Ces routes maritimes qui “font” l’océan Indien

Marie-Annick Lamy-Giner

p. 133-136

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Marie-Annick Lamy-Giner, « Ces routes maritimes qui “font” l’océan Indien », Carnets de recherches de l'océan Indien, 3 | -1, 133-136.

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Marie-Annick Lamy-Giner, « Ces routes maritimes qui “font” l’océan Indien », Carnets de recherches de l'océan Indien [En ligne], 3 | 2019, mis en ligne le 26 février 2023, consulté le 13 mai 2024. URL : https://carnets-oi.univ-reunion.fr/391

DOI : 10.26171/carnets-oi_0307

Dans l’océan Indien, transitent, chaque année, plusieurs dizaines de milliers de navires de commerce. La principale artère maritime majeure de cette vastitude court du Canal de Suez au détroit de Malacca. Se greffent sur cet axe « indien » des routes majoritairement méridiennes arrivant d’Ormuz, du Cap de Bonne Espérance, d’Australie et d’Asie du Sud-Est via les détroits de Lombok et de la Sonde. Les principales portes d’entrée de l’océan Indien, aux noms mythiques (Cap de Bonne Espérance, détroit de Bab el-Mandeb, Malacca), se révèlent des points hautement stratégiques sur les autoroutes de la mer. Deux choke point, à savoir des voies de passages limitées à la fois en taille et en nombre, mènent à l’océan Indien (Malacca et Suez). Ainsi, le fonctionnement des routes maritimes est le miroir des tensions et points de crispation à l’échelle planétaire (Frémont, 2008). Le blocage d’Ormuz pourrait avoir d’inévitables conséquences sur l’économie mondiale.

Figure 1 et Figure 2 Les flux maritimes dans l’océan Indien

Figure 1 et Figure 2 Les flux maritimes dans l’océan Indien

Marine Traffic est un site qui donne en temps réel des informations inhérentes à la position et au déplacement des navires, dans n’importe quelle partie de l’océan mondial.
Les navires, équipés de balises AIS (Système d’Identification Automatique), transmettent en continu leur position, vitesse, escale, destination.
Les cartes produites, agrégation de milliards de points, donnent à lire les densités des routes maritimes. Elles offrent un panorama du trafic maritime. Évolution et poids de ce trafic sont appréciables dans les cartes réalisées par Marine Traffic. Les cartes laissent apparaître un dégradé de couleurs en fonction de l’intensité des routes : les teintes bleues-vertes pour les voies les moins denses et celles orangées-vermillons pour les plus empruntées. La difficulté de lecture réside dans l’abondance des flux.
Ici, il s’agit de deux cartes de flux, pour l’année 2017, centrées sur l’océan Indien. Dans la première, les points en rouge correspondent à des pétroliers ; en vert les navires de commerce (type porte-conteneurs, conventionnels) ; en bleu les paquebots de croisière ; en gris-rosé les bateaux de pêche. Dans la seconde carte, on voit, en sus, le jalonnement des ports.

Sur la route entre Malacca et Suez, dans la mer d’Andaman, les navires empruntent tantôt le Ten Degree Channel, d’une largeur de 150 km entre Petite Andaman et Car Nicobar, tantôt le Six Degree Channel, d’une largeur de 200 km entre Grande Nicobar et les îles indonésiennes, de Breueh et de Weh, sises à quelques encablures de Banda Aceh. Les îles indiennes de Nicobar et d’Andaman sont idéalement placées au sortir de Malacca. Les Anglais, puis les Japonais (entre 1942 et 45) ont utilisé ces « îles-vigie » pour surveiller les trafics entre les océans Indien et Pacifique. Depuis la fin des années 80, l’Inde y développe des bases militaires (Brewster, Medcalf, 2017). Chaque année, plus de 70 000 navires de commerce croisent au large de ces archipels indiens.

À l’est, des alternatives, en attendant le creusement d’un hypothétique canal dans l’isthme thaïlandais de Kra, permettent de contourner le détroit de Malacca. Ainsi, la route Lombok-Makassar est la voie privilégiée des super-tankers1, mastodontes de plus de 300 000 tonnes de port en lourd (tpl) dans l’incapacité technique de traverser le couloir de Malacca. Plus à l’ouest, la route latitudinale suit le Eight Degree Channel, coupant à travers les Laquedives et les Maldives, avant d’obliquer vers Suez. Le canal qui fut inauguré le 17 novembre 1869 change radicalement la configuration des échanges dans l’océan Indien. Cette ouverture apparaît comme un des événements majeurs de son histoire. Paradoxalement, les îles (Comores, Seychelles, Madagascar, les Mascareignes) se rapprochèrent de leur métropole respective, mais perdirent leur rôle d’escale. Certes la route du Cap continua d’être empruntée par de gros navires, mais désormais l’essentiel du trafic maritime se fit par le canal de Suez à destination de l’Australie, de l’Inde et de l’Extrême-Orient. Depuis, son agrandissement en 2015, le canal autorise le passage de navires de 20 m de tirant d’eau pour une durée de traversée de 11 h 00 (20 000 navires par an, soit 8 % du trafic mondial).

