L’émergence de Coega et la nouvelle géographie portuaire sud‑africaine

The rise of Coega and South Africa’s new port geography

Jacques Charlier

p. 59-88

References

Bibliographical reference

Jacques Charlier, « L’émergence de Coega et la nouvelle géographie portuaire sud‑africaine », Carnets de recherches de l'océan Indien, 3 | -1, 59-88.

Electronic reference

Jacques Charlier, « L’émergence de Coega et la nouvelle géographie portuaire sud‑africaine », Carnets de recherches de l'océan Indien [Online], 3 | 2019, Online since 26 February 2023, connection on 30 October 2024. URL : https://carnets-oi.univ-reunion.fr/343

L’Afrique du Sud dispose d’un système portuaire relativement étoffé mais qui est spatialement déséquilibré. Les trafics y ont fortement augmenté durant les quarante dernières années, sous l’effet principalement de la montée en puissance du port historique plurifonctionnel de Durban et des deux nou­veaux ports vraquiers et industriels de Richards Bay et de Saldanha Bay. Dans le premier cas, les conteneurs mais aussi les hydrocarbures sont sur le devant de la scène ; dans les deux autres, ce sont plutôt les exportations de pondéreux, le charbon d’un côté, le minerai de fer de l’autre. Mis en service en 2009, un autre nouveau port, Coega, combinera à terme ces différents ingrédients pour devenir un établissement plurifonctionnel qui aura par ailleurs un gros trafic de manganèse à l’export. Ici aussi, le succès reposera sur un puissant corridor ferroviaire. L’industrie tarde cependant à y percer et, localement, Coega ne règnera pas sans partage sur la Baie d’Algoa puisque Port Elizabeth continuera à y exercer certaines activités portuaires. Le projet de Coega repose sur une volonté politique forte de rééquilibrage territorial post-apartheid au bénéfice de la province du Cap oriental, qui demeurent d’actualité mais va peut-être devoir aussi faire de la place pour le récent projet de Boegoe Bay poussé par celle du Cap septentrional.

South Africa’s port system is quite strong but it is featuring regional disparities. Traffics have increase dramatically in the last forty years, mainly because of the rise of the historical, multifunctional port of Durban, and of two bulk-oriented, industrial seaports, namely Richards Bay and Saldanha Bay. In the first case, containers but also crude oil and refined products are dominant; the two other ports are oriented towards dry bulks exports, with coal on the one hand and iron ore on the other hand. Another new port, Coega, entered into the game in 2009, with in the long term a balanced traffic structure combining these ingredients, but with manganese exports as far as dry bulks are concerned. A major railway corridor will also be behind its success. However industrial development has not met yet there the initial expectations, and moreover Coega will still be facing some local competition in Algoa Bay, where Port Elizabeth will remain operational in a few traffic niches. In the first twenty years of the post-apartheid era, there was a strong political support behind the Coega project in order to assist the previously neglected Eastern Cape province; this is still the case nowadays, but to a lesser extent as attention should also be paid to the Northern Cape province in terms of a more balanced regional development through the Boegoe Bay port project.

DOI : 10.26171/carnets-oi_0303

Introduction

Appuyés sur l’économie la plus avancée de la sous-région, les ports sud-africains dominent largement le paysage portuaire de l’Afrique australe (M.-A. Lamy-Giner, 2011 ; J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner, 2018). Certains ont derrière eux un long passé, mais plusieurs sont de construction récente, ce qui est assez unique à l’échelle africaine dont le dispositif portuaire est largement hérité de la période coloniale. La présente étude vise à identifier les premiers effets de la mise en service, fin 2009, du dernier né de ces nouveaux ports sud-africains, Coega1, et à en explorer le potentiel. Plusieurs travaux géographiques d’ensemble ont été consacrées durant les quarante dernières années au système portuaire sud-africain, du magistral ouvrage de B. Wiese (1981a) aux articles de T. Jones (1990 et 1991), J. Charlier (1997), M.-A. Lamy-Giner (2005)2 ainsi que de J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner (2019). Une large part a été faite dans ces travaux aux exportations de pondéreux et aux zones industrialo-portuaires qui sont associées aux deux histoires à succès précédentes du développement du système portuaire sud-africain que sont les ports de Richards Bay (F. Folio, M.-A. Lamy-Giner & S. Guyot, 2000) et de Saldanha Bay (L. Welman & S. Ferreira, 2016). Cette double dimension vraquière et industrielle est également présente à Coega, qui présente cependant l’originalité d’être aussi un port à conteneurs, ce qui a toujours été refusé à ses deux prédécesseurs.

