DOI : 10.26171/carnets-oi_0403
Introduction
Les réflexions autour de la notion d’exotisme sont nombreuses notamment dans le domaine de la géographie. Ses acceptions sont multiples. L’exotisation d’un territoire dans un cadre touristique consisterait à apporter des représentations stéréotypées aux discours portant sur une destination afin de la rendre propice au tourisme. C’est ce que Lionel Gauthier appelle « l’exotisme souverain » (2008 : 56). Dans le cas des voyages vers La Réunion, les touristes venant de l’hexagone restent en France. Mais leur destination s’avère éloignée de plus de dix mille kilomètres. Sur ces caractéristiques de la proximité et de l’éloignement, l’IRT construit l’image exotique de La Réunion.
En effet, créée en 2007 et financée par le Conseil Régional, l’IRT travaille pour « le suivi de l’observation touristique »1. Ce comité régional de tourisme gère également « la coordination et la gestion des actions de promotion touristique de la destination Réunion sur les marchés locaux, nationaux et internationaux » comme l’annonce leur site internet officiel. L’IRT cherche à promouvoir l’île par le biais, notamment, de la publication de vidéos promotionnelles sur la plateforme Youtube. Notre étude cherche donc à déterminer les moyens mobilisés pour promouvoir l’île. Comment s’exprime cette exotisation du territoire dans les vidéos promotionnelles de l’IRT ? Comment la promotion de La Réunion s’opère‑t‑elle ?
Pour répondre à ces questions, nous proposons d’approcher l’exotisme du point de vue sémiotique. Nous verrons d’une part, les différentes acceptions de « l’exotisme » et présenterons celle que nous avons retenue. D’autre part, ayant constaté que les quatre vidéos les plus populaires de la chaîne YouTube de l’IRT – par leur nombre de vues – illustrent cette exotisation, nous les avons regroupées en un corpus afin de comprendre ce processus. En effet, publiées entre 2016 et 2018 et attachées au slogan « La Réunion, île intense », ces vidéos montrent « tout ce qui fait l’ambiance des récits de voyages, d’explorations, d’aventures – mystère, amour du danger et du risque, nostalgie de la pureté et de la beauté idéale » comme l’explique Leonid Heller (2009 : 3). Elles nous permettent alors d’analyser les représentations proposées de La Réunion, de manière synchronique, mais aussi les procédés rhétoriques utilisés.
Nous consacrerons une seconde partie de notre travail à l’analyse de l’efficacité des stratégies mises en place au travers de deux enquêtes de terrain auprès de Réunionnais et de personnes ne connaissant pas La Réunion. Comme le précise Dominique Maingueneau, « on s’est vite aperçu que ce n’était pas si simple, qu’on aurait beau multiplier les relevés, on ne pourrait jamais recenser tous les types d’énoncés possibles dans une langue » (1996 : 63), nous ne pourrons pas appréhender avec précision toutes les images de La Réunion qui peuvent exister dans l’imaginaire des touristes. Cependant, ces enquêtes nous permettront de constater l’existence de différents types de vidéos promotionnelles, de connaître leurs effets sur des personnes qui ne connaissent pas l’île et les interprétations des Réunionnais concernant l’appellation « île intense ».
La notion d’exotisme et sa présence dans les vidéos promotionnelles de l’IRT
Le géographe Jean-François Staszsak note la complexité du terme « exotique » en français tandis que l’anglais distingue « exoticism » de « exotism ». Il ajoute aussi que « l’exotisme n’est ainsi jamais un fait ni la caractéristique d’un objet : il n’est qu’un point de vue, un discours, un ensemble de valeurs et de représentations à propos de quelque chose, quelque part ou quelqu’un » (2008 : 8).
D’après Christian Germanaz, « l’exotisme fait aujourd’hui un retour en force sous de nouveaux oripeaux ». Il est « mobilisé comme stratégie d’appel pour vendre des destinations singulières » (2018 : 20).
Cet exotisme « souverain » comme le qualifie Lionel Gauthier (2008 : 56) a également été qualifié comme un exotisme « marchand » par d’autres chercheurs tel que Christian Germanaz :
Il en est une contrefaçon habillement dissimulée qui fabrique des clichés. Ceux-ci participent à la tentative d’un réenchantement du monde par le « beau paysage », en mettant en valeur la « griffe identitaire » comme nouvel exotisme (ibid. : 20).
En faisant référence à « une contrefaçon dissimulée », l’auteur affirme qu’il s’agit d’une pratique volontaire à visée commerciale.
C’est en cela que notre positionnement s’éloigne de la vision d’autres cher-cheurs comme Carlos Alfonso López Lizarazo qui estime qu’il « s’agit plutôt d’un positionnement ethnocentrique qui assume la supériorité d’un groupe sur un autre qu’un “nous” a défini comme arriéré, barbare, primitif, sauvage, étrange » (2008 : 159).
