Merci à Malcy Roche et à Jean-Luc Blay de m’avoir accordé l’autorisation de présenter les dessins (Paul Cassien) ou les photographies (André Blay) de leurs aïeuls.
DOI : 10.26171/carnets-oi_0203
En présentant une réflexion qui mobilise les termes d’exotisme, d’identité et de paysage, on s’aventure sur un territoire mouvant tant les assertions et acceptions de ces trois termes sont multiples et discutées. Leur mise en relation dessine de nombreuses brèches potentielles, susceptibles de nous engloutir dans des débats dogmatiques infinis. Si l’on rajoute à ce constat la notion d’image et le principe d’une approche iconologique, on comprendra que les observations présentées dans cette analyse supposent une certaine prudence, eu égard aux champs sémantiques et sémiologiques croisés et/ou superposés, mis en jeu dans ce parcours.
Ce dernier a pour terrain d’observation l’île de La Réunion. En se rattachant à la question de l’expression exotique et identitaire « portée » par le paysage, son objectif est de souligner le contenu et la transformation des perceptions portées sur le paysage réunionnais qui, selon nous, est passé par une évaporation de l’exotique au profit d’une condensation de l’identitaire. Le choix d’un recours au matériau iconographique est un biais expérimental qui présente une certaine pertinence, si l’on accepte de considérer l’image dans sa relation au paysage, comme une forme de langage porteur de sens et de signes, capable de révéler d’une manière féconde et originale quelques-unes des expressions du paysage, comme celles de l’exotisme ou de l’identité.
Fonder la cohérence de l’hypothèse, d’une métamorphose de la représentation exotique du paysage réunionnais sous une nouvelle apparence nourrie pleinement du sentiment identitaire, suppose un préalable conceptuel et méthodologique.
De la représentation exotique à l’expression identitaire
Hypothèses conceptuelles et méthodologique
Le désir du paysage exotique
La définition de l’exotisme renvoie à celle de l’exotique qui est présentée, dans la plupart des dictionnaires, comme une propriété (ou une qualité) attribuée à une personne, à une chose, ou à une idée « qui appartient à un pays étranger, généralement lointain ou peu connu ; qui a un caractère naturellement original dû à sa provenance ». Adjectif apparu vers 15522 dans la langue française, l’instrumentalisation de son substantif au XIXe siècle est étroitement liée à l’expansion coloniale des Européens. C’est donc dans une mise en relation de mondes jusqu’alors séparés ou s’ignorant, que mûrit le sentiment d’exotisme. Ce sentiment procède d’une subjectivation de l’ailleurs dont la relativité dépend du lieu (ou du point de vue) de l’observation et de la culture de l’observateur3. L’essence même de l’exotisme nous invite donc d’emblée à nous projeter dans un système spatial.
Sans occulter sa complexité, celui-ci pourrait être décrit assez simplement de la manière suivante. La perception d’exotisme est générée et éprouvée à partir d’un point référencé dans l’espace qui est celui de l’observateur4, vis-à-vis d’un autre point de l’espace formalisant le lieu vu et l’observé. Ces deux points sont reliés par une dimension physique qui est celle de la distance, elle-même pouvant être spatiale ou/et temporelle. On peut supposer ainsi que l’intensité du sentiment d’exotisme expérimenté par l’observateur varie en fonction de la longueur de cette distance et de la cumulation ou non entre spatialité et temporalité. Cette fonction théorique ne s’applique pas aussi simplement puisqu’il faut aussi tenir compte du profil cognitif de l’observateur, en particulier de ses idées et de ses conceptions de l’œcoumène. Cela implique d’intégrer son intellection du monde et sa perception culturelle des autres. Enfin, il faut replacer cette construction dans la perspective de l’évolution des connaissances sur le monde. En théorie, l’augmentation crescendo et partagée de celles-ci devrait conduire in fine à la disparition de tout sentiment d’exotisme. Dit autrement, le « début du monde fini » impliquerait l’évanouissement progressif de l’exotisme. Cette spéculation intellectuelle reste très incomplète car elle n’incorpore pas ce qui fait la spécificité de tout système : les relations entretenues entre les éléments qui le composent et qui l’animent. Entre le point de vue et le lieu vu, entre l’observateur et l’observé, ces relations oscillent entre conjonction et disjonction. La conjonction se repère souvent dans la description du paysage inconnu de l’autre par l’utilisation d’une médiation comparative qui puise son argumentaire dans le connu du paysage de l’observateur (Racault 1995). Si la conjonction rapproche l’un de l’autre, elle s’épuise à un moment donné ou sinon l’exotisme ne saurait exister et c’est alors la disjonction qui prend le relais. En effet, l’autre (espace, individu, société), pour être perçu dans son exotisme, ne peut pas être pensé identique à soi. Cela conduit à poser la question de la symétrie de l’exotisme. Cette perception est-elle partagée par l’observateur et l’observé, ou bien l’exotisme n’est-il qu’un sentiment européen ? La question est difficile à trancher. En effet, on est tenté d’en faire un sentiment culturellement européen dont le développement serait plus ou moins directement lié à l’expansion coloniale. Or, la perception d’exotisme semble bien présente dans les autres cultures, comme l’exprime le regard japonais porté sur « l’Occident » à l’heure du Meiji. Dans tous les cas, l’exotisme reste un regard autocentré ou ethnocentré qui a produit de nombreux albums d’images à partir du milieu du XIXe siècle.
