DOI : 10.26171/carnets-oi_0710
Introduction
De nombreux travaux ont montré que les Petites Économies Insulaires [PEI] sont frappées par un ensemble de handicaps structurels lourds susceptibles d’entraver le processus de croissance et de développement soutenable (Guillaumont, 2010 ; Blancard et Hoarau, 2016a)1, même si elles peuvent montrer pour certaines une relative résilience aux chocs. Cette forte vulnérabilité structurelle gagne encore en intensité lorsque l’on considère la nouvelle contrainte du changement climatique, les PEI se trouvant situées géographiquement pour une grande majorité d’entre elles dans la bande intertropicale et leur population et activité économique étant concentrées dans la zone côtière (GIEC, 2001 ; Nurse et al., 2014, Berrittela et al., 2006 ; Mycoo, 2017).
La vulnérabilité face au changement climatique dépend à la fois de la vulnérabilité physique (ou structurelle), renvoyant aux caractéristiques géographiques et climatiques du territoire, et d’une vulnérabilité historiquement « construite » liée à l’implantation humaine et au modèle économique choisi. Les PEI peuvent cependant montrer différents niveaux de vulnérabilité face aux multiples contraintes liées au changement climatique, ce que nous nous proposons de montrer dans cet article avec une illustration spécifique des PEIs situées dans la région sud-ouest de l’océan Indien.
La première étape consiste à mesurer de manière comparative la vulnérabilité physique des pays et territoires face aux conséquences du changement climatique. Pour ce faire, nous utilisons l’Indicateur de Vulnérabilité Physique au Changement Climatique [IVPCC] élaboré au cours des dernières années à la Fondation pour les Études et Recherches sur le Développement International [Ferdi] (Guillaumont et Simonet, 2011a, b ; Goujon et al., 2015, Closset et al., 2018, Feindouno et al., 2020). Cet indicateur mesure les principales conséquences physiques du changement climatique qui peuvent potentiellement affecter le bien-être et l’activité des populations, comme la montée du niveau de la mer, l’aridification, l’instabilité ou les chocs de pluviométrie et de température, et l’activité cyclonique. Dans les dernières études de Closset et al. (2018) et Feindouno et al. (2020), l’IVPCC est calculé pour 191 pays membres des Nations Unies. Reprenant la perspective adoptée dans Goujon et al. (2015), qui employait une version plus ancienne de l’IVPCC, nous avons appliqué l’IVPCC à un échantillon mondial élargi, augmenté de 59 territoires, principalement insulaires et affiliés (non-membres des Nations Unies), couvrant donc au total 250 pays et territoires (voir également Goujon et Hoarau, 2020). Dans cet échantillon, 100 pays et territoires sont des PEI.
Dans un second temps, nous utilisons les résultats du calcul de l’IVPCC pour analyser la vulnérabilité des îles situées dans le Sud-Ouest de l’océan Indien (Comores, Madagascar, Maldives, Maurice, Mayotte, La Réunion et Seychelles). Pour ce faire, nous croisons les résultats de l’IVPCC avec des éléments portant sur les modèles et niveaux de développement, ainsi que sur l’activité touristique, afin de proposer une analyse comparative de la vulnérabilité de leur modèle de développement face au changement climatique.
La suite de l’article est organisée de la manière suivante. La section 2 présente de manière détaillée la méthodologie de construction de l’IVPCC et ses résultats pour le groupe des PEI. La section 3 utilise ces résultats pour les îles de la région du Sud-Ouest de l’océan Indien pour proposer une analyse de leur vulnérabilité humaine et économique face au changement climatique. Enfin, la section 4 conclut.