En effet, l’IRT ne fait que jouer son rôle de promoteur de l’île. Il ne s’agit pas de faire ressentir une « nostalgie du primitivisme » (ibid. : 159) mais plutôt de montrer les singularités de l’île avec une dimension territoriale en répondant à l’exotisme recherché par les touristes. Les propositions de l’IRT pour vendre La Réunion cor-respondent à ce que les gens demandent. D’un côté, les Européens qui ont déjà un imaginaire associé à l’espace insulaire mais aussi les Réunionnais, comme nous le verrons plus tard, qui souhaitent avoir une belle image de leur lieu de résidence. D’ailleurs, Tzvetan Todorov évoque le fait que « ce qu’on valorise n’est pas un contenu stable, mais un pays ou une culture définis exclusivement par leur rapport avec l’observateur » (1989 : 355).
L’IRT tire donc profit de l’exotisation du territoire, d’abord dans un but financier, mais également pour mettre en exergue les richesses et les atouts qui sont propres à l’île. Comme le souligne Gauthier, « l’exotisme souverain, c’est l’appropriation de l’exotisme que l’on suscite » (2008 : 58). Cependant, ces vidéos promotionnelles ne décrivent plus avec exactitude les réalités de l’île car son image est sublimée. Frank Lestringant considère, par ailleurs, que la dénégation de l’exotisme est devenue un « argument publicitaire » (2008 : 70). L’évolution des représentations de l’île engendrent alors un dépassement de l’exotisme.
Ainsi, la distance entre le territoire exotisé et l’Occident est une condition sine qua none pour le considérer comme étant exotique. Anne-Marie d’Hauteserre affirme que « le préfixe “exo” souligne la distance et le déplacement qui s’effectuent à partir de l’immédiat, du proche vers l’étranger » (2009 : 280). Il s’agit, comme le nomme Gauthier, « d’un double éloignement […] d’une part symbolique (par rapport à un modèle de référence, une norme), et physique d’autre part (distance) » (2008 : 49). Germanaz souligne également que « pendant de longues années, la distance physique a été une condition déterminante pour la découverte de l’exotisme » (2018 : 7). Mais la « massification des déplacements » (ibid. : 7) a fait perdre de son poids à l’exotisme. C’est ce qu’avance aussi Sylvain Venayre : « défini fondamentalement par son éloignement de l’Europe et de la civilisation, l’espace de l’aventure était donc d’abord un espace rêvé, un espace entièrement imaginé – et non un espace vécu, représentation produite de l’expérience qu’on aurait pu avoir de sa réalité » (2001 : 5). Nous reviendrons par ailleurs sur cet imaginaire entretenu par les voyageurs.
Les touristes doivent trouver des avantages à choisir La Réunion plutôt que son « île soeur », l’île Maurice ou encore Les Seychelles, destinations qui évoquent également le soleil, la mer turquoise et les plages de sable fin.
D’abord, comme pour tous les touristes d’Europe, il n’est pas nécessaire pour le voyageur venant de l’hexagone d’effectuer un échange de monnaie car l’euro reste la devise utilisée sur l’île. Il conserve également ses privilèges de citoyen français et peut mobiliser le français, langue officielle réservée au sérieux et associée à la réussite, particulièrement valorisée en raison des représentations diglossiques. Le créole réunionnais, lui, est destiné à la sphère familiale ou amicale. Pascal Duret et Muriel Augustini ont montré le dualisme qui se joue sur la scène linguistique réunionnaise. Ils évoquent notamment la diglossie et son effet sur les touristes en affirmant que « le rapport à la langue vise tout à la fois à sécuriser le voyageur timoré en lui rappelant qu’il pourra s’exprimer et se faire comprendre aisément, mais aussi à allécher le touriste en mal d’exotisme en soulignant la vitalité du patois créole » (2002/3 : 445). Pour correspondre à chaque profil de touriste, il est pourtant nécessaire de montrer à la fois cette possibilité d’utiliser le français et l’utilisation du créole par les Réunionnais. C’est ce qu’explique d’ailleurs André Rauch : « l’effacement de la différence au point que l’autre ne soit plus un étranger, mais un semblable, mettrait incontestablement un terme à l’exotisme et porterait un coup fatal à l’industrie des voyagistes » (2002 : 390). L’exotisme serait donc nécessaire pour la pérennité du tourisme à La Réunion.
Pour les linguistes, le terme « exotique » est un embrayeur au même titre que les déictiques spatio-temporels comme « ici » ou « maintenant ». Comme le précise Staszsak, ils « relèvent du discours et non du récit » (2008 : 8). Ils deviennent souvent synonymes de « tropical ». Ekaterina Velmezova ajoute qu’il « n’y aurait pas plus d’“exotisme” à l’ouest qu’au nord, […] même si, évidemment, la réalité géographique ne coïncide pas toujours avec ses représentations chez les locuteurs de différentes langues » (2009 : 2). L’exotisme reste donc un sentiment Européen qui peut se matérialiser au sein des discours.
Pour correspondre à cet imaginaire relatif à l’insularité, l’IRT doit se conformer à ce que les touristes imaginent de l’île qui conduit à une stéréotypie des représentations du territoire. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur la manière dont se manifeste l’exotisme dans des vidéos promotionnelles consacrées à l’Île de La Réunion. Elles figurent dans la catégorie des vidéos les « plus populaires » car leur visibilité sur la plateforme YouTube est plus importante. L’écart entre ces nombres de vues indique qu’un budget a été déployé afin de gagner en visibilité. Il était donc important de savoir quel type de vidéos était mis en avant par l’IRT et de comprendre leur construction. Les vidéos sélectionnées dans le cadre de notre analyse sont donc au nombre de quatre :
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Vidéo 1 : « Ile de La Réunion, île intense » publiée le 16 septembre 2016, d’une durée de 4 minutes et 33 secondes.