Dans les catégories du visuel exotique, les découvreurs européens ont particulièrement exposé les ethnotypes et les paysages. Le succès des ethnotypes ne s’est jamais démenti durant toute la seconde moitié du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle. Comme la plupart des espaces insulaires tropicaux, La Réunion n’échappe pas à cette rencontre improbable avec l’autre. Les clichés d’Henri Bévan5 relayés en écho par les grandes revues illustrées comme celle du Tour du Monde d’Édouard Charton6, fixent « le pittoresque » ethnographique de l’île dans des postures caricaturales qui rejoignent celles figées par le regard inquisiteur des collections anthropométriques.
Construite de manière tout aussi ethnocentrée, la topologie de l’exotisme (le point, le mouvement, la trajectoire, la distance) interpelle le géographe par l’angle du paysage. Souligné par Jean-Marc Besse comme « l’ordre du monde qui se fait visible » (2000, p. 62), le paysage est au cœur des territoires de l’exotisme. Réalisée par l’intermédiaire de l’imagerie coloniale, la médiatisation des terres nouvellement explorées renforce, chez les Européens, et à la fin du XIXe siècle, le désir du paysage exotique impulsé jusqu’alors par le mythe insulaire tahitien ou par le sublime des horizons orientaux. Sur quels ressorts fonctionne le paysage exotique et quels sont les éléments géographiques qui permettent de l’identifier ? Les spécialistes de la littérature du voyage et du roman d’aventure ont précocement exploré ce terrain ; tous signalent les figures de l’éloignement, de l’inconnu pour dire l’exotisme. Lise Queffelec précise que pour le roman d’aventure :
les règles de la composition du paysage exotique sont toujours les mêmes […] Les deux principales en sont l’excès et le contraste. Excès des couleurs, des tailles dans tous les éléments de la nature (Queffelec, 1988 : 335).
C’est aussi à travers la toponymie et les terminologies vernaculaires que s’exerce l’exotique ; ainsi Georges Simenon, cité par Sylvain Vénayre (2004, p. 68), écrit-il dans L’aventure est morte en 1938, que pour faire un récit d’aventure, il suffit de peindre la réalité par des couleurs exotiques :
Lisez le même roman en remplaçant les mots baobab, palmier, palétuvier, par le mot arbre. Du coup le charme est rompu. Remplacer le mot calumet par le mot pipe, le mot tomawack par le mot hache, et voilà vos indiens qui perdent cinquante pour cent de leur poésie (Simenon, 1938, p. 118).
La géographie et le paysage participent donc bien au désir d’exotisme même si pour ce dernier, il s’agit souvent d’une géographie rêvée (projetée) et de paysages virtuels. L’utopie de l’ailleurs qui lui est associée en est la meilleure illustration, puisqu’ailleurs est une indéfinition géographique, « un autre lieu que celui où l’on est » (Littré), et qu’ailleurs se décale sans cesse vers un autre ailleurs par rapport à la succession des points atteints par le voyageur en quête de cette destination impossible. Si la figure de l’ailleurs échappe en partie à l’analyse spatiale, on peut alors poser la question de la réalité du paysage exotique. Il faut ainsi distinguer les espaces exotiques projetés – ceux qui font rêver mais qui restent, dans une localisation indécise, confinés aux modèles spatiaux de l’exotisme (l’île tropicale, le désert, la jungle) – des espaces réellement parcourus auxquels la perception européenne attache la qualité exotique. C’est dans ces derniers que réside la matérialité du paysage exotique. C’est dans ceux-là que l’on peut tenter de distinguer les éléments spatiaux de l’exotisme, même s’il est difficile de dissocier dans l’exotique, l’image du perçu in situ, de sa représentation emblématique in visu. Ainsi pour Tahiti, il est presque impossible de séparer le paysage que l’on découvre en visitant l’archipel, de sa perception comme géosymbole du mythe insulaire tropical.
