DOI : 10.26171/carnets-oi_0303
Introduction
Appuyés sur l’économie la plus avancée de la sous-région, les ports sud-africains dominent largement le paysage portuaire de l’Afrique australe (M.-A. Lamy-Giner, 2011 ; J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner, 2018). Certains ont derrière eux un long passé, mais plusieurs sont de construction récente, ce qui est assez unique à l’échelle africaine dont le dispositif portuaire est largement hérité de la période coloniale. La présente étude vise à identifier les premiers effets de la mise en service, fin 2009, du dernier né de ces nouveaux ports sud-africains, Coega1, et à en explorer le potentiel. Plusieurs travaux géographiques d’ensemble ont été consacrées durant les quarante dernières années au système portuaire sud-africain, du magistral ouvrage de B. Wiese (1981a) aux articles de T. Jones (1990 et 1991), J. Charlier (1997), M.-A. Lamy-Giner (2005)2 ainsi que de J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner (2019). Une large part a été faite dans ces travaux aux exportations de pondéreux et aux zones industrialo-portuaires qui sont associées aux deux histoires à succès précédentes du développement du système portuaire sud-africain que sont les ports de Richards Bay (F. Folio, M.-A. Lamy-Giner & S. Guyot, 2000) et de Saldanha Bay (L. Welman & S. Ferreira, 2016). Cette double dimension vraquière et industrielle est également présente à Coega, qui présente cependant l’originalité d’être aussi un port à conteneurs, ce qui a toujours été refusé à ses deux prédécesseurs.
Créés l’un et l’autre en 1976 et respectivement marqués par un trafic considérable de charbon ou de minerai de fer à l’exportation, Richards Bay et Saldanha Bay figurent désormais parmi les cinq principaux complexes du continent avec, intercalé entre eux, le principal port plurifonctionnel du pays, Durban. Plaque tournante du trafic national des hydrocarbures, celui-ci est par ailleurs le premier port à conteneurs du pays (M.-A. Lamy-Giner, 2006) et aussi le troisième du continent derrière Port Saïd, au débouché du canal de Suez, et Tanger Med, mis en service en 2007 sur la rive sud du Détroit de Gibraltar (N. Mareï, 2016). Situé à une vingtaine de kilomètres au nord du port historique principal de l’actuelle province du Cap oriental, Port Elizabeth, Coega forme avec celui-ci un bipôle fonctionnel aux activités et aux projets étroitement imbriqués, ainsi qu’il apparaîtra dans la suite. Dans le cas des deux nouveaux ports de la génération précédente, la distance est supérieure et l’indépendance plus affirmée par rapport aux deux ports historiques à proximité desquels ils furent créés : Saldanha Bay dans l’actuelle province du Cap occidental à 120 kilomètres au nord du Cap et Richards Bay au KwaZulu-Natal à 160 kilomètres au nord de Durban.
Dans cette contribution, il ne sera question que des six principaux ports sud-africains précités, qui concentrent l’essentiel des trafics et aussi des projets des autorités du pays en matière portuaire et de développement des liaisons terrestres, en particulier ferroviaires, vers et depuis l’arrière-pays. Deux ports secondaires, aux trafics plutôt déclinants, complètent le dispositif national : un autre port historique au Cap oriental, East London, et un autre nouveau port au Cap occidental, Mossel Bay (créé en 1987). Même s’ils ont une certaine importance locale, ils ne seront pas spécifiquement envisagés dans la suite, mais ils ont été pris bien évidemment en compte dans les totaux nationaux qui seront mentionnés dans nos tableaux et dans le texte. Nous n’envisagerons pas non plus ici les ports des pays voisins, qui exercent une certaine concurrence par rapport aux sud-africains, en particulier Maputo au Mozambique, qui est plus proche de Johannesbourg que ne l’est Durban (M.-A. Lamy-Giner, 2009 et 2016) et nous ne nous attarderons pas davantage sur le transit terrestre, dans les ports sud-africains, de cargaisons destinées à ces pays voisins ou issues de ceux-ci, qui concerne également surtout les établissements du KwaZulu-Natal (J. Charlier, 1997). Nous prendrons par contre en compte la fonction de transit mer-mer, parce que les trafics conteneurisés en transbordement ont un relief important dans le nouveau port sud-africain qui est au cœur de notre propos et dont il s’agit d’une des raisons d’être, dans une relation planifiée de complémentarité par rapport au principal port à conteneurs national, Durban (doublement pénalisé par une accessibilité nautique inférieure et par une congestion chronique).
Nous nous limiterons dans cette étude à une période de douze ans (2006-2018) que nous avons fait débuter un peu avant la mise en service de Coega, pour mettre en évidence l’effet de celle-ci en termes de redistribution des cartes dans le système portuaire sud-africain, à mesure de la montée en puissance de ce nouveau port ; celle-ci fut cependant bien moins spectaculaire que, à l’autre extrémité du continent, celle de Tanger Med, où les trafics en transbordement ont un relief plus considérable encore et se sont bien davantage développés (J. Charlier & N. Mareï, 2019). Dans les deux cas, la mise en service d’un nouveau port est venue bouleverser le paysage portuaire national, avec d’un côté comme de l’autre la volonté de renforcer une des façades maritimes du pays qui était sous-équipée, les rivages méditerranéens d’une part, la partie la plus méridionale de ceux de l’océan Indien de l’autre. Au Maroc, le résultat obtenu est plus spectaculaire qu’en Afrique du Sud, puisqu’en 2018 le nouveau port marocain affichait un trafic total de 52,1 millions de tonnes (Mt dans la suite) contre seulement 11,7 Mt pour son homologue sud-africain. Certes, ce dernier est entré dans la course deux années plus tard, mais la dynamique portuaire n’est pas la même dans les deux pays, ce qui est pour partie le reflet de leur rythme de croissance économique contrastée3.
Vue d’ensemble sur le système portuaire sud‑africain
Jusqu’à la mise en service des ports vraquiers exportateurs de Richards Bay et de Saldanha Bay en 1976, le long littoral sud-africain (2850 kilomètres) n’était équipé que de quatre ports de commerce plurifonctionnels issus de la période coloniale, aux activités longtemps fort modestes. En 1955, leur trafic total n’atteignait que 15,1 Mt (T. Jones, 1951a et 1951b), dont près de la moitié pour Durban (7,2 Mt) ; les trois autres se partageaient le reste, avec par ordre d’éminence décroissante Le Cap, (4,5 Mt), Port Elizabeth (2,2 Mt) et East London (1,2 Mt). Ces ports se trouvent à l’origine des trois plus anciens corridors de transport du pays, qui convergent vers la province actuelle du Gauteng, axée sur la principale métropole du pays, Johannesbourg, et sur sa capitale, Pretoria (figure 1). Amorcé à Durban, le plus puissant et le plus plurimodal de ceux-ci, le Natcor (ou corridor du Natal) est aussi le plus court (722 kilomètres de gare centrale à gare centrale). Ayant son origine au Cap, le Capecor (ou corridor du Cap) est le plus ancien mais aussi le moins emprunté de nos jours par les flux d’import/export en raison d’une distance fort supérieure (1530 kilomètres ferroviaires). Entre les deux, il y a le Southcor, (ou corridor méridional) qui présente deux branches convergeant vers Springfontein ; la principale, qui est la seule significative de nos jours, est amorcé à Port Elizabeth (à 1112 kilomètres ferroviaires de Johannesbourg) ; aujourd’hui fortement délaissée, la seconde avait pour origine East London (à 1023 kilomètres ferroviaires de la métropole nationale, en tronc commun sur 548 kilomètres avec la ligne issue de Port Elizabeth).
Dans un pays comme l’Afrique du Sud, où le marché routier interprovincial n’a été libéralisé que dans les années 1990, les chemins de fer ont une importance toute particulière dans les relations d’arrière-pays des ports de commerce, même si des autoroutes et autres routes à fort débit doublent désormais les principales voies ferrées du pays ; leur configuration générale est identique à celle de ces dernières, à l’exception d’un axe littoral (auto)routier continu plus ou moins parallèle à la côte qui faisait défaut au niveau ferroviaire et se révèle un complément fort utile à celui-ci. C’est pourquoi est-ce avant tout le réseau ferroviaire hérité du passé qui conditionne la configuration des arrière-pays portuaires traditionnels (B. Wiese, 1981a ; M.-A. Lamy-Giner, 2005 ; J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner, 2019). Ceci s’explique d’autant plus aisément que les ports et les chemins de fer ont longtemps été gérés par une administration unique (la tentaculaire South African Railways and Harbours Administration ou SAR&HA) et constituent de nos jours encore les deux composantes majeures des activités de la puissante société d’état Transnet SOC Ltd. Sa principale division est en charge du transport de fret par voie ferrée (Transnet Freight Rail ou TFR), mais pas de ceux de voyageurs, qui ont été logés dans une autre structure (la Passenger Railway Authority of South Africa, ou PRASA) ; sa composante portuaire est double, avec d’une part une autorité portuaire nationale chargée de la gestion administrative neutre des huit ports du pays (Transnet National Port Authority ou TNPA) et d’autre part un opérateur de terminaux publics (Transnet Port Terminals ou TPT) à côté duquel on trouve aussi des opérateurs de terminaux privés (A. Meyima & M. Chasomeris, 2016)4.
