DOI : 10.26171/carnets-oi_0406
La première constatation que l’on peut faire en étudiant la situation de La Réunion dans les organisations internationales régionales de l’océan Indien1 est que celle-ci est absente, en tant que telle, de ces organisations. Si l’on s’interroge alors sur les raisons de cette non-participation sous l’angle de ce que permet ou ne permet pas le droit et donc sur les possibilités d’évolution de cette situation, on constatera que le droit international, c’est-à-dire en l’espèce le droit des organisations internationales, n’est pas en soi un obstacle à cette participation. Le droit de l’Union européenne n’est pas lui non plus un obstacle en soi puisqu’il respecte le principe de l’autonomie institutionnelle des États membres si bien que, finalement, c’est de l’ordre juridique national que dépend essentiellement le développement de la « diplomatie ultramarine » en général et de La Réunion en particulier.
Absence de participation de La Réunion, en tant que telle, dans les organisations internationales régionales de l’océan Indien
Dans les quatre organisations objet de notre étude, La Réunion ne dispose d’aucun statut particulier. Dans tous les cas c’est à travers la participation éventuelle de la France que La Réunion est présente dans l’organisation via la délégation française. En effet quel que soit le statut du participant, membre, membre associé, observateur, partenaire, c’est celui-ci qui est représenté par une délégation qu’il désigne librement ou conformément aux règles de l’organisation.
Ni la France, ni La Réunion ne participent à la SADC, organisation fondée en 1980 et qui compte depuis août 2017, avec l’adhésion des Comores, 16 États membres, pays de l’Afrique australe et de l’océan Indien : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo, Seychelles, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Comores. D’après l’article 7 de l’acte constitutif de la SADC, « Les États énumérés dans le préambule sont, dès la signature et la ratification du présent traité, membres de la SADC », et l’article 8 dispose, concernant l’admission de nouveaux membres :
1. Tout État non énuméré dans le préambule du présent traité peut devenir membre de la SADC après avoir été admis par les membres actuels et avoir adhéré au présent traité ; 2. Le sommet détermine les procédures d’admission de nouveaux membres et d’adhésion de ceux-ci au présent traité ; 3. Le Conseil examinera et recommandera au Sommet toute demande d’adhésion à la SADC ; 4. L’admission d’un État à la SADC se fera par décision unanime du Sommet ; 5. L’adhésion à la SADC ne fera l’objet d’aucune réserve2.
C’est la France qui fait partie des « partenaires de dialogue » de l’IORA depuis 2001, ceux-ci étant « des États souverains individuels et non membres de l’IORA, mais ayant un intérêt particulier et/ou une capacité à contribuer à l’IORA, en particulier dans les domaines d’intérêt commun »3. L’article 4 de la Charte de l’IORA stipule :
(a) Tous les États souverains de l’océan Indien peuvent devenir membres de l’Association. Pour devenir membres, les États doivent adhérer aux principes et objectifs énoncés dans la Charte de l’Association. L’élargissement de la composition de l’Association sera décidé par les États membres ; (b) Le Conseil des ministres peut accorder le statut de partenaire de dialogue ou d’observateur à d’autres États ou organisations ayant la capacité et l’intérêt de contribuer à l’IORA4.
La Charte de l’Association a été adoptée en 1997 et amendée en 2010. Les 22 États membres de l’Association sont : Commonwealth d’Australie, République populaire du Bangladesh, Comores, République d’Inde, République d’Indonésie, République islamique d’Iran, République du Kenya, République de Madagascar, Malaisie, République de Maurice, République du Mozambique, Sultanat d’Oman, République de Seychelles, République de Singapour, République fédérale de Somalie, République d’Afrique du Sud, République socialiste démocratique de Sri Lanka, République-Unie de Tanzanie, Royaume de Thaïlande, Émirats arabes unis et République du Yémen5. Le nom IORA a été adopté en novembre 2013 à la treizième réunion des Ministres des affaires étrangères qui s’est tenue à Perth, Australie6.
C’est la France qui dispose également d’un statut d’observateur au sein du COMESA depuis 2003. Le COMESA, zone de libre-échange regroupant 21 États membres (560 millions d’habitants), a été créé en décembre 1994 en remplacement d’une zone d’échanges préférentiels ayant existé depuis 1981. La liste des États membres est la suivante : Burundi, Comores, Djibouti, RD Congo, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Eswatini, Kenya, Libye, Madagascar, Malawi, Maurice, Rwanda, Seychelles, Soudan, Somalie, Tunisie, Ouganda, Zambie, Zimbabwe. D’après l’article 1, § 2 du Traité du COMESA,
Peuvent devenir membres du Marché commun, les États membres de la Zone d’échanges préférentiels des États de l’Afrique orientale et australe suivants : République d’Angola ; République du Burundi ; République fédérale islamique des Comores ; République de Djibouti ; État d’Érythrée ; Gouvernement de transition d’Éthiopie ; République du Kenya ; Royaume du Lesotho ; République du Malawi ; République de Maurice ; République du Mozambique ; République de Namibie ; République de l’Ouganda ; République du Rwanda ; République des Seychelles ; République démocratique de Somalie ; République du Soudan ; Royaume du Swaziland ; République-Unie de Tanzanie ; République de Zambie ; et République du Zimbabwe.
Le § 3 du même article dispose :
Les États membres de l’Afrique orientale et australe ci-après peuvent devenir membres du Marché commun s’ils remplissent les conditions que détermine la Conférence : République du Botswana ; et République d’Afrique du Sud (post-apartheid).
