Julie Dupont-Lassalle, François Hermet et Élise Ralser (dir.). “La départementalisation de Mayotte. Un premier bilan juridique et économique

Didier Blanc

p. 133-136

Bibliographical reference

La départementalisation de Mayotte. Un premier bilan juridique et économique, Sous la direction de Julie Dupont-Lassalle, de François Hermet et d’Élise Ralser, Préface d’Éricka Bareigts, Paris, L’Harmattan, 2019, 199 p.

References

Bibliographical reference

Didier Blanc, « Julie Dupont-Lassalle, François Hermet et Élise Ralser (dir.). “La départementalisation de Mayotte. Un premier bilan juridique et économique” », Carnets de recherches de l'océan Indien, 5 | -1, 133-136.

Electronic reference

Didier Blanc, « Julie Dupont-Lassalle, François Hermet et Élise Ralser (dir.). “La départementalisation de Mayotte. Un premier bilan juridique et économique” », Carnets de recherches de l'océan Indien [Online], 5 | 2020, Online since 27 February 2023, connection on 23 November 2024. URL : https://carnets-oi.univ-reunion.fr/553

DOI : 10.26171/carnets-oi_0509

Traditionnellement, comme plus récemment, l’activité scientifique des mem­bres de la Faculté de Droit et d’Économie de l’Université de La Réunion est dirigée vers des objets d’études relevant de leur environnement géographique (V. J. Colom, S. Rohlfing-Dijoux, G. Schulze (eds.), The 50th Anniversary of Mauritius. Constitutional Development, Baden-Baden, Nomos, 2019, 472 p.) ou de leur spécificité insulaire (V. H. Pongérard-Payet (dir.), L’Union européenne et la coopération régionale des Outre-mers : Vers un renforcement du soutien européen ?, Préface de Loïc Grard, Paris, L’Harmattan, coll. GRALE, 2018, 371 p.) sans être exclusive de champs nationaux (V. F. T. Rakotondrahaso (dir.), Gestion locale & Chambres régionales des comptes, Paris, Institut francophone pour la justice et la démocratie, coll. Colloques & Essais, 2020, 204 p.) ou plus largement internationaux (V. L. Didier et J.-F. Hoarau, Les Accords de partenariat économique (APE) dans l’océan Indien, Actes du colloque des 27 et 28 septembre 2018, Saint-Denis, Université de La Réunion, Presses Universitaires Indianocéaniques, 2019, 242 p.).

À ce titre, les axes de recherche du Centre de recherche juridique (CRJ, EA 14) et du Centre d’économie et de management de l’océan Indien (CEMOI, EA 13) portent sur les territoires relevant de la zone de l’océan Indien. Dès lors, comment Mayotte aurait pu échapper à leurs investigations tant au regard de sa situation économique et sociale que de son statut juridique interne et européen ? Sans compter les défis migratoires qui se posent au Département mahorais. Pour le dire d’un mot, tout à Mayotte est marqué du sceau indélébile de la spécificité. Cette dernière est au cœur du projet de recherche ayant donné lieu au colloque pluridisciplinaire organisé à l’Université de La Réunion, le 27 octobre 2016, sous l’égide de l’Observatoire des Sociétés de l’océan Indien (OSOI, Fédération FED 4127) et du haut patronage du ministère des Outre-mer. L’ouvrage qui en est issu témoigne d’un esprit de suite assez rare sous les cieux académiques pour être souligné. Il convient de se souvenir que l’un de ses responsables, François Hermet, a dirigé les actes d’un colloque qui s’est tenu en 2012 sous une ombrelle scientifique comparable : Mayotte : État des lieux, enjeux et perspectives. Regards croisés sur le dernier-né des départements français, Paris, L’Harmattan, 2015, 237 p.). Tandis qu’Élise Ralser, autre responsable de l’ouvrage, présentait une contribution intitulée : « L’avenir (incertain ?) du statut personnel mahorais » (p. 85-96). De fait, on retrouve d’un ouvrage sur l’autre certains auteurs dont Hélène Pongérard-Payet (« La rupéisation de Mayotte », p. 159-186). Inutile dans ces conditions de préciser que l’attelage entre les deux ouvrages, celui paru en 2015 et celui de 2019, constitue un appareil documentaire unique dans le paysage éditorial français. Tout chercheur ou plus largement toute personne désireuse de parfaire ses connaissances avec un large spectre ne pourra faire autrement que de se plonger dans leur lecture.

