Vieil océan situé depuis l’Antiquité au carrefour d’un « système-monde »1, traversé de réseaux marchands reliant les continents Asie, Afrique et Europe, l’océan Indien a modelé l’histoire de l’Humanité2. Espace immémorial de rencontres des civilisations tant africaines, asiatiques et musulmanes qu’européennes, ce vaste espace culturel a été marqué par des vagues de colonisation, puis de décolonisation. Il constitue un terreau fertile d’études pour qui s’intéresse au pluralisme juridique et aux systèmes de droit étranger. D’aucuns soulignent, en effet, la vitalité de la pensée doctrinale et des systèmes juridiques de l’océan Indien3, pourtant caractérisé par une faible diffusion de sa doctrine juridique en son sein même et à l’extérieur. Dans cette aire géographique éloignée des grandes maisons d’édition juridique, l’accès aux droits des pays de l’océan Indien demeure particulièrement difficile pour le juriste peu coutumier de ces droits, à la recherche de réponses précises à telle ou telle question pratique. Il n’existe, en effet, aucun traité ou manuel approfondi, aucune base de données, tel Doctrinal ou Westlaw, consacrés aux droits des pays de l’océan Indien. Cherchant à se familiariser avec le système juridique de ces pays, le comparatiste et le juriste venus d’ailleurs se contenteront la plupart du temps de textes de lois ou de décisions de justice découverts au détour d’internet, sans guère plus de commentaires.
Néanmoins, au-delà de ces difficultés, dans cet océan impétueux, au carrefour des traditions juridiques, la doctrine en droit est très active. En atteste notamment la Revue juridique de l’océan Indien qui a publié son 30e numéro en 2021. Depuis sa création en l’an 2000 et la parution de son premier numéro en 2001, cette revue à vocation académique assure la promotion et la publication de travaux de recherche dédiés à l’activité juridique dans la zone de l’océan Indien, dans tous les domaines du droit. Elle a survécu à d’autres revues consacrées au droit de la zone4, qui n’ont pas résisté au manque de moyens humains et financiers. Elle est portée et diffusée par l’association LexOI - Le droit dans l’océan Indien dont l’objet consiste à promouvoir le droit de l’océan Indien sous toutes ses formes5. Il n’est donc pas surprenant que l’association ait soutenu dans sa réalisation matérielle le projet ambitieux de Jonas KNETSCH, spécialiste de droit comparé, de constituer une Bibliographie juridique de l’océan Indien. Il n’est pas non plus étonnant que sa trésorière, devenue depuis la présidente de l’association, Hélène Pongérard-Payet, ait tenu à participer à la création en 2017 des Carnets de recherches de l’océan Indien pour y soutenir une dimension juridique ; en écho à un courant doctrinal « postmoderne » favorable à l’ouverture de la discipline juridique aux sciences humaines et sociales, afin de connecter la norme juridique à ses contextes pluriels (géographique, historique, philosophique, politique…). Régulièrement depuis son premier numéro paru le 30 avril 2018, cette revue scientifique à vocation inter et transdisciplinaire publie tantôt des contributions en droit, tantôt des recensions d’ouvrages juridiques, au côté de travaux d’autres disciplines. À ce titre, le 9e numéro des Carnets de recherches de l’océan Indien entend mettre à l’honneur la Bibliographie juridique de l’océan Indien, travail remarquable et de longue haleine, élaboré entre 2013 et 2021 par le professeur Jonas KNETSCH, qui poursuivait une double ambition.
D’une part, l’objectif premier était de valoriser la littérature juridique de l’océan Indien, en « fournissant à la communauté des juristes « indianocéaniques » un outil permettant d’accéder plus rapidement aux sources et de prendre conscience de la richesse des travaux existants »6. Dans une large mesure l’auteur a tenu son pari, puisque son recueil bibliographique réunit près de 3 000 références doctrinales (ouvrages, articles ou rapports publics), classées par ordre géographique et thématique. Édité sous format papier par la LexOI, tout en étant soucieux de toucher les juristes étrangers et anglophones de la zone, le recueil a le mérite d’être publié en version bilingue (en français et en anglais) ainsi que dans une version numérique. Accessible sur HAL et sur le site de la LexOI, cette version propose des liens, derrière les références doctrinales, permettant l’accès direct à un nombre non négligeable d’études (articles de revue souvent, ouvrages plus rarement). Nul besoin donc de se rendre en bibliothèque pour les feuilleter, bien que la majorité des ouvrages ne soit consultable, selon l’auteur, qu’en version papier, sans que l’on sache toutefois lesquels ne peuvent l’être que dans certaines bibliothèques des pays de la zone. Pour réaliser son travail fastidieux de dépouillement des archives, de recensement et de classement des références doctrinales, l’auteur a arpenté des heures durant près d’une trentaine de bibliothèques et a exploité le service de prêt entre bibliothèques universitaires (PEB), en particulier de La Réunion et de Saint-Étienne, ainsi que les sites en ligne existants, tel le site de la Bibliothèque universitaire d’Antananarivo7, dont une partie du fonds documentaire a fait l’objet d’importants travaux de numérisation8. Certaines bibliothèques arpentées se situent en Europe, avec une mention spéciale pour les bibliothèques de l’Institut suisse de droit comparé et de l’Institut allemand Max-Planck de droit privé comparé et international à Hambourg, sans que l’on sache si son pendant en droit public et international comparé a pu aussi être visité à Heidelberg. D’autres bibliothèques se situent dans les pays et territoires de la zone circonscrite par l’auteur, avec une mention spéciale pour l’« Espace Océan Indien » du Service commun de documentation de l’Université de La Réunion, dont le fonds documentaire a reçu, en 2018, le label « Collection d’excellence pour la recherche »9.
