Les mutations face aux logiques politiques

Introduction de l’axe 2

Serge Bouchet et Bénédicte Letellier

p. 87-88

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Serge Bouchet et Bénédicte Letellier, « Les mutations face aux logiques politiques », Carnets de recherches de l'océan Indien, 7 | -1, 87-88.

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Serge Bouchet et Bénédicte Letellier, « Les mutations face aux logiques politiques », Carnets de recherches de l'océan Indien [En ligne], 7 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2023, consulté le 12 mai 2024. URL : https://carnets-oi.univ-reunion.fr/697

Les logiques politiques de ce siècle, à l’œuvre dans le monde, sont essentiel­lement des logiques binaires ou des logiques d’empire. En ce sens, elles ne sont pas nouvelles et s’inscrivent dans le prolongement de toutes les conquêtes humaines. Leur nouveauté réside plutôt dans le fait qu’arrivées à un certain paroxysme et dans certaines impasses, ces logiques politiques posent plus que jamais de manière radicale la question identitaire qui sous-tend l’évolution de toutes les nations et leurs interactions. L’axe 2 de ce numéro interroge ces nouvelles logiques politiques, amplement décrites et débattues dans les pensées postcoloniales et décoloniales, en les confrontant à l’espace indianocéanique. Les mutations sociales et culturelles qu’elles génèrent révèlent de nouveaux rapports de force, des renversements de situation ou, de manière plus atténuée, des formes de rejet ou de contestation.

Si les pensées postcoloniale et décoloniale interrogent fortement la posi­tion hégémonique de l’Occident dans les régions du Sud global et portent un discours critique sur le colonialisme, elles se distinguent néanmoins par le choix de leurs approches disciplinaires et des concepts privilégiés. Elles se distinguent aussi par les colonialismes qu’elles étudient. Par sa diversité historique et géopolitique, l’es­pace indianocéanique se prête donc très bien aux études pluridisciplinaires voire transdisciplinaires de ces deux pensées précisément parce qu’il permet de les confron­ter et de les nuancer par des exemples riches et variés, comme le cas de La Réunion. Car suffit-il de remplacer une vision manichéenne par une autre ? Ne vaudrait-il pas mieux interroger les différents racismes et les différentes dominations à travers les siècles ? L’océan Indien est aussi un espace idéal pour comprendre ce qui se joue à différentes échelles dans les rapports de force. En effet, l’Occident, bien qu’encore très présent dans l’océan Indien, n’est pas la seule puissance hégémonique de la région en raison notamment du passé antérieur à la colonisation. Le monde musulman – et notamment quelques pays comme l’Arabie Saoudite – exerce aussi un certain impérialisme religieux. L’Inde, la Chine s’y imposent avec force.

Les trois articles de cet axe présentent diverses méthodes d’action qui contestent ces logiques politiques et révèlent des mutations socio-culturelles plus profondes qu’il n’y paraît. Dans un premier temps, le sport sud-africain, l’art como­rien ou la littérature réunionnaise peuvent se lire comme des pratiques sociales et culturelles en marge de la sphère politique. Mais dans une étude plus approfondie, ces pratiques dénoncent non seulement des formes d’extrémisme inhérentes à la logique d’empire, mais aussi une certaine réappropriation du pouvoir démocratique. Cela apparaît très clairement dans les exemples artistiques, à savoir le théâtre de Sast et la musique de Nawal, que se propose d’analyser Abdou Nouhou Badroudine dans son article. Aux Comores, la montée en puissance des salafistes s’observe à travers l’instrumentalisation de l’islam face à laquelle tout art contestataire fait figure de blasphème et de discours hérétique. Mais du point de vue des artistes, l’art est une arme contre tout dogmatisme extrême ou pour reprendre le néologisme de l’auteur l’art est un « artivisme », à la fois mémoire culturelle et action politique. À La Réunion, la littérature créole témoigne aussi d’un refus d’appartenir à une identité imposée et formée par la pensée coloniale. Considéré comme une menace par l’idéologie coloniale, le métissage identitaire représenté dans cette littérature remet fortement en question la logique de hiérarchisation dans la mesure où l’identité métisse est par définition transgressive. Si, dans ces deux articles, l’art et la littérature mettent l’accent sur les mutations sociales engendrées par ces logiques politiques aliénées au capitalisme et au néolibéralisme, ils sont aussi mis au service d’une idéologie subversive qui envisage l’identité individuelle ou nationale comme une reconquête du prestige local. Tel est, comme le montre Parwin Patel dans son article, l’objectif d’un Nelson Mandela à travers la constitution d’une équipe nationale de rugby composé autant de Noirs que de Blancs. Le sport est donc l’espace symbolique d’une unité nationale.

Serge Bouchet

MCF en Histoire médiévale, Université de La Réunion
serge.bouchet@univ-reunion.fr

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Bénédicte Letellier

MCF en littérature comparée, Université de La Réunion
benedicte.letellier@univ-reunion.fr