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Vidéo 2 : « La Réunion, l’île intense : hiver austral » publiée le 19 avril 2018, d’une durée de 1 minute et 21 secondes.
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Vidéo 3 : « La Réunion, terre d’aventures » publiée le 27 juin 2018, d’une durée de 2 minutes et 30 secondes.
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Vidéo 4 : « La Réunion, l’île intense : été austral » publiée le 26 août 2018, d’une durée de 1 minute et 21 secondes.
Nous procéderons à une analyse des discours des textes de présentation de ces vidéos avant d’analyser leurs images pour ensuite mettre en évidence les procédés utilisés. Pour ce faire, nous aurons également besoin de mobiliser deux enquêtes de terrain. La première a été réalisée auprès de Réunionnais et la seconde, auprès de personnes qui représentent le public ciblé par l’IRT, c’est-à-dire, des spectateurs résidant dans l’hexagone et qui n’ont jamais voyagé à La Réunion. Les résultats de nos enquêtes nous permettront alors de comprendre l’effet produit par ces vidéos sur les spectateurs et de voir si l’exotisation est perçue par les personnes interrogées.
Des descriptions exotiques
Le spectateur peut lire une description relative à la vidéo qu’il regarde. Dans la première vidéo, intitulée « Ile de La Réunion, île intense », il y est expliqué que :
L’île de La Réunion est d’une richesse sans pareil, il est possible d’y vivre des expériences inédites qu’elles soient sportives, culinaires, émotionnelles ou sensorielles. Cela est en grande partie dû à l’histoire, au métissage des peuples et à la préservation de l’environnement dans lequel nous vivons, sans égal dans le monde.
Ce texte donne au spectateur un avant-goût d’un environnement pittoresque et unique. Les termes « sans pareil », « expériences inédites » et « sans égal » singularisent La Réunion des autres îles de l’océan Indien. Ces représentations exotiques sont nombreuses. Le texte met également en avant la diversité de ces expériences qui peuvent être « sportives, culinaires, émotionnelles ou sensorielles » afin de toucher le maximum de touristes.
De plus, en parlant de la « préservation de l’environnement », l’IRT rappelle, implicitement, que La Réunion s’investit pour l’écologie par le biais, notamment, de l’écotourisme ou de l’agro-écologie. Comme l’indique Catherine Kerbrat-Orecchioni, il existe une hiérarchisation des éléments présents dans un « contenu ». Dans ce texte, nous sommes face à un implicite – qui comprend « présupposés » et « sous-entendus ». Le sous-entendu ici est une allusion qui « fait implicitement référence à un ou plusieurs faits particuliers connus de certains des protagonistes de l’échange verbal » (1986 : 49). Même si le modèle de l’auteure concerne des situations d’interactions verbales, la notion d’implicite s’applique ici. En effet, ce sont les références culturelles qui créent l’implicite. Cette allusion permet donc d’élargir le public ciblé par l’IRT. Elle fait également de La Réunion un territoire innovant de l’océan Indien qui conforme ses politiques écologiques à celles de la métropole. En d’autres termes, l’IRT tente bien de toucher tous les profils de visiteurs.
Cette description évoque aussi l’Histoire de La Réunion pour la mettre en valeur : « cela est en grande partie dû à l’histoire, au métissage des peuples ». Le passé colonial de l’île reste présent dans le discours.
La seconde vidéo, « La Réunion, l’île intense – hiver austral », s’attarde également sur une panoplie d’activités diverses et variées :
De mai à octobre, c’est l’hiver austral à La Réunion. En cette saison, vous pourrez contempler le ballet féerique des baleines à bosse. Si vous êtes férus de randonnée, vous pourrez parcourir les plus beaux sentiers de l’île sous des températures douces et agréables. Vous découvrirez une île authentique, où vous serez accueillis chaleureusement par une population venus d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Inde qui vous fera partager son art de vivre à la réunionnaise. Les gourmands et les gourmets apprécieront tout particulièrement les saveurs épicées de la cuisine locale : un feu d’artifice de senteurs tropicales ! Sans oublier les fruits exotiques de saison qui n’auront plus de secret pour vous !
Les adjectifs mélioratifs utilisés sont nombreux : « féerique », « beaux », « agréables », « authentique ». L’adverbe « chaleureusement » permet de mettre en valeur les différentes populations qui vivent sur l’île. Il renvoie à des notations affectives, à la convivialité des Réunionnais. La diversité de la population réunionnaise est mise en avant avec l’énumération : « une population venue d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Inde » rappelant implicitement son passé colonial.
Deux occurrences du verbe « pouvoir » dans « vous pourrez contempler le ballet féerique des baleines » et « vous pourrez parcourir les plus beaux sentiers » viennent montrer les possibilités qui s’offrent au voyageur. Les emplois du futur simple vont ensuite enchérir cette quantité d’opportunités : « vous découvrirez », « vous serez accueillis », « qui vous fera partager », « qui n’auront plus de secret pour vous ».