D’autre part, « l’objectif était d’établir une photographie la plus complète possible des recueils de textes juridiques et des études doctrinales réalisées sur le droit dans l’océan Indien »10. En réalité, alors que l’océan Indien est très vaste, en étant situé entre l’Afrique, l’Asie, l’Australie et l’Antarctique, le recueil bibliographique ne couvre, ratione loci, que huit pays et territoires de la zone, sélectionnés par l’auteur en synergie avec ses missions d’enseignement et de recherche. À la fois regrettable à certains égards et légitime, cette sélection se justifie par la volonté de mener à terme un projet ambitieux de recherche bibliographique. Aussi le recueil se concentre-t-il sur le droit de cinq pays de l’océan Indien (les Comores, p. 17-37 ; Madagascar, p. 39-130 ; Maurice, p. 131-199 ; le Mozambique, p. 229-257, et les Seychelles, p. 281-283) ainsi que sur le droit de trois collectivités françaises d’outre-mer (Mayotte, p. 201-227 ; La Réunion, p. 259-279, et les Terres australes et antarctiques françaises-TAAF, p. 295-303), tout en consacrant un dernier chapitre à quelques études transversales sur les droits de l’océan Indien (p. 305-314), dont l’objet consiste à présenter des aspects transnationaux ou à comparer plusieurs systèmes juridiques. Le recueil facilite ainsi la connaissance du droit, non seulement de plusieurs îles du sud-ouest de l’océan Indien, formant le cœur même de l’Indianocéanie11, mais également d’un pays africain, pays bordier de l’océan Indien, et d’une collectivité française sui generis, sans population civile permanente. Il contribuera à abolir, dans une certaine mesure, les distances avec le droit et la doctrine juridique de ces pays et collectivités.
Ratione temporis, aucune période n’a été privilégiée par l’auteur qui a choisi de ne pas écarter de son ouvrage les études au contenu a priori obsolète. En conséquence, le lecteur intéressé par des études notamment de droit malgache ou de droit mauricien y trouvera tant des ouvrages et recueils de textes d’avant l’indépendance12 que des études de droit positif. De même, alors que les recherches juridiques sur La Réunion demeurent peu nombreuses, en raison du faible particularisme juridique de la collectivité, le lecteur intéressé par le droit foncier de l’île y trouvera des études datant de l’époque coloniale, du temps où l’île avait été baptisée « Île Bourbon ». L’auteur justifie son choix « par l’intérêt que représente l’évolution du droit pour la compréhension du droit positif, surtout dans les pays dont le système juridique n’a guère suscité d’études juridiques approfondies »13.
Ratione materiae, l’auteur classe les références doctrinales par ordre thématique, en privilégiant pour l’essentiel la structure académique du droit français, qui distingue le droit public, le droit privé et le droit pénal. Fort utilement, cette structuration de principe est complétée, non seulement à l’aide de catégories générales sur les droits présentés, les sources juridiques et l’organisation de la justice, mais également à l’aide de catégories transversales permettant de prendre en considération les droits mixtes (droit foncier, de l’environnement ou de la santé). Ainsi, pour chaque pays ou territoire au cœur de l’ouvrage14, les références sont ordonnées selon un plan identique : Généralités sur le droit du pays ou de la collectivité, Sources du droit15, Droit international (public et privé)16, Droit public17, Droit privé18, Droit pénal19, Droits mixtes, Organisation de la justice20. À l’intérieur de chacune de ces catégories, les références sont classées dans l’ordre académique recommandé pour les travaux universitaires : ouvrages, thèses et mémoires, articles de doctrine et rapports publics21. Les notes de jurisprudence sont, toutefois, absentes du recueil pour des raisons de praticabilité de l’ouvrage selon l’auteur, qui référence par ailleurs des travaux aussi bien d’apprentis chercheurs que de chercheurs confirmés22. Les références sont classées de manière méthodique, avec des renvois internes pour celles pouvant être répertoriées à divers titres. En outre, plusieurs « dossiers bibliographiques », dont une table aurait mérité d’être établie à la fin de l’ouvrage, facilitent l’accès à certaines problématiques juridiques, qui sont récurrentes dans la zone, telle la question du statut de l’archipel des Chagos (British Indian Ocean Territory) au regard du droit international public et des droits fondamentaux (p. 139-148) ou encore celle du statut de Mayotte au regard du droit international public (p. 204-207) ou du droit de l’Union européenne (p. 208-209)23.
De manière générale, la Bibliographie juridique de l’océan Indien a été conçue, non pas comme une simple compilation de références, mais comme une véritable base de données, afin de devenir un outil incontournable d’aide à la recherche juridique pour les chercheurs universitaires ou praticiens du droit, curieux de connaître les systèmes juridiques de l’océan Indien. Gageons que cette Bibliographie inédite contribuera pleinement à « faciliter le travail des juristes et chercheurs intéressés par le droit dans l’océan Indien »24. Espérons également que l’auteur, qui est professeur de droit privé et de droit comparé à l’École de droit de la Sorbonne (Université de Paris 1), puisse tenir son engagement25 de compléter et mettre à jour ce premier travail colossal de recensement et qu’ainsi d’autres éditions, portées par la vivacité de la doctrine juridique de l’océan Indien, verront le jour.