Enfin d’après le § 4,
La Conférence peut admettre tout État non repris dans les paragraphes 2 et 3 du présent article qui est voisin immédiat d’un État membre comme État membre du Marché commun de l’Afrique orientale et australe, lorsque cet État remplit les conditions arrêtées par ladite Conférence7.
Enfin c’est la France et non La Réunion qui est membre de la Commission de l’Océan Indien (COI) depuis 19868. Créée le 10 janvier 1984 par l’Accord de Victoria signé par les ministres des Affaires étrangères de Madagascar, de Maurice et des Seychelles9, la Commission de l’Océan Indien est une organisation internationale réunissant aujourd’hui les Comores, la France, Madagascar, l’île Maurice et les Seychelles10. L’article 13 de l’Accord général de coopération stipule que « La Commission examinera toute demande d’adhésion faite par tout État ou Entité de la Région, et statuera à l’unanimité de ses membres ». Et dans le protocole d’adhésion de la France il est indiqué à l’article 1er :
La République française devient membre de la Commission de l’océan Indien et Partie à l’Accord instituant cette Commission pour permettre à son département et sa région de La Réunion de participer à la coopération régionale réalisée au sein de la Commission de l’océan Indien.
Nous reviendrons plus loin sur ces dispositions. Retenons pour l’instant que c’est la France qui est membre de la COI alors même que son acte constitutif aurait permis la participation de La Réunion en tant qu’« Entité de la région ».
Que la France ait le statut de partenaire du dialogue, d’observateur ou de membre c’est elle qui est représentée dans les organisations où elle participe et sa représentation dans les organes interétatiques obéit aux règles générales de représentation des États dans les organisations internationales. Celle-ci est réalisée en principe par des délégués gouvernementaux, c’est-à-dire des membres des organes gouvernementaux de l’État ou de son administration nationale, ou de ses services diplomatiques et, d’une façon générale des agents désignés par les gouvernements des États participants, la délégation de l’État, dirigée par un représentant du gouvernement ou de l’administration, pouvant comprendre comme conseillers des experts non-gouvernementaux, représentants de l’industrie privée et du commerce, parlementaires, collectivités locales etc. La règle générale est que les États sont libres du choix de leurs représentants sous réserve de dispositions particulières dans les actes constitutifs qui peuvent contenir des règles précises quant à la représentation dans certains organes11.
En 1982, lors de la conférence des ministres des affaires étrangères des membres fondateurs de la COI, il avait été envisagé de tenir des réunions périodiques de Chefs d’État et de gouvernement. Cependant ni l’accord de Victoria de 1984, ni le protocole additionnel de 1989 ne mentionnent parmi les organes de la COI la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement. Cela n’a pas empêché que se développe, à partir de 1991 la pratique de tenir régulièrement des réunions au Sommet, un peu comme s’est développée dans l’Union européenne la pratique des Sommets qui ont conduit finalement à la création du Conseil européen12. On notera cependant que le principe d’une réunion tous les quatre ans posé en 1998 n’est pas rigoureusement appliqué, quatre sommets s’étant tenus en tout depuis 199113. La France était représentée au premier sommet par le Premier ministre Michel Rocard, au second et au troisième par le Président de la République Jacques Chirac et au quatrième par le président de la République François Hollande. À chaque fois, dans la délégation française figurait le Président du Conseil régional et à partir du second sommet, à côté du Président du Conseil régional, le Président du Conseil général.
Parmi les autres organes de la COI14 il y a le Conseil de la COI qui d’après l’article 2 du protocole additionnel de 1989 correspond à « La COI, siégeant au niveau des ministres »15. Ce « Conseil des ministres » suppose donc une représentation des membres au niveau ministériel. À cet égard, la pratique suivie pour la représentation de la France a pu soulever parfois quelques difficultés. En effet dans un premier temps c’est le Préfet de La Réunion qui a été désigné pour représenter la France au Conseil alors que les autres membres de l’Organisation étaient représentés au niveau ministériel, le plus souvent le ministre des affaires étrangères16. Ce qui a été contesté par les autres membres, le Conseil des ministres réuni à Port-Louis convenant en 1986 que seul un représentant ayant le rang de ministre pourrait présider le Conseil17. En effet le Conseil tient une session par an, chaque année dans un pays membre différent et il est présidé à tour de rôle par le représentant de chacun des pays membres18. Depuis la Délégation française a toujours été conduite par un ministre ou son représentant. Comme pour les sommets de chef d’États et de Gouvernement, celui-ci est assisté du Président du Conseil régional et du Président du Conseil général, comme membres de la délégation française19. Ce qui est conforme aux règles générales de représentation de l’État évoquées plus haut et aux dispositions des textes fondateurs de la COI. À cet égard la représentation de l’État par Margie Sudre Présidente de la Région de La Réunion en avril 1996 comme chef de délégation ne remet pas en cause cette remarque, puisque celle-ci était en même temps Secrétaire d’État à la Francophonie. De même la désignation controversée de Claudine Ledoux comme ambassadrice déléguée à la coopération régionale dans la zone de l’océan Indien20 et chargée de représenter la France au Conseil des ministres de Moroni en avril 2014 et en mai 2015 à Antananarivo, ne remet pas non plus en cause ces principes puisqu’elle représentait le Ministre des Affaires étrangères sous la tutelle duquel elle se trouvait placée21. En février 2016 c’est le secrétaire d’État chargé du Développement et de la Francophonie André Vallini qui assura la présidence du 31e Conseil des ministres de la Commission de l’océan Indien à La Réunion22 et en mars 2017 la délégation française sera conduite par Jean-Marie Le Guen, Secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères et du Développement international, chargé du Développement et de la Francophonie23.
