Cet axe propose une lecture des aspects et enjeux géopolitiques dans l’océan Indien à différentes échelles d’analyse. Les acteurs en géopolitique sont tous « ceux qui dotés d’un projet, luttent et s’affrontent pour la domination d’un territoire » (Rosière, 2001).
De l’archipel des Chagos aux baies malgaches ou aux rivages africains, cette session évoque les tensions et osmoses qui ont cours dans un océan Indien, théâtre de rivalités, mais aussi de coopérations, entre acteurs exogènes (États-Unis, Chine) et endogènes (Inde, France, Australie).
Pour l’ensemble des contributions présentées, l’éclairage historique vient donner du relief à des analyses où émerge le concept de géostratégie. Dans la géostratégie, l’espace est appréhendé comme un théâtre (lieu de démonstration de force, de confrontation économique ou diplomatique). Elle est souvent « comprise comme une analyse des rapports de force sur des grands espaces » (Rosière, 2001). Elle implique aussi un aspect sécuritaire plus ou moins affiché ou à l’inverse caché.
C’est sur l’océan Indien vu comme un terrain de compétition entre la Chine et l’Inde que porte la contribution de David Brewster. En filigrane, la place des pays riverains, qu’ils soient petits États secondaires, puissances moyennes ou en devenir, se dessine. Cette nouvelle configuration de l’océan Indien intervient alors même que la présence américaine se fait de moins en moins prégnante. L’aspect sécuritaire amène à sceller ou à conforter les alliances, mais il peut aussi impliquer une montée des tensions entre l’ensemble des forces en présence. Il sous-entend également un risque de marginalisation pour certains pays.
C’est sous un angle différent et complémentaire que Frédéric Grare analyse les dynamiques géostratégiques qui s’enracinent, depuis peu, dans l’océan Indien. Il soulève la question de l’émergence de l’océan Indien comme complexe de sécurité, sur fond de rapport de force entre puissances nouvelles et anciennes. L’auteur explique qu’une gestion pacifique des rivalités dans le grand océan Indien doit s’accompagner de la mise en œuvre d’un multilatéralisme régional certes effectif, mais encore à l’état de squelette, et qui reste en conséquence à définir. À cette fin, l’architecture de la gouvernance régionale doit être repensée pour permettre l’interconnexion de tous les sous-systèmes (politiques, économiques, voire militaires) du bassin indianocéanique.
Dans un contexte stratégique en mutation, mais à plus grande échelle par rapport aux deux autres articles précédents, Christian Bouchard conduit une réflexion sur la place des îles dans le « grand jeu » régional de compétition. Les territoires insulaires de l’océan Indien sont des pièces maîtresses dans le positionnement des puissances grandes et moyennes. Si le contexte global de militarisation est source de pressions sur les îles (politique interne et relations internationales), il favorise aussi le développement de leurs capacités en matière de sécurité nationale, laquelle se prolonge parfois à l’échelle régionale. Les défis sont donc immenses pour des îles qui cherchent à conjuguer prospérité et sécurité.
Avec l’article, écrit à plusieurs mains, par Annabel Céleste, Christian Bouchard et Erwan Lagabrielle, l’étendue maritime est appréhendée comme un objet géographique, voire géopolitique. Le concept de maritimisation se positionne au centre de leur analyse. Par un jeu d’indicateurs, incluant entre autres le transport maritime, les télécommunications, l’exploitation des ressources marines ou la conservation des écosystèmes marins, les auteurs comparent le processus de maritimisation en cours dans les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien à celui des pays africains voisins. Ils mettent en lumière les principaux enjeux géopolitiques de l’océan Indien, lesquels se déclinent notamment en termes de souveraineté (conflits territoriaux), de frontières maritimes (à délimiter), de gouvernance et de contrôle de l’espace marin. Les auteurs s’intéressent aux évolutions récentes du phénomène de maritimisation sur les espaces insulaires régionaux.
L’article d’Alexandre Audard clôt cette rubrique. Il dépeint l’évolution historique du rôle militaire de Diego-Suarez, à la pointe nord de Madagascar. Plusieurs échelles d’analyse donnent à voir cette mutation. La vocation militaire de la baie est étudiée dans un premier temps, et le rôle de la ville d’Antsiranana, sise dans la baie et dont le destin est intimement lié à cet ancrage militaire, est examiné dans un second temps. L’auteur interroge ainsi la place que ce « lieu stratégique » a pu occuper sous la colonisation française et depuis l’indépendance de Madagascar. Aujourd’hui, à la fois courtisé par l’Inde et la Chine, Diego-Suarez cherche encore sa place sur l’échiquier militaire, et sans doute naval, de l’océan Indien.
Les mutations géopolitiques à l’œuvre dans l’océan Indien semblent marquées tout à la fois par la globalisation et la fragmentation. Il est ainsi question, dans cette rubrique de jeux de pouvoir, d’aire de rayonnement et d’influence.