L’ambition du présent ouvrage est formulée dans son intitulé, il s’agit au fond cinq ans après, de dresser un premier bilan ; on observera avec gourmandise que d’autres sont implicitement annoncés. Suivant une démarche déjà engagée sous l’égide de la fédération de recherche de l’OSOI plaçant au cœur de ses préoccupations une approche pluridisciplinaire choisie plus que subie, les responsables de cet ouvrage ont réuni plusieurs auteurs embrassant de multiples champs, le droit, sous ses multiples déclinaisons (droit de l’Union européenne, droit de la famille, droit des étrangers, droit fiscal, droit du travail, droit notarial), l’économie bien sûr, mais également la sociologie. S’il est à la fois risqué et hardi de rendre compte dans ces colonnes de l’ensemble des chapitres de cet ouvrage collectif, il est plus inapproprié de s’attarder sur certains et ce faisant, d’être coupable d’une distinction toute subjective. D’autant plus qu’on doit à la vérité de dire que l’on a lié commerce avec de nombreux auteurs, quand il ne s’agit pas d’un commerce d’affection et d’amitié. Puisque de deux maux il faut verser dans le moindre, et avec les précautions d’usage qui s’imposent, abordons par le fil de la lecture cet ouvrage honoré d’une préface de Madame Bareigts, alors ministre des Outre-mer et redevenue députée de La Réunion.

Sa grande familiarité scientifique avec le thème destinait Jacques Ziller, professeur à l’Université de Pavie, à aborder la problématique de l’insertion de Mayotte dans les institutions françaises et européennes (p. 15-29). Son attention est principalement retenue par le double changement statutaire de Mayotte au regard du droit interne et du droit de l’Union, dont l’origine, les effets et les subtilités juridiques sont examinés. À travers l’analyse serrée de l’arrêt du 15 décembre 2015, opposant le Parlement européen à la Commission et au Conseil, c’est l’ensemble du régime contentieux des régions ultrapériphériques (RUP) qui est ici éclairé. C’est également le registre contentieux que couvre Zarianti Nourdine Abdallah, doctorante en droit privé sous la direction d’Élise Ralser, puisqu’elle s’est intéressée à celui de la famille à Mayotte en relation avec la disparition de la juridiction des Cadis (p. 31-46). Suivant une approche chronologique, avec 2011 comme point d’articulation, l’origine de la dualité juridictionnelle en matière de contentieux familial est présentée. Ce système suscitant des critiques laisse place à un régime voulu égalitaire. Le mérite de cette contribution tient dans la démonstration du caractère apparent du nouveau régime, de fait une inégalité demeure. Fabienne Jault-Seseke, professeur à l’Université de Versailles–Saint-Quentin, pour qui le droit de la nationalité n’a rien d’étranger, traite de l’épineuse question des spécificités de ce droit à Mayotte (p. 47-63). Le pluriel n’a rien d’excessif, aussi en couvre-t-elle les éléments saillants, qu’il s’agisse des titres de séjour ou de la lutte contre l’immigration clandestine. L’auteur confronte ce régime à l’ensemble des droits fondamentaux et de souligner la faible effectivité d’une protection en particulier concernant les mineurs.