On notera cependant que lors du Conseil des ministres extraordinaire de la Commission de l’Océan Indien (COI) qui s’est tenu à Flic en Flac (Maurice) en octobre 2017 le Président de Région Didier Robert, à la demande de Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères et du Développement International a conduit la délégation française comprenant notamment l’ambassadeur de France chargé de la coopération régionale dans l’océan Indien depuis 2015, Luc Hallade et Daniel Gonthier le vice-président du conseil départemental de La Réunion24 et qu’en septembre 2018, à la 33e réunion du conseil des ministres de la COI à Balaclava (Maurice), c’est également Didier Robert Président du Conseil régional de La Réunion qui conduisait la délégation France/Réunion à la COI, à la demande du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères25, Luc Hallade et Daniel Gonthier étant également membres de la délégation. Par contre en février 2019, lors de la réunion extraordinaire du Conseil des ministres à Mahé (Seychelles) et le 6 aout 2019 lors de la rencontre de haut niveau sur l’avenir de la COI qui s’est tenue à Moroni (Union des Comores) c’est Luc Hallade qui conduisait la délégation de la France représentant le chef de la diplomatie française26.
À l’IORA où la France a le statut de « Partenaire du Dialogue » ou au COMESA où elle a le statut d’observateur, sa délégation est conduite généralement par des représentants des collectivités territoriales de La Réunion, le plus souvent un vice-président de la Région27.
Une évolution de la participation de La Réunion aux organisations internationales régionales de l’océan Indien est cependant envisageable, d’après le droit international
Tout d’abord, rien ne s’oppose, en droit des Organisations internationales, à ce que La Réunion participe aux travaux des organisations régionales de l’océan Indien avec un statut de non partie contractante. En effet dans le droit de la participation aux organisations internationales, il convient de bien distinguer la participation au sens large et la participation au sens strict, ou la participation d’entités qui ne sont pas parties contractantes à l’acte constitutif et celle des entités qui sont parties contractantes. Les premières auront le statut d’observateur voire de « membre » à droits réduits, alors que les secondes seront des membres « à part entière ». Quand on parle du caractère intergouvernemental des organisations internationales c’est à la participation au sens strict qu’il est fait référence, c’est-à-dire à l’idée qu’une organisation internationale est en principe un groupement d’États qui en sont membres du fait qu’ils participent à l’acte constitutif auquel ils sont en principe les seuls à être admis. Tandis que la participation au sens large peut concerner d’autres entités que les États, lesquels ne sont pas parties contractantes à l’acte constitutif, soit parce que celui-ci ne leur est pas ouvert, soit parce qu’elles n’ont pas la capacité de conclure des traités.
Le statut d’observateur, ou de membre à droits réduit peut ainsi être accordé à des États, mais, le plus souvent, il est accordé à des entités qui n’ont pas le pouvoir de conclure des traités en leur nom propre et qui, de ce fait, ne peuvent pas en principe devenir membres de plein exercice dans les organisations internationales. Il peut s’agir d’organisations internationales, de mouvements de libération nationales, d’ONG, voire d’États fédérés ou de collectivités infra-étatiques comme La Réunion.
Il n’existe pas de statut type d’observateur dans les organisations interna-tionales et il est rare que les actes constitutifs contiennent des dispositions à ce sujet. En effet, il s’agit moins de participer à l’organisation que de participer à certaines activités de certains organes de l’organisation, les observateurs pouvant être invités d’une façon générale à participer aux travaux de certains organes ou étant invités au cas par cas. Dans le cas des organisations régionales de l’océan Indien, on notera seulement comme dispositions des actes constitutifs relatives aux observateurs que l’article 3, 2° de l’Accord de Victoria prévoit que « Les parlementaires des pays signataires peuvent être invités à participer à titre d’observateur, aux travaux de la Commission », ce qui n’exclut pas bien sûr l’invitation d’autres entités comme observateurs. La Réunion n’étant pas partie contractante ni membre d’aucune des organisations de l’Indianocéanie, pourrait cependant obtenir le statut d’observateur dans ces organisations, si les États membres des organes concernés décidaient de l’inviter.