La reconnaissance des marques exotiques dans le paysage est délicate car l’esprit a tendance à se perdre entre la logique et le symbole par l’interférence de deux conceptions fondatrices de l’exotisme paysager. La première rend exotique tout espace qui nous est inconnu et la seconde repère l’exotisme du paysage par référence aux archétypes spatiaux institués par les grands voyages autour du monde et les expéditions coloniales. Pour rendre le repérage cohérent, il faut s’en tenir à quelques principes énoncés plus haut et être conscient que l’identification de ces marques est le fait d’une « centration » géographique et culturelle, dans laquelle la distance, l’inconnu et le pittoresque sont les critères de cette révélation. Dès lors, le paysage dans ses multiples composantes physiques et sociales s’offre à toutes les perceptions de l’exotisme. Dans un cas, il peut s’agir de la végétation qui marque d’exotisme l’espace découvert, dans un autre c’est l’excessive moiteur du climat équatorial qui est ressentie comme très exotique, ou encore la singularité de l’architecture d’un habitat et son intégration à l’environnement, comme par exemple les maisons Toraja et leurs jardins (Sulawesi). Certains « mots » de la géographie sont aussi des invitations au paysage exotique : l’atoll, le lagon, le reg, l’oued, et peut-être plus modestement, le pack, la banquise… Cette nomenclature typifiante ne doit pas faire oublier que l’exotisme porté par le paysage ne résulte pas d’un seul trait géographique mais de la mise en relation de plusieurs éléments physiques et humains qui, ensemble, composent l’exotique. Les rizières étagées de Bali perdraient tout exotisme sans les temples qui les accompagnent, les sonorités du gamelan, les cortèges de canards blancs qui s’y baignent, en l’absence de l’association homme – buffle, et en effaçant la présence majestueuse des volcans. On réalise par cet exemple que si dans l’exotisme l’archétypal est toujours présent, la singularité est toute aussi nécessaire.
La perception de l’exotisme du paysage sous la forme d’une « esthétique du divers », chère à Segalen (1986), nous renvoie à l’altérité et donc implicitement à l’identitaire. Liées de manière indicible, ces deux perceptions du paysage, exotisme et identité, invitent à une réflexion dialogique entre : le sentiment et l’affirmation, l’extérieur et l’intérieur, le superficiel et le profond, l’ailleurs et l’ici, le loin et la proximité, l’autre et moi, le pittoresque et le sublime, l’hier et l’aujourd’hui…
Le paysage comme marqueur de l’identité
Pour l’observateur culturellement extérieur au paysage analysé, les marques les plus évidentes de l’identitaire sont souvent celles qui mettent en représentation les signes du pouvoir politique ou religieux. La Grande Muraille, Machu Pichu, Angkor Vat sont des mémoires spatio-culturelles reconnues qui intègrent un contenu identitaire établi. Ces marqueurs forment le premier degré de la perception de l’identité dans le paysage et ils en constituent les hauts lieux. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de la notion de haut lieu que la relation entre le paysage et l’identitaire est particulièrement saisissable. Dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Bernard Debarbieux précise que :
le haut lieu est […] à la fois une localisation géographique particulière, vécue comme étant singulière en raison de sa forte charge symbolique, et un lieu qui rend possible l’expression d’une adhésion individuelle à une idéologie collectivement partagée (Debarbieux, 2003, p. 448‑449).
La qualité symbolique attribuable à ce point particulier de l’espace est déterminée parce qu’il est un « lieu de condensation des valeurs, de convergence de pratiques et d’expérience des émotions ». Dans un article plus ancien (Debardieux, 1995, p. 97‑112), l’auteur distingue les hauts lieux en fonction des différents niveaux d’investissement symbolique dont ils sont chargés pour assumer leur fonction identitaire. Il identifie ainsi les lieux attributs qui sont les lieux notoires du territoire, plus ou moins conventionnellement déterminés dans cette attribution. Ils sont particulièrement visibles dans l’iconographie populaire qui en multiplie les expressions (la tour Eiffel pour Paris, le Corcovado pour Rio de Janeiro, le Zoma pour Tananarive…) Les lieux génériques les suivent. Ce sont des lieux plus communs qui expriment de manière générale des structures identitaires du territoire. Debarbieux cite le petit village de plaine, l’école du village, qui sont autant d’images allégoriques pour signifier les empreintes culturelles du territoire. Les lieux de condensation sociale et territoriale sont la troisième figure rhétorique développée par l’auteur. Ce sont des lieux symboliques très forts qui répondent à la condition « qu’un individu y éprouve le sentiment d’une commune appartenance avec le groupe qui établit ou entretient la signification symbolique de ce lieu » (Debarbieux, art. cit., p. 100). On peut toujours aller plus loin dans la typologie du haut lieu (Bédard, 2002, p. 49‑74), mais pour ce propos, celle de Debarbieux reste un canevas suffisant pour envisager au moins deux degrés de perception de l’identité dans le paysage, étant entendu que le haut lieu n’est souvent qu’une partie du paysage et qu’il ne formalise pas la totalité de celui-ci.