Une mesure comparative de la vulnérabilité physique au changement climatique
L’indicateur de vulnérabilité physique au changement climatique : l’architecture globale
L’indicateur de vulnérabilité physique au changement climatique ou IVPCC (ou PVCCI pour Physical Vulnerability to Climate Change Index) a été élaboré au cours des dernières années à la Ferdi (Guillaumont et Simonet, 2011a et 2011b ; Guillaumont et Simonet, 2014, Guillaumont, 2015, Goujon et al., 2015, Feindouno et al., 2017, Closset et al., 2018, Feindouno et al., 2020)2. L’application de Goujon et al. (2015) portait déjà spécifiquement sur les PEI. L’IVPCC, en tant qu’indice physique, n’emploie que des variables géographiques et climatiques, donc exogènes. Il laisse de côté la vulnérabilité humaine ou économique ainsi que la résilience, souvent intégrées dans d’autres indicateurs, qui dépendent largement des choix de modèles économiques et des niveaux de développement. Il est donc particulièrement adapté pour une identification objective des pays vulnérables qui doivent ensuite faire l’objet d’une attention particulière de la communauté internationale, notamment pour l’allocation géographique des fonds internationaux pour l’adaptation au changement climatique. En l’absence de modèles de prévision fiables ou localisés avec une granularité suffisamment fine, il repose sur des tendances passées mais garde un caractère prospectif si l’on considère que ces tendances passées perdureront.
Les composantes de l’IVPCC saisissent deux types de risques liés au changement climatique (Figure 3), ceux qui correspondent à des chocs permanents, progressifs et irréversibles (risques d’inondations et d’aridité), et ceux qui correspondent à une intensification des chocs récurrents (chocs de température, précipitations et cyclones). Pour ces différents risques, les composantes évaluent l’amplitude probable des chocs et le degré d’exposition à ces chocs. Chaque composante peut, plus ou moins indépendamment du niveau des autres, être cruciale pour un territoire. La méthode d’agrégation doit donc refléter une substituabilité limitée entre les composantes, ce qui est possible avec l’emploi d’une moyenne quadratique. Ainsi, une île avec une large partie de son territoire en zone inondable et un pays aride souffrant d’une tendance à la hausse du niveau des températures auront tous deux une composante proche du maximum, et donc un IVPCC élevé.
Méthodes de calculs par composantes et agrégation
Les méthodes de calculs des composantes de l’IVPCC sont reprises de Closset et al. (2018) que nous avons pu marginalement adapter pour l’application à un échantillon élargi. Pour les « risques d’inondation », la méthode consiste à fixer une élévation critique et probable du niveau de la mer et d’en déduire la portion du territoire affectée en utilisant la part du territoire situé en dessous de l’altitude correspondante. Il n’existe pas à l’heure actuelle d’estimation de l’élévation du niveau de la mer propre à chaque territoire, et une grande incertitude prévaut sur l’élévation globale de ce niveau. Les rapports du GIEC qui se succèdent ne cessent de revoir les estimations à la hausse. Une étude récente de Bamber et al. (2019) révèle que l’augmentation du niveau des mers pourrait être bien supérieure que prévue en avançant la possibilité d’une élévation de 2,4 mètres à la fin de ce siècle. Closset et al. (2018) ont choisi 1 mètre (Goujon et al., 2015, utilisaient également cette altitude) mais ont également testé 2 mètres, et montrent que les résultats sont équivalents. Dans notre travail, pour tenir compte de l’incertitude mentionnée plus haut et de l’effet des houles occasionnelles aggravant la montée du niveau eustatique des eaux (en particulier pour les PEI), nous retenons la part du territoire située en dessous de 5 mètres d’altitude. Les données sont calculées à partir de deux modèles numériques de terrain : ISciences Elevation and Depth Map pour les territoires situés à une latitude supérieure à 60° N et Shuttle Radar Topography Mission pour les autres.