Elle pourrait même espérer devenir membre de ces organisations, puisqu’il existe de nombreux exemples de territoires non souverains qui ont pu devenir partie contractante ou qui sans être partie contractante à l’acte constitutif ont pu être admis comme « membres » dans certaines organisations. Leur participation dans tous les cas s’explique pour des raisons exclusivement politiques et historiques, le nombre de ces cas restant aujourd’hui limité, suite à l’accession à l’indépendance des pays concernés. Ainsi, alors même qu’aucun acte constitutif ne prévoit la possibilité pour des États fédérés de participer comme membre dans des organisations internationales, il y a cependant le cas de l’Ukraine et de la Biélorussie qui furent invitées à la Conférence de San Francisco à la suite d’une exigence de Staline à Yalta (Conférence réunissant Churchill, Roosevelt et Staline du 4 au 11 février 1945) et qui devinrent membres originaires de l’ONU, puis d’institutions spécialisées qui reconnaissent un droit à participer pour les membres de l’ONU. Ce cas désormais historique, depuis la dissolution de l’URSS et l’accès à la qualité d’États souverains des anciennes Républiques fédérées, s’explique donc pour des raisons exclusivement politiques et historiques. On peut aussi citer l’exemple du GATT/OMC, en ce qu’il permet la participation de « territoires douaniers distincts », d’où la présence comme membres à l’OMC d’Hong-Kong-Chine, Macao-Chine ou du Taipei Chinois (Taïwan, Penghu, Kinmen et Matsu)28. De même, des territoires non souverains autres que les États fédérés furent admis à la Société des Nations comme parties contractantes et membres originaires de l’organisation. Il s’agissait de quatre dominions britanniques (l’Australie, l’Union Sud-Africaine, le Canada et la Nouvelle-Zélande) et une colonie (l’Inde) indiqués dans l’annexe I du Pacte de la SDN du 28 juin 1919 comme faisant partie de l’Empire Britannique. Il en a été de même à l’ONU pour l’Inde qui a accédé à l’indépendance en 1947 et les Philippines qui ont accédé à l’indépendance en 1946. Plus récemment, on peut citer les cas de la Namibie et de la Palestine qui ont pu devenir membres d’organisations internationales également pour des raisons exclusivement politiques. Ainsi la Namibie, qui a accédé à l’indépendance en 1990, représentée par le Conseil des Nations Unies pour la Namibie, créé par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1967 comme organe subsidiaire, a-t-elle pu devenir membre d’organisations comme la FAO en 1977, l’OIT en 1978 ou l’Autorité internationale des fonds marins en 1983. Quant à la Palestine, après être devenue membre de la Ligue des États Arabes en 1976, représentée par l’OLP, elle est devenue, représentée par l’Autorité palestinienne, le 195e membre de l’UNESCO le 31 octobre 2011. L’Autorité palestinienne a cependant échoué dans sa démarche visant à faire accepter la Palestine comme membre de l’ONU en septembre 2011. Le 29 novembre 2012, l’Assemblée générale a cependant accordé à la Palestine le statut d’État observateur non membre et elle est devenue membre de la Cour pénale internationale : une première demande palestinienne avait été rejetée en avril 2012, au motif que la Palestine n’était pas un État, et elle est devenue le 123e membre de la CPI le 1er avril 2015. Le 22 mai 2018, le Gouvernement de la Palestine (« la Palestine »), État partie au Statut de Rome, a invoqué les articles 13-a et 14 du Statut de Rome pour déférer au Procureur la situation en Palestine depuis le 13 juin 2014.
En principe, lorsque l’acte constitutif n’est ouvert qu’à la participation (au sens strict) des États, il est nécessaire de modifier cet acte constitutif pour permettre la participation d’autres entités. Mais on sait aussi que le droit international n’est pas formaliste et qu’une modification informelle résultant d’une pratique « généralement acceptée » peut intervenir, l’essentiel étant le respect de l’accord des États sur l’admission comme membre d’une entité qui ne serait pas un État29. En dehors de cet accord, reste le statut d’observateur, de « membre » associé, provisoire ou partiel, situations qui peuvent être prévues dans l’acte constitutif ou résulter de la pratique et constituer des étapes vers le statut de membre.
Ainsi, outre la participation comme « membres partiels » de certains mou-vements de libération nationale africains à la Commission Économique pour l’Afrique, on rappellera que la Palestine, avant de devenir membre de la Ligue des États Arabes le 9 septembre 1976, avait un statut de « membre associé » dans cette organisation. On peut rapprocher de ces « membres » participants les « gouvernements participants » aux instances de l’OIF qui ne sont pas des États membres, ni des observateurs ou des membres associés. Ainsi l’article 10 alinéa 3 de l’acte constitutif de l’OIF, qui reprend les dispositions de la Charte de Niamey dispose :
Dans le plein respect de la souveraineté et de la compétence internationale des États membres, tout gouvernement peut être admis comme gouvernement participant aux institutions, aux activités et aux programmes de l’OIF, sous réserve de l’approbation de l’État membre dont relève le territoire sur lequel le gouvernement participant concerné exerce son autorité, et selon les modalités convenues entre ce gouvernement et celui de l’État membre30.
Ainsi, le Canada-Québec, le Canada-Nouveau-Brunswick et la Fédération Wallonie Bruxelles participent-ils à l’OIF en tant que « gouvernements participants » et la France/Nouvelle-Calédonie est-elle membre associé de l’OIF depuis le 27 novembre 201631.
On peut citer enfin l’exemple des actes constitutifs de certaines organisation régionales de la zone Amérique-Caraïbes permettant la participation des Collectivités territoriales françaises d’Amérique32. Ainsi, l’acte constitutif de l’Organisation des États de la Caraïbe Orientale (OECO) « qui constitue, depuis 1981, le processus d’intégration le plus avancé de la région »33 dispose à l’article 3.3 que
Un Etat ou un Territoire de la région des Caraïbes qui n’est pas partie au Traité de Basseterre de 1981 peut devenir membre à part entière ou membre associé en vertu des dispositions de l’article 27. L’autorité de l’OECO détermine la nature et l’étendue des droits et obligations des membres associés.