Toute approche juridique globale invite à associer des universitaires, parfois praticiens, à de purs praticiens. Tel est le sens de la présence de Christophe Popineau, notaire à La Réunion et membre de la première étude à s’être implantée à Mayotte. Au regard de cette expérience, c’est l’aménagement du territoire et la propriété foncière à Mayotte qui sont ici questionnés (p. 65-70). Pour ce faire, quatre thèmes sont abordés : la réglementation foncière et le droit coutumier ; la régularisation et le gel des terres ; les indivisions « endémiques » ; l’accès au droit. Il en ressort qu’une normalisation fon­cière est de l’ordre du possible. C’est à la fois le possible et le souhaitable qu’examine Hélène Pongérard-Payet, maître de conférences habilitée à diriger des recherches (HDR), à la lumière des fonds structurels et d’investissement européens à Mayotte (p. 71-103). Spécialiste de ce domaine, sa contribution au long cours doit être lue en prolongement de celle du Professeur Ziller dans la mesure où elle dresse le panorama des conséquences attachées à la promotion statuaire de Mayotte, érigée au rang de RUP au 1er janvier 2014. En mobilisant un ample appareil bibliographique, l’auteur aborde mêmement les aspects quantitatifs et qualitatifs de l’action de fonds structurels qui représentent à ses yeux une « opportunité historique ». En dépit des moyens alloués, de profondes fractures sociales caractérisent Mayotte nécessitant une lutte contre la pauvreté et les inégalités. C’est cette réalité qu’il incombe à Nicolas Roinsard, maître de conférences en sociologie à l’Université Clermont-Auvergne de traiter (p. 105-127). Averti des particularités sociales ultramarines, le tableau dressé par Nicolas Roinsard est teinté de sombre par de multiples données statistiques. Au final, les effets de la départementalisation se faisant attendre, le constat est sans appel : « Mayotte demeure le département français le plus pauvre et le plus inégalitaire » (p. 124).

Rares sont les thèses de droit public intégralement consacrées à Mayotte, aussi est-il naturel de compter Faneva Tsiadino Rakotondrahaso (Le statut de Mayotte vis-à-vis de l’Union européenne, Aix-en-Provence, PUAM, coll. Droit d’Outre-mer, 2014, 333 p.) parmi les contributeurs de l’ouvrage. Maître de conférences dans cette maison (Université de La Réunion) l’auteur s’attache à l’étude du régime douanier de Mayotte au regard de sa rupéisation (p. 129-143). Les enjeux fiscaux et l’adaptation du droit de l’Union sont analysés à l’aune de l’objet du traitement de faveur dont Mayotte bénéficie : protéger son marché local. L’octroi de mer demeure au centre de cette différenciation.

Les deux dernières contributions ont en commun d’être rédigées par des mem­bres du CEMOI. Son directeur, Jean-François Hoarau, professeur de sciences économiques, réalise une évaluation du développement humain pour Mayotte par l’application de l’indicateur de développement humain « hybride » (p. 145-164) tandis que François Hermet, Alexis Parmentier et Michel Paul, respectivement, maître de conférences, professeur et maître de conférences, en sciences économiques, s’interrogent sur l’impact social de la durée légale du travail dans cette économie émergente (« Durée légale du travail à Mayotte : le 101e département chausse-t-il du 35 heures ? », p. 165-199). Le premier a pour ambition de proposer une nouvelle évaluation du développement humain de Mayotte à l’aide d’une analyse comparative dans la double dimension spatiale et temporelle. Les données et équations mobilisées « confortent le sentiment largement répandu dans la littérature appliquée selon lequel Mayotte présente un niveau de développement relativement moyen à l’échelle mondiale et encore loin des performances des autres DOM et de la France métropolitaine » (p. 160). Les seconds partent du postulat qu’il « n’y a aucune raison pour que la durée légale optimale à Mayotte soit la même que celle de la France hexagonale » (p. 168) pour, au terme d’une série de sections abordant autant d’indicateurs, en apporter la démonstration. Ainsi, des vertus prédictives de l’analyse économétrique suivie, se dégage un modèle en vertu duquel l’instauration des 35 heures apparaît comme répondant davantage aux attentes sociales et citoyennes de l’île qu’à la raison économique.

Puisqu’il faut céder aux figures imposées de la recension, on regrettera au milieu de cette abondance de biens pour l’esprit et la science, une discrétion certaine quant aux questions sanitaires et d’ordre public propres à l’île, augmentée du légi­time étonnement que nourrit le déséquilibre quant au nombre de contributions éco­nomiques par rapport aux juridiques. En outre, la mise en relation entre passé et présent qu’exige tout bilan parcourt inégalement les contributions rassemblées ici.

Didier Blanc

Professeur de droit public, Centre d’excellence Jean Monnet, Université Toulouse I Capitole
didier.blanc@ut.capitole.fr