La définition de la « part du territoire en zone aride » est celle du Programme des Nations Unies pour l’Environnement. Il s’agit d’une zone, autre que polaire, où le ratio précipitations annuelles sur évapotranspiration potentielle est situé entre 0,05 et 0,65. Elle agrège les zones arides, semi-arides et sub-humides sèches (un ratio inférieur à 0,05 qualifie les zones hyper-arides désertiques qui ne sont pas retenues). La part du territoire en zone aride est exprimée en pourcentage du territoire total situé en zone non-désertique. Les données primaires de précipitations annuelles et d’évapotranspiration potentielle sont issues de la base Climate Research Unit CRU TS 3.21 – University of East Anglia pour la période 2000-2012.3
Les niveaux, tendances et instabilités des précipitations et températures sont calculés à partir des données de la base Climate Research Unit CRU TS version 4.02 – University of East Anglia. Elles sont mensuelles et couvrent la période 1901-2017. Le niveau moyen des températures et précipitations est simplement le niveau moyen calculé sur les données mensuelles de la période 1950-2017. Les tendances des températures et précipitations sont calculées spécifiquement pour chaque mois de l’année et une moyenne des douze tendances est ensuite calculée. Les tendances dans les chocs se calculent aussi mois par mois de l’année, et une moyenne des douze tendances est ensuite calculée. Les séries de chocs sont calculées à partir des écarts entre les valeurs observées et les valeurs attendues selon la tendance estimée précédemment. Suivant Closset et al. (2018), seuls les écarts positifs de température et seuls les chocs négatifs de pluviométrie sont retenus. Afin de prendre en compte le fait que plus l’écart à la tendance est élevé, plus le choc est grand, les chocs sont définis comme étant les écarts élevés au carré. La tendance dans les chocs est la tendance dans la série des écarts élevés au carré. Pour chaque pays et territoire, le calcul étant effectué mois par mois de l’année, on calcule ensuite la moyenne simple des 12 tendances.
La composante « risque cyclonique » a été introduite dans la dernière version de l’IVPCC publiée dans Closset et al. (2018) et est présentée en détail dans Feindouno et al. (2017). Les données primaires portant sur l’intensité de l’activité cyclonique sont fournies par le National Climatic Data Center - International Best Track Archive for Climate Stewardship (IBTrACS), version v03r07. Cette base couvre la période 1970-2014 et enregistre au total 3 915 évènements, épisodes cycloniques de catégories 1 à 5 sur l’échelle Saffir-Simpson ainsi que les tempêtes tropicales. La base IBTrACS – UNEP donne la géolocalisation de chaque cyclone-catégorie, avec le découpage des territoires traversés ainsi que les dates (jours) et la durée (heures) associées à ces cyclones-catégories. En tenant compte de l’intensité relative des évènements, ces données permettent de calculer un indice agrégé de l’activité cyclonique pour chaque pays et territoire et chaque année sur la période 1970-2014. La tendance dans l’activité cyclonique est basée sur la différence de niveau moyen d’intensité entre les périodes 1970-1992 et 1993-2014.
Les dix composantes, devant faire l’objet d’une agrégation, sont normalisées sur une échelle de 0 à 100, l’indice augmentant avec la vulnérabilité, en utilisant la formule usuelle Indice i = (xi – min)/(max-min)*100, avec xi la valeur observée pour le pays ou territoire i, min et max les valeurs minimum et maximum observées sur l’échantillon de pays ou territoires (Tableau A.1. en annexe). Deux composantes font l’objet d’une normalisation particulière. La composante tendance des précipitations est normalisée en inversant la formule (la vulnérabilité augmentant avec une tendance à la baisse des précipitations, à cause du risque de désertification), et la composante intensité de l’activité cyclonique qui est auparavant log-linéarisée car elle présente des valeurs extrêmes, toujours en suivant Closset et al. (2018). Les minima et maxima sont ceux observés pour les territoires de l’échantillon de Closset et al. (2018), à l’exception du maximum pour la part du territoire sous 5 mètres d’altitude4.
