pour face faire à une épidémie qui progresse, bien que le pic épidémique soit a priori passé, une promiscuité inhérente à une forte densité moyenne de population, une très difficile, pour ne pas dire impossible, mise en œuvre du confinement pour des populations qui vivent à plusieurs dans de petits logements souvent surpeuplés3, une économie informelle qui pousse la population à continuer à vivre dans et avec la rue, une fracture numérique et un taux très élevé d’analphabètes et de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. La jeunesse de la population est sans doute un des rares points positifs depuis le début de l’épidémie de la Covid-19 à Mayotte car, ainsi qu’on l’a déjà exprimé, les personnes âgées sont les plus vulnérables en termes de mortalité. Les conséquences sanitaires, économiques et sociales de la Covid-19 ne font que commencer pour les outre-mers en général et pour Mayotte, ainsi que la Guyane, en particulier tant leur vulnérabilité humaine est grande.