Aujourd’hui, l’océan Indien ne se résume plus uniquement à un espace de circulation maritime. Le pétrole du Golfe, le charbon sud-africain mozambicain ou australien, le riz ou le coton indien donnent corps à ce rivage. Des hubs ont émergé, ces dernières années, sur le pourtour de l’océan Indien. En 2000, on ne comptabilisait qu’un seul port dont le trafic dépassait les 2 millions d’EVP (Dubaï), ils sont une dizaine aujourd’hui. Par ailleurs, une trentaine de ports connaissent un trafic supérieur à 2 500 000 EVP. L’activité portuaire conteneurisée régionale connaît un essor fulgurant, en particulier dans les ports de l’Inde et du Moyen-Orient, au cœur de flux denses. En somme, même s’il reste avant tout une zone de transit entre Est et Ouest, l’océan Indien prend de plus en plus activement part aux échanges mondialisés.

Ces routes maritimes connaissent des perturbations inhérentes aux actes de piraterie. Ils sont le reflet de l’insécurité à terre dans des États qui peinent à se consolider (Grare, 2012). Si, dans l’ouest de l’océan Indien, la piraterie semble sous contrôle, quoiqu’une petite recrudescence des attaques fût notée en 2017, depuis les opérations de trois coalitions navales développées par l’Union européenne (Atalante), l’OTAN (Ocean Shield) et les États-Unis (CTF-151) (Roger-Lacan, 2012), les eaux orientales restent en revanche largement la cible de brigands des mers (le détroit de Malacca est une zone traditionnelle de piraterie).

Les migrations maritimes établies pendant les deux derniers millénaires, porteuses de brassage culturel, et le commerce inhérent ont forgé le visage de l’océan Indien (Beaujard, 2009). Toutefois, ces liens se sont modifiés, voire distendus, à la lumière d’une nouvelle mondialisation. Métamorphosé en espace de transit, cet océan qui a longtemps regardé passer les bateaux abrite aujourd’hui des pôles portuaires de première importance dans l’architecture maritime globale.

1 Le segment de route de Malacca est limité à des navires ayant les caractéristiques suivantes : longueur = 333 m, largeur = 60 m, tirant d’eau = 20,5

Beaujard Ph., « Un seul système-monde avant le 16e siècle ? L’océan Indien au cœur de l’intégration de l’hémisphère afro-eurasien », in P. Beaujard, L. Berger et P. Norel (dir.), Histoire globale, mondialisations et capitalisme, La Découverte, 2009, p. 82‑148.

Brewster D. et Medcalf R., « Joint Standing on the National Capital and External Territories Inquiry into the Strategic Importance of the Indian Ocean Territories », National Security College, 2017, 27 p.

Frémont A., « Les routes maritimes : nouvel enjeu des relations internationales ? », Revue internationale et stratégique, 2008, vol. 69, no 1, p. 17‑30.

Grare F., « Océan Indien : la quête d’unité », Hérodote, 2012, no 2, p. 6‑20.

Roger-Lacan V., « Lutte contre la piraterie, facteur structurant de sécurité en océan Indien ? », Hérodote, 2012, vol. 145, no 2, p. 118‑128.

1 Le segment de route de Malacca est limité à des navires ayant les caractéristiques suivantes : longueur = 333 m, largeur = 60 m, tirant d’eau = 20,5 m, tonnage de port en lourd = 300 000 t.

Figure 1 et Figure 2 Les flux maritimes dans l’océan Indien

Figure 1 et Figure 2 Les flux maritimes dans l’océan Indien

Marine Traffic est un site qui donne en temps réel des informations inhérentes à la position et au déplacement des navires, dans n’importe quelle partie de l’océan mondial.
Les navires, équipés de balises AIS (Système d’Identification Automatique), transmettent en continu leur position, vitesse, escale, destination.
Les cartes produites, agrégation de milliards de points, donnent à lire les densités des routes maritimes. Elles offrent un panorama du trafic maritime. Évolution et poids de ce trafic sont appréciables dans les cartes réalisées par Marine Traffic. Les cartes laissent apparaître un dégradé de couleurs en fonction de l’intensité des routes : les teintes bleues-vertes pour les voies les moins denses et celles orangées-vermillons pour les plus empruntées. La difficulté de lecture réside dans l’abondance des flux.
Ici, il s’agit de deux cartes de flux, pour l’année 2017, centrées sur l’océan Indien. Dans la première, les points en rouge correspondent à des pétroliers ; en vert les navires de commerce (type porte-conteneurs, conventionnels) ; en bleu les paquebots de croisière ; en gris-rosé les bateaux de pêche. Dans la seconde carte, on voit, en sus, le jalonnement des ports.

Marie-Annick Lamy-Giner

MCF en Géographie, Université de La Réunion
marie-annick.lamy-giner@univ-reunion.fr

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