Nous notons également que la description s’adresse directement au lecteur comme le ferait par exemple un guide touristique afin de placer le destinataire au centre de l’action qu’il pourrait faire prochainement, mais aussi de créer une proximité.
Toutefois, l’adjectif possessif dans « son art de vivre » dénote un fossé entre les visiteurs et les Réunionnais. Ce clivage fait de la population des « acteurs de cette mise en tourisme » comme le précise Amandine Chapuis et Sébastien Jacquot (2014 : 83).
Des notations visuelles et olfactives peuvent être également perçues grâce à des termes comme « contempler » ou encore « les saveurs épicées ». L’expression « le ballet féerique des baleines à bosse » permet à la fois de dénoter une ambiance visuelle et auditive.
La troisième vidéo, « La Réunion, terre d’aventures », utilise le même procédé à la différence près que celle-ci restreint ses thématiques et s’adresse plutôt aux sportifs. Le descriptif de la vidéo est alors plus condensé que les autres. Cependant, consacrer une vidéo centrée sur le sport est un atout non négligeable pour La Réunion. Médiatisées notamment grâce au Grand Raid, les activités en plein air représentent un avantage qui démarque l’île de son « île sœur », l’île Maurice. Est alors annoncé dans le texte de description :
Féru d’activité physique ? La Réunion est une destination dynamique où l’on ne s’ennuie pas une minute ! Un vaste programme d’activités de loisirs et de plein air vous y attend…
Les textes courts n’enlèvent rien à la richesse linguistique du corpus. En effet, dans la rhétorique de l’image, Roland Barthes explique que « seul le message linguistique compte, car ni sa place ni sa longueur ne semblent pertinentes (un texte long peut ne comporter qu’un signifié global, grâce à la connotation, et c’est ce signifié qui est mis en rapport avec l’image) » (1964 : 43-44). C’est ainsi que le spectateur qui s’est intéressé en amont à cette destination peut y voir l’implicite qui règne dans cette vidéo : le grand raid. Le texte s’attarde à montrer le dynamisme de l’île et de son « vaste programme d’activités » en s’adressant toujours directement au spectateur : « vous y attend ».
Enfin, dans la quatrième vidéo intitulée « La Réunion, l’île intense : été austral », le texte descriptif est source de découvertes et d’insolite pour les spectateurs :
De novembre à avril, c’est l’été austral à La Réunion. En cette saison, vous contemplerez les manteaux rouges des flamboyants majestueux en plein mois de décembre. C’est la saison chaude et humide où il fait en moyenne 30 °C et ou les fruits de saison se dégustent en abondance : letchis, ananas, mangues… L’été austral est la période idéale pour s’adonner à la plongée ou aux activités en eaux-vives comme le canyoning.
Les choix en matière de grammaire et de lexique sont identiques à la vidéo « La Réunion, l’île intense : hiver austral ». Mais la force de cette description réside en son cadre temporel : « de novembre à avril », et « en plein mois de décembre » créent une emphase sur le fait qu’il soit insolite de ressentir « en moyenne 39 °C » en fin d’année. C’est en cela que ce texte touche la curiosité du spectateur. Là aussi, les notations visuelles et affectives sont très présentes avec, par exemple, l’utilisation de verbes comme « contempler » ou la présence d’images tel que « les manteaux rouges des flamboyants ».
Aussi, La Réunion, par sa petite taille, permet de passer d’une activité à une autre, de la plage à la montagne, dans une même et seule journée. C’est ce que renvoient par ailleurs implicitement ces textes qui regroupent plusieurs activités dans une même description.
Finalement, ce que Amandine Chapuis et Sébastien Jacquot expliquent à propos de la mise en tourisme des présences migratoires à Paris s’applique ici. En effet, ces textes de présentation axent « leur discours sur l’expérience multisensorielle du visiteur […] et s’appuient sur des “traces” matérielles (enseignes, saris dans les devantures des boutiques…) ou intangibles (odeurs d’épices, langues entendues dans la rue, sonorités musicales s’échappant des cafés…) » (2014 : 77). Nous notons également que deux vidéos sur quatre font référence à l’Histoire de La Réunion, rappelant donc son passé colonial.
Malgré ces textes plutôt homogènes, nous constatons cependant qu’il règne, au sein de ces vidéos, un contraste entre traditions réunionnaises et modernité.
Des images stéréotypées, entre traditions et modernité
Toutes les vidéos qui ont été sélectionnées pour notre corpus présentent souvent les mêmes images stéréotypées qui peuvent trouver leur origine dans le cinéma ou la littérature. Carpanin Marimoutou analyse l’utopie d’une île créole et pense que « les littératures des îles créoles de l’océan Indien ou sur ces îles proposent ainsi des scénarios utopiques qui s’affrontent » (2018 : 3). Il ajoute également que si « l’île est ainsi propre à occuper dans les imaginaires européens la place d’un éden, c’est aussi que, dans la Bible, ce dernier est déjà défini comme une terre entourée d’eau » (ibid. : 5).