L’agrégation progressive des différentes composantes utilise une formule quadratique qui permet d’amplifier le poids des composantes présentant une valeur élevée, avec un effet de compensation partiel entre les composantes. Pour chaque pays et territoire, on a :
Avec indicek la valeur de l’indice k. L’agrégation s’effectue en trois étapes :
-
La composante « chocs associés au risque d’aridité » agrège les deux composantes tendances dans les températures et tendances dans les précipitations ;
-
Pour chacun des quatre risques, en excluant le risque d’inondation mesuré uniquement par l’indice de la part du territoire situé sous une altitude de 5 mètres, les deux indices d’exposition et de chocs sont agrégés ;
-
Les cinq indices de risque sont agrégés, toujours en utilisant la moyenne quadratique pour former l’IVPCC (en affectant des poids « nominaux » identiques aux cinq composantes, la moyenne quadratique donnant plus de poids « effectif » aux composantes présentant des niveaux élevés comparés à ceux des composantes à niveaux faibles).
Les résultats de l’application de l’IVPCC à un échantillon large de pays et territoires
Aux 191 pays membres des Nations Unies couverts par les calculs de Closset et al. (2018) et Feindouno et al. (2020), nous avons pu ajouter 59 territoires (dont 56 PEI) portant la couverture à 250 pays et territoires (dont 100 PEI). La moyenne et la médiane de l’IPVCC pour les 250 pays et territoires sont de 51,5 et de 50,5 respectivement (Tableau 2).
Tableau 2 : IVPCC par groupes de pays
Groupes |
Nombre |
Moyenne |
Médiane |
Écart-type |
Min |
Max |
Tous |
250 |
51,5 |
50,5 |
7,8 |
34,3 |
72,9 |
non-PEI |
150 |
50,8 |
49,5 |
7,6 |
35,8 |
67,3 |
PEI |
100 |
52,6 |
52,1 |
8,0 |
34,3 |
72,9 |
Source : Les auteurs.
Tableau 3 : IPVCC et moyennes des composantes par groupes
Groupes |
Inondations |
Aridité |
Précipitations |
Températures |
Cyclones |
IPVCC |
Tous |
13,3 |
46,1 |
63,2 |
72,7 |
14,5 |
51,5 |
non-PEI |
5,4 |
52,0 |
66,8 |
69,5 |
5,9 |
50,8 |
PEI |
25,1 |
37,2 |
57,9 |
77,5 |
27,4 |
52,6 |
Source : Les auteurs.
Ces résultats permettent de tirer plusieurs enseignements intéressants (Tableau 3). Premièrement, l’insularité n’est pas associée à une vulnérabilité au changement climatique systématiquement ou globalement plus grande. En effet, le groupe des PEI affiche un score moyen d’IVPCC (52,6) qui n’est que marginalement supérieur aux scores moyens de l’échantillon total (51,5) et du groupe des pays non insulaires (50,8). Ce résultat nuance donc celui de Closset et al. (2018). Ces derniers ne se focalisent que sur les Petits États Insulaires en Développement (PEID), plutôt situés en zone tropicale, alors que nous intégrons un nombre important d’îles affiliées qui peuvent se localiser également en zone non-tropicale. Le fait de considérer ce groupe plus large de PEI permet de relativiser le caractère discriminant de l’insularité en matière de vulnérabilité face au changement climatique, et de plutôt relever l’importance de la situation géographique.
Deuxièmement, nous retrouvons les mêmes causes sous-jacentes de vulnérabilité des PEI, à savoir une exposition forte aux évènements cycloniques et aux chocs de température, et dans une moindre mesure un risque d’inondation lié à la montée du niveau des océans (avec une forte hétérogénéité au sein du groupe).
La vulnérabilité comparée des îles du Sud‑Ouest de l’océan Indien face au changement climatique
La région du Sud-Ouest de l’océan Indien que certains spécialistes appellent l’« Indianocéanie » comprend des îles dont l’histoire et la culture sont communes à bien des égards5 mais dont le profil de développement révèle des différences profondes (Goujon et Hoarau, 2015). Dans cette section, nous proposons de comparer leur vulnérabilité face au changement climatique en confrontant leur vulnérabilité physique à leurs niveaux et modèles de développement, en soulignant l’importance de l’activité touristique.