Immergée dans la notion d’identité, la proposition de Debarbieux invite à faire des hauts lieux, les espaces privilégiés de l’identitaire. Cette conceptualisation peut permettre de distinguer les paysages qui intègrent un lieu de condensation ou un lieu attribut, pour lesquels la perception de l’identité est facile, des autres paysages, souvent les plus nombreux, qui incorporent des lieux génériques dans lesquels la perception de l’identité est plus délicate. La cour réunionnaise s’inscrit dans ce dernier cas. Pour le visiteur extérieur, la part identitaire de ce paysage est peu perceptible alors que les habitants de l’île condensent une partie de leur identité dans cet aménagement spatial. La perception de l’identitaire dans le paysage est ainsi tributaire de la proximité culturelle de l’observateur vis-à-vis de l’espace observé. Certains paysages ne livrent pas d’emblée leur caractère identitaire. Les lieux de la coutume en Mélanésie, les pistes sacrées des aborigènes australiens ne sont visibles qu’aux yeux de « l’exote ». Enfin, l’identité dans le paysage peut être aussi une (re) connaissance d’un lieu à travers son expérimentation. En ce sens, ce lieu existe comme expérience individuelle par rapport au paysage des lieux de condensation où le sentiment identitaire est partagé collectivement. L’évolution de la représentation de l’exotisme comme de l’identité dans le paysage procède de cette double perception, celle de l’individu et celle de la société.
L’évaporation de l’exotisme et la condensation de l’identitaire
Pendant de longues années, la distance physique a été une condition déterminante pour la découverte de l’exotisme. Aujourd’hui, sans véritablement altérer cette constance, la généralisation et la banalisation des images de l’ailleurs et de l’autre, la contraction du temps dans le voyage, la massification des déplacements vers les lointains, rendent l’exotisme de plus en plus improbable. Déjà, dès la fin du XIXe siècle, les grands voyageurs déploraient la perte de l’exotique et en 1988, le colloque sur l’exotisme, tenu à La Réunion, s’ouvrait en ces termes :
Maintenant que l’extrême rapidité des voyages en avion efface les différences et érode irrémédiablement les altérités, maintenant que la terre est « rincée de son exotisme » comme s’en était déjà rendu compte Henri Michaux après Victor Segalen terrifié par l’abrasion de la diversité et l’invasion du même, peut-être est-il temps d’en revenir à l’exotisme comme objet historique et daté, comme utopie « périmée » de la différence (Buisine, Dodille, Duchet, 1988).
Si la disparition supposée de l’exotisme est avant tout celle qui était associée à l’expansion coloniale des Européens au cours du siècle précédent, peut-on y voir aussi une perte de l’exotisme paysager permettant de réduire la relation ambiguë à l’altérité ? Rien n’est moins sûr, puisqu’il subsiste un avatar mercantile de l’exotisme du XIXe siècle, décliné sous forme de valeur spéculative qui oriente le marché du voyage et ensuite, parce qu’il existe des résistances individuelles assez fortes ancrées sur un désir d’exotisme face au risque d’une banalisation du monde qu’introduiraient les processus de la mondialisation.
Cette réaction contemporaine conduit à valoriser parallèlement la perception de l’identitaire qui apparaît alors comme un dépassement du regard exotique conduisant à une consécration du paysage-identité. Les politiques de conservation du patrimoine paysager mondial (UNESCO) misent totalement sur ce comportement en inaugurant une nouvelle approche au sein de laquelle l’identitaire est promu comme une sublimation de l’exotique permettant alors au paysage de s’inscrire dans une dimension territoriale. Tout aussi idéelle que celle de l’exotique, la perception de l’identité dans le paysage relève de ce renouvellement du regard.
Fort de tous ces éléments et en s’intéressant aux paysages de La Réunion, on peut soutenir l’hypothèse d’une évaporation de l’exotisme au tournant des années qui suivent la départementalisation (1947), au profit d’une condensation de la perception identitaire du paysage, mobilisée de façon intensive par les acteurs de la mise en tourisme de l’île qui s’attachent à en rénover l’image. Bien que schématique, ce scénario semble opératoire pour cet espace insulaire. En effet, pendant assez longtemps, la société coloniale a su taire consciemment ou inconsciemment les ferments de la revendication identitaire parmi sa diversité ethnoculturelle, focalisant le regard exotique de ses visiteurs sur la « civilisation de la varangue » et sur ses paysages associés. La réalité contemporaine, dans laquelle les derniers arrivants ont su s’affirmer comme des éléments organiques de la société réunionnaise en faisant reconnaître leurs spécificités culturelles, conduit à promouvoir le regard identitaire dans la perception des paysages de l’île. Le biais de l’image en constitue un révélateur efficace.