Composés d’éléments inconnus créant totalement un fossé avec le quotidien du touriste, les éléments exotiques cités ne doivent cependant pas trop le dépayser. Hécate Vergopoulos qualifie « l’insolite » comme étant un « adjectif [qui] sert à qualifier ce qui sort de l’habituel, de l’ordinaire » (2010 : 8). Autrement dit, une chose qui est qualifiée d’insolite dans le milieu touristique est généralement positive mais peut déranger une personne qui n’y serait pas habituée. Les promoteurs de l’île « doivent savamment doser cet exotisme » comme le précise d’Hauteserre (2009 : 284).
Nous notons par exemple qu’aucun élément ne permet au spectateur de penser aux risques liés à cet environnement tels que les requins ou les moustiques.
Il s’agit toujours de montrer la différence et l’inconnu comme des choses valorisantes. Les vidéos mettent aussi à disposition des spectateurs des informations culturelles. C’est là que s’opère le plus la puissance de cette exotisation. En effet, sont distillés à travers la majorité des vidéos des plans sur la danse, les monuments religieux ou encore la gastronomie.
Ces images relatives à la culture réunionnaise permettent de créer un premier contact et de rendre accessible ce qui paraît éloigné du voyageur en mobilisant ses sens (l’audition, la vue) et ses affects. Le spectateur peut ainsi se projeter mentalement plus aisément dans le lieu de ses prochaines vacances.
Aussi, comme nous l’avons dit précédemment, il est important de donner à voir au destinataire ce qu’il imagine déjà de l’île : la plage, les fruits tropicaux, les randonnées au coeur des paysages luxuriants. L’IRT inclut donc des signes véhiculant des significations déjà connues du spectateur. Nous pouvons voir, par ailleurs, que trois vidéos sur quatre présentent toutes ces thématiques :
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La diversité des paysages (plages, montagnes, volcan)
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Les activités sportives
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La gastronomie
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La musique
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La danse
Il est également important de proposer au spectateur certains aspects qu’il ne connaitrait pas. Les danses typiquement réunionnaises avec les vêtements traditionnels sont par exemple présents. D’ailleurs, selon Staszsak, qui a travaillé notamment sur l’exotisme relatif à Tahiti, la danse traditionnelle d’un territoire fait partie de son folklore et donc de l’exotisation :
Les touristes sont friands de ces spectacles en raison de leur sincère intérêt pour les traditions polynésiennes (aussi ré-inventées qu’elles soient) et du fait de la qualité de la performance. Mais ils ne sont pas insensibles à l’exotisme du spectacle de ces danses à la chorégraphie pour eux étonnante, à la typicité des costumes des danseurs et des danseuses, aux charmes de leurs jeunes corps plus ou moins exposés. (2008 : 17)
Ce que l’auteur propose comme interprétation des danses polynésiennes est applicable pour La Réunion. Aussi, Anne Decoret-Ahiha ajoute que « les danses extra occidentales représentées en France continuent encore bien souvent d’être perçues au travers du prisme de l’imaginaire exotique » (2006 : 157).
La danse et le chant réunionnais avec le séga et le maloya font partie du patrimoine de l’île et rappellent les traditions insulaires. Mais ces éléments culturels ne sont pas les seuls à être évocateurs des traditions de l’île. En effet, dans chacune de ces vidéos sont présentées des caractéristiques inhérentes à La Réunion mais elles sont parfois exacerbées. Nous pensons notamment à la présence d’une Mehari plutôt qu’une voiture plus traditionnelle dans la vidéo « La Réunion, île intense – été austral ». Cette image reflète ce que relève Augustin Berque à propos du sentiment des Occidentaux au regard de l’Orient :
c’est aussi, en revanche, la raison pour laquelle l’Orient n’a cessé de fasciner les Occidentaux. En effet, ils y pensent trouver un monde où sentiment et réalité ne s’excluraient pas. Un monde étranger au dualisme (2002 : 50).
Dans la vidéo « La Réunion, île intense – été austral », la thématique de la danse reste toujours présente. Cependant, les protagonistes portent des tenues plus occidentales. En effet, vêtue d’un chemisier et d’un jean, la tenue de cette jeune femme contraste aussi bien avec la scène englobante qu’avec le plan où des musiciens jouent d’instruments typiquement réunionnais comme le kayamb.
Plus précisément, cette « scène englobante » que nous venons d’évoquer permet de mieux comprendre ce que l’on appelle communément la « situation d’énonciation ». Maingueneau (1998 : 8) propose de définir trois scènes, de plus en plus réduites. Dans notre étude, la scène englobante est le discours publicitaire. Concernant « la scénographie », la vidéo intitulée « La Réunion, île intense : été austral » est un bon exemple de cas où le spectateur voit une scène narrative. Cette vidéo est quelque peu particulière car elle s’appuie sur le même schéma qu’un film de voyage. Elle tente alors de s’éloigner des représentations connues de La Réunion par le biais des documentaires par exemple qui s’appuieraient davantage sur la faune, la flore et les paysages.