L’article 27.1 prévoit de son côté qu’
Après l’entrée en vigueur du présent Traité conformément aux dispositions de l’article 26, tout Etat ou territoire énuméré au paragraphe 3 de l’article 3 du présent Traité peut demander à l’Autorité de l’OECO à devenir membre à part entière ou membre associé à l’Organisation et peut, si l’Autorité de l’OECO en décide ainsi, être admis en tant que tel.
Sur ces bases, qui ouvrent la participation à des territoires non indépendants à la qualité de membre ou de membre associé, la Martinique en 2016, puis la Guadeloupe en 2019, ont pu devenir membres associés de l’organisation dans des conditions définies par un accord passé entre le Gouvernement de la République Française et l’OECO34. On peut aussi citer l’exemple de l’Association des États de la Caraïbe (AEC) qui est une organisation de coopération régionale visant à promouvoir le développement durable35 sur la base de l’accord de Carthagène (Colombie) du 24 juillet 1994. D’après l’article IV, § 1 « Peuvent être membres de l’Association les Etats de la Caraïbe dont la liste figure à l’Annexe I de la présente Convention. Ces Etats ont le droit de participer et de voter de plein droit aux réunions des Conseils des Ministres et des Comités Spéciaux de l’Association ». L’article IV § 2 prévoit que
L’adhésion à titre de Membre Associé sera ouverte aux Etats, Pays et Territoires de la Caraïbe dont la liste figure à l’annexe 2 du présent Acte constitutif. Les Membres Associés ont le droit d’intervenir dans les débats et de voter aux réunions du Conseil des Ministres et des Comités Spéciaux sur les questions les concernant directement et relevant de leur compétence constitutionnelle. Le Conseil conclura des accords d’association avec l’Etat, le Pays ou le territoire concerné, lesquels définiront les termes, les conditions et les modalités régissant la participation du Membre Associé et la jouissance de son droit à une voix délibérative aux réunions du Conseil des Ministres et des Comités Spéciaux.
Enfin l’article V indique que
Des observateurs peuvent être admis à l’Association selon les termes et les conditions établies par le Conseil des Ministres. Ces observateurs peuvent provenir des Etats, des Pays et des Territoires figurant aux Annexes I et II de la présente Convention. En outre, tout autre Etat, Pays, Territoire ou toute organisation demandant de participer en tant qu’observateur à l’Association peut se voir accorder ce statut si le Conseil des Ministres en décide ainsi36.
Sur ces bases, initialement la République Française était membre associé au titre de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique. Aujourd’hui, la République française est membre associé au tire de la Guyane française et de Saint-Barthélemy cependant que la Guadeloupe et la Martinique, (depuis les 14 et 11 avril 2014) et Saint-Martin (depuis le 3 juin 2016)37 sont membres associés en leur nom propre, sur les questions de leur compétence et disposent de ce fait, ce qui est exceptionnel pour un membre associé, du pouvoir de voter aux réunions du Conseil des Ministres et des Comités spéciaux. On indiquera également que la Guadeloupe, la Martinique38 et la Guyane française39 sont membres associés de la Commission pour l’Amérique latine et les Caraïbes, organe subsidiaire du Conseil économique et social des Nations Unies40.
On notera enfin que depuis le 10 septembre 2016 la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française qui étaient jusque-là et depuis 2006 membres associés, sont devenues membres à part entière du Forum des Îles du Pacifique le 10 septembre 201641.
Cela ne résulte pas seulement de leur statut42 ou de l’accord des autorités de la République, mais aussi de l’accord des États membres du Forum qui en principe n’est ouvert qu’à la participation d’États43. Il s’agit donc d’une décision purement politique de la part des États membres du Forum, sans doute liée à son histoire, le Forum ayant été créé en opposition à la France et aux essais nucléaires, au fait que la Polynésie française a été à nouveau inscrite, à l’initiative des membres du Forum, sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU le 17 mai 2013 et aux incidences des changements climatiques et de la révolution d’internet sur les Îles du Pacifique et leurs besoins en matière d’aide pour faire face à ces défis, la France pouvant jouer un rôle dans ce domaine… tout en restant dans un cadre juridique conforme sur le plan constitutionnel et international… la France considérant que cette participation au forum reconnaît le statut d’autonomie de la Polynésie Française… qui de ce fait, d’après la France, ne devrait pas figurer sur la liste des pays à décoloniser du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ou Comité des 2444.
Ces exemples et bien d’autres montrent que si les organisations internationales sont en principe des organisations intergouvernementales, cela n’empêche pas d’envisager la participation (au sens large comme au sens strict) d’autres entités. Traditionnellement l’organisation internationale est définie comme une « association d’Etats constituée par traité, dotée d’une constitution et d’organes communs, et possédant une personnalité juridique distincte de celle des Etats membres »45. Cependant l’existence d’exceptions au caractère intergouvernemental et aussi, de manière plus limitée, d’autres bases que les Traités comme instrument de création, ont conduit la Commission du droit international, dans le cadre de la rédaction de son projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales, à élargir cette définition pour prendre en compte ces exceptions :
Aux fins du présent projet d’articles, on entend par « organisation interna-tionale » toute organisation instituée par un traité ou par tout autre instrument régi par le droit international et doté d’une personnalité juridique propre. Outre des Etats, une organisation internationale peut comprendre parmi ses membres, des entités autres que les Etats46.
