La maritimisation : définition, ébauche d’un indicateur et application aux pays et territoires du sud‑ouest de l’océan Indien (1992‑2015)

Maritimisation: definition, draft of an indicator and application to countries and territories of the South West Indian Ocean (1992‑2015)

Annabel Celeste, Christian Bouchard et Erwann Lagabrielle

p. 57-72

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Annabel Celeste, Christian Bouchard et Erwann Lagabrielle, « La maritimisation : définition, ébauche d’un indicateur et application aux pays et territoires du sud‑ouest de l’océan Indien (1992‑2015) », Carnets de recherches de l'océan Indien, 7 | -1, 57-72.

Référence électronique

Annabel Celeste, Christian Bouchard et Erwann Lagabrielle, « La maritimisation : définition, ébauche d’un indicateur et application aux pays et territoires du sud‑ouest de l’océan Indien (1992‑2015) », Carnets de recherches de l'océan Indien [En ligne], 7 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2023, consulté le 21 décembre 2024. URL : https://carnets-oi.univ-reunion.fr/674

De plus en plus de pays et d’institutions internationales emploient les termes de « croissance bleue » ou « d’économie bleue » afin de qualifier leur stratégie de développement durable sur le domaine maritime. Dans cette étude, nous nous détachons de ces termes qui restent aujourd’hui très flous et leur préférons le terme « maritimisation », un concept économique et géographique qu’on peut définir comme l’accroissement et l’intensification des activités maritimes (transports, exploitation des ressources, activités de loisir, actions de l’État en mer, activités illégales, etc.). Cette étude présente les résultats et l’application d’une méthode pour mesurer la maritimisation via un jeu d’indicateurs maritimes spécifique. Trois groupes de pays sont étudiés sur la période 1992-2015. Le premier est composé des îles du sud-ouest de l’océan Indien, à savoir les Comores, Madagascar, Maurice, Mayotte, La Réunion et les Seychelles. Le second groupe est composé des pays d’Afrique de l’Est, à savoir l’Afrique du Sud, le Kenya, le Mozambique et la Tanzanie. Enfin, le troisième groupe est composé d’une sélection des pays qui sont considérés comme des grandes puissances maritimes, à savoir la Chine, les États-Unis, la France, le Japon et le Royaume-Uni. Globalement, la maritimisation a été plus rapide dans le sud-ouest de l’océan Indien, bien que l’on note des différences importantes entre les îles et selon les activités considérées.

Several countries and international institutions are using the terms “blue growth” or “blue economy” to describe their sustainable development strategy in the maritime sector. In this presentation we detach ourselves from these terms, which remain very vague today, and prefer the term “maritimization”, an economic and geographical concept that can be defined as the increase and intensification of maritime activities (transports, resource exploitation, leisure activities, state actions at sea, illegal activities, etc.). This presentation presents the results and the application of a method to measure maritimization through a set of indicators. Three groups of countries are studied over the period 1992–2015. The first is composed of the islands of the Southwest Indian Ocean: Comoros, Madagascar, Mauritius, Mayotte, Reunion and Seychelles. The second group is composed of the East African countries: Kenya, Mozambique, South Africa and Tanzania. Finally, the third group consists of a selection of countries that are considered as major maritime powers: China, France, Japan, the United Kingdom and the United States. In general, maritimization has been more rapid in the Southwest Indian Ocean, although there are significant differences between islands and by activity.

DOI : 10.26171/carnets-oi_0704

En cinquante ans, le tonnage de marchandises transitant par les espaces maritimes du monde a été multiplié par quatre. En 1970, 2,6 milliards de tonnes de marchandises transitaient par les ports, la moitié du trafic étant constituée de pétrole et de charbon. En 2017, ce sont 10,7 milliards de tonnes de marchandises (+ 310 %) qui ont transité et les hydrocarbures ne représentent plus qu’un quart de ce tonnage. Aujourd’hui, 80 à 90 % du tonnage de commerce international est transporté via la mer. En termes de valeur, les échanges par voie maritime constituent 60 à 70 % du commerce mondial (UNCTAD, 2019). Cette prédominance du transport maritime est associée à sa capacité à déplacer de grandes quantités de marchandises pour un coût relativement réduit. Ceci est notamment lié au transport par des porte-conteneurs de plus en plus gros qui sillonnent les principales routes maritimes du monde. Cela dit, certains pays en développement regardent passer l’armada du commerce maritime. Indéniablement, le montant important des investissements dans des infrastructures portuaires adaptées au gigantisme des navires constitue actuellement l’ultime facteur limitant du développement du transport maritime. Pourtant, même en Afrique, l’intensification des échanges via la mer est significative puisque le continent est passé d’un flux annuel de 45 millions à 150 millions d’équivalents vingt pieds (EVP) entre 1996 et 2017, soit une augmentation de 233 % en 21 ans.

Les termes de « croissance bleue » et « d’économie bleue » sont utilisés afin de décrire ce phénomène d’intensification des activités maritimes. De plus en plus de pays et d’institutions internationales utilisent cette terminologie pour énoncer leur stratégie de développement sur le domaine maritime. Le terme d’économie bleue en lui-même est apparu lors de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable tenue à Rio de Janeiro en 2012. Au départ, le concept relevait du champ du développement socio-économique, plus que de la protection de l’environnement marin. Aujourd’hui, il fait le lien entre les activités économiques et la nécessité d’intégrer la conservation et la notion de durabilité dans la gestion et le développement des activités maritimes (Smith-Godfrey, 2016). Ce terme d’économie bleue, pendant maritime d’une « économie verte » sur les océans, est cependant devenu aujourd’hui un mot-valise dont le flou sémantique est inversement proportionnel à la sa fréquence d’invocation par les différentes institutions. Le terme « économie bleue » recouvre les activités humaines en mer considérées comme durables. Pour les autres, celles non durables de prime abord, l’économie bleue a pour intention de les rendre toutes durables, du moins dans le discours. De ce fait, dans cette étude, nous nous détachons de ce nouveau concept et lui préférons le terme « maritimisation », un concept économique et géographique datant des années 1980 qui ne suggère pas une différence entre les activités durables et activités non durables, mais plus simplement une description d’un phénomène à l’œuvre. Ce terme se retrouve d’ailleurs au cœur d’une réflexion du groupe de travail sur la « maritimisation » et présentée dans un rapport d’information au Sénat français déposé en 2012 (Lorgeoux et al., 2012). Vigarié (1995) définit la maritimisation comme « l’accroissement des échanges internationaux en mer lié à l’accélération de la production ». Nous proposons plus loin dans cette communication une discussion de cette définition.

Au vu de l’intensité de cette maritimisation dans le monde, nous avons voulu la mesurer plus précisément dans le sud-ouest de l’océan, une région fondamentalement maritime. En effet, elle compte quatre États insulaires qui sont les Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles, trois territoires français (La Réunion, Mayotte et les îles Éparses1) ainsi que le Territoire britannique de l’océan Indien (archipel des Chagos, réclamé par la République de Maurice au Royaume-Uni). Ces quatre pays et quatre territoires insulaires possèdent un peu plus de 21 % des zones économiques exclusives (ZEE) de l’océan Indien, soit presque 5,7 millions de km2 de ZEE alors même qu’ils ne représentent que 1,9 % des terres émergées de cette partie du monde. En comparaison, les pays voisins d’Afrique de l’Est qui bordent cet océan possèdent moins de 2,5 millions de km2 de ZEE2 (9,4 %) alors qu’ils représentent 13,3 % de terres émergées. Ainsi, où en sont les États insulaires et les départements français du sud-ouest de l’océan Indien dans ce processus de maritimisation ? Quel état des lieux peut-on dresser de cette maritimisation ? Quels sont les plus gros changements opérés ces vingt dernières années dans le domaine maritime ? Quels sont les principaux enjeux induits par cette maritimisation ?

Dans un premier temps, il nous semble nécessaire de revenir sur ce qu’est la maritimisation : comment la définir et surtout comment la mesurer ? Par la suite, à partir d’indicateurs nous proposons de mesurer la maritimisation dans le sud-ouest de l’océan Indien et de comparer son intensité avec celle des pays africains voisins, ainsi qu’avec certaines grandes puissances mondiales reconnues comme étant des puissances maritimes. Enfin, avec ces résultats, nous prendrons la mesure des enjeux associés à, et induits par, la maritimisation du sud-ouest de l’océan Indien. 

La maritimisation : essai de définition d’un concept multiforme

Dans le Rapport d’information fait au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au nom du groupe de travail sur la maritimisation (Lorgeoux et al., 2012), le mot « maritimisation » est utilisé 31 fois (titre et sommaire compris). Pourtant le rapport ne fait part d’aucune définition concrète. La première mention de la maritimisation est une citation de M. Tallec, conseiller auprès du président de la société CMA-CGM et ancien Secrétaire général de la mer qui dit : « La mondialisation est une maritimisation » (2012, p. 14). On note l’intérêt croissant pour cette notion, mais elle n’est pas définie, ou alors en se référant à celle de mondialisation.

La mondialisation contemporaine est définie comme un processus mondial d’échanges commencé en 1945 ou après 1970 grâce au changement de contexte géopolitique et économique qui a placé les échanges entre espaces plus ou moins éloignés à un niveau supérieur. Ces échanges se sont accélérés et globalisés. Ce processus est néanmoins la continuité d’un processus engagé depuis des siècles, mais son ampleur et sa vitesse sont aujourd’hui d’une importance autre et le processus a pris un caractère irréversible avec la constitution de firmes transnationales et de réseaux financiers de plus en plus globalisés. Cette mondialisation opère grâce à l’abaissement du coût et du temps de transport, en particulier maritime, mais elle s’accomplit aussi via l’essor des télécommunications et des nouvelles technologies numériques. Notons au passage que l’essor des télécommunications passe en partie par la voie maritime avec les câbles sous‑marins.

Tel que défini par André Vigarié dans son ouvrage La mer et la géostratégie des Nations (1995), la maritimisation est un concept économique et géographique qui signifie l’accroissement des échanges internationaux en mer lié à l’accélération de la production. Pour Vigarié (p. 397), « la maritimisation est un phénomène irréversible et croissant ; les nations se tournent de plus en plus vers la mer ; elles y développent sans cesse leurs intérêts, ce qui ne peut à terme que maintenir des situations conflictuelles, dont il ne faut ni aggraver le danger ni sous-estimer l’importance ». Depuis Vigarié, la maritimisation est aussi définie comme un « “phénomène” que connaît toute civilisation » (GIS Histoire Maritime, 2016), un « concept multidimensionnel » (Moundounga Mouity, 2017) ou encore un « processus géopolitique, géoéconomique et géostratégique » (Deboudt et al., 2016).

Dans cette étude, sans exclure les différentes définitions produites, nous définissons la maritimisation comme un processus global et continu d’accroissement des activités humaines liées à la mer, ainsi que les impacts écologiques, politiques et sociaux induits par ces activités. Nous définissions une activité maritime comme étant une activité humaine qui se déroule complètement ou partiellement en mer, ou encore, sur le littoral mais liée à la mer. Cette activité peut avoir un impact sur l’environnement marin et elle peut interagir avec les autres activités maritimes. Les activités maritimes incluent : la navigation et les échanges par mer des biens et des personnes, l’exploitation des ressources océaniques vivantes (pêche, aquaculture, biotechnologies) ou non vivantes (hydrocarbures, énergies marines, ressources minières), le tourisme et les loisirs côtiers et maritimes, les réseaux sous-marins de télécommunications, la régulation et le contrôle des espaces maritimes (défense nationale, sécurité maritime), la conservation de l’environnement marin, l’exploration et la recherche scientifique. On assiste à une intensification des conflits entre ces différentes activités ainsi qu’à un développement des activités illicites telles que la piraterie et le banditisme, dont l’exemple le plus représentatif ces dernières années a eu pour théâtre les espaces maritimes de l’océan Indien occidental avec la piraterie somalienne (Frécon, 2009 ; Hughes, 2011). Parmi les autres activités humaines illicites en plein essor et relevant de la maritimisation, on peut citer la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), le trafic de drogue et autres contrebandes, le travail illégal, le trafic d’êtres humains et les migrations clandestines ; des activités qui sont toutes présentes dans le sud-ouest de l’océan Indien.

Comment mesurer la maritimisation ? Matériels et méthodes

Notre objectif est de mesurer la maritimisation dans le sud-ouest de l’océan Indien sur la période 1992-2015. Les activités maritimes ont été organisées en cinq groupes thématiques : 1) les transports maritimes, 2) l’exploitation des ressources vivantes de la mer, 3) les télécommunications, 4) le tourisme ainsi que 5) la conservation des espaces et des écosystèmes marins. Pour chaque thématique, une variable pertinente a été sélectionnée et renseignée en continu sur l’ensemble de la période étudiée, selon un intervalle temporel de cinq ans. Des harmonisations statistiques de données ont été réalisées lorsque cela était nécessaire. Certaines séries temporelles de données restent incomplètes malgré nos efforts de collecte effectués à partir de bases de données en ligne mondiales, régionales et nationales, ainsi que de rapports spécifiques sur les activités maritimes sur la période étudiée. La totalité des données recueillies couvre un ensemble thématique plus conséquent que celui présenté ici, néanmoins ces cinq thématiques sont parmi les plus représentatives du phénomène de maritimisation. Des tendances d’évolution ont été calculées en pourcentage. Les données collectées sont présentées sous forme de tableaux ou de cartes. Ci-après, nous détaillons les variables (ou indicateurs) retenues pour chaque facette thématique de la maritimisation.

Le trafic maritime (thématique 1) a été renseigné en tenant compte de l’activité de conteneurs manutentionnés en équivalents vingt pieds (EVP) à partir de données fournies par l’UNCTAD (2019) et la Banque Mondiale (2019). L’exploitation des ressources vivantes de la mer (thématique 2) est abordée via les captures de pêche marines (poissons, mollusques et crustacés) avec des données fournies en ligne par la FAO (2019). Les télécommunications (thématique 3) sont renseignées via les activités de câblage sous-marin avec des données fournies en ligne par Telegeography (2019). La quatrième thématique traite du tourisme via le nombre d’entrées touristiques par pays avec des données synthétisées par nos soins à partir de sources diverses (Banque Mondiale, 2019, IRT, 2016, IEDOM, 2015, INSEE, 2011). Enfin, la conservation (thématique 5) est renseignée via des données sur la superficie des aires protégées marines fournies par l’IUCN (2019).

Trois groupes de pays ont été étudiés. Le premier groupe, celui des îles du sud-ouest de l’océan Indien, est composé par les Comores, Madagascar, Maurice, Mayotte, La Réunion et les Seychelles. Le second groupe, celui des pays d’Afrique de l’Est, est composé des pays d’Afrique continentale riverains de l’océan Indien, à savoir l’Afrique du Sud, le Kenya, le Mozambique et la Tanzanie. La Somalie a été écartée de cette étude en raison de l’absence de données disponibles. Enfin, le troisième groupe, celui des puissances maritimes mondiales, est composé d’une sélection de cinq pays qui sont considérés comme des puissances maritimes et servent de jalon pour cette étude : la Chine, les États-Unis, la France, le Japon et le Royaume-Uni. Les résultats sont présentés par pays et par groupe de pays.

La maritimisation dans le sud‑ouest de l’océan Indien

Transports maritimes : entre intensification et sous‑développement

Le nombre de conteneurs mesuré en EVP sert aujourd’hui de référence pour mesurer la dynamique du trafic maritime mondial (tableau 1). Dans notre région, ces données ne sont complètes que depuis les années 2000. L’augmentation du trafic jusqu’en 2015 indique une intensification particulièrement importante dans le sud-ouest de l’océan Indien. Tous les groupes de pays étudiés ont vu leur nombre d’EVP augmenter sur ces quinze années. Si le groupe des pays d’Afrique de l’Est a connu la plus forte augmentation (194 %), celle du groupe des îles est aussi conséquente (118 %). Mayotte est l’île qui a connu la plus forte croissance du nombre de ses EVP, certainement en raison d’une meilleure connectivité maritime globale, mais aussi en raison de son développement économique sur la même période. Il faut d’ailleurs rappeler que le port moderne de Longoni n’a été mis en service qu’en 1992, date balise de notre étude. Globalement, la croissance du trafic maritime qu’ont connu les pays de l’océan Indien occidental a été plus importante sur cette période que pour celles de la France et des États‑Unis.

Dans une précédente étude, nous avons déjà évoqué la croissance rapide du trafic maritime dans le sud-ouest de l’océan Indien, en particulier dans le canal du Mozambique, et les raisons de cette augmentation (Céleste et al., 2019). Pour les pays d’Afrique de l’Est comme la Tanzanie, le Kenya ou le Mozambique, l’évolution en pourcentage est même comparable à celle de la Chine, même si en valeurs absolues (nombres d’EPV), ces pays sont très éloignés de la situation du géant asiatique dans ce domaine. Cette intensification dans la région du sud-ouest de l’océan Indien est concomitante d’un phénomène global d’augmentation du trafic maritime et du développement en cours des infrastructures portuaires. Par contre, ces infrastructures restent peu développées à Madagascar et aux Comores malgré des investissements depuis les années 2000. Maurice et La Réunion ont cependant pu bénéficier d’investissements et d’infrastructures portuaires efficaces, si bien que la saturation du premier a bénéficié au second. En 2018, La Réunion a d’ailleurs tiré avantage d’une réorganisation des lignes d’un des plus grands transporteurs maritimes : CMA-CGM. La société a fait du port de La Réunion sa plateforme de transbordement pour les autres pays de la zone3.

Ressources vivantes : des captures de pêche en augmentation

Selon la FAO, en 2015, 4,7 millions de tonnes de poissons ont été pêchées dans la zone de l’océan Indien occidentale (zone 51 de la FAO). Sur ces 4,7 millions, les pays du groupe des îles ont pêché moins de 5 % du total (quelque 200 000 tonnes) et les pays d’Afrique de l’Est (hors Somalie) presque 6 % (quelque 270 000 tonnes). Pourtant, comme le montrent les données présentées au tableau 2, les captures de pêches marines totales (toutes zones FAO confondues) ont augmenté de manière significative pour le groupe des îles depuis 1992 (91 %). L’augmentation pour les pays du groupe Afrique de l’Est est plus limitée (11 %), mais globalement supérieure à celles des puissances maritimes à l’exception de la Chine (110 %). Parmi les pays du sud-ouest de l’océan Indien, les Seychelles ont eu la plus forte augmentation des captures (1 441 %) sur toute la période. Parmi les pays voisins d’Afrique de l’Est, le Mozambique a connu l’intensification la plus importante (840 %). Pour ce dernier, la pêche est d’une importance capitale pour les populations côtières. La fin de la guerre civile a également permis l’essor de la commercialisation des ressources halieutiques vers les pays développés en forte demande comme l’Espagne et le Portugal pour l’Union européenne.

L’intensification aux Seychelles s’explique par la place centrale de ce pays dans la pêche au thon. Possédant de très bonnes installations portuaires et de traitement de poissons, la plupart des thoniers qui sillonnent l’océan Indien occidental viennent y décharger leur cargaison. Pour exemple, les deux thoniers senneurs de la flotte de La Réunion qui pêchent en haute mer ou dans les eaux des pays voisins débarquent et transbordent leurs prises aux Seychelles. Le même phénomène est observé à Mayotte qui compte cinq thoniers senneurs (Caillart et al., 2017). Ces prises débarquées aux Seychelles ne sont d’ailleurs pas comptées dans les captures de La Réunion et Mayotte. La faible évolution du tonnage des captures, voire la stagnation, pour les Comores s’explique en particulier par une flotte de pêche peu opérationnelle et encore essentiellement traditionnelle. Les troubles politiques que connaît le pays impactent de manière générale l’économie et donc les investissements et le développement de la filière pêche dans l’archipel. La faible évolution des captures pour Madagascar tire également sa source dans ce type de problème politique et économique. L’intensification de la pêche au Mozambique s’explique par de nombreux investissements dans ce domaine à partir des années 2000. L’affaire dite Ematum (Empresa moçambicana de Atum)4 est symptomatique de la maritimisation accélérée du pays. Les politiques et différents acteurs économiques de nombreuses nationalités ont pris conscience de la manne financière que représentent les plus de 1 600 km de littoral du Mozambique. En comparaison et sur cette période, les puissances maritimes ont vu leurs captures de pêche marines baisser à l’exception de la Chine. Cette baisse s’explique par une pêche déjà bien développée, des stocks épuisés et par des quotas restrictifs imposés afin de préserver les stocks et les écosystèmes marins.

Télécommunications : la dernière sous‑région maritime connectée

Sur la carte 1, on peut voir un câble en construction en provenance de l’Atlantique, arriver en Afrique du Sud, puis relier Maurice et poursuivre vers le nord. Ce câble, le BRICS Cable, qui a une importance stratégique connue (Zyw Melo, 2017), doit à terme relier les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) aux États-Unis. Il intéresse les îles du sud-ouest de l’océan Indien puisqu’il permettra d’avoir un débit trente fois supérieur au débit actuel. Malgré ces projets, les îles du sud-ouest de l’océan Indien restent à cette date peu connectées au reste du monde. De ce fait, dès qu’il y a un problème technique (défaut sur un câble non redondant), les connexions sont difficiles alors que les îles5 n’ont que ces moyens maritimes pour rester connectées à haut débit.

La géographie des câbles sous-marins a été étudiée et analysée en tant qu’axes économiques et géostratégiques (Boullier, 2014). Il y en a actuellement 406 principaux à travers le monde, totalisant une longueur de 1,2 million de kilomètres (Telegeography, 2019). Les liaisons entre l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord sont les plus anciennes et leurs capacités sont les plus élevées. A contrario, les câbles sous-marins sont arrivés tardivement dans l’océan Indien car, pendant longtemps, il était presque entièrement bordé par des pays de faible développement. Cette condition a été identifiée et discutée par Vigarié (1995) qui le qualifiait comme « l’océan du sous-développement » concernant les transports maritimes. À propos des télécommunications, Boullier indique que, jusqu’en 2000, « la côte entre Djibouti et l’Afrique du Sud était la dernière au monde à ne pas être équipée d’un câble sous-marin. L’explosion du mobile a démontré la nécessité d’équiper tout le continent avec des liaisons à grande capacité avec le reste de l’Internet, alors que la capacité satellite restait la seule voie » (2014, p. 152). Entre 2000 et 2010, les pays d’Afrique de l’Est ont cependant bénéficié de nombreux investissements pour plusieurs raisons : saturation des autres marchés, recherche de nouveaux marchés, intérêt des équipements mobiles par le continent africain. Entre 2010 et 2019, les projets et les investissements ont continué d’affluer. Dans son étude, Boullier montre qu’entre 2007 et 2012, les câbles sous-marins intercontinentaux reliant l’Afrique subsaharienne ont connu une croissance de 71 % de leurs capacités grâce à des investissements de trois milliards de dollars. On voit alors que certains pays deviennent des « hubs ». C’est le cas de l’Afrique du Sud et du Kenya.

Tourisme : des entrées touristiques de plus en plus nombreuses

Les entrées en nombre ont augmenté pour tous les pays et départements du groupe des îles (101 %). Cette augmentation est même supérieure à celle du groupe des pays d’Afrique de l’Est (97 %) et des puissances maritimes à l’exception de la Chine (150 %). Parmi les entités du groupe des îles, Mayotte (476 %) a connu l’essor touristique le plus important, mais les autres pays comme Maurice (136 %) et les Seychelles (110 %) ont aussi connu une forte croissance de leur nombre d’entrées sur la période. Il est à noter que parmi les pays d’Afrique de l’Est, le Mozambique a connu la plus forte augmentation de la zone (528 %), multipliant son nombre d’entrées par six sur moins de vingt ans durant la période de l’étude.

Entre 1996 et 2015, le nombre de personnes voyageant a augmenté de manière significative dans le monde. Le tourisme lié à la mer concentre aujourd’hui la majorité des pratiques touristiques (Duhamel et Violier, 2009). La part du littoral dans l’engouement touristique est indéniable pour les îles. Le groupe des îles de l’océan Indien bénéficie donc directement de cette attractivité du littoral et de la mer. Les Seychelles et Maurice ont d’ailleurs bâti leur image touristique avec des représentations de plages au sable blanc et fin et d’hôtels luxueux. Différents problèmes d’ordre politique ou sanitaire peuvent cependant impacter le tourisme de ces îles, en particulier Madagascar et les Comores. Pour sa part, La Réunion a connu une période d’épidémie de Chinkungunya en 2005 ce qui explique sa perte de touristes entre 2000 et 2005 (Magnan, 2006). La relation entre mer et tourisme est plus nuancée pour les pays d’Afrique continentale et les grandes puissances en raison de leur importante superficie terrestre et de leur offre touristique diversifiée. La multiplication du nombre d’entrées au Mozambique est à mettre en lien avec l’attrait que représente un « nouveau » pays touristique qui émerge après la fin de la guerre civile en 1992 (Guébourg et Brunet, 1997 ; Kiambo, 2006).

Conservation : une région maritime encore peu protégée

Les pays du groupe des îles qui comptaient 21 AMP6 (Aire Marine Protégée) pour une superficie de 210 km2 en 1992, disposaient en 2015 de 83 AMP couvrant une superficie de 77 414 km2. Cela représente une évolution de superficie de 36 770 % en 23 ans. C’est surtout entre 2005 et 2010 que les îles se sont mobilisées pour créer ces AMP. Si Madagascar possède le plus grand nombre d’AMP dans le groupe des îles, la superficie couverte reste faible par rapport à sa ZEE (8 286 km2 sur environ 1,2 million de km2, soit moins de 1 %). C’est cependant le cas pour tous les pays à l’exception du département français de Mayotte dont l’AMP couvre toute la ZEE, soit plus de 68 000 km2. Les îles Éparses, en particulier les Glorieuses, ainsi que le Territoire britannique de l’océan Indien, qui ne sont pas inclus dans notre groupe d’îles étudié, possèdent néanmoins des AMP. En effet, toute la ZEE des Glorieuses (43 000 km2) et celle du Territoire britannique de l’océan (640 000 km2) ont été désignées comme des zones de protection. En ajoutant ces superficies, il y aurait 760 414 km2 d’AMP dans le sud-ouest de l’océan Indien, soit 13,4 % de la superficie totale des ZEE des îles de l’océan Indien.

Une de nos précédentes études a montré que, dans le canal du Mozambique, le nombre et la superficie des aires marines protégées (AMP) avaient crû de manière significative entre 2000 et 2017 afin notamment de mieux faire face aux différentes menaces qui pèsent sur l’environnement marin (Lagabrielle et al., 2019). Le phénomène ne se limite pas qu’au canal et les pays du sud-ouest de l’océan Indien ont vu se produire le même phénomène dans leur territoire marin. Tous les pays en présence sont signataires de la Convention sur la diversité biologique (CBD) et ils se sont engagés à conserver un minimum de 10 % de leurs écosystèmes côtiers et marins via des réseaux d’AMP (Objectifs d’Aichi 2011‑2020).

Par ailleurs, notre jeu de données se concentrant sur la période 1992 et 2015, cette étude n’inclut pas les dernières volontés de création ou de promulgation des aires marines protégées, mais il est à noter que cet effort se poursuit. En 2018, les Seychelles annoncent leur volonté de créer deux nouvelles zones de protection et de gestion ; la première autour d’Aldabra au nord du canal du Mozambique, et la seconde autour du Groupe des Amirantes et Fortune Bank près de l’île principale de Mahé. Selon les dernières données de l’IUCN, les zones « Aldabra Group » d’une superficie de 176 923 km2 et « Amirantes Group and Fortune Bank » de 173 466 km2 ont été désignées et ont eu une révision de leur plan de gestion en 2019. Ces deux nouvelles AMP portent la superficie totale à 1,1 million de km2 soit presque 20 % des ZEE des îles du sud-ouest de l’océan Indien.

Les enjeux liés à la maritimisation dans le sud‑ouest de l’océan Indien

Enjeux écologiques et liés aux changements climatiques

L’intensification des activités humaines exerce des pressions anthropiques (pollutions, pressions sur les stocks de ressources halieutiques, etc.) qui entraînent la dégradation de l’état des écosystèmes marins, à des degrés variant selon l’intensité des activités et la sensibilité de ces derniers. Halpern et al. (2015) ont évalué les impacts cumulés des activités humaines sur les biotopes marins et leur évolution sur la période 2008-2013. Ils ont mis en évidence que, parmi toutes les régions du monde étudiées, le sud-ouest de l’océan Indien a connu les augmentations d’impact parmi les plus rapides, même si ces impacts restent encore mesurés. Sont particulièrement concernés : les territoires insulaires français et les Seychelles pour le groupe des îles, et la Tanzanie pour le groupe d’Afrique de l’Est. Ces résultats sont également corroborés par l’étude de Tournadre (2014) qui a montré l’intensification du trafic maritime sur la période 1992-2012 avec une croissance de 400 % sur la zone Océan Indien occidentale.

Les impacts liés aux activités humaines se cumulent à ceux des changements climatiques entrainant la dégradation de la fonctionnalité des écosystèmes marins. Certains des pays insulaires comme Maurice, les Seychelles et les Comores font également partie du groupe des petits États insulaires en développement (PEID)7 et se savent menacés par les impacts liés aux changements climatiques. Ils tentent depuis plusieurs années de mettre en place des mesures pour y faire face, même si ces dernières ne sont pas toujours adaptées aux populations locales (Le Masson et Kelman, 2011). Des profils de vulnérabilité aux changements climatiques sont disponibles sur une plateforme en ligne8 produite dans le cadre du projet « Island » de la Commission de l’océan Indien (COI).

L’impact de l’intensification de la pêche sur les stocks de poissons, et donc sur les écosystèmes et l’économie, est également connu par les pays membres de la COI qui ont tenté de mettre en place un programme régional de surveillance des pêches entre 2007 et 2014. Celui-ci avait pour ambition d’échanger des données, de mettre en place des patrouilles maritimes et aériennes et de coordonner les dispositifs de surveillance des pays de la COI, mais aussi ceux des pays d’Afrique de l’Est. Ce programme se poursuit à travers d’autres projets tels que SWIOFISH 1, SWIOFISH 2 et ECOFISH. Aucune étude n’a cependant montré si ces projets étaient efficaces pour lutter contre la surpêche ou la pêche illicite dans le sud-ouest de l’océan Indien.

Dans l’optique de développer l’exploitation des écosystèmes marins tout en se sachant soumis à des pressions grandissantes, ces pays ont adopté la terminologie opportunément floue de « l’économie bleue » qui concerne à la fois selon eux autant le bien-être humain que l’exploitation durable des ressources halieutiques, l’exploitation des énergies marines renouvelables9 ainsi que la réduction de la pollution plastique, l’amélioration du bilan carbone et la préservation de la santé des écosystèmes. La juxtaposition dans le discours de ces objectifs paradoxaux dans leur réalisation semble s’inscrire dans une logique de « bluewashing », plutôt que dans une volonté sincère de protection des écosystèmes marins pour le moins nécessaire à long terme.

Les enjeux liés à la planification spatiale maritime

Pour élaborer et mettre en œuvre des politiques publiques maritimes stratégiques ambitieuses, les pays ont initié des programmes de « planification spatiale maritime » (selon la terminologie de la directive 2014/89/UE de l’Union Européenne). La planification spatiale maritime (PSM) est un processus de nature analytique, politique et publique qui considère la « répartition spatio-temporelle d’activités anthropiques dans les zones marines afin d’atteindre des objectifs écologiques, économiques et sociaux généralement spécifiés dans le cadre d’un processus politique »10. La PSM se fonde sur une connaissance spatiale des écosystèmes et des interactions entre les différentes activités maritimes afin de concilier développement et protection de l’environnement tout en recherchant des solutions pour résoudre des conflits d’ordre socio-économique. Ce processus est étroitement lié à celui de la maritimisation puisqu’il constitue une étape importante de son opérationnalisation stratégique selon une logique rationnelle de recherche d’efficacité et de prévention des conflits (par opposition à une maritimisation chaotique et sauvage). La planification spatiale maritime produit un zonage spatio-temporel des activités humaines en mer, selon une logique de spécialisation des espaces.

Les différents pays de l’océan Indien occidental progressent dans la planification de leur espace marin. Depuis 2019, tous les pays du groupe îles et certains territoires français11 possèdent, ou prévoient de mettre en place, un programme de planification spatiale maritime. Certains d’entre eux, comme Maurice et Madagascar, semblent cependant être au stade de préplanification12 depuis plusieurs années (Allnutt et al., 2012 ; Trouillet, 2018). En effet, Maurice souhaite depuis 2016 l’établissement d’une planification13. À Madagascar, la mise en place d’une PSM est de nouveau évoquée par le gouvernement en 201814. Les Seychelles sont les plus avancées en termes de PSM et sont à la phase 4 du projet. Le plan de gestion a été achevé, mais n’a pas été approuvé par les autorités compétentes15. Concernant les pays d’Afrique de l’Est, la WWF (World Wide Fund for Nature) a lancé le projet « Nord du Canal du Mozambique » qui a pour objectif de participer à la PSM des pays de cette zone géographique et de mettre en place un plan de gestion avec « une vision commune »16. Ce projet n’apparaît cependant pas dans la base de données du programme de l’UNESCO, mais celui recensé par les Nations Unies sur son site concernant le Mozambique17 n’y figure pas également. Pour les îles comme pour les États côtiers de l’Afrique de l’Est, la nécessité de mieux gouverner, planifier et gérer leur domaine maritime est désormais une évidence, tout comme les enjeux stratégiques et sécuritaires liés à la mer.

Les enjeux stratégiques et sécuritaires

Une de nos études (Bouchard et al., 2019) a montré que le canal du Mozambique était un espace devant faire face à des instabilités politiques ainsi qu’à de nombreux défis de sécurité maritime. Ce constat s’applique en réalité à tout l’océan Indien occidental et donc au sud-ouest de l’océan Indien. Les réalités sociales, économiques et politiques dans cet espace, ainsi que son importance croissante dans le système monde, créent des enjeux stratégiques et sécuritaires. D’ailleurs, l’une des dernières études de l’IFRI rappelle les problématiques liées à la sécurité dans cette partie du monde (Tenenbaum et al., 2020). Depuis peu, la menace djihadiste est devenue prégnante en Afrique de l’Est. Si la menace est pour le moment terrestre, le développement des activités maritimes comme l’exploitation de gaz offshore dans le nord du Mozambique et le sud de la Tanzanie pourrait à terme être impacté. Les autres enjeux stratégiques et sécuritaires liés aux espaces maritimes sont également bien connus. Il s’agit pour les pays de la zone de faire face à la piraterie (Hughes, 2011), d’éradiquer la pêche illicite (Mulochau & Gigou, 2017), de développer la régulation et la surveillance du trafic maritime ainsi que de lutter contre l’immigration illégale (Legeard, 2012) et le trafic de drogue18. Logiquement, l’intensification du trafic maritime et de la pêche permet plus facilement de camoufler les trafics clandestins alors que la création de richesse grâce aux ressources marines nourrit les convoitises. Au même titre que la mondialisation, la maritimisation peut donc également contribuer à intensifier ces activités illégales.

Conclusion

La maritimisation dans le sud-ouest de l’océan Indien est un processus rapide, bien installé et irréversible qui touche et profite à tous les pays de la région. Les données récoltées et analysées sur la période 1992-2015 ont permis de quantifier et de qualifier cette intensification dans le domaine du transport maritime, de la pêche, des télécommunications, du tourisme et de la conservation.

Sur la période 1992-2015, la maritimisation du sud-ouest de l’océan Indien a été plus rapide que celle des puissances maritimes mondiales, à l’exception de la Chine, dans presque tous les domaines. Dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien, cette maritimisation a été plus intense, ou du même ordre, que celle des pays d’Afrique de l’Est. Cette maritimisation à un rythme soutenu constitue surtout un rattrapage. Ces pays qui ont tous une façade maritime ont dû s’équiper rapidement afin de s’inscrire dans la logique de maritimisation des enjeux, des politiques publiques et des stratégies géopolitiques associées. Par ailleurs, si les îles semblent former un bloc uni dans notre étude, les disparités de développement entre elles sont cependant bien réelles et se retrouvent dans les disparités de leur maritimisation. Il en va de même pour les pays d’Afrique de l’Est.

Plus spécifiquement, dans le domaine des transports, l’émergence d’une route maritime reliant les Amériques, l’Afrique du Sud et l’Asie a augmenté le trafic maritime dans cette partie du monde. Les îles du sud-ouest de l’océan Indien ont ainsi bénéficié des flux qui parcouraient cette route et ont vu leurs nombres d’EVP augmenter entre 2000 et 2015. Certaines îles comme Maurice ou La Réunion, escales sur cette route, apparaissent aujourd’hui comme des hubs régionaux. L’intérêt de l’Asie pour les matières premières de l’Afrique de l’Est a également intensifié le trafic maritime du Mozambique, de la Tanzanie et du Kenya, alors que l’Afrique du Sud conserve sa place de hub portuaire pour toute l’Afrique australe. Dans le domaine des télécommunications, la maritimisation se traduit par une augmentation du nombre de câbles sous-marins et du débit. Quoique connectées, les îles peuvent encore souffrir de perte de débit en cas de soucis techniques à cause du manque de redondance des câbles. Parmi les îles, l’intensification de la pêche a surtout bénéficié aux Seychelles qui se placent comme le centre névralgique de la pêche thonière dans le sud-ouest de l’océan Indien. Tous les pays doivent cependant faire face à des quotas afin de préserver les stocks communs des grands pélagiques.

Dans le domaine du tourisme, la mer apparaît comme un atout pour les îles de l’océan Indien. Si certaines îles ayant misé sur un tourisme de masse ou haut gamme comme Maurice et les Seychelles ont une économie basée sur cette rente, d’autres pays ou territoires tels que les Comores ou Mayotte ont encore du mal à séduire. Enfin, la maritimisation intense de ces îles n’est pas sans conséquence sur les écosystèmes marins. Certains pays et territoires tentent donc de les préserver en établissant des aires marines protégées. La France et les Seychelles apparaissent actuellement comme les plus avancés dans ce domaine. Par ailleurs, tous tentent de trouver des solutions pour un développement plus durable s’appuyant sur l’« économie bleue », ou tout au moins déployant le discours de circonstance.

Dans une volonté de développer les activités maritimes, les États et territoires insulaires du sud-ouest de l’océan Indien mettent en place des stratégies de gestion de leur domaine maritime, qui se traduisent par un zonage spatial visant à spécialiser des portions de l’espace dans des activités telles que la conservation, la pêche ou le transport. Dans ce cadre, la création d’un indicateur synthétique de maritimisation permettra de suivre l’évolution du processus de maritimisation et l’impact des politiques publiques nationales et internationales en la matière. La présente étude constitue une ébauche de cet indicateur synthétique de maritimisation qui sera, à terme, constitué d’un spectre élargi de variables renseignées par des données statistiques consolidées.

1 Depuis 1976, l’île de Mayotte est revendiquée par Les Comores à la France. Juan de Nova, Les Glorieuses, Bassas da India, Europa et Tromelin forment

2 Voire moins, puisque qu’une partie de la ZEE de l’Afrique du Sud se trouve dans l’Atlantique.

3 Auparavant, la société avait déjà utilisé La Réunion comme hub portuaire avant les années 2000 (Guébourg, 2002). CMA-CGM explique sa stratégie

4 L’affaire Ematum est une dette cachée qui a été contractée par le Mozambique pour l’achat de navires de pêche, mais au final ce sont des navires de

5 En début d’année 2020, le câble sous-marin Safe (South Africa Far East) a été endommagé. C’est la section 3 du câble, celle qui relie La Réunion et

6 Dans cette étude, les aires marines protégées correspondent aux aires protégées (AP) ayant au moins une partie littorale ou marine. Dans les données

7 Reconnu comme groupe de pays en développement à part par la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (CNUED) depuis 1992

8 Portail régional sur le changement climatique des pays membres de la COI, disponible sur : http://regionalclimate-change.sc.

9 Communiqué de la COI et du bureau sous régional pour l’Afrique de l’Est de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (UNECA) du 16 

10 Définition disponible sur le site « Programme de Planification Spatiale Maritime » de l’UNESCO et de la Commission océanographique

11 L’un des derniers programmes, soit celui de La Réunion intitulé « Océan Métiss », ne s’occupe que de la PSM de La Réunion. Si le projet est financé

12 Sept phases de PSM ont été identifiées par le « Programme de Planification Spatiale Maritime » de l’UNESCO et de la Commission océanographique

13 Article faisant mention de l’intention du gouvernement mauricien d’établir une PSM au Department for Continental Shelf, Maritime Zones

14 Article de la presse locale : https://www.newsmada.com/2018/08/02/planification-spatiale-marine-deux-experts-internationaux-dans-son-murs/.

15 Un tableau rassemblant les statuts de la planification par phase au sein des pays ayant un projet de PSM est disponible ici : http://mspfr.

16 Descriptif du projet disponible ici : https://www.wwf.fr/projets/nord-canal-mozambique-gestion-marine-concertee.

17 Source : https://oceanconference.un.org/commitments/?id=17170.

18 Selon UNODC (United Nations Office on Drugs and Crime), l’océan Indien étant traversé par une des routes maritimes les plus fréquentées au monde

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1 Depuis 1976, l’île de Mayotte est revendiquée par Les Comores à la France. Juan de Nova, Les Glorieuses, Bassas da India, Europa et Tromelin forment les îles Éparses. Les quatre premières sont revendiquées par Madagascar à la France depuis 1973. La cinquième île est revendiquée par Maurice à la France depuis 1976.

2 Voire moins, puisque qu’une partie de la ZEE de l’Afrique du Sud se trouve dans l’Atlantique.

3 Auparavant, la société avait déjà utilisé La Réunion comme hub portuaire avant les années 2000 (Guébourg, 2002). CMA-CGM explique sa stratégie nouvelle pour La Réunion sur son site internet : http://www.cma-cgm.fr/local/reunion-agencies.

4 L’affaire Ematum est une dette cachée qui a été contractée par le Mozambique pour l’achat de navires de pêche, mais au final ce sont des navires de surveillance qui ont été livrés. Un article reprenant l’affaire est disponible sur Le Monde Afrique : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/01/08/l-economie-du-mozambique-dans-le-rouge-sur-fond-de-scandale-ematum_4844174_3212.html.

5 En début d’année 2020, le câble sous-marin Safe (South Africa Far East) a été endommagé. C’est la section 3 du câble, celle qui relie La Réunion et Maurice, qui était concernée. La profondeur de la coupure étant importante et les conditions météorologiques mauvaises en mer, l’impact négatif de cet incident a été perceptible dans les deux îles pendant de nombreuses semaines. Un article d’un journal local réunionnais rapporte les incidents : https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/internet-reunion-perturbation-prevoir-cable-marin-est-coupe-795305.html.

6 Dans cette étude, les aires marines protégées correspondent aux aires protégées (AP) ayant au moins une partie littorale ou marine. Dans les données de l’IUCN, elles ont une valeur de 1 (côtier : AP marine et terrestre) et 2 (AP à 100 % marine). Le calcul de la superficie ne prend en compte que la superficie marine, non la superficie totale de l’aire protégée.

7 Reconnu comme groupe de pays en développement à part par la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (CNUED) depuis 1992.

8 Portail régional sur le changement climatique des pays membres de la COI, disponible sur : http://regionalclimate-change.sc.

9 Communiqué de la COI et du bureau sous régional pour l’Afrique de l’Est de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (UNECA) du 16 décembre 2019 : https://www.commissionoceanindien.org/cp-coi-uneca-economie-bleue/.

10 Définition disponible sur le site « Programme de Planification Spatiale Maritime » de l’UNESCO et de la Commission océanographique intergouvernementale : http://mspfr.ioc-unesco.org/a-propos/la-planification-spatiale-marine/.

11 L’un des derniers programmes, soit celui de La Réunion intitulé « Océan Métiss », ne s’occupe que de la PSM de La Réunion. Si le projet est financé par l’Union européenne, le soutien de la COI a exclu Mayotte du projet pour des raisons politiques (Mayotte n’étant pas concernée par l’action de la COI).

12 Sept phases de PSM ont été identifiées par le « Programme de Planification Spatiale Maritime » de l’UNESCO et de la Commission océanographique intergouvernementale.

13 Article faisant mention de l’intention du gouvernement mauricien d’établir une PSM au Department for Continental Shelf, Maritime Zones Administration and Exploration, disponible à : http://www.govmu.org/French/News/Pages/Espaces-marins-Atelier-de-travail-r%C3%A9gional-ax%C3%A9-sur-la-planification-spatiale-marine.aspx.

14 Article de la presse locale : https://www.newsmada.com/2018/08/02/planification-spatiale-marine-deux-experts-internationaux-dans-son-murs/.

15 Un tableau rassemblant les statuts de la planification par phase au sein des pays ayant un projet de PSM est disponible ici : http://mspfr.ioc-unesco.org/applications-psm/statut-de-psm/.

16 Descriptif du projet disponible ici : https://www.wwf.fr/projets/nord-canal-mozambique-gestion-marine-concertee.

17 Source : https://oceanconference.un.org/commitments/?id=17170.

18 Selon UNODC (United Nations Office on Drugs and Crime), l’océan Indien étant traversé par une des routes maritimes les plus fréquentées au monde, ces mêmes routes sont souvent utilisées comme « plateformes pour divers délits maritimes » dont le trafic de drogue.

Annabel Celeste

Université de La Réunion
annabel.celeste@univ-reunion.fr

Christian Bouchard

Université Laurentienne (Sudbury, Canada)
cbouchard@laurentienne.ca

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Erwann Lagabrielle

Université de La Réunion
erwann.lagabrielle@univ-reunion.fr