Modèles de développement
Dans la région se côtoient à la fois des PEI à niveau de développement élevé (Maurice, Réunion et Seychelles), des PEI à niveau de développement moyen (Maldives et Mayotte), et une PEI à niveau de développement faible (Comores). La grande île de Madagascar présente un niveau de développement faible et appartient tout comme les Comores à la catégorie des Pays les Moins Avancés.
Les territoires de l’Indianocéanie se distinguent par la nature de leur modèle de développement, et en particulier par le rôle joué par le tourisme international, un secteur hautement exposé aux conséquences du changement climatique (Rosselo-Nadal, 2014, Goujon et Hoarau, 2020).
Conformément à la littérature spécialisée (Baldacchino et Bertram, 2009 ; Tisdell, 2016), plusieurs modèles de développement caractérisent les PEI selon le ou les moteurs de l’économie6 :
-
Le MIRAB (Migration, Remittances, Aid, and Bureaucracy) axé sur l’émigration, les transferts de revenus de la diaspora, l’aide étrangère ou les transferts publics, et la bureaucratie dans le fonctionnement de l’économie locale (Bertram et Watters, 1985). Dans ces économies, l’agriculture de subsistance reste encore largement dominante ;
-
Le TOURAB (TOUrism, Remittances, Aid, and Bureaucracy) qui correspond à l’apparition dans un modèle MIRAB d’une activité touristique dont les revenus finissent par dominer ceux issus du transfert de fonds de la diaspora. D’ailleurs, les flux touristiques sont principalement alimentés par la diaspora elle-même dans le cadre d’un tourisme affinitaire (Guthunz et Von Krosigk, 1996) ;
-
Le SITE (Small Island Tourist Economy) où le tourisme international, principalement « de masse », est le moteur quasi-exclusif de l’économie locale (McElroy, 2006).
-
Le PROFIT (People, Resources, Overseas management, Finance, and Transport) caractérisé par une réelle capacité d’autonomie politique et économique et une structure économique souvent diversifiée, où le tourisme n’est qu’un facteur parmi d’autres (industrie légère exportable, rentes issues de ressources naturelles ou d’une position géostratégique favorable, finance offshore, immobilier, technologies de l’information et de la communication, pavillons de complaisance pour l’activité maritime ou transferts publics, Baldacchino et Milne, 2000)
-
Le SITE/PROFIT qui est une combinaison des modèles PROFIT et SITE dans laquelle le territoire dispose d’une capacité d’autonomie mais où le tourisme reste le principal pourvoyeur de devises (Baldacchino et Bertram, 2009).
À l’exception de la forme SITE, tous les modèles sont représentés dans la zone du Sud-Ouest de l’océan Indien, en l’occurrence le MIRAB (Comores et Mayotte), le TOURAB (La Réunion), le PROFIT (Maurice) et le SITE/PROFIT (Maldives et Seychelles). Bien évidemment, le secteur touristique n’a pas la même importance selon la stratégie retenue (Tableau 4). En particulier, à l’exception du cas réunionnais, il semble se dégager dans la zone une corrélation positive entre niveau de développement et poids du tourisme en accord avec les enseignements de l’approche bien connue du « tourism-led growth hypothesis » (Brida et al., 2016). Aussi, l’étude de la vulnérabilité au changement climatique apparaît d’autant plus pertinente pour ces territoires dans la mesure où elle permet d’apporter un éclairage sur la soutenabilité potentielle à moyen et long terme des différentes stratégies adoptées. Notamment, la spécialisation touristique (modèle SITE, SITE/PROFIT et dans une moindre mesure TOURAB) apparait comme étant un modèle de développement très vulnérable face aux nouvelles contraintes du changement climatique7.