D’ailleurs, l’une des vidéos de l’IRT, un peu à part, correspond à ce schéma des documentaires traditionnels. Il s’agit de la vidéo intitulée « La Réunion, terre d’aventures ». Comme nous l’avons dit précédemment, c’est celle qui ne s’attarde pas sur les thématiques culturelles. Les activités sportives et les paysages sont les thématiques les plus récurrentes. Nous notons la présence de sept activités différentes :
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La course à pied
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La randonnée
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Le canyoning
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La tyrolienne
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La plongée
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Le parapente
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Le paddle
Néanmoins, la musique choisie pour cette vidéo ne fait pas partie du registre réunionnais. Il s’agit du morceau « Dirty Work » du groupe américain Welshly Arms. Le fait que cette vidéo soit différente des trois autres n’est pas dû au hasard. Sur le site de l’IRT, il est mentionné que : « le Grand Raid figure parmi les 15 courses les plus difficiles du monde et réunit des participants venus de plus de 30 nations différentes2. ». En ajoutant que « 42 % de son territoire est inscrit au Patrimoine mondial par l’Unesco », nous pouvons donc comprendre que cette vidéo est complémentaire. Elle ajoute une plus-value à l’île afin de toucher le plus grand nombre de touristes.
Aussi, la Mehari, dans la vidéo « La Réunion, île intense – été austral », sillonne les routes de l’île, seule, sans croiser un autre automobiliste. Ce détail correspond à l’exotisme recherché par l’IRT. En effet, il est insolite pour une personne venant des grandes villes, habituée aux transports en commun et à la foule, de pouvoir se déplacer dans ce genre de véhicule. Aussi, le choix de la Mehari pourrait faire penser que La Réunion est un espace où la perception au temps semble différente qu’en Europe. Cette voiture, surtout produite dans les années 70 et 80, a été popularisée par exemple par des films comme Les gendarmes de Saint-Tropez. Cet élément construit donc une sorte d’anachronisme inversé – parachronisme – qui ferait exister aujourd’hui un objet du passé. L’IRT mélange les traditions à la modernité en montrant des aspects de l’île qui pourraient être associés à La France « d’avant » – ce qui pourrait donc plaire aux nostalgiques du passé. Le comité du tourisme joue donc bien son rôle de promoteur de La Réunion.
Dans la vidéo « La Réunion, île intense – hiver austral », la nouveauté ne cesse d’apparaître pour le spectateur : coupeur de cannes, repas servi dans des feuilles de bananier, cari au feu de bois, sont des éléments qu’il ne pourrait retrouver chez lui. La musique vient également appuyer cette diversité avec notamment les changements de tempo, les transitions et l’alternance des registres – musique réunionnaise, indienne et parfois presque mystique. L’exotisation de ces images montre aussi que tout ce qui se produit à La Réunion éveille chaque sens du touriste :
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L’ouïe par la musique réunionnaise, le chant des oiseaux
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Le goût par la gastronomie réunionnaise
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L’odorat grâce aux épices et aux effluves marines
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La vue qui est, bien entendu, le sens le plus sollicité face à toutes ces images
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Les affects sont également sollicités avec les images des sourires des visiteurs et des Réunionnais mis en scène dans la vidéo.
Même si, devant son écran, il ne peut pas interagir avec ces éléments, on lui montre par ces vidéos ce qui lui serait possible en étant sur l’île.
Dans ces vidéos, l’IRT tente de mettre tous les aspects de l’île en avant que ce soit la plage, la montagne, les activités ou la culture réunionnaise. Au début des années 2000, des chercheurs comme Duret et Augustini avaient justement montré que l’opposition entre la mer et la montagne n’était pas perspicace : « il est vain d’y opposer la mer à la montagne : il serait préférable d’associer les deux » (2002/3 : 445). Les vidéos promotionnelles tentent désormais de montrer plusieurs facettes de l’île. Les promoteurs sont contraints de présenter une image enchanteresse de La Réunion mais le discours touristique se renouvelle et un changement de regard s’opère.
Comme le souligne Christian Germanaz « cette artialisation in visu évoquée par Alain Roger suppose une conscience du paysage qui émerge assez souvent d’une sensation de beauté ou d’effroi, d’angoisse ou de plénitude… ou d’exotisme » (2018 : 8). Dans le cadre de ces vidéos promotionnelles, les images ne peuvent qu’être sublimées afin d’attirer de nouveaux touristes.
Nous remarquons toutefois que les actes de langage oraux sont peu nombreux ou inexistants. En effet, seule l’énonciation « La Réunion, île intense » peut être entendue dans deux vidéos promotionnelles, « La Réunion, île intense – été austral » et « La Réunion, île intense – hiver austral ».
Analyse de l’efficacité de ces discours
« La Réunion, l’île intense »
Seules deux vidéos comptent un acte de langage oral. Nous pouvons entendre la phrase « La Réunion, île intense » prononcée par une voix féminine. Dans cette énonciation, nous constatons une courte pause entre « Réunion » et « île » qui permet de mettre en évidence le nom du territoire. Il ne s’agit pas d’une pause primaire – comme une pause de respiration – mais d’une pause rhétorique. Danielle Duez la définit ainsi : « localisées à l’intérieur d’un syntagme, elles sont inattendues et donnent au mot qu’elles précèdent son poids sémantique maximum. Ces pauses sont aussi appelées pauses “rhétoriques” » (1999 : 92). L’importance se concentre donc ici sur « La Réunion ».