L’approche iconologique
On sait l’importance de l’image dans la représentation du paysage. Déjà par l’essence même de ce dernier, qui dans sa dimension artistique est un « tableau dont le thème principal est la représentation d’un site généralement champêtre, et dans lequel les personnages ne sont qu’accessoires » (Littré), mais surtout pour la géographie où l’image reste une part importante de la formalisation de son discours scientifique. Grande productrice et forte consommatrice de représentations iconographiques, la géographie en offre une belle diversité depuis la simple photographie jusqu’aux modélisations des géosystèmes plus complexes, en passant par le bloc-diagramme des paysages7. Autosuffisante par ses productions en termes de ressources iconographiques, jusqu’à une période récente la géographie n’a pas jugé nécessaire de prospecter en profondeur le champ des représentations artistiques sur le paysage. Pourtant, dans certains des espaces de l’exotisme, là où les géographes n’étaient encore que très peu présents, comme à La Réunion au XIXe siècle, la représentation du paysage a souvent été assumée par des artistes, des fonctionnaires ou des voyageurs naturalistes de passage sur l’île. Si leurs réalisations sur le paysage ne répondent pas directement à une finalité géographique, l’écart avec les images produites par les géographes reste assez limité. Invitant à ouvrir une voie de réflexion féconde sur les perceptions du paysage, Gilles Sautter avait déjà implicitement signalé l’intérêt d’investir les images artistiques dans son article sur « le paysage comme connivence » (1979). Depuis, cette voie s’est largement enrichie notamment sur la question de l’invention du paysage, dans laquelle la perception phénoménologique est mise en jeu.
Cette intuition de l’invention du paysage par le biais du regard esthétique s’est épanouie plus visiblement dans certaines disciplines. Les publications d’Anne Cauquelin (2000) et d’Alain Roger (1995, 2000) en sont les points de repère les plus significatifs. L’invention du paysage y apparaît comme un dépassement de l’utilitarisme de l’espace. Celui-ci n’est plus simplement un environnement fonctionnel pour les hommes qui l’habitent, mais il devient un perçu affectif qui différencie les lieux selon leur qualité esthétique, elle-même définie en fonction du regard culturel des sociétés. Cette artialisation in visu évoquée par Alain Roger suppose une conscience du paysage qui émerge assez souvent d’une sensation de beauté ou d’effroi, d’angoisse ou de plénitude… ou d’exotisme, éprouvée par la contemplation de ce fragment « de la nature qui s’offre à la vue ». Cela signifie que le paysage ne peut exister sans une transcription intellectuelle qui l’identifie et le formalise. Mais en quoi consiste cette transcription ? Dans Les Raisons du paysage, A. Berque, en traversant les passerelles jetées par les auteurs précédents, propose quatre critères pour identifier l’existence de la notion (ou du sentiment) de paysage dans les perceptions d’un groupe social. La présence conjointe de ces quatre révélateurs :
des représentations linguistiques pour dire le paysage ; des représentations littéraires, orales ou écrites, chantant ou décrivant les beautés du paysage ; des représentations picturales, ayant pour thème le paysage ; des représentations jardinières, traduisant une appréciation esthétique de la nature (Berque, 19958),
permet d’affirmer l’invention et l’existence du paysage. On se rend bien compte que la conception de l’artialisation du paysage mêle étroitement les notions de représentation, d’identité culturelle et de manière moins évidente celle d’exotisme. La thématique de l’exotique et de l’identitaire dans le paysage invite donc le géographe à intégrer les représentations artistiques à ses observations. Elles constituent des mémoires sur le paysage, révélatrices des conceptions en cours dans les sociétés qui les ont produites. Mais comment les analyser ?
Pour l’image en général, les outils méthodologiques disponibles reposent sur les travaux de l’histoire de l’art et sur ceux de la sémiologie graphique. La géographie qui a une longue tradition du commentaire de document, en particulier dans le domaine de la cartographie, développe aujourd’hui de nouvelles pistes méthodologiques en direction de l’image figurative, comme la photographie. On doit cette impulsion aux travaux de Didier Mendibil. Dans son étude sur l’iconographie géographique de la France (Mendibil, 1997), ce chercheur a mis au point des outils9 permettant de cerner les pratiques iconographiques des géographes, en particulier dans le domaine de la textualisation des images. Ses recherches les plus récentes développent une réflexion méthodologique sur les formats de l’image (Mendibil, 2005, 2006). C’est cet outil qui est mobilisé pour cette réflexion.
Toute représentation du paysage procède d’une opération de cadrage. Le cadre marque la limite entre l’espace réel projeté dans sa totalité et le fragment qui en est représenté. Le choix du cadrage est à la fois technique et intellectuel, technique par le choix du point de vue, intellectuel par le rapport entretenu entre le sujet et l’objet observé. La figure 1 synthétise les diverses vues obtenues pour la représentation des paysages en combinant les modalités de cadrages et les points de vue. On peut alors supposer que la qualité d’exotisme et d’identité portée par le paysage est plus facilement observable dans les représentations qui combinent des cadrages subjectivants avec les points de vue proche et médian (A3-B3). On peut rajouter quelques débordements possibles vers les cadrages recentrés et les points de vue distants (A2-C3). Cette base méthodologique constitue un point de départ intéressant, mais elle est insuffisante pour séparer exotisme et identité dans la mesure où ces deux perceptions sur le paysage restent confinées au même registre de vues. La distinction doit se faire en prenant en compte les éléments développés plus haut sur les marques de l’exotique et de l’identitaire dans le paysage.