Condition sine qua non du succès des deux opérations (B. Wiese, 1981b), la mise en service, en 1976, des nouveaux ports vraquiers de Richards Bay et de Saldanha Bay s’est accompagnée de celle de deux corridors supplémentaires, purement ferroviaires ceux-là, unissant ces deux ports aux régions où sont extraites les pondéreux concernés : le charbon, principalement dans l’actuel Mpumalanga, et le minerai de fer, dans la partie orientale du Cap septentrional, respectivement. C’est ainsi que la Coal Line (la ligne du charbon) et l’Orex Line (la ligne exportatrice du minerai de fer) sont venues compléter le dispositif ferroviaire national, sur respectivement 588 kilomètres depuis Ermelo et 861 km depuis Sishen (plus 36 kilomètres pour une antenne vers Postmasburg inaugurée en 2011), selon un schéma de couplage ferro-portuaire traditionnel en Afrique dans le cas des filières minières (R. Pourtier, 2004). Même si ces deux axes sont à voie étroite (1,067 m) comme la presque totalité du réseau de l’Afrique australe, ils écoulent un trafic considérable, de l’ordre de 100 Mt/an dans le premier cas et de 50 Mt/an dans le second. Il s’agit de lignes électrifiées (comme toutes les plus importantes du pays) et très lourdement équipées, parcourues par les plus gros trains de fret du pays et du continent ; d’une longueur respective de 2500 et de 3780 mètres, ceux-ci forment des convois de 204 et 342 wagons, qui acheminent des charges de 20.800 tonnes vers Richards Bay et de 41.400 tonnes vers Saldanha Bay.
Ce sont ces deux lignes spécialisées dans le trafic des pondéreux qui expliquent que Richards Bay et Saldanha Bay viennent aux premier et troisième rangs des ports sud-africains pour le tonnage total. Ainsi qu’il apparaît au tableau 1, ils affichaient respectivement 103,5 Mt et 63,4 Mt en 2018, contre 83,2 Mt pour Durban qui a perdu son premier rang national au profit de Richards Bay depuis les années 1980. Un grand écart s’observe par rapport aux trois ports moyens qui complètent le dispositif national, dont le trafic cumulé 2018 était inférieur à celui de Saldanha Bay : Le Cap (16,1 Mt), Port Elizabeth (13,5 Mt) et le dernier né, Coega (11,8 Mt). En tenant compte aussi des deux ports secondaires d’East London (2,2 Mt) et de Mossel Bay (1,6 Mt), le total national s’établissait à 295,3 Mt en 2018, faisant de l’Afrique du Sud la première puissance portuaire du continent africain.
Tableau 1 – Évolution récente du trafic total des ports sud‑africains (millions de tonnes)
Richards Bay |
Durban |
Coega/ Ngqura |
Port Eli-zabeth |
Le Cap |
Saldanha Bay |
Autres ports |
Total général |
|
2006 |
86,4 |
79,3 |
0 |
10,2 |
14,9 |
42,2 |
3,0 |
230,6 |
2007 |
84,6 |
75,4 |
0 |
11,2 |
14,4 |
43,7 |
4,1 |
223,4 |
2008 |
84,6 |
72,2 |
0 |
9,9 |
11,8 |
46,5 |
4,5 |
229,5 |
2009 |
85,0 |
74,2 |
2,4 |
10,5 |
12,5 |
50,1 |
4,4 |
239,1 |
2010 |
85,5 |
76,1 |
4,8 |
11,1 |
13,2 |
53,8 |
4,3 |
248,8 |
2011 |
86,6 |
80,8 |
7,1 |
11,9 |
13,9 |
59,7 |
4,5 |
264,5 |
2012 |
90,3 |
77,9 |
7,6 |
11,2 |
15,6 |
61,3 |
4,8 |
268,7 |
2013 |
94,9 |
80,4 |
10,5 |
12,3 |
16,1 |
59,0 |
4,6 |
277,8 |
2014 |
94,8 |
81,2 |
9,6 |
12,2 |
15,6 |
64,7 |
4,2 |
282,3 |
2015 |
102,7 |
79,8 |
8,7 |
11,5 |
16,7 |
71,8 |
5,5 |
296,7 |
2016 |
99,6 |
76,8 |
7,8 |
11,2 |
16,7 |
66,5 |
4,5 |
283,1 |
2017 |
99,9 |
78,6 |
11,0 |
11,8 |
15,9 |
69,9 |
4,0 |
291,1 |
2018 |
103,5 |
83,2 |
11,8 |
13,5 |
16,1 |
63,4 |
3,8 |
295,3 |
Élaboration inédite de l’auteur d’après le tableau 2 infra pour l’année 2018 et, pour la période 2006-2017, des chiffres annuels globaux de TNPA retravaillés par Africa Ports & Ships News en fixant le poids unitaire des EVP à 13,5 tonnes
Ce dernier chiffre s’inscrit en légère baisse par rapport au chiffre record national de 296,7 Mt enregistré en 2015, mais est en hausse par rapport aux deux années qui avaient suivi (2016 et 2017) dont la première avait été marquée par un véritable trou d’air économique au niveau national. Sur une période plus longue, les trafics portuaires sud-africains sont globalement orientés à la hausse, venant de 230,6 Mt en 2006 et de 268,7 Mt en 2012, notamment – mais très partiellement – sous l’effet de l’entrée en lice de Coega à partir de 2009. Pour près de la moitié, le trafic de Coega relève d’opérations conteneurisées qui y ont glissé depuis Durban ou Port Elizabeth ainsi que nous le verrons dans la seconde partie, de sorte que l’apport net actuel du nouveau port est de l’ordre de 6 Mt. Par rapport à 2006, la croissance d’ensemble est surtout due à Richards Bay et à Saldanha Bay (dans une moindre mesure et avec un recul récent5) ; globalement, Durban et Le Cap n’ont guère progressé sur douze ans, alors que Port Elizabeth a surpris en ne reculant pas (du moins pas encore) et en progressant même davantage en valeur relative que les deux précédents alors que le nouveau port de Coega venait de s’ouvrir tout à côté et de capter une partie de son trafic conteneurisé.
C’est ici que la nature des trafics, qui est précisée au tableau 2 pour l’année 2018, intervient dans l’analyse. Le caractère très spécialisé des ports de Richards Bay et de Saldanha Bay y apparaît fort clairement, avec respectivement 88,2 % et 77,6 % pour la catégorie des vracs solides, respectivement dominée par le charbon et le minerai de fer, comme indiqué plus haut. Durban est par contre un établissement très plurifonctionnel, avec une forte proportion de conteneurs (47,9 %) et de vracs liquides (34,1 %). Deux des ports moyens sont spécialisés dans le domaine des manutentions conteneurisées, Le Cap (75,2 %) et plus encore le nouveau venu de Coega (89 % en 2018), dont c’était jusqu’il y a peu la seule activité. Port Elizabeth relevait de la catégorie des ports plurifonctionnels jusqu’à ce qu’une partie de son trafic conteneurisé ne glisse vers Coega et que les exportations de manganèse ne s’y développent significativement, pour une raison sur laquelle nous reviendrons plus loin. Les vracs solides y dominent donc désormais largement (68,9 %) ; il ne s’agit cependant que d’une situation provisoire, puisque ce trafic devrait être transféré à Coega en 2022, transformant ce nouveau port en établissement plurifonctionnel dans le même temps que Port Elizabeth devrait glisser vers la catégorie des ports secondaires aux trafics résiduels de niche.