Tableau 4 : L’importance du tourisme international pour les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien, année 2018
PIB par habitant |
IDH* |
Tourisme international |
Modèle |
|||
en $ppa |
pour 1000 |
recettes % |
recettes % |
|||
Maldives |
15 993 |
Moyen (106) |
2 878 |
57,3 |
82,7 |
SITE/PROFIT |
Seychelles |
23 890 |
Elevé (63) |
3 741 |
38,4 |
35,4 |
SITE/PROFIT |
Maurice |
18 488 |
Elevé (64) |
1 106 |
15,2 |
38,9 |
PROFIT |
La Réunion |
23 946 |
Elevé (≈63) |
627 |
2,0 |
51,9 |
TOURAB |
Mayotte |
9 949 |
Moyen (≈110) |
220 |
1,2 |
78,8 |
MIRAB |
Comores |
2 717 |
Faible (160) |
43 |
6,5 |
50,4 |
MIRAB |
Madagascar |
1 556 |
Faible (158) |
11 |
6,4 |
20,2 |
Note : *classification selon le rapport mondial sur le développement humain de 2015 (PNUD, 2015) et une estimation des auteurs pour Mayotte et la Réunion. Les chiffres entre parenthèses indiquent les classements.
Source : RMDH (PNUD), The WDI, (Banque Mondiale), pour La Réunion et Mayotte, les données du PIB par habitant voir Hoarau (2019) et les données sur le tourisme voir INSEE.
Leur vulnérabilité comparée face au changement climatique
L’analyse du score global de l’IPVCC fait ressortir trois catégories de pays (Tableau 5 et Figure 2) : (i) une vulnérabilité très élevée pour les Maldives (65), Maurice (62) et Madagascar (59), (ii) une vulnérabilité élevée pour La Réunion (55) et les Seychelles (55), une vulnérabilité modérée pour Mayotte (51) et une vulnérabilité faible pour les Comores (47).
Deux enseignements majeurs ressortent de ces résultats. Premièrement, globalement les îles de l’indianocéanie sont hautement vulnérables au processus en cours du changement climatique. En effet, 5 territoires sur 7 peuvent être considérés comme particulièrement exposés (leur niveau d’IVPCC se situant nettement au-dessus de la moyenne des 100 PEI). Deuxièmement, les îles où le poids du tourisme est conséquent figurent parmi les économies les plus concernées par le problème. Les Maldives, Maurice et les Seychelles apparaissent dans le tiers des pays les plus vulnérables sur le plan mondial, ce qui questionne leur capacité à pouvoir maintenir sur le long terme leur niveau de développement actuel plutôt favorable. Toutefois, seuls Maurice et les Seychelles, caractérisés par un niveau de développement élevé, semblent disposer des moyens nécessaires à l’adaptation.
Tableau 5 : IVPCC et composantes pour les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien
Pays |
Inondations |
Aridité |
Précipitations |
Température |
Cyclones |
IVPCC |
PEI |
25,1 |
37,2 |
57,9 |
77,5 |
27,4 |
52,6 |
Maldives |
100 |
28 |
53 |
88 |
0 |
65 |
Seychelles |
46 |
40 |
60 |
87 |
15 |
55 |
La Réunion |
1 |
50 |
55 |
75 |
61 |
55 |
Maurice |
6 |
53 |
55 |
80 |
82 |
62 |
Comores |
2 |
27 |
57 |
82 |
15 |
47 |
Mayotte |
4 |
38 |
60 |
85 |
21 |
51 |
Madagascar |
3 |
33 |
59 |
78 |
82 |
59 |
Source : les auteurs.