Pour illustrer l’hypothèse de départ concernant une évaporation de l’exotique au profit d’une condensation de l’identitaire dans la représentation du paysage réunionnais, on a choisi de travailler sur les dessins de Paul Cassien comme expression de l’exotique et sur les clichés d’André Blay pour les marques identitaires dans le paysage. En livrant, certes, un point de vue artialisé sur le paysage, leurs représentations n’en témoignent pas moins d’une perception géographique.
L’exotisme des paysages de Paul Cassien comme « esthétique du divers » et les vues paysagères d’André Blay comme patrimoine identitaire
Le paysage végétal, marqueur de l’exotique chez Paul Cassien
Lorsqu’il débarque à La Réunion, le 12 avril 1861, Paul Cassien10 est d’emblée conquis par la puissance des jeux de la lumière sur le relief et par l’exubérance de la végétation. Cette première complicité entre le médecin militaire de la Marine et l’île ne se démentira jamais au cours de son séjour. Mieux, sa résidence à Hell Bourg au cœur du cirque de Salazie le confirme dans cette intuition et en amplifie la sensibilité. La durée de son premier passage sur l’île modifie et enrichit son regard en le dépouillant assez rapidement des « oripeaux » de l’exotisme pour promouvoir dans son œuvre une « esthétique du divers » totalement ouverte sur l’autre. Mais curieusement, cet autre à La Réunion s’incarne chez Cassien par le paysage. Délaissant rapidement la piste galvaudée des représentations ethnotypiques, le médecin se consacre entièrement à l’espace intérieur de l’île.
Les traces iconographiques qu’il laisse pour les paysages de La Réunion de la seconde moitié du XIXe siècle sont des matériaux intéressants pour le géographe. Il y trouve une forme d’interpellation paysagère qui implique sa discipline et qui l’oblige à réfléchir aux autres formes d’appréhender la représentation de l’espace. Ses paysages portent l’empreinte de l’exotisme et de l’identité selon la période considérée et la maturation de son regard. Pour notre propos, on retiendra les paysages qui sont marqués par le pittoresque de la végétation.
Si l’exotisme existe dans le travail de Cassien, c’est bien dans la représentation des paysages végétaux qu’il explore tout au long de sa découverte de l’île. La luxuriance, le désordre, le rapport de l’ombre et de la lumière dans le fouillis apparent de l’abondante végétation sont autant de marques qui expriment sa perception exotique de l’île. Les études des fougères arborescentes qui reviennent régulièrement au fil de ses dessins, soit comme motif principal, soit comme sujet complémentaire, retiennent particulièrement le regard. La plupart des naturalistes ou des illustres voyageurs qui ont précédé Cassien depuis Philibert Commerson jusqu’à Auguste Billiard, en passant par le docteur Philippe Petit-Radel, Du Petit Thouars et Bory de Saint-Vincent, tous ont été frappés par cette plante quasi emblématique des hauts de l’île. Le docteur Cassien n’échappe pas à cette attirance qui se mue, parfois, dans certaines de ses compositions en une sorte de fascination. Si d’autres espèces, comme les affouches, le tamarin des hauts, le bois de fer ou les bananiers ont leur planche personnalisée, la complétude du regard de Cassien consiste à dépasser le particulier pour esquisser une synthèse végétale. Et c’est sans doute, à cette échelle, que son expression picturale exotique trouve son plein épanouissement. La vue d’ensemble dans laquelle il excelle, lui permet de camper ces magnifiques ambiances de sous-bois un peu ténébreuses et presque menaçantes. Les arbres y sont tellement vivants qu’ils semblent tendre désespérément leurs branches dans un enchevêtrement anarchique vers une lumière qui n’est jamais très loin, même si l’ombre l’emporte provisoirement. Ce thème lui est si essentiel qu’il n’hésite pas à s’y mettre en scène, soulignant à la fois l’échelle de la scène et plus implicitement sa séduction pour le paysage végétal de La Réunion. Au-delà de la thématique végétale, dans certaines vues paysagères, on peut trouver également le pittoresque qui caractérise la perception exotique de l’observateur. Parmi les nombreux dessins de ses cahiers, on a choisi de commenter deux dessins qui peuvent apparaître comme caractéristiques de l’expression exotique chez Cassien et représentatives de ce contenu pour le paysage.
Déclinaison du végétal
Cette vue (fig. 2) de la forêt de Belouve se localise sur le flanc oriental du rempart de Salazie. La composition est fondée sur un point de vue proche et un cadrage subjectivant (format iconographique A3). Elle est structurée sur les deux affouches qui délimitent l’espace du promeneur au premier plan. Ce cadre végétal est incisé par un sentier dont la perspective s’enfonce dans l’obscurité du sous-bois. Les fougères arborescentes sont disposées en sentinelle sur le côté du chemin et la confusion de la masse végétale à l’arrière-plan ajoute sa part à la force de l’image. Aux yeux de l’Européen, la marque de l’exotisme dans ce paysage repose sur le caractère étranger de la végétation.