Créés l’un et l’autre en 1976 et respectivement marqués par un trafic considé­rable de charbon ou de minerai de fer à l’exportation, Richards Bay et Saldanha Bay figurent désormais parmi les cinq principaux complexes du continent avec, intercalé entre eux, le principal port plurifonctionnel du pays, Durban. Plaque tournante du trafic national des hydrocarbures, celui-ci est par ailleurs le premier port à conteneurs du pays (M.-A. Lamy-Giner, 2006) et aussi le troisième du continent derrière Port Saïd, au débouché du canal de Suez, et Tanger Med, mis en service en 2007 sur la rive sud du Détroit de Gibraltar (N. Mareï, 2016). Situé à une vingtaine de kilomètres au nord du port historique principal de l’actuelle province du Cap oriental, Port Elizabeth, Coega forme avec celui-ci un bipôle fonctionnel aux activités et aux projets étroitement imbriqués, ainsi qu’il apparaîtra dans la suite. Dans le cas des deux nouveaux ports de la génération précédente, la distance est supérieure et l’indépendance plus affirmée par rapport aux deux ports historiques à proximité desquels ils furent créés : Saldanha Bay dans l’actuelle province du Cap occidental à 120 kilomètres au nord du Cap et Richards Bay au KwaZulu-Natal à 160 kilomètres au nord de Durban.

Dans cette contribution, il ne sera question que des six principaux ports sud-africains précités, qui concentrent l’essentiel des trafics et aussi des projets des autorités du pays en matière portuaire et de développement des liaisons terrestres, en particulier ferroviaires, vers et depuis l’arrière-pays. Deux ports secondaires, aux trafics plutôt déclinants, complètent le dispositif national : un autre port historique au Cap oriental, East London, et un autre nouveau port au Cap occidental, Mossel Bay (créé en 1987). Même s’ils ont une certaine importance locale, ils ne seront pas spécifiquement envisagés dans la suite, mais ils ont été pris bien évidemment en compte dans les totaux nationaux qui seront mentionnés dans nos tableaux et dans le texte. Nous n’envisagerons pas non plus ici les ports des pays voisins, qui exer­cent une certaine concurrence par rapport aux sud-africains, en particulier Maputo au Mozambique, qui est plus proche de Johannesbourg que ne l’est Durban (M.-A. Lamy-Giner, 2009 et 2016) et nous ne nous attarderons pas davantage sur le transit terrestre, dans les ports sud-africains, de cargaisons destinées à ces pays voisins ou issues de ceux-ci, qui concerne également surtout les établissements du KwaZulu-Natal (J. Charlier, 1997). Nous prendrons par contre en compte la fonction de transit mer-mer, parce que les trafics conteneurisés en transbordement ont un relief impor­tant dans le nouveau port sud-africain qui est au cœur de notre propos et dont il s’agit d’une des raisons d’être, dans une relation planifiée de complémentarité par rapport au principal port à conteneurs national, Durban (doublement pénalisé par une accessibilité nautique inférieure et par une congestion chronique).

Nous nous limiterons dans cette étude à une période de douze ans (2006-2018) que nous avons fait débuter un peu avant la mise en service de Coega, pour mettre en évidence l’effet de celle-ci en termes de redistribution des cartes dans le système portuaire sud-africain, à mesure de la montée en puissance de ce nouveau port ; celle-ci fut cependant bien moins spectaculaire que, à l’autre extrémité du continent, celle de Tanger Med, où les trafics en transbordement ont un relief plus considérable encore et se sont bien davantage développés (J. Charlier & N. Mareï, 2019). Dans les deux cas, la mise en service d’un nouveau port est venue bouleverser le paysage portuaire national, avec d’un côté comme de l’autre la volonté de renforcer une des façades maritimes du pays qui était sous-équipée, les rivages méditerranéens d’une part, la partie la plus méridionale de ceux de l’océan Indien de l’autre. Au Maroc, le résultat obtenu est plus spectaculaire qu’en Afrique du Sud, puisqu’en 2018 le nouveau port marocain affichait un trafic total de 52,1 millions de tonnes (Mt dans la suite) contre seulement 11,7 Mt pour son homologue sud-africain. Certes, ce dernier est entré dans la course deux années plus tard, mais la dynamique portuaire n’est pas la même dans les deux pays, ce qui est pour partie le reflet de leur rythme de croissance économique contrastée3.

Vue d’ensemble sur le système portuaire sud‑africain

Jusqu’à la mise en service des ports vraquiers exportateurs de Richards Bay et de Saldanha Bay en 1976, le long littoral sud-africain (2850 kilomètres) n’était équipé que de quatre ports de commerce plurifonctionnels issus de la période coloniale, aux activités longtemps fort modestes. En 1955, leur trafic total n’atteignait que 15,1 Mt (T. Jones, 1951a et 1951b), dont près de la moitié pour Durban (7,2 Mt) