Avant-Propos

Les mondes de l’océan Indien : pouvoir des symboles, montée des insécurités

Marie-Annick Lamy-Giner et Hélène Pongérard-Payet

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Marie-Annick Lamy-Giner et Hélène Pongérard-Payet, « Avant-Propos », Carnets de recherches de l'océan Indien [En ligne], 9 | 2023, mis en ligne le 01 mars 2023, consulté le 02 mai 2024. URL : https://carnets-oi.univ-reunion.fr/895

La revue fête ses cinq années d’existence. Consacré à des Varia, ce numéro 9 continue de répondre à l’orientation, à savoir une ligne inter et transdisciplinaire, qu’a prise la revue au fil des parutions.

Les varia ici présentés couvrent un vaste horizon géographique, du continent africain (le Mozambique et le Rwanda), en passant par les îles (La Réunion, les Comores), jusqu’en Inde. Ils embrassent, par ailleurs, une fois n’est pas coutume, tous les océans (par le prisme des Outre-mer). Rédigés aussi bien par des apprentis chercheurs que par des enseignants-chercheurs confirmés, les articles publiés en philosophie, géographie, sciences du langage ou en économie se situent parfois à la croisée de deux ou trois thématiques de recherche.

Ce numéro est traversé par diverses questions autour de l’expression symbolique des émotions (articles de Merlier ; d’Andry), de l’insécurité linguistique (article de Lebon-Eyquem, de Blanchet et de Bergeron) et de l’attractivité internationale des régions (article de Didier), ainsi que par des problématiques environnementales (articles de Brou ; de Johnson) et conflictuelles (article de Brito). De manière générale, la question des symboles et « des insécurités » ou « menaces » sert de fil rouge à ce numéro.

Philippe Merlier ouvre le numéro avec un article portant sur la philosophie du bharatanatyam, une forme majeure de danse classique tamoule originaire du Tamil Nadu. À travers une série de mots-clés, hospitalité, incarnation ou encore symbole, l’auteur interroge les relations entre Bharatanatyam et philosophie indienne, les liens intrinsèques qui les unissent. Il offre, ce faisant, un regard philosophique sur le thème de la danse indienne.

À l’heure du tout numérique, Morgane Andry nous livre une belle étude sur les émojis, ces pictogrammes qui traduisent un sentiment ou une activité de manière à être compris universellement. Ce travail interroge la place que les émojis jouent dans le paysage linguistique créolophone. Les résultats de ses recherches portent sur l’usage et la pratique liés à l’émoji à La Réunion, entre affects et représentations identitaires, dans un contexte plurilingue.

Mylène Lebon-Eyquem, Philippe Blanchet et Christian Bergeron proposent un travail exploratoire sur la glottophobie dans l’espace réunionnais, c’est-à-dire sur les discriminations à prétexte linguistique, plus particulièrement à l’université de La Réunion. Ces discriminations qui s’opèrent dans différents lieux et domaines de vie, vécues au quotidien, concernent principalement le comorien et le shimaoré. Il est à noter que les discriminations relatives au créole perdurent mais qu’elles se font davantage à bas bruit. Ce travail particulièrement fourni, riche d’enquêtes et de retours d’expérience, a été également mené en Ontario, en Bretagne et à Aix-en-Provence ; et la comparaison des résultats pose en creux la question de l’insécurité linguistique.

Télesphore Brou nous entraîne dans la capitale rwandaise, Kigali, au cœur du « pays aux mille collines ». Son travail offre une analyse géohistorique de l’extension urbaine de la ville de Kigali et de ses conséquences sur l’évolution des îlots de chaleur. Une analyse par quartier est opérée et permet de faire ressortir les principales poches de chaleur. L’identification et le suivi des surfaces chaudes de la capitale rwandaise pourront ainsi devenir un outil d’aménagement et de santé publique.

Après la chaleur de la ville, la contribution de Pierre Johnson nous apporte un parfum d’ylang-ylang. Il décortique la chaine de valeur des huiles essentielles d’ylang-ylang dans l’archipel des Comores. L’auteur donne à lire une étude exhaustive, de la production à la distillation. Il brosse, avec minutie, le portrait de l’ensemble des acteurs de la filière, sur fond de crise conjoncturelle. L’avenir de la filière passe par une meilleure coordination entre les différentes catégories d’acteurs.

Albano Brito, Fabrice Folio et M-Annick Lamy-Giner nous plongent dans une guerre qui ne dit pas son nom et qui déstabilise le Mozambique. Elle prend deux formes : celle, d’une part, d’une proto-guerre (2013-2016), réminiscence de la guerre de libération, qui se déroule dans le centre du pays et dont il reste quelques rebellions (conduites par une faction armée résiduelle dissidente de la Renamo), et celle, d’autre part, du terrorisme, qui s’enracine dans le nord du territoire. Les deux « conflits » sont les reflets et symboles de la défaillance de l’État. Ils sont intimement liés à des processus, parfois sur un pas de temps long, d’exclusion sociale et économique de pans entiers de la population.

Laurent Didier étudie l’intégration économique des régions françaises dans la mondialisation, en comparant la situation des régions de l’Outre-mer, en particulier des « quatre vieilles colonies », à celle des régions de l’Hexagone. À cette fin, il dresse leur profil économique et social ainsi que leurs stratégies d’internationalisation via le marketing territorial. Puis, il évalue leur degré d’internationalisation à l’aune d’indicateurs de l’OCDE et d’un indice synthétique forgé de toutes pièces. L’étude révèle un faible niveau d’internationalisation, d’autant plus faible dans les colonies que leurs spécificités, vulnérabilité et plus grande précarité par rapport aux régions continentales sont tour à tour soulignées, en dépit de disparités régionales.

Enfin, ce numéro spécial d’anniversaire se termine par de brèves recensions d’ouvrages dédiés au droit dans l’océan Indien. Jonas Knetsch invite à se familiariser avec la « Bibliothèque de l’Association Henri Capitant », composée d’une collection d’ouvrages sur les systèmes juridiques étrangers, exposant les grandes lignes de droits venus d’ailleurs, notamment de l’océan Indien. Une grille de lecture de deux titres clés pour l’Indianocéanie – Droit de Madagascar et Droit de l’Île Maurice – parus respectivement en 2021 et 2022, est proposée.

Hélène Pongérard-Payet présente également une Bibliographie juridique de l’océan Indien, en anglais a Legal Bibliograhy of the Indian Ocean. Fruit d’un long travail de recherche bibliographique mené par Jonas Knetsch, ce recueil précieux, édité en 2021 en version à la fois française et anglaise, réunit près de 3 000 références doctrinales couvrant le droit de plusieurs pays et territoires de l’océan Indien : les Comores, Madagascar, Maurice, le Mozambique et les Seychelles, ainsi que Mayotte, La Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises.

Puisse ce 9e numéro symbolique, dédié aux mondes de l’océan Indien, augurer d’une longue lignée éditoriale de la revue après cinq belles années d’existence !

Marie-Annick Lamy-Giner

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Hélène Pongérard-Payet

M.-A. Lamy-Giner, PR en géographie, OIES, Université de La RéunionH. Pongérard-Payet, MCF HDR de Droit public, CRJ, Université de La Réunion

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