D’ailleurs, comme on l’a déjà noté, les actes constitutifs ou la pratique des organisations régionales de la zone pacifique ou de la zone Amérique-Caraïbe permettent la participation comme membres, membres associés ou observateurs de territoires non indépendants et pour ce qui est de la zone de l’océan Indien, l’acte constitutif de la COI prévoit expressément la participation à côté des États d’autres « Entités de la Région », cette formule ayant été rédigée à l’intention de La Réunion, mais non utilisée par celle-ci en raison d’une application stricte du principe du monopole de l’État français en matière de relations extérieures. Celui-ci se traduit dans les limites fixées par le droit interne qui sont un des obstacles les plus sérieux à surmonter pour assurer la participation de La Réunion dans les organisations de l’océan Indien, malgré les encouragements de l’Union européenne, qui est tenue de son côté de respecter l’organisation interne des États membres.
Bien qu’encouragée par l’Union européenne, une évolution de la situation de La Réunion dans les organisations régionales de l’océan Indien dépend surtout, sur le plan juridique, du droit interne
L’Union européenne apporte son soutien et ses encouragements aux Régions ultrapériphériques dont La Réunion fait partie et aux Outre-mers en général dans le cadre des dispositions des traités les concernant47 et l’exercice des compétences qui sont les siennes, en particulier en matière de coopération régionale. À cet égard, on rappellera que l’Union européenne encourage la coopération des Pays et territoires d’outre-mer (PTOM), des Pays d’Afrique et des Caraïbes (ACP) et des Régions ultrapériphériques (RUP dont fait partie La Réunion) dans le cadre de sa politique de coopération au développement. Évidemment les uns et les autres ne sont pas dans la même situation ce qui pose des problèmes de coordination par exemple entre les actions financées par le Fonds européen de développement (FED) et celles financées par le Fonds européen de développement régional (FEDER) qui bénéficie aux RUP lesquelles sont représentées auprès des institutions de l’Union et participent à l’élaboration des décisions encadrant notamment la coopération territoriale. On rappellera également que c’est l’Union européenne qui est compétente en matière commerciale, de pêche et de conservation des ressources halieutiques. Et l’Union européenne apporte son soutien aux organisations régionales dans l’océan Indien48.
Mais tous ces encouragements et les évolutions qu’ils favorisent dans le sens du développement de la coopération régionale rencontrent leur limite sur le plan juridique dans le principe de l’autonomie institutionnelle des États membres49. D’après ce principe,
Il incombe à toutes les autorités des États membres, qu’il s’agisse d’autorités du pouvoir central de l’État, d’autorités d’un État fédéré ou d’autres autorités territoriales, d’assurer le respect des règles du droit communautaire dans le cadre de leurs compétences. En revanche, il n’appartient pas à la Commission de se prononcer sur la répartition des compétences opérée par les règles institutionnelles de chaque État membre et sur les obligations qui, dans un État doté d’une structure fédérale, peuvent incomber respectivement aux autorités fédérales et aux autorités des États fédérés. Elle ne peut que contrôler si l’ensemble de mesures de surveillance et de contrôle établi selon les modalités de l’ordre juridique national est suffisamment efficace pour permettre une application correcte des prescriptions communautaires50.
Et c’est l’État membre qui répond des violations éventuelles du droit de l’Union dans le cadre de l’action en manquement qui ne vise que le Gouvernement de l’État membre « quand bien même le manquement résulterait de l’action ou de l’inaction des autorités d’un État fédéré, une région ou d’une communauté autonome »51. C’est l’application du principe bien connu en droit international de l’unité de l’État lequel ne peut invoquer sa structure interne, l’indépendance de certains de ses organes pour justifier éventuellement un manquement. Ainsi, la Cour a-t-elle également déclaré : « un État ne saurait exciper de dispositions pratiques ou de situation de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations et des délais prescrits par une directive »52. Et le raisonnement vaut même pour le juge interne, pour un éventuel manquement judiciaire : un manquement « peut-être constaté quel que soit l’organe de l’État dont l’action ou l’inaction est à l’origine du manquement, même s’il s’agit d’une institution constitutionnellement indépendante »53. Aussi l’article 4 § 2 du TUE déclare : « L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale »54.
Il résulte de l’application de ces principes que le cadre statutaire et fonctionnel national des collectivités infra-étatiques et donc de La Réunion est déterminé par la France55. Cependant comme l’a souligné Jacques Ziller, il existe un « découplage juridique entre l’évolution statutaire interne et l’évolution statutaire européenne »56, les catégories de RUP et de PTOM étant des catégories communautaires. Il en résulte que si la France, qui n’est pas limitée par le droit communautaire dans ses possibilités d’évolution institutionnelle interne (principe de l’autonomie institutionnelle des États membres), elle doit convaincre ses partenaires de réviser le traité communautaire en cas de souhait de changement de statut au niveau de l’Union, même si la procédure a été simplifiée dans le TFUE57.
Au niveau national, quelle que soit l’évolution des textes dans le sens du développement de la « diplomatie ultramarine »58, le cadre juridique de l’action extérieure des outre-mer en France et, en particulier, des départements et régions d’outre-mer59 reste marqué fondamentalement par le principe du monopole de l’État en matière de relations extérieures. Comme il a été souligné, « s’il est un domaine qui demeure difficile à “infra-étatiser”, c’est fort logiquement celui de l’action “internationale”. Les entités infra-étatiques peuvent certes nouer des relations transnationales, mais l’approche des États tiers comme l’accession à la qualité de membres d’organisations intergouvernementales leur est en principe interdite »60. Ce constant réalisé en 2012 reste globalement valable aujourd’hui, surtout pour les DROM, après l’adoption de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 « relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional »61 et de la circulaire du ministère des affaires étrangères et du développement international et du ministère des outre-mer du 3 mai 2017, relative aux compétences exercées par les collectivités territoriales d’outre-mer en matière internationale62 qui respectivement fixent et rappellent les règles à respecter en la matière.