Fig. 3 - Maison du garde forestier à Belouve
(Coll. Malcy Roche)
La figure 3 repose sur les mêmes ressorts, même si le cadrage par rapport à la petite case forestière est plus théâtralisé (format iconographique A2). La vue s’ordonne sur la succession tamarins des hauts - fougères arborescentes, dessinée dans un espace plus ouvert qui laisse percevoir, entre les nuages, un fragment du relief. Si la composition échappe au tout végétal, au moins par son titre, l’expression de la végétation reste le marqueur essentiel de l’exotisme de ce paysage.
Quand l’ailleurs s’éloigne au profit de l’ici, que devient l’exotisme ?
Ce dernier dessin de Paul Cassien (fig. 4) illustre un autre aspect dans sa perception du paysage. Si les précédents étaient marqués par la découverte de l’île et de sa végétation pittoresque, cette vue témoigne du dépassement de l’exotique chez le médecin de Salazie au profit des marques plus subtiles de l’identitaire. L’image expose le bivouac d’un groupe (visiteur, guide et porteurs) dans la caverne Dufour au Piton des Neiges avec, en arrière-fond et émergeant d’un socle de nuages, le Piton de la Fournaise. La construction du paysage n’est pas fondée ici sur l’exotique, elle s’appuie sur un lieu attribut (la caverne Dufour), sur des pratiques mémoriales de l’espace (les cavernes comme abri privilégié lors des excursions sur les hauts sommets de l’île) et sur des postures culturelles attachées aux lieux (la veillée autour du feu dans la caverne comme complexe spatial pour transmettre les « zistwar lontan »). Ces derniers indices soutenus par un format iconographique subjectivant (A3) conduisent à ranger cette image plus directement dans la catégorie des vues identitaires du paysage de La Réunion.
Le paysage chez André Blay ou l’identité comme connivence
Né à La Réunion en 1914, André Blay11 est l’un des plus talentueux représentants des photographes réunionnais pour les années 1950-1960, en particulier par son travail sur les paysages de l’île, même si son œuvre ne doit pas être confinée à ce seul aspect.
Encore plus que chez Cassien, la démarche de Blay se fonde résolument sur une esthétisation du paysage. Dans le contexte iconographique de cette période, où les apports extérieurs à l’île ont été assez nombreux mais pas exclusifs, André Blay participe comme certains de ses confrères (André Albany, Bruno Bénard) à une réappropriation de la représentation de l’île. Si certaines de ses vues sur la société réunionnaise peuvent apparaître comme des clichés exotiques, de fait, elles témoignent d’une connaissance profonde de ses structures culturelles. La lecture de ses images évacue rapidement l’apparence de l’exotique pour se confiner à une fine perception des attitudes sociales attribuées à chacun des groupes de la société insulaire. Son vécu et sa sensibilité aux nuances culturelles lui permettent de fixer une réflexion profonde sur l’identité réunionnaise. Pour le paysage, son travail répond à la même approche. Un regard superficiel interpréterait ses compositions comme une image objective de la réalité observée, car construite à partir d’un point de vue médian et d’un cadrage recentré et évacuant toute sensibilité de la part du photographe. En approfondissant la lecture, très vite on s’aperçoit que le point de vue utilisé renvoie à un haut lieu générique de l’île, et que cette vue paysagère se rattache beaucoup plus à un format identitaire.
André Blay est un véritable révélateur du haut lieu et un artiste du point de vue. C’est dans cette conjonction conceptuelle que se situe l’expression identitaire perceptible dans la plupart de ses clichés paysagers. On peut pour s’en convaincre observer certaines de ses vues sur le Piton de la Fournaise. En ouvrant à sa recherche un champ expérimental exceptionnel, le domaine volcanique l’a très vite attiré. Le paysage volcanique, qu’il perçoit avec une rigueur quasi scientifique, ce que démontre la conception de certains de ses cadrages, est la matière du signifié sur lequel il va agir en travaillant les contrastes de lumière et la profondeur des modelés. La transmutation du matériau volcanique lui permet d’amplifier les perceptions du signifiant jusqu’à frôler la poésie (fig. 5). En mémorisant la forme produite par l’énergie du Volcan, ce qui peut constituer une trace utile pour le spécialiste, l’image de Blay transcende par l’expression poétique cette fonction pédagogique pour toucher la plénitude du paysage volcanique.
L’expression identitaire du paysage chez A. Blay
Avec la photo du village de Cilaos (fig. 6), on se situe dans le champ du cadrage subjectivant associé à un point de vue lointain et à une vue plongeante (C3). L’image campe bien la donne identitaire perceptible dans le paysage. Tout d’abord, par l’exposition d’un lieu attribut, Cilaos pour La Réunion, puis surtout par la fixation et la révélation d’une ambiance (un climat) spécifique à Cilaos qui compose une partie de l’identité écologique du cirque.