Tableau 2 – Structure catégorielle estimée des trafics portuaires sud‑africains en 2018 (millions de tonnes)
Vracs liquides |
Vracs solides |
Conteneurs |
Conventionnelles |
Voitures neuves |
Trafic total |
Part du total |
|
KwaZulu-Natal |
37,6 |
103,2 |
40,0 |
5,4 |
0,5 |
186,7 |
63,2 % |
Richards Bay |
9,0 |
91,3 |
0,1 |
3,1 |
<< |
103,5 |
35,0 % |
Durban |
28,6 |
11,9 |
39,9 |
2,3 |
0,5 |
83,2 |
28,2 % |
Océan Atlantique |
16,2 |
50,0 |
12,1 |
1,2 |
0,0 |
79,5 |
26,9 % |
Le Cap |
2,7 |
0,8 |
12,1 |
0,5 |
<< |
16,1 |
5,5 % |
Saldanha Bay |
13,5 |
49,2 |
0,0 |
0,7 |
0,0 |
63,4 |
21,4 % |
Baie d’Algoa |
1,7 |
10,0 |
13,3 |
0,2 |
0,1 |
25,3 |
8,6 % |
Port Elizabeth |
1,1 |
9,3 |
2,8 |
0,2 |
0,1 |
13,5 |
4,6 % |
Coega |
0,6 |
0,7 |
10,5 |
<< |
0,0 |
11,8 |
4,0 % |
Autres ports |
2,7 |
0,1 |
0,9 |
<< |
0,1 |
3,8 |
1,3 % |
East London |
1,1 |
0,1 |
0,9 |
<< |
0,1 |
2,2 |
0,8 % |
Mossel Bay |
1,6 |
0,0 |
0,0 |
<< |
0,0 |
1,6 |
0,5 % |
Total national |
58,2 |
163,2 |
66,3 |
6,8 |
0,7 |
295,3 |
100,0 % |
Élaboration inédite de l’auteur d’après des chiffres détaillés pour 2018 publiés par TNPA ; cet organisme ne donne les tonnages que pour les première, deuxième et quatrième catégories de trafic, alors que les trafics des deux autres sont exprimés sous forme d’unités ; pour pouvoir calculer le trafic total, nous avons transformé ces dernières en tonnages sur base de 13,5 tonnes par EVP (selon la pratique de Africa Ports & Ships News) et de 1 tonne par voiture neuve.
Dans le tableau précédent, les six principaux ports du pays ont été regroupés par paires géographiques, avec dans chaque cas un port historique (respectivement Durban, Le Cap et Port Elizabeth) et un nouveau port (Richards Bay, Saldanha Bay et Coega). Même s’il s’est quelque peu réduit, le poids absolu et relatif de la paire portuaire du KwaZulu-Natal demeure dominant, voire écrasant pour certains trafics : en 2018, elle comptait pour 63,2 % du trafic total, avec 64,6 % des vracs liquides, 78,2 % des vracs solides, 60,3 % des conteneurs, 79,4 % pour les conventionnelles et 69,5 % pour les voitures neuves. La moyenne générale s’inscrit en recul par rapport à un calcul identique opéré en 1994, quand les deux ports du KwaZulu-Natal pesaient collectivement pour 70,5 % (J. Charlier, 1996). En l’espace de près d’un quart de siècle, la part globale des deux ports atlantiques est passée de 21,6 à 26,9 % et celle des autres ports de l’océan Indien, qui correspondent au ventre mou du système portuaire national, de 7,9 à 12,8 %, malgré la baisse de régime globale des deux ports secondaires d’East London et de Mossel Bay, dont la contribution collective s’est abaissée de 2,9 % en 1994 à seulement 1,3 % en 2018.
Au sein des quatre ports méridionaux, le bipôle de la Baie d’Algoa a par contre nettement émergé, avec une part globale de 8,6 % en 2018, contre seulement 2,1 % pour Port Elizabeth quand il était seul en piste en 1994. En valeur relative, ces deux ports peuvent être considérés comme les principaux bénéficiaires des mutations géostructurelles du système portuaire sud-africain. Cependant, ils n’interviennent actuellement que très marginalement dans le domaine des vracs liquides et des autres marchandises, leur point fort se situant dans les exportations de manganèse, principalement écoulées via le Cap oriental, et dans les conteneurs dont ils assurent collectivement 20,1 % du trafic national. Au niveau des ports individuels, la seconde spécialisation concerne davantage Coega que Port Elizabeth, le second port ayant été partiellement déshabillé dans ce domaine pour habiller le premier lors de sa mise en service (la part des conteneurs dans son trafic total tombant alors de 41,7 % en 1994 et même 48,2 % en 2006 à 20,7 % en 2016). Il a cependant trouvé une compensation (plus quantitative que qualitative) dans le domaine des vracs solides (en lien avec les exportations précitées de manganèse)6, mais ce n’est que temporaire puisque Coega est appelé à capter également ce trafic, en totalité dans ce cas ; le bipôle fonctionnel actuel unissant deux ports moyens complémentaires de la Baie d’Algoa devrait donc évoluer vers un port plurifonctionnel d’une taille supérieure captant l’essentiel du trafic régional, Coega, et un port devenu secondaire, Port Elizabeth, qui devrait renforcer sa spécialisation de niche dans le trafic des voitures neuves.
Coega, du hub à conteneurs au port plurifonctionnel
Alors que Richards Bay et Saldanha Bay peuvent être considérés comme deux purs produits des sombres années de l’apartheid, Coega relève de réflexions et de décisions remontant aux premières années de la « nouvelle Afrique du Sud ». Deux facteurs majeurs à la base de sa création doivent être mentionnés, dont il est difficile de dire lequel fut le plus déterminant. D’un côté, il y a la saturation chronique de Durban au niveau du trafic conteneurisé, qui est un problème fort ancien et est une question toujours pendante ; un premier volet du projet de Coega fut donc d’y prévoir un terminal à conteneurs qui viendrait soulager le port du KwaZulu-Natal. D’autre part, il y a ce qui est présenté de manière récurrente par les nouvelles autorités du pays comme une politique de développement territorial équilibré, avec un rattrapage au profit de la province du Cap oriental, défavorisée à ce niveau à l’époque de l’apartheid parce que formant le berceau de l’ANC7. Ce second volet prévoyait d’associer le nouveau port à une puissante zone industrialo-portuaire (ZIP), comme à Richards Bay et Saldanha Bay, mais n’avait initialement pas une composante exportatrice dans le domaine des pondéreux ; celle-ci est venue s’y ajouter par la suite et c’est elle qui va permettre en définitive au projet de véritablement décoller, en lien avec la mise en place d’un sixième corridor ferroviaire majeur (encore non dénommé officiellement) depuis les mines de manganèse de l’Est de la province du Cap septentrional qui sont proches de celles de minerai de fer évoquées plus haut (P. Nex & J. Kinnaird, 2019).
Le curieux couple Coega - Port Elizabeth pour les conteneurs
Port Elizabeth a derrière lui une longue histoire portuaire, dont les débuts remontent à 1826 sur un site proche du Cap Recife qui marque l’extrémité occidentale de la Baie d’Algoa (dont la découverte, par l’explorateur portugais Bartolemo Dias remonte à 1488) ; les premières opérations portuaires modernes s’y firent à partir de 1881, d’abord à un, puis deux et enfin trois wharfs de batelage, avant que des quais en eau profonde y soient progressivement mis en place à compter de 1933 à l’abri de deux jetées s’avançant dans la baie (B. Wiese, 1981a, p. 126‑127). Les installations de manutention et de stockage y étant proches du tissu urbain, les développements industriels associés de près ou de loin au port ont pris place plus au nord, le long de la côte au sud de l’estuaire du fleuve Swartskops dans la zone de Deal Party (qui accueille également des ateliers ferroviaires) et à l’intérieur des terres autour de Despatch (où il y a aussi de gros ateliers ferroviaires) et d’Uitenhage. Situé de l’autre côté de cet estuaire à une vingtaine de kilomètres au nord au débouché d’un plus petit cours d’eau, le port de Coega s’avance également dans la baie à l’abri, lui aussi, de deux jetées (figure 2). Contrairement à Richards Bay et à Saldanha Bay (qui n’étaient au départ qu’un hameau de 57 habitants et un petit bourg de 4500 habitants axé sur la pêche), il n’a pas donné naissance, vu la proximité de Port Elizabeth, à une ville éponyme ; au contraire, le modeste village de Coega, dont une briqueterie constituait la principale activité, a même été rasé pour éviter de laisser un noyau habité dans la future zone industrialo-portuaire. Les développements résidentiels associés à celle-ci (mais aussi plus généralement à l’aire métropolitaine, car les débuts remontent à 1984) ont pris place à l’extérieur de celle-ci dans la zone de Motherwell qui concentre essentiellement des populations défavorisées, avec beaucoup d’habitat précaire ; il s’agit d’un espace planifié un peu à la hâte, où une trentaine d’unités de voisinage sont reconnues mais qui n’a pas de véritable centre.
Lancés en 2002 au niveau de l’estuaire du petit fleuve Coega8 en profitant d’un paléo-chenal, les travaux du port visaient à réaliser, à l’abri de deux jetées extérieures (de respectivement 2700 et 1125 mètres), un terminal à conteneurs (TC1 à la figure 3 infra) et, pour desservir les usines de la zone industrielle adjacente, une jetée vraquière (PV à la même figure). Celle-ci est restée pratiquement sans usage jusqu’il y a peu, alors que le quai à conteneurs, dont la longueur initiale n’était que de 780 mètres, a dû être rapidement allongé à 1340 mètres, dont 1300 mètres utiles ; typiquement, deux unités océaniques d’une capacité allant jusqu’à 12.500 EVP9 et deux navires d’apport (feeders)10 peuvent y être accueillis simultanément. Le terminal est actuellement équipé de huit portiques de quai overpanamax (contre quatre au départ), avec 22 portiques de parc en support et une zone ferroviaire arrière dotée de deux portiques pour le chargement et le déchargement des trains-bloc de conteneurs unissant le nouveau port à son arrière-pays. En tenant compte des équipements de manutention et de stockage actuels, la capacité annuelle effective est actuellement de l’ordre de 1,4 million d’EVP, avec la possibilité de monter in situ à 2 millions d’EVP en renforçant ces équipements (PRDW, 2018, p. 2/58). À cette installation de manutention a été associée, fort logiquement, une zone logistique (ZL à la figure 3 infra) ; un secteur de la zone économique spéciale relevant de la Coega Development Corporation lui a été dédié et elle fonctionne en tandem avec les espaces logistiques plus anciens associés au port historique voisin, qui sont surtout localisés entre eux dans la zone de Deal Party.
De tous les ports à conteneurs sud-africains, dont la place périphérique dans le système conteneurisé mondial est très particulière (D. Fraser, C. Ducruet & T. Notteboom, 2016), Coega est celui qui a fait l’objet du plus d’attention dans la littérature récente économico-géographique (T. Notteboom, 2010, 2011et 2012), toujours en référence à Durban mais plus rarement au Cap, que sa situation excentrée à l’échelle nationale place un peu hors-jeu quand il s’agit des trafics d’arrière-pays (D. Fraser & T. Notteboom, 2014). Le contexte est celui présenté au tableau 3, où il apparaît que, sur les douze années considérées ici, le nombre des EVP manipulés à Durban est passé de 2,2 à près de 3 millions, dans le même temps que celui du Cap progressait de 800.000 à 900.000. Historiquement, quand la conteneurisation s’est imposée en Afrique du Sud à partir de 197711, Port Elizabeth a aussi été doté (contrairement à East London dont ceci a signifié la fin) d’un terminal à conteneurs pour le trafic océanique ; celui-ci a affiché un (modeste) trafic record d’un peu plus de 400.000 EVP en 2007-2008, contre désormais moins de 200.000 depuis 2016. De plus de 10 % du total national avant 2009, la part de Port Elizabeth dans les manutentions conteneurisés nationales est passée sous la barre des 4 % depuis 2016, mais elle n’est pas tombée à zéro (et n’y tombera sans doute pas à l’avenir) pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons plus loin.
Tableau 3 – Évolution récente du trafic conteneurisé des ports sud‑africains (milliers d’EVP)
Durban |
Le Cap |
Coega/ Ngqura |
Port Eli-zabeth |
Autres ports |
Total général |
Part de Coega |
Part de Port Eliz. |
|
2006 |
2.198 |
783 |
0 |
393 |
43 |
3.417 |
(0,0 %) |
(11,5 %) |
2007 |
2.479 |
764 |
0 |
423 |
46 |
3.712 |
(0,0 %) |
(11,4 %) |
2008 |
2.642 |
768 |
0 |
424 |
66 |
3.900 |
(0,0 %) |
(10,9 %) |
2009 |
2.598 |
739 |
175 |
375 |
82 |
3.969 |
(4,4 %) |
(9,4 %) |
2010 |
2.553 |
709 |
349 |
325 |
77 |
4.013 |
(8,7 %) |
(8,1 %) |
2011 |
2.713 |
755 |
524 |
326 |
75 |
4.393 |
(11,9 %) |
(7,4 %) |
2012 |
2.587 |
853 |
561 |
252 |
56 |
4.309 |
(13,2 %) |
(5,8 %) |
2013 |
2.633 |
921 |
775 |
290 |
65 |
4.684 |
(16,6 %) |
(6,2 %) |
2014 |
2.664 |
893 |
705 |
260 |
66 |
4.588 |
(15,4 %) |
(5,7 %) |
2015 |
2.770 |
889 |
636 |
217 |
66 |
4.578 |
(13,9 %) |
(4,7 %) |
2016 |
2.620 |
927 |
572 |
152 |
84 |
4.355 |
(13,1 %) |
(3,5 %) |
2017 |
2.700 |
882 |
806 |
168 |
78 |
4.634 |
(17,7 %) |
(3,6 %) |
2018 |
2.957 |
898 |
775 |
184 |
65 |
4.879 |
(15,9 %) |
(3,8 %) |
Élaboration inédite de l’auteur d’après des chiffres annuels globaux de TNPA repris par Africa Ports & Ships News
La montée en puissance de Coega à partir de 2010, première année entière, ne fut pas linéaire parce le nouveau port n’a pas fait que capter une partie du trafic de son voisin dans la Baie d’Algoa. La raison première du nouveau port était en fait de soulager Durban d’une partie de ses activités de transbordement, qui sont de type footloose et peuvent en fait se faire dans n’importe quel port doté d’un tirant d’eau suffisant12 pour l’accueil des gros navires-mères issus d’Asie ou d’Europe13. Atteignant une première fois près de 800.000 EVP en 2013, le trafic conteneurisé de Coega est retombé autour des 600.000 unités en 2015-2016, pour remonter à environ 800.000 en 2017-2018. Ces sensibles « coups d’accordéon » sont amplifiés – à la hausse comme à la baisse – par la nature même des activités de Coega, dont les transbordements représentent, comme nous allons le voir, plus de la moitié du total (avec donc prise en double compte d’une majorité de boîtes, d’abord à l’entrée puis, plus ou moins rapidement, en sortie). Passée à 17,7 % du total national en 2017 en raison d’une forte congestion à Durban, la part de Coega est retombée à 15,9 % en 2018, ce qui reste le troisième meilleur résultat relatif du port dans sa courte histoire.
Dans la comparaison avec Durban et Le Cap, il est légitime d’additionner le trafic résiduel de Port Elizabeth à celui de Coega pour mesurer le poids du pôle de la Baie d’Algoa par rapport aux deux autres principaux foyers portuaires sud-africains en matière de conteneurs. Pour l’année 2018 écoulée, il se situe, avec une part cumulée de 19,7 %, loin derrière Durban qui concentrait 60,6 % du trafic conteneurisé national, en baisse sensible cependant par rapport à la part record de 67,7 % observée en 2008, juste avant l’entrée en lice de Coega ; prise globalement, la Baie d’Algoa vient cependant devant Le Cap qui affichait une part nationale de 18,4 % en 2018, contre 19,7 % en 2008. Au total, les trois ports historiques ont perdu du terrain par rapport au nouveau venu dans le domaine des conteneurs qui est, à peu de choses près, le seul dans lequel il intervient jusqu’ici.
Autant la TNPA et les structures l’ayant précédée ont-elles toujours été fort avares de chiffres pour les trafics non conteneurisés, au sein desquels ceux de vracs liquides ont longtemps été occultés en raison du caractère sensible des importations d’hydrocarbures au temps de l’apartheid (et plus curieusement par la suite), autant une profusion de données s’observe à propos des manutentions conteneurisées. L’Afrique du Sud est ainsi un des rares pays au monde où il est possible de chiffrer très précisément, port par port, le relief des trafics en transbordement et donc d’obtenir, par soustraction par rapport au total général, ceux en lien avec l’arrière-pays ; ceux-ci relèvent quasi exclusivement d’opérations d’import/export, le cabotage national hors feedering étant négligeable dans le cas sud-africain et ayant été ajouté à la rubrique des imports/exports au tableau 4. En 2018, année pour laquelle nous nous sommes livré à l’exercice dans celui-ci, la part globale des transbordements (1 million d’EVP, soit en fait 500.000 boîtes équivalentes prises en double compte) s’élevait à 20,9 % des 4,9 millions d’EVP revendiqués par l’ensemble des ports du pays. Cette moyenne masque cependant d’importants contrastes, avec juste 14,6 % pour Le Cap et à peine 11,8 % pour Durban, dont une partie des activités dans ce domaine (surtout celle de la Mediterranean Shipping Company ou MSC) a glissé vers Coega où les transbordements forment par contre 57,2 % du trafic conteneurisé total. Pour cette fonction particulière, les 443.000 EVP transbordés à Coega en 2018 (43,3 % du total national) placent ce port devant Durban (349.000 EVP ou 34,1 % du total), ce qui témoigne du fait que l’objectif de soulager ce port a été atteint, du moins partiellement. Au niveau de la fonction de desserte de l’arrière-pays terrestre, qui reste dominante globalement, les rapports de force interportuaires sont cependant très différents ; dans ce cas (sur près de 3,9 millions d’EVP), Durban pèse pour 67,5 % de l’import/export, contre 19,9 % pour Le Cap, 8,6 % à peine pour Coega et juste 2,3 % pour Port Elizabeth (le reste allant à East London et à Richards Bay, où les transbordements sont anecdotiques).