Il en résulte que les collectivités territoriales d’outre-mer peuvent développer principalement une action transnationale dans le cadre de la « coopération décentralisée » avec leurs homologues, être associées à l’action extérieure de l’État, assurer la représentation de l’État ou développer une action extérieure sous son contrôle, participer comme observateur dans des organisations internationales, voir obtenir un statut de membre associé sans être partie contractante à l’acte constitutif et très exceptionnellement devenir membre d’organisations internationales.
À cet égard, pendant longtemps, les cas de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie permettaient seuls d’aller au-delà du droit commun de la coopération décentralisée. Puis la loi d’orientation de l’outre-mer du 13 décembre 2000 a permis la prise en compte de « l’action internationale de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de La Réunion dans leur environnement régional » avant que la loi du 5 décembre 2016 ne vienne renforcer et élargir leur capacité d’action en matière de coopération régionale, dans le respect du rôle de l’État et sous son contrôle63.
Ce sont surtout les collectivités d’outre-mer de l’article 74 qui sont aussi des PTOM, et particulièrement la Nouvelle Calédonie « collectivité d’outre-mer à statut particulier », dont le statut sui generis figure dans la Constitution qui disposent aujourd’hui des attributions les plus étendues en matière de relations extérieures et qui sont les plus présentes avec des statuts divers, et quelques fois depuis longtemps dans des organisations internationales, particulièrement des organisations régio-nales64. Ainsi, l’article 34 du statut de la Nouvelle-Calédonie prévoit que celle-ci peut être, « avec l’accord des autorités de la République », membre, membre associé ou observateur « dans les organisations internationales », et l’article 42 du statut de la Polynésie française que celle-ci peut, « avec l’accord des autorités de la République, être membre ou membre associé d’organisations internationales du Pacifique ou observateur auprès de celles-ci »65.
Concernant les collectivités de l’article 73, dont relève La Réunion, mise à part l’extension du cadre géographique de la coopération régionale, aucune modification des dispositions antérieures relatives à la participation aux organisations internationales n’est intervenue depuis la Loi d’orientation pour l’Outre-mer (LOOM) du 13 décembre 2000 qui insérait dans le code général des collectivités territoriales un article L. 4433-4-5 indiquant que
Les régions de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion peuvent, avec l’accord des autorités de la République, être membres associés des organismes régionaux, mentionnés au premier alinéa de l’article L. 3441-3, ou observateurs auprès de ceux-ci.
Le même article précisait que « Les conseils régionaux de ces régions peuvent saisir le Gouvernement de toutes propositions tendant à l’adhésion de la France à de tels organismes66.
Dans la version consolidée de la loi, au 22 août 2019, et donc postérieurement à l’adoption de la loi du 5 décembre 2016 « relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional », ces dispositions sont restées inchangées, la seule modification concernant l’extension du champ d’application géographique de la coopération régionale prévu à l’article L. 3441-3 du code général des collectivités territoriales67.
Comme l’explicite la circulaire du 3 mai 2017 du Ministre des Affaires étrangères et du développement international et de la Ministre des outre-mer sur « les compétences exercées par les collectivités territoriales d’outre-mer en matière internationale à la suite de l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à 1’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional », dans le cadre des dispositions précitées, il convient de distinguer l’« adhésion » (c’est-à-dire la « participation ») de la France dans les organismes régionaux de celle des collectivités territoriales de l’outre-mer.
Dans le premier cas, il est indiqué que lorsque la France « adhère » à des « organismes régionaux » (ce qui est plus large que le terme « organisation internationale »)
dans les conditions fixées par les statuts constitutifs » elle le fait « en général au titre d’une ou plusieurs de ses collectivités territoriales d’outre-mer situées dans la région. Dans cette hypothèse, il est opportun d’assurer une concertation afin de s’accorder sur des instructions, ou pour convenir éventuellement de la désignation, à tour de rôle, des représentants de plusieurs collectivités territoriales d’outre-mer à la tête de la délégation française68.
Dans le second cas, si l’acte constitutif le prévoit ou que c’est permis par les organes compétents,
les collectivités uniques de Guyane et de la Martinique, les régions de Guadeloupe et de La Réunion et le Département de Mayotte peuvent, avec l’accord des autorités de la République, adhérer en leur nom propre à des organismes régionaux dans la zone Caraïbe, dans la zone de l’Atlantique Nord, au voisinage de la Guyane, ou dans la zone de l’Océan Indien, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations Unies, en qualité de membres associés ou d’observateurs.
On relèvera que d’une part, seuls les statuts de membres associés ou d’obser-vateur sont envisagés, pas celui de membre à part entière, d’autre part que, mis à part le cas de Mayotte, seules les collectivités uniques ou les régions peuvent participer et enfin que dans tous les cas cette participation des collectivités territoriales d’outre-mer (CTOM) en tant que telle n’est possible qu’avec l’accord de l’État.