Par ailleurs, l’étude désagrégée au niveau de chaque composante de l’IVPCC met en évidence que les causes sous-jacentes à cette vulnérabilité peuvent être très différentes (Tableau 5 et Figure 3). Là encore, deux grands résultats se dégagent. Premièrement, toutes les îles sont fortement impactées et de manière plus ou moins homogène par les chocs pluviométriques (53-60) et de températures (75-88). Deuxièmement, en considérant les trois autres dimensions, trois profils types apparaissent : (i) Maurice et La Réunion fortement concernées par les cyclones et dans une moindre mesure par la sécheresse, (ii) Les Maldives et les Seychelles essentiellement exposées au risque d’inondations, et (iii) Les Comores et Mayotte relativement préservées en dehors des deux composantes (précipitations et température) communes à toutes les îles. Madagascar est largement exposée au risque cyclonique, comme Maurice et La Réunion, mais apparaît relativement préservée sur les composantes de l’inondation et de l’aridité, comme pour les Comores et Mayotte.
Conclusion
Les conséquences du changement climatique ne sont pas homogènes globalement puisqu’elles varient selon la localisation et les caractéristiques géoclimatiques. Aussi, une stratégie de politique d’adaptation peut s’avérer inadéquate sans une évaluation exhaustive des caractéristiques de vulnérabilité et de résilience d’un territoire (Füssel et Hilden, 2014). De plus, l’accord de Paris sur le climat, établi dans le cadre de la COP21 en 2015, a mis l’accent sur la nécessité d’instaurer un dispositif d’allocation géographique de fonds internationaux pour l’adaptation au changement climatique et donc d’identifier les pays devant en bénéficier de façon prioritaire (Eriksen et Kelly, 2007, Guillaumont, 2015). Les PEI, selon nos calculs, révèlent une forte vulnérabilité physique au changement climatique, mais toutefois comparable à la moyenne mondiale ou à celle des économies non insulaires. Par ailleurs, cette vulnérabilité ne se manifeste que sous certains aspects seulement (montée du niveau des mers, intensification des évènements extrêmes tels que les chocs de température et les cyclones).
Notre étude permet de relever que les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien sont particulièrement exposées, et notamment les îles où le poids du tourisme est conséquent, comme les Maldives, Maurice et les Seychelles. En revanche, si Maurice et les Seychelles peuvent disposer, dans une certaine mesure, de moyens nécessaires à l’adaptation, c’est moins le cas des Maldives qui montrent un niveau de développement nettement moins élevé.
La grande vulnérabilité au changement climatique des PEI à spécialisation touristique doit inviter les décideurs à s’inscrire clairement et durablement dans une démarche de politiques d’atténuation et d’adaptation. En premier lieu, en termes d’atténuation, il s’agit de contenir la vulnérabilité structurelle, au niveau global, grâce aux accords internationaux pour réduire les émissions de gaz à effets de serre et, au niveau local, grâce à la protection du capital naturel (maintien des ressources en eau, préservation de la biodiversité terrestre et marine, préservation des sols et des forêts, protection des littoraux…). En second lieu, dans la mesure où il semble aujourd’hui trop tard pour empêcher le réchauffement climatique, il est nécessaire de mettre en place des politiques d’adaptation pour renforcer la résilience des territoires face à ses conséquences. Compte tenu des spécificités des petits espaces insulaires, l’accent doit être mis en particulier sur la gestion des risques (santé humaine, gestion des inondations des zones côtières, prévision et anticipation des phénomènes extrêmes…) et sur l’aménagement du territoire. Par ailleurs, conformément aux travaux de Dogru et al. (2019), la construction d’une capacité d’adaptation « pro-active » n’est envisageable que pour les économies ayant les moyens et les institutions adéquates : il existe en effet une corrélation forte entre niveau de développement et résilience. Cette caractéristique, combinée avec le coût nécessairement plus élevé des politiques publiques en contexte insulaire, renvoie inévitablement au besoin d’assistance internationale. Enfin, s’adapter c’est aussi être capable de se réinventer. Dans le cas présent, il s’agit pour les territoires prédisposés à le faire de s’éloigner de la spécialisation touristique pour s’orienter vers une économie plus diversifiée.