Tableau 4 – Structure du trafic conteneurisé des ports sud‑africains en 2018 (milliers d’EVP)
Durban |
Le Cap |
Coega/ Ngqura |
Port Eli-zabeth |
(Baie d’Algoa) |
Autres ports |
Total général |
|
Déchargements |
1.461 |
444 |
397 |
85 |
(482) |
33 |
2.420 |
Import/export |
1.288 |
379 |
175 |
41 |
(216) |
32 |
1.915 |
Transbordements |
173 |
65 |
222 |
44 |
(266) |
1 |
505 |
Chargements |
1.496 |
454 |
378 |
99 |
(477) |
36 |
2.463 |
Import/export |
1.320 |
388 |
157 |
46 |
(203) |
35 |
1.946 |
Transbordements |
176 |
66 |
221 |
53 |
(274) |
1 |
517 |
Trafic total |
2.957 |
898 |
775 |
184 |
(959) |
69 |
4.883 |
Import/export |
2.608 |
767 |
332 |
87 |
(419) |
67 |
3.861 |
Transbordements |
349 |
131 |
443 |
97 |
(540) |
2 |
1.022 |
Élaboration inédite de l’auteur d’après des chiffres détaillés pour 2018 publiés par TNPA
La révélation la plus surprenante de ce tableau réside cependant dans le fait que le modeste trafic résiduel de Port Elizabeth est lui aussi majoritairement axé sur les transbordements, qui forment 52,7 % du nombre des EVP manipulés. Ce port n’est pourtant pas très bien équipé pour cette activité en termes de nombre de portiques (trois fonctionnels) et de taille de ceux-ci (un seul overpanamax) ; par contre, la place y est largement disponible pour le stockage classique des boîtes sur le terre-plein, sans devoir y recourir à de coûteux engins de parc comme à Coega où l’espace est davantage compté. Le terminal à conteneurs de Port Elizabeth était initialement un terminal conventionnel où les hangars ont été arrasés et dont la largeur des terre-pleins a été quadruplée. Vu la forte baisse de son trafic, il a été réduit de trois postes océaniques à deux, celui situés en fond de darse ayant été converti pour le trafic des voitures neuves (une centaine de milliers en 2018, en lien avec les usines automobiles locales14). Durban saturant dans ce domaine, TNPA prévoit une forte augmentation du trafic voiturier de Port Elizabeth, où l’un des plans initiaux était de convertir totalement le terminal à conteneurs pour ce type de trafic. Mais ils ont maintenant évolué pour ne rogner encore qu’une vingtaine d’hectares sur cette installation et pour convertir plutôt en un second terminal voiturier les 25 ha de l’actuel terminal minéralier situé de l’autre côté du port quand le gros trafic de manganèse qui s’y exerce actuellement aura été transféré à Coega, en principe en 2022. (PRDW, 2018, p. 2/78). Aussi rien ne s’oppose désormais à conserver le terminal à conteneurs de Port Elizabeth, qui pourrait évoluer vers une sorte de terminal low cost et, dans le cadre d’une ouverture à la concurrence vis-à-vis de TPT, être proposé en concession à un opérateur privé ; cela vient d’être le cas d’une partie du terminal conventionnel du môle central voisin dont le trafic ne cessait de décliner, qui elle a été cédée au début 2019 au petit manutentionnaire privé sud-africain BPO (Bidvest Port Operations), déjà très présent à Durban, dans le cadre d’une formule inédite de BOT (Build, Operate, Transfer) sur dix ans (Freight & Trading Weekly, 28.01.2019)
C’est ici que se pose la question de l’ouverture du système conteneurisé sud-africain à des manutentionnaires privés, étrangers ou sud-africains, dont les seconds n’ont cependant pas la carrure pour exploiter de très gros terminaux. Les premiers relèvent du monde des GTO (global terminal operators) qui sont de plus en plus présents ailleurs en Afrique (N. Mareï, 2016 ; T. Notteboom & J.-P. Rodrigue, 2016). D’une part, il s’agit d’« acteurs purs » (pure players) du monde de la manutention, avec des sociétés comme Hutchinson Port Holdings, China Merchants Port Holdings (Hong Kong), Shanghai International Port Group (Chine), PSA (Singapour), DPW (Dubaï), Ports America (États-Unis), Eurogate et HHLA (Allemagne), Yilport Holdings (Turquie) ou encore ICTSI (Philippines) ; d’autre part, il y a ceux qui sont appariés à des grands armements conteneurisés, tels APMT (associé au groupe maritime danois Maersk), Terminal Investments (associé à la compagnie italo-suisse MSC), Cosco Ports (Chine) ou encore Terminal Link et CMA Terminals au sein du groupe français CMA CGM. Fort curieusement, tous ces grands acteurs mondiaux, ainsi qu’un opérateur très axé sur l’Afrique comme Bolloré Ports, sont absents d’Afrique du Sud. Ceci peut s’expliquer par deux facteurs complémentaires : d’une part, il y a le côté très protectionniste des pouvoirs publics et bien évidemment de l’opérateur de terminaux TPT qui en dépend ; d’autre part, il y a aussi, même s’il y a moins de littérature et de prises de position publiques à ce propos, le caractère éventuellement répulsif pour ces grands groupes internationaux de la quasi obligation de trouver des partenaires locaux dans des montages les associant à des intervenants de la galaxie du BEE (Black Economic Empowerment)15.
Dans le passé, un seul d’entre eux, la filiale portuaire de l’armement anglo-néerlandais P&O Nedlloyd, avait tenté l’aventure, à une époque où certains excès du BEE (et de ses déclinaisons successives) n’étaient pas encore visibles ; elle avait obtenu en 2000 la concession du futur terminal à conteneurs de Coega, dont la livraison était alors annoncée pour 2005. Entre-temps, le projet qui amenait au port un de ses partenaires d’ancrage (anchor partners) dans le cadre d’un BOT a capoté quand cet armement a été racheté en 2003 par (à l’époque) Maersk-Sealand et quand sa filière portuaire (P&O Australia) l’a été par DPW ; le groupe Transnet fut alors amené à un peu forcer la main de sa division TPT pour prendre à son compte et financer une installation que sa société sœur TNPA était occupée à construire au profit d’un tiers soudain défaillant et à réorienter vers ce terminal à conteneurs « tombé du ciel » une grande partie des moyens qu’elle aurait normalement dû affecter à ceux de Durban, du Cap et de Port Elizabeth (lequel fut alors particulièrement négligé). La question est maintenant de savoir si l’histoire se répétera – ou pas – à propos des projets de nouveau port à conteneurs à Durban et/ou d’une seconde installation conteneurisée à Coega, qui seront évoqués in fine.