Le discours oral présenté dans ces vidéos promotionnelles n’est pas surchargé. Elles essaient d’être performantes dans les images qu’elles véhiculent et les seuls mots prononcés donnent l’impression d’un résumé bref – mais puissant – de ces mêmes images. Dans L’hétérogénéité du discours publicitaire, Monserrat Lopez Diaz affirme que la publicité est un « discours bref par excellence, constitué en mosaïque, qui annexe non seulement d’autres genres mais aussi son propre discours » (2006 : 143). Contrairement aux documentaires, les concepteurs de ces vidéos misent plus sur les images que sur les textes ou un élément oral. Les images sont suffisamment éloquentes.
La vidéo « Ile de La Réunion, l’île intense » par exemple se contente de s’ouvrir et de se fermer par le même texte, sans lecture : « L’île intense, île de La Réunion ». C’est également le cas avec la vidéo « La Réunion, terre d’aventures » qui se clôture uniquement avec le texte « La Réunion, l’île intense ».
Karine Berthelot-Guiet analyse ce phénomène dans plusieurs publicités. Elle affirme que « ce recours spécifique à la néologie est d’autant plus perceptible que le discours publicitaire est, par nature, hautement néologique, dès lors qu’il intègre un nom de marque ou de produit » (60 : 2003). Dans notre contexte, La Réunion est un produit que l’IRT tente de vendre par l’intermédiaire de ces vidéos.
De plus, on ne parle pas uniquement de La Réunion comme d’un territoire. Avec l’ajout de « l’île intense », la destination prend des allures semblables à une marque. Berthelot-Guiet l’explique ainsi :
comme le nom propre, le nom de marque n’est associé à aucun concept. Son interprétation est entièrement régie par le contexte, pris au sens large de situation qui entoure l’énoncé où il se trouve, et qui comporte un ensemble de connaissances partagées par les interlocuteurs, aussi bien qu’au sens restreint d’énoncé qui l’entoure. Le nom de marque, comme le nom propre, présuppose donc l’identification de son réfèrent, l’objet dans le monde auquel il renvoie (62 : 2003).
L’association de « La Réunion » et « l’île intense » devient un énoncé unique et reconnaissable. Aussi, Barthes ajoute que « toute image est polysémique, elle implique, sous-jacente à ses signifiants, une “chaîne flottante” de signifiés, dont le lecteur peut choisir certains et ignorer les autres » (1964 : 44). Nous nous sommes alors demandée ce que cette unique phrase éveillait chez les Réunionnais. Nous avons donc décidé d’effectuer une enquête de terrain.
Entreprise en juin 2018, elle a été réalisée grâce à un questionnaire créé sur Google Form et transmis à soixante-et-une personnes vivant à La Réunion sur le réseau social Facebook. Nous avons recueilli cinquante réponses. Trente-neuf personnes ayant répondu sont des femmes. Nous avons demandé aux personnes d’expliquer ce que signifie pour elles l’appellation « île intense » et de donner leur avis sur cette qualification de La Réunion. Nous avons regroupé leurs réponses dans ce diagramme (fig. 1) :
Nous constatons que cette polysémie dont parle Barthes est bien présente. 88 % des personnes sont d’accord avec l’utilisation de « île intense » pour qualifier l’île mais n’associent pas les mêmes caractéristiques à ce qualificatif : la plus grande partie (48 %) évoque les paysages réunionnais et les autres (40 %) pensent à la multiplicité d’activités possibles sur l’île. D’autre part, 8 % des participants ne sont pas d’accord avec ce qualificatif. Ils estiment qu’il s’agit d’un « slogan » ou de « la spéculation ». Cela montre bien qu’une minorité de Réunionnais ressent l’exotisation de leur île. Enfin, 4 % des individus expliquent que l’île est « intense » autant dans un sens négatif que positif avec une réponse comme : « intense pour ses paysages mais aussi pour sa météo qui peut être dévastatrice ». Ces 12 % des personnes interrogés sont donc bien conscients de l’exotisme qui cherche à embellir, et par la même occasion, à ôter des esprits les aspects négatifs de l’île.
Comme nous l’indiquions précédemment, le but de l’IRT est de promouvoir La Réunion à destination du plus grand nombre de touristes. Mais si ces personnes parviendraient à comprendre l’exotisation qui existe par la multiplication de clichés dans ces vidéos, peut-être que cela pourrait, au contraire, mettre en péril la destination au profit d’îles où la publicité se trouverait plus neutre.
Nous avons donc voulu en savoir davantage sur cette question et nous avons créé une seconde enquête auprès de personnes qui ne connaissent pas l’île.
Confrontation de quelques Européens aux vidéos promotionnelles de l’IRT
En juillet 2019, nous avons proposé notre enquête à des personnes qui ne sont jamais allées à La Réunion mais qui connaissent l’île par le biais d’images promotionnelles, de la presse ou de leurs proches. Cette enquête qualitative offre une capacité de prospective, il n’est donc pas question de généraliser les propos recueillis. Elle nous a demandé d’abord de trouver des personnes en hexagone correspondant au profil recherché et de discuter de ces vidéos en moyenne pendant quatre-vingt minutes à l’aide d’un guide d’entretien. Nous avons pu rencontrer seize personnes dont sept femmes et neuf hommes âgés entre 21 et 32 ans. Nous leur avons montré chacune des quatre vidéos en leur demandant ce qu’elles en avaient retenu. Au terme du visionnage, nous leur avons demandé laquelle était leur favorite.