Il découle de ces dispositions que la procédure permettant la participation des CTOM, donc de La Réunion suppose une procédure comprenant deux phases, l’une interne, l’autre internationale, la première permettant d’établir l’accord des autorités de la République sollicitées par la collectivité, la seconde de négocier avec l’organisation concernée en vue de l’obtention du statut souhaité, observateur ou membre associé. Dans le premier cas, la collectivité sollicite l’autorisation du ministère des affaires étrangères et du développement international et le ministère des outre-mer. Dans le second cas, c’est le Président de l’assemblée délibérante (le Président du Conseil régional pour La Réunion) qui négociera les conditions de la participation à l’organisation régionale.
Dans les deux cas, un accord pourra être passé entre l’État et les collectivités et/ou entre l’État et l’Organisation régionale, accord visant notamment à préciser les modalités de la participation des collectivités à l’Organisation. La directive n’évoque que l’éventualité d’une convention entre l’État et la collectivité qui pour l’instant n’a donné lieu à aucune pratique69. Mais nous avons vu que la pratique suivie pour le statut d’observateur des CTOM dans la zone caraïbe s’accompagnait de la conclusion d’un accord entre la République française et l’organisation concernée.
En effet la participation d’une CTOM à une organisation internationale soulève la question de la répartition des compétences entre l’État et cette collectivité, celle-ci ne pouvant participer que sur les questions de sa compétence et donc respecter la répartition des compétences entre elle et l’État, ce qui n’est pas toujours facile notamment en cas de compétences partagées, et « respecter les engagements internationaux et européens de la France » et donc respecter les compétences de l’Union européenne, en particulier ses compétences exclusives en matière commerciale ou dans le domaine des activités halieutiques70. À cet égard on notera que si la délimitation des espaces maritimes est de la compétence de l’État, dans le cadre du droit international de la mer, la conclusion d’accords de pêche et la conservation des ressources halieutiques relèvent de la compétence de l’Union européenne dans le cadre de la politique commune de la pêche71. Cette question de la répartition des compétences est certainement un des plus gros obstacles à la participation aux organisations internationales des CTOM avec un statut de membre ou même de membre associé dans la mesure où ce statut peut impliquer un droit de vote sur certaines questions. On sait à cet égard les difficultés qu’a rencontré l’Union européenne pour participer aux organisations internationales lorsque cette participation n’est pas exclusive et suppose que soit établie la répartition des compétences entre elle est ses États membres72. On notera à ce sujet que la circulaire du 3 mai 2017 indique que
Lorsque les collectivités sont membres associés ou observateurs d’une orga-nisation régionale, elles informent régulièrement les autorités de la République des travaux en cours au sein de l’organisation, qui pourront demander à être associées à la délégation de la collectivité73.
Enfin concernant la disposition d’après laquelle « Seules les régions d’outre-mer, les collectivités uniques ou le Département de Mayotte peuvent adhérer à une organisation régionale »74, qui vise, d’après l’amendement de l’Assemblée nationale lors de l’adoption de la LOOM, à préserver l’unité de la représentation du territoire, elle implique, concernant La Réunion, que même si la matière concernée est de la compétence du Conseil général, c’est le Président du Conseil régional qui assurera sa représentation75.
En conclusion, on peut dire, au regard du cadre juridique, que des marges de manœuvre existent qui permettraient une plus large participation de La Réunion en tant que telle dans les organisations régionales de l’océan Indien. D’abord bien sûr, comme dans le cas des Antilles et de la Guyane une simple mise en œuvre des textes permettrait une évolution de la participation en tant que telle de La Réunion à ces organisations régionales avec le statut d’observateur ou de membre associé. Resterait alors à convaincre les États membres de la Zone dans un contexte d’affirmation de la volonté d’achever la décolonisation sans oublier aussi bien sûr les autres difficultés à surmonter en matière de coopération régionale ; mais cela est une autre histoire76.
Il est même possible d’envisager d’aller plus loin finalement si la volonté politique de l’État existait. On peut ainsi imaginer qu’une évolution des compétences en matière de relations extérieures combinée avec le souci des États de la région d’encourager l’autonomie voire l’indépendance des collectivités, la République Française faisant preuve de son côté d’une certaine « flexibilité »77… aboutisse à une plus large participation de La Réunion dans les organisations régionales… Cette flexibilité est possible dans la mesure ou finalement le cadre juridique n’est pas un véritable obstacle si la volonté politique de l’État existe. En effet comme on le sait l’ombre de l’acte de gouvernement plane sur tout ce qui touche aux relations internationales, si bien que comme l’a souligné Valérie Goesel-Le Bihan « en ce domaine l’exécutif fait ce qu’il veut ou, en tout cas, agit sans contrôle, puisque le juge administratif n’y pénètre pas ».
Mais il reste encore du chemin à faire, non seulement sur le cadre statutaire et fonctionnel qui pour l’instant reste très classique, mais surtout sur le plan politique, car au-delà du cadre juridique, la question de la participation d’entités infra-étatiques aux organisations internationales est d’abord une question politique : elle dépend des États et de la place politique reconnue ou souhaitée pour ces collectivités qu’il s’agisse des États tiers ou de l’État français. À cet égard les questions en suspens dans l’indianocéanie78, toutes liées à la décolonisation pourraient, comme dans le Pacifique, jouer un rôle dans la place qui sera celle de La Réunion dans les organisations régionales, ce qui évidemment dépend aussi des choix qui seront fait par La Réunion elle-même et par l’État79.