Vers une diversification des activités de Coega
Depuis 2018, Coega ne dépend plus exclusivement des conteneurs qui formaient la quasi-totalité de son trafic depuis 2009, à quelques opérations ponctuelles près. Des entreprises de la ZIP adjacente se sont mises à utiliser régulièrement la jetée vraquière, suscitant un trafic de 0,7 Mt de vracs solides (notamment du ciment en vrac et du gypse) et quelques transbordements de produits pétroliers ont été réalisés (de navire à navire, le quai n’étant pas encore équipé de conduites et n’étant relié à aucune citerne de stockage), pour 0,6 Mt supplémentaires. À partir de 2021, Coega devrait accueillir un trafic de vracs liquides très supérieur, puisque l’actuel terminal pétrolier situé à côté du terminal minéralier de Port Elizabeth (où 1,1 million de tonnes d’hydrocarbures ont été notées en 2018) va y être transféré d’ici la fin 202016 et puisque le nouveau concessionnaire17 ambitionne un trafic annuel de plusieurs millions de tonnes en tablant sur des réexpéditions par voie maritime dans un large horizon. Un grand parc de stockage (SP à la figure 3) est en cours d’aménagement à proximité du port, auquel il sera relié par des conduites desservant un poste pétrolier ; les opérations débuteront à un poste provisoire sur la jetée vraquière, puis un poste définitif sera aménagé à la racine de la jetée extérieure (PP à cette même figure 3) ; il sera complété par la suite par un second poste pétrolier dans une darsette en encoche le long du rivage (également repérable à la figure 3). Contrairement à celui du trafic du manganèse, qui n’était pas envisagé initialement, ce transfert du trafic des produits raffinés de Port Elizabeth vers Coega était prévu dès l’origine du projet, mais il a mis une décennie à se concrétiser pour diverses raisons, dont la nécessité de trouver un concessionnaire privé.
Depuis le début des années 2000, il est aussi prévu que vienne prendre place dans la ZIP une grande raffinerie, qui y occuperait jusque 600 ha et rayonnerait sur l’océan Indien et dans l’Atlantique Sud. Elle générerait un trafic maritime assez considérable, puisque sa capacité annuelle se situerait entre 12,5 et 20 millions de tonnes, soit autant de pétrole brut à l’entrée et de 10 à 17,5 Mt en sortie (de raffinés, mais aussi de produits pétrochimiques issu des usines pétrochimiques qui y seraient associées) ; ce gros trafic s’exercerait surtout via le second poste pétrolier évoqué ci-dessus et par la suite peut-être aussi via un sealine connecté à une bouée pétrolière offshore. La question de savoir qui construirait cette raffinerie reste cependant ouverte. Au départ, ce projet Mthombo était porté en solitaire par la société d’état Petro SA, qui a ensuite essayé, tout en en réduisant la capacité annuelle de 20 à 12,5 Mt, de s’associer à la chinoise Sinopec, avant de s’en dégager totalement malgré les pressions gouvernementales. La société sud-africaine Mestosync Energy, dirigée notamment par un ancien directeur général de Petro SA, l’a repris récemment à son compte dans une vision présentée comme patriotique (The Mercury, 24.10.2018), avec à nouveau l’objectif d’être la plus grande du continent avec une capacité annuelle de 20 Mt ; de récentes informations de presse indiquent que l’Aramco saoudienne serait derrière cette nouvelle déclinaison du projet, mais que Coega serait en balance avec Richards Bay comme localisation finale car le port du KwaZulu-Natal dispose déjà d’une liaison par conduite avec le Gauteng, alors que le coût d’une nouvelle serait prohibitif au départ de celui du Cap oriental (The Herald, 13.02.2019).
Alors que ce projet de raffinerie reste incertain, les responsables de Transnet ont ajouté en 2014 une dimension nouvelle aux plans initiaux avec le transfert déjà évoqué du trafic minéralier depuis Port Elizabeth, qui interviendra en 2022/2023. Au départ, cette installation, dont la capacité annuelle maximale théorique est de 6 Mt (PRDW, 2018, p. 2/72) devait rester dans le port historique, mais ce trafic a pris une telle ampleur (de 3 Mt en 2006 à 9 Mt en 2018) et ses perspectives sont telles (16 Mt à l’horizon 2025, voire 23 Mt à plus long terme) qu’un terminal plus vaste et en eau plus profonde (16,5 mètres à Coega, contre 10,5 actuellement à Port Elizabeth) était nécessaire, avec deux postes exportateurs plutôt qu’un actuellement et une zone de stockage plus vaste (VS à la figure 3), reliée par des bandes transporteuses aux postes vraquiers du port. L’objectif de 16 Mt est d’autant plus raisonnable que le terminal minéralier actuel de Port Elizabeth en est à refuser du trafic et que les exportations sud-africaines de manganèse doivent provisoirement trouver partiellement d’autres exutoires maritimes, principalement Richards Bay et Saldanha Bay ; dans le premier cas, la distance ferroviaire est vraiment rédhibitoire et l’itinéraire est complexe, alors que dans le second il y a la crainte d’une contamination croisée avec le minerai de fer et d’un manque de capacité sur l’Orex Line18. La date de 2022/2023 est encore fort lointaine, mais il a d’ores et déjà été annoncé que TPT, qui exploite le terminal actuel de Port Elizabeth (totalement amorti et plutôt obsolète) allait équiper et exploiter celui de Coega.
Le laps de temps important d’ici au basculement du trafic d’un port à l’autre s’explique par la nécessité d’attendre l’achèvement de la modernisation par TFR de la ligne de chemin de fer qui va rendre viable ce projet grâce à l’action convergente de trois des divisions de Transnet (TNPA, TPT et TFR), comme au temps de la SAR&HA. Il est piquant d’observer que Saldanha Bay avait été préféré dans les années 1970 à Port Elizabeth pour les exportations massives de minerai de fer depuis Sishen précisément pour ne pas devoir recalibrer l’itinéraire Postmasburg-Kimberley-De Aar-Noupoort-Port Elizabeth. Ceci a alors suscité l’abandon du projet local d’un grand terminal minéralier qui aurait pu accueillir des vraquiers allant jusque 350.000 tpl (tonnes de port en lourd) sur l’île de Sainte-Croix (St. Croix Island) dans la Baie d’Algoa (B. Wiese, 1981a, p. 124) ; celle-ci est située à 3,9 km en mer pratiquement devant Coega19, qui a donc en quelque sorte un ancêtre dans la planification portuaire sud-africaine, d’autant plus qu’il était prévu à l’époque d’associer à ce terminal offshore une zone industrielle qui se serait située sur la terre ferme un peu au nord du site finalement retenu pour la ZIP de Coega.
Sans les voies ferrées lourdes unissant les régions d’extraction aux ports d’expédition maritime, les exportations sud-africaines massives de charbon via Richards Bay, de minerai de fer via Saldanha Bay et bientôt de manganèse via Coega (et entre-temps toujours via Port Elizabeth, mais dans des conditions de moins en moins bonnes) ne seraient tout simplement pas compétitives sur le marché international (où l’Asie, Chine en tête, devance désormais l’Europe au niveau des destinations). Après la Coal Line et l’Orex Line20, Transnet reprend pour le corridor du manganèse en gestation la même formule des trains longs et lourds, de 200 wagons et 16.000 tonnes dans ce cas21. Brancher Coega sur le réseau ferré national, d’abord pour les conteneurs et bientôt pour le manganèse, s’est avéré d’autant plus aisé et peu coûteux que le Southcor passe tout à côté du nouveau port. Pour l’atteindre, ce corridor sera emprunté sur 396 km depuis Noupoort, où les convois arriveront depuis De Aar, à 130 km plus au nord, via une ligne secondaire existante. Ils auront auparavant rejoint De Aar en empruntant sur 413 kilomètres le Capecor depuis Kimberley22, où ils seront d’abord parvenus en empruntant une ligne secondaire amorcée 341 km plus au nord à Hotazel, en plein cœur des principaux gisements de manganèse.
Dans le futur système d’exploitation, les trains-blocs de 200 wagons ne partiront pas d’Hotazel, mais seront formés au niveau d’un hub ferroviaire en construction à 20 km au sud de cette localité, à Mamathwane (C. Shiceka, 2014) ; la longueur totale du nouveau corridor sera donc en définitive de 1280 kilomètres, l’itinéraire actuel Hotazel-Port Elizabeth étant amputé de deux fois 20 kilomètres à ses deux extrémités. TFR formera dans ce faisceau de concentration des rames doubles avec des coupons de 100 wagons chargés sur les carreaux des principales mines de la région, exploitées par des compagnies dites majors23. La région est en plein boom minier (H. van Zyl, W. Bam & J. Steenkamp, 2016) et on y compte aussi de nombreuses mines aux mains de compagnies émergentes dites juniors24, dont les installations ne sont généralement pas embranchées ; dans ce cas, des navettes routières amèneront le manganèse vers le hub de Mamathwane, qui aura une fonction complémentaire de chargement dans des rames dédiées à ces plus petits clients auxquels les autorités entendent apporter les mêmes facilités et avantages qu’aux plus gros. Pour desservir ce nouveau corridor, TFR a commandé, outre 12 engins diesel pour les manœuvres terminales aux deux extrémités, 109 locomotives bicourant et bitension qui tractionneront les trains de bout en bout, en 3 kV continu jusque Kimberley et ensuite en 25 kV alternatif jusqu’au port ; le recours à de telles locomotives permettra d’accélérer la rotation des rames, qui changent actuellement de locomotives monocourant à Kimberley. Une flotte dédiée de 3200 wagons sera aussi mise en œuvre, incorporant 1527 wagons actuels reconditionnés et 1673 nouveaux (C. Shiceka, 2014) ; comme les locomotives, ces derniers seront entretenus dans des nouvelles installations de maintenance établies à Coega, ce qui sera un important vecteur d’emplois qualifiés dans la zone industrialo-portuaire en émergence.
Comme indiqué plus haut, la jetée vraquière mise en place dès 2009 va enfin pouvoir être valorisée, mais elle ne le sera pas du tout pour satisfaire la demande qu’elle était supposée rencontrer au départ. Quand TNPA l’a réalisée, c’était en lien avec le projet d’une aluminerie d’une capacité annuelle de près de 500.000 tonnes dont il a longtemps été question dans les années 1995-2005 pour faire office de catalyseur initial de la ZIP et du port ; porté par Péchiney puis par Alcan, il a finalement été abandonné en 2009 par Rio Tinto en raison, principalement, des difficultés à garantir un approvisionnement électrique fiable et à faible coût. Cette grosse unité de production (qui aurait suscité un trafic portuaire supérieur à 1 Mt, avec principalement des importations d’alumine) était le premier « client d’ancrage » (anchor tenant) industriel de la ZIP et un des deux initialement anticipés pour le port, où le terminal à conteneurs s’est donc retrouvé bien seul pendant une dizaine d’années quand le projet d’aluminerie a été abandonné. Il ne s’agissait en fait pas du premier gros échec de la région dans le domaine de la transformation des non ferreux puisqu’il avait question auparavant d’une raffinerie de zinc qu’un consortium unissant Billiton et Mitsui projetait de construire à Coega ; il a été abandonné en 2004, officiellement en raison de la conjoncture mondiale alors peu favorable mais peut-être aussi en raison d’une très forte opposition environnementale locale.
Dans les deux cas, il s’agissait de transformer des produits importés de l’étranger par voie maritime, alors que le projet phare actuel visant à implanter à Coega une fonderie de manganèse, vieux déjà d’une dizaine d’années, procède d’une autre logique, qui est celle d’une valorisation plus complète par le pays producteur, sous forme de ferro-alliages, d’une des ressources minières nationales. Une étude récente (J. Steenkamp & J. Basson, 2013) a mis en évidence le paradoxe qu’en 2010 l’Afrique du Sud ne comptait que pour 5 % de la production mondiale de ces ferro-alliages (principalement utilisés pour des aciers spéciaux) alors sa part dans la production mondiale de manganèse était très supérieure, ainsi que celle dans les réserves planétaires25. Les usines produisant ces ferro-alliages sont actuellement implantées dans le Gauteng (Mettaloys/South 32 à Meyerton et Mogal Alloys à Krugersdop), dans le Mpumalanga (Assmang à Machadodorp et Transalloys à eMalahleni) ainsi qu’au KwaZulu-Natal (Assmang à Cato Ridge, non loin de Durban) dans des localisations peu favorables, sauf la dernière, pour les exportations maritimes. Depuis 2008, il est question d’une nouvelle fonderie que Kalagadi Manganese implanterait (via une coentreprise avec ArcelorMittal) sur un terrain de 200 ha dans la ZIP de Coega, mais le projet tarde à se concrétiser, un peu pour les mêmes raisons que celui aujourd’hui aux oubliettes dans le domaine de l’aluminium, à savoir les incertitudes liées au coût et à la disponibilité d’électricité. La situation excentrée de Coega est ici fort pénalisante, mais sur le second point une solution se présente désormais localement avec la centrale électrique d’appoint Desida mise en service en 2017 dans la ZIP26 ; utilisée subsidiairement pour stabiliser le réseau local et régional lors de fluctuations de voltage, il s’agit d’une centrale de type Peaking Power qui est déclenchée pour fournir de l’énergie au réseau pendant les périodes de pointe dans la demande ainsi que pendant les situations d’urgence (lire : pendant les périodes de délestage, qui ne sont pas rares en Afrique du Sud). Cette unité, dont la taille est susceptible d’augmenter à mesure de la montée en puissance de la ZIP et des besoins de ses gros clients industriels futurs, prélève du gaz naturel sur le réseau national, mais son approvisionnement pourrait être assuré à moyen et long termes par voie maritime si le projet d’un terminal méthanier, dont il est de plus en plus souvent question (pour lequel Engie et Mitsui seraient alors bien placés) finit par se concrétiser. Toujours dans le domaine gazier, Afrox (la filiale sud-africaine du géant allemand Linde) a récemment mis en service une unité de production de gaz industriels (oxygène, azote et argon) près de l’emplacement où le stockage d’Oil Tanking est en cours de construction, en voulant sans doute se positionner pour être en position favorable dans l’optique des développements industriels attendus.
Le flot des annonces relatives à de nouveaux investissements purement industriels s’est tari ces dernières années, mais dans les projets intégrés de ce genre, il faut « donner le temps au temps » avant que ne s’enclenche un cercle vertueux de croissance au travers de la création progressive d’un écosystème économique local et régional. Certes, les abords de plusieurs des larges avenues éclairées qui ont été tirées dans la ZIP de part et d’autre de la route nationale 2 la traversant de part en part sont encore fort déserts dans certains secteurs, mais le site internet de la CDC renseigne déjà une trentaine d’entreprises effectivement implantées ; pour la plupart de taille moyenne ou petite, elles sont actives dans divers domaines industriels (mais pas toujours en lien avec le port ou en support d’activités industrialo-portuaires) ou des services (y compris dans le domaine des centres d’appel, ce qui est bienvenu au niveau des emplois créés mais pose quand même question en termes de localisation) ; plus conformes aux attentes ont été les succès rencontrés dans le domaine de la logistique, même si ce secteur reste écartelé entre Coega et Port Elizabeth, en raison de la pesanteur de certaines localisations héritées et du fait que ce dernier port continue à traiter des conteneurs.
Port de Coega/Ngqura compris, la zone couverte par le projet est de 9000 hectares bruts, en excluant semble-t-il l’espace qui avait été réservé au départ pour un nouvel aéroport régional dont il n’est plus guère question ; à la façon de ce qui est arrivé en 2010 avec le nouvel aéroport de Durban, il était supposé remplacer celui de Port Elizabeth qui est incapable d’accueillir les gros porteurs, freinant les exportations de produits agro-alimentaires de forte valeur. Le projet d’ensemble de la ZIP arrêté au départ et ceux que la TNPA annonce pour sa part pour sa composante portuaire continuent par contre à envisager un double développement du port, dont les deux axes apparaissent à la figure 4 donnant une image de ce qu’il pourrait être à l’horizon 2045. D’une part, une darse serait creusée (en plusieurs phases) dans la vallée du fleuve Coega en la remontant jusqu’au pont sur la N2, avec un cercle d’évitage au fond du dispositif ; des postes multivalents (MV) y traiteraient les divers trafics non pétroliers ou non conteneurisés qui seraient générés par la ZIP et la région, voire un arrière-pays plus lointain (la voie ferrée en cours de recalibrage vers De Aar et Kimberley n’ayant pas vocation qu’à n’acheminer que des trains de manganèse). D’autre part, un avant-port en eau plus profonde qu’actuellement continue à être envisagé parallèlement à la côte en direction du Nord-Ouest à l’abri d’une extension de la grande jetée extérieure actuelle ; un deuxième terminal à conteneurs (CT2) y prendrait place sur la face orientale d’une nouvelle darse, voire un troisième (CT3) sur sa face occidentale ; la taille de ce dernier a cependant été réduite dans l’itération la plus récente (PRDW, 2018, p. 2/66) des documents successifs d’aménagement de la TNPA pour faire place aussi à un complexe de réparation navale (qui générerait bien plus d’emplois dans une région où le taux de chômage est l’un des plus élevés du pays).
Des chiffres annuels de plusieurs millions d’EVP ont été avancés dans le passé pour cette capacité supplémentaire, mais la composante conteneurisée de cette double extension du port semble compromise par le regain d’intérêt de la TNPA envers Durban, sous la pression des armateurs comme des chargeurs (majoritairement localisés dans le Gauteng ou à Durban). Comme indiqué plus haut, avec des équipements de manutention renforcés, le terminal actuel de TPT à Coega pourrait rencontrer la demande pendant encore un quart de siècle jusqu’à atteindre sa capacité théorique maximale de 2 millions d’EVP à l’horizon 2045 ; par ailleurs, la modernisation de celui de Port Elizabeth, même ramené de trois à deux postes, permettrait de porter à 2,8, voire 3 millions d’EVP la capacité totale des terminaux de la Baie d’Algoa à ce même horizon. Le passage à une dimension supérieure à Coega dépendra en fait des décisions qui seront prises – ou pas – à propos d’un renforcement significatif – ou pas – des capacités mises en œuvre dans le principal port du pays pour le type des conteneurs et Coega n’est en fait pas maître de son destin à ce niveau.