Ce diagramme (fig. 2) qui synthétise les résultats de notre enquête montre que la vidéo la plus convaincante pour ces seize personnes est la deuxième vidéo intitulée « La Réunion, île intense : hiver austral ». Les seize personnes interrogées ont avoué à l’unanimité que l’idée de passer les fêtes « au soleil » était plutôt séduisante.
Les vidéos « La Réunion île intense – été austral » et « La Réunion, terre d’aventures » sont classées toutes deux à la seconde place parmi les préférences des personnes interrogées. Cette dernière a intéressé les sportifs, les autres n’y ont pas vu grand intérêt hormis pour les paysages. Concernant la vidéo « Ile de La Réunion, l’île intense », beaucoup lui ont reproché sa longueur et le manque de dynamisme. Les personnes ayant choisi la version hivernale pensent que cette dernière est aussi riche mais mieux condensée. Ils ont également apprécié le fait « qu’on s’attarde un peu plus sur la population et les différentes cultures ».
Le titre et la description de la vidéo peuvent jouer une grande importance au sein de leur réception car, finalement, il n’y a que peu de différences entre la version estivale et la version hivernale. Si cette précision ne figurait pas, peut-être que les deux vidéos auraient-elles été jugées de la même façon par les spectateurs. D’ailleurs, aucun participant ne nous a demandé si la première vidéo « Ile de La Réunion, île intense » avait été réalisée en été ou en hiver. Malgré la richesse des images, les textes, aussi courts soient-ils, peuvent avoir plus d’impact. L’exotisme peut alors prendre effet dès le titre des vidéos. Durant nos conversations, aucun participant n’a soulevé de question sur la corrélation entre les images et les réalités de l’île. Cela vient donc confirmer notre hypothèse selon laquelle l’exotisation fonctionne bien avec les personnes qui ne sont jamais allées sur le territoire. L’IRT a réussi à transmettre aux spectateurs ce qu’ils attendent d’une île. Le comité régional du tourisme parvient à les faire « rêver » et à leur donner « envie de se reposer et de partir à l’aventure », comme l’ont mentionné plusieurs participants.
Conclusion
Dans le cadre de notre description structurale, définie par Roland Barthes comme voulant « saisir le rapport de ces éléments en vertu du principe de solidarité des termes d’une structure » (1964 : 43), nous avons voulu comprendre quelle image de La Réunion était construite par l’IRT à travers ces vidéos promotionnelles, savoir comment elles étaient perçues par les spectateurs et déterminer le fonctionnement de l’exotisation.
Au terme de cette étude, nous constatons que l’exotisme est bien présent dans chaque vidéo que propose l’IRT. Les Européens constituent le public cible de ces supports de communication. Ils imaginent l’île comme un lieu calme, ensoleillé qui permet de vivre de nombreuses activités en plein air. Les promoteurs acceptent donc la stéréotypie touristique et ces vidéos incarnent bien « l’exotisme souverain ». Afin de promouvoir l’île, ils sont contraints de créer du contenu en adéquation avec les attentes des voyageurs. Cette tension oblige alors l’IRT à présenter différentes facettes de La Réunion afin de toucher le plus de touristes possible. Selon Frank Lestringant, « il n’y a donc aucune nécessité d’en finir avec l’exotisme […] à condition toutefois que l’autre n’y soit pas ravalé au rang d’objet ou de marchandise, réduit et dégradé par le regard aliénant des marchands de rêve » (2008 : 74). Entre traditions et modernité, l’IRT présente l’île comme une destination capable de tout offrir à un Européen en quête de sport, de paysages insolites ou de découvertes culturelles.
Nos deux enquêtes de terrain ont pu apporter quelques éléments de réponse sur l’opinion des spectateurs à propos de ces productions. La seconde enquête permet de comprendre que le titre des vidéos peut influencer les spectateurs sur la façon dont ils appréhenderont les images et que les personnes ne vivant pas sur l’île ne se rendent pas toujours compte de l’existence de l’exotisation.
Par ces images, La Réunion devient le lieu de tous les possibles. Les vidéos sont démunies de toutes formes négatives qui viendraient entacher ce tableau idyllique. Cependant, les personnes qui vivent à La Réunion parviennent à percevoir l’exotisation. La majorité des personnes interrogées, dans notre première enquête, reste toutefois d’accord avec le slogan « La Réunion, île intense » pour qualifier leur île. Cela dénote également le fait que les Réunionnais apprécient ces belles images même si la réalité ne transparait pas toujours dans ces vidéos.
Il serait donc intéressant de voir si les futures vidéos promotionnelles suivront ce fil conducteur ou si elles changeront avec le temps et surtout de voir l’efficacité de ces vidéos sur le public cible en termes quantitatifs. Nous aimerions également interroger l’IRT afin de connaître leur opinion sur les stratégies mises en œuvre afin de promouvoir La Réunion.