Réalisée entre 1955 et 1960 dans le Massif du Piton de la Fournaise, cette photo du cratère Commerson (fig. 7) transmet assez bien l’expression identitaire du paysage volcanique de La Réunion. Utilisant un point de vue proche (la bordure du cratère), un cadrage subjectivant (la végétation du premier plan, mais surtout la partie effondrée de la lèvre du cratère offrant ainsi une ouverture sur le vieux massif volcanique à l’arrière-plan), le cliché expose un des hauts lieux du volcan. L’histoire du voyage à la Fournaise signale son importance comme marqueur d’étape dans l’excursion, mais surtout pour sa valeur symbolique dans l’approche et l’expérimentation du paysage volcanique. Jusqu’au début des années 1960, il est donc possible d’en faire un lieu de condensation, au sens donné par Debarbieux à ces lieux, comme « cadres d’expériences individuelles qui procurent au sujet le sentiment d’agir sur la forme et participer activement à sa symbolisation » (Debarbieux, 1995, p. 100). Le cratère Commerson est un signifié comme lieu d’identité de la Fournaise, mais il est aussi signifiant comme lieu de l’expérience individuelle et collective du voyage au Volcan. En s’y réunissant, les visiteurs communient leur sentiment d’appartenance au paysage volcanique réunionnais. Introduite par l’achèvement de la route forestière de la Fournaise en 1965, la banalisation du voyage lui a fait perdre sa vertu de condensation et, désormais, le cratère Commerson s’apparente beaucoup plus à un lieu attribut. Dans les deux cas, la perception de « l’esprit du lieu » participe à l’expression identitaire de ce paysage.
L’affirmation de l’identitaire et la tentation du pittoresque
Comme chez Paul Cassien mais dans une posture inversée, le travail iconographique d’André Blay ne se cantonne pas au registre de l’expression identitaire pour exposer le paysage réunionnais. Il lui arrive de succomber à la tentation du pittoresque paysager pour construire une vue qui se prête, en apparence, à l’expression exotique mais qui ne s’éloigne pas véritablement de la perception identitaire. Son cliché du petit train de La Réunion (fig. 8) traversant la Petite Ravine, entre Saint-Leu et la Saline, est un modèle du genre. Le point de vue et le cadrage utilisés (format iconographique B3) amplifient le pittoresque de la scène dans laquelle le moment de capture de la lumière est essentiel. Mais cette image dépasse l’expression exotique en condensant chez l’observateur réunionnais le sentiment identitaire. En effet, la vue du Pti train lontan est devenue, aujourd’hui, une représentation quasi emblématique intégrée au patrimoine culturel de l’île.
Au terme de cette expérience iconographique, on peut préciser quelques remarques. L’importance de l’image dans la formulation du paysage est un constat peu discutable pour les géographes. L’apport de l’analyse des travaux de Cassien et de Blay est donc de signaler modestement l’intérêt qu’il y a pour la discipline de s’aventurer sur d’autres pistes que celles qu’elle emprunte généralement lorsqu’il est question du paysage et de sa représentation. La tentative d’une iconologie géographique en est une parmi d’autres et en améliorant encore l’efficacité de ses méthodes, cette approche ouvre un champ d’investigation très riche.
L’hypothèse de départ sur le passage de l’expression exotique à celle de l’identitaire dans le paysage réunionnais est globalement cohérente même si la réalité observée demeure plus complexe. En effet, les regards de Cassien et de Blay, historiquement datés, ne témoignent pas exclusivement de l’une ou de l’autre expression. Ceci démontre qu’il est impossible de faire de l’exotisme ou de l’identitaire l’expression d’une période historique spécifique. Quelle que soit l’époque invoquée, c’est surtout la consistance de l’héritage culturel de l’observateur, sa connaissance de l’espace représenté et l’ouverture du monde qui seront déterminantes pour la perception de l’une ou l’autre de ces qualités dans le paysage.
Enfin, loin d’être un « objet historique et daté, [une] utopie “périmée” de la différence », l’exotisme fait aujourd’hui un retour en force sous de nouveaux oripeaux. Mobilisé comme stratégie d’appel pour vendre des destinations singulières, l’exotisme marchand ne contredit pas la banalisation du monde. Il en est une contrefaçon habillement dissimulée qui fabrique des clichés. Ceux-ci participent à la tentative d’un réenchantement du monde par le « beau paysage », en mettant en valeur la « griffe identitaire » comme nouvel exotisme. Proposée aujourd’hui par des photographes reconnus, la séduisante façon d’exposer le paysage par l’intermédiaire de « l’hélévision » (cf. les productions de Yann Arthus-Bertrand) et de la touche identitaire en est une expression éloquente.