À court et moyen termes, la TNPA prévoit de renforcer encore le double terminal actuel de Durban, en approfondissant les postes de la jetée n° 2 (pier two) et en en construisant de nouveaux à la jetée n° 1, voire en fusionnant les deux jetées actuelles en un seul ensemble restructuré. À plus long terme (ou en parallèle si une forte demande se manifeste), elle a aussi le projet d’une nouvelle darse en eau profonde sur le site de 800 ha de l’ancien aéroport de Durban, abandonné par l’aviation civile en 2000 et que Transnet a acquis en 2012 auprès de l’autorité nationale des aéroports (J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner, 2019). Il est ici question de plusieurs millions d’EVP annuels supplémentaires, mais la question qui se pose est finalement la même qu’à Coega, qui est celle du financement des lourdes infrastructures requises mais aussi des terminaux. D’un côté, s’agira-t-il des pouvoirs publics dans une formule classique ou ceux-ci privilégieront-ils un BOT avec un (ou des) acteur(s) privé(s) ? De l’autre, cela dépasse clairement les moyens de TPT (qui pourrait les avoir juste pour un des terminaux prévus sur le site de l’ancien aéroport de Durban), mais l’Afrique du Sud intéressera-t-elle enfin un opérateur global de terminaux (ou plusieurs) ? Les aménageurs ont donc affaire à une équation à plusieurs inconnues dont les termes ne se limitent pas aux possibilités techniques des sites portuaires.
Ceci d’autant que le projet d’un nouveau port à Boegoe Bay, près de la frontière namibienne est récemment venu compliquer la situation27. Nous retombons ici sur la question du développement territorial équilibré de l’espace sud-africain consubstantielle au projet de Coega, puisque la province du Cap septentrional ne dispose pas de port de commerce, en dehors de Port Nolloth qui a perdu toute importance en raison de ses insuffisances nautiques ; ceci a clairement freiné son développement et elle frappe à son tour à la porte pour des financements même si, quand un ancien directeur général de la TNPA a mis le projet sur la place publique en 2014, il a clairement indiqué qu’il pensait à une formule de type BOT pour mettre en œuvre ce double projet portuaire et ferroviaire, dans le cadre de la section 5 de la nouvelle version de l’Acte national des ports (Mining Weekly, 08.12.2014). Sur papier, ceci pourrait être aussi le cas des projets qui viennent d’être évoqués pour les conteneurs à Coega et Durban ; la situation économique et politique actuelle de l’Afrique du Sud est telle que des décisions fortes et engageant le pays sur le long terme en matière portuaire ne semblent cependant pas s’annoncer pour les prochains mois.
Conclusion : les sables mouvants de la géographie portuaire sud‑africaine
L’Afrique du Sud a derrière elle une longue histoire portuaire, dont les premiers jalons datent d’avant la période de l’Union Sud-Africaine (1910-1948). Des quatre ports de commerce plurifonctionnels qui ont émergé avant et pendant celle-ci, un seul, Durban, s’est affirmé par la suite comme un port majeur à l’échelle nationale et même continentale, si pas mondiale ; son éminence est trop souvent attribuée seulement aux conteneurs, alors que c’est aussi un acteur national essentiel pour les hydrocarbures. Un autre port historique, Le Cap, a su se maintenir en bonne position dans une niche géographique liée à son éloignement par rapport aux autres et à sa spécialisation dans le domaine des cargaisons conteneurisées, en particulier réfrigérées. Pour les deux autres ports historiques, le bilan est plus mitigé : d’une part, East London, dont les aptitudes nautiques étaient les moins bonnes et dont l’arrière-pays était le plus fragile, a raté le virage de la conteneurisation et n’a plus qu’une importance locale ; d’autre part, Port Elizabeth a mieux résisté jusqu’ici et a même surfé sur l’essor récent des exportations de manganèse, mais celles-ci sont sur le point d’être transférées dans le nouveau port voisin de Coega, de sorte que le plus ancien des deux ports de la Baie d’Algoa va devoir tenter de continuer à exister au travers de niches complémentaires par rapport à son futur grand voisin.
La sombre période de l’apartheid a vu naître trois nouveaux ports spécialisés, dont un, Mossel Bay n’a pas percé depuis 1987 ; les deux autres s’avèrent par contre des histoires à succès, même si les pouvoirs publics les ont tenus jusqu’ici délibérément à l’écart des trafics conteneurisés. Nés l’un et l’autre en 1976 au débouché de puissantes nouvelles voies ferrées, Richards Bay doivent leur essor aux exportations de pondéreux, le charbon à Richards Bay (où une certaine diversification s’observe cependant) et le minerai de fer à Saldanha Bay (où la seule diversification significative observée relève du stockage stratégique du pétrole brut) ; dans l’un et l’autre cas, une zone industrialo-portuaire et une ville sont nées à l’ombre du nouveau port, avec globalement plus de succès à Richards Bay qu’à Saldanha Bay. Ces deux nouveaux pôles de croissance relèvent d’une politique d’aménagement du territoire où les considérations politiques n’étaient pas absentes ; elles ne l’ont pas davantage été dans le cas du quatrième nouveau port sud-africain, Coega, conçu et mis en place dans les années post-apartheid, mais dont les germes remontent à la période antérieure avec le projet de l’Île Sainte-Croix, qui fut un moment en balance avec Saldanha Bay.
L’originalité de Coega, en service depuis 2009, est qu’il deviendra à terme un port plurifonctionnel, après n’avoir été qu’un port à conteneurs, davantage imaginé pour soulager Durban au niveau des trafics en transbordement que pour remplacer Port Elizabeth qui continue à être actif, mais à une échelle réduite. Le nouveau port de la Baie d’Algoa va bénéficier du transfert complet des trafics actuels de Port Elizabeth dans le domaine des raffinés (2020) et du manganèse (2022/2023), en lien dans le second cas avec la mise en place d’une troisième ligne ferroviaire lourde par reconstruction d’un itinéraire existant ; en année pleine, cela pourrait lui valoir un trafic total de l’ordre d’une trentaine de millions de tonnes et le quatrième rang national. Son avenir dans le domaine des conteneurs est conditionné par les décisions qui seront prises – ou pas – à propos du renforcement des capacités de Durban en la matière et de l’attrait – ou pas – qu’auront les ports sud-africains pour les opérateurs globaux étrangers de terminaux à conteneurs, alors que le système est actuellement cadenassé au profit du manutentionnaire public national Transnet Port Terminals.
Le succès de Coega dépendra aussi de l’arrivée dans la zone industrielle associée au port évoqué ci-dessus de très gros clients industriels et de la naissance à l’ombre de ceux-ci d’un écosystème local et régional. En charge de la promotion et de la gestion de cette zone, la Coega Development Corporation a rencontré de notables succès, mais aussi des échecs avec les projets avortés d’une fonderie de zinc puis d’une aluminerie ; deux autres gros dossiers tardent par ailleurs à se concrétiser, ceux d’une raffinerie et d’une fonderie de manganèse qui font pour l’instant ressembler Coega à une symphonie inachevée.
Il y a une quinzaine d’années, un journaliste maritime sud-africain hésitait, pour qualifier le projet alors en train de sortir de terre, entre les termes « éléphant blanc » et « touche de génie » (T. Hutson, 2004) ; le premier n’est certainement plus de mise et le second doit beaucoup à l’espèce d’acharnement dont les gouvernements post-apartheid successifs ont fait montre à l’égard d’une opération bénéficiant à la province ayant le plus les faveurs du nouveau pouvoir après avoir été négligée par le précédent. L’ancien président Thabo Mbeki est allé jusqu’à qualifier officiellement Coega de « projet pilote de la (nouvelle) Afrique du Sud », mais la roue n’est-elle pas en train de tourner ? Deux courants contraires s’observent en effet avec, d’une part, un retour à plus de réalité économique au travers du regain d’intérêt global qui s’observe pour Durban et, d’autre part, la prise en compte d’autres considérations de développement régional avec le projet de Boegoe Bay, qui mettrait enfin la province du Cap septentrional sur la carte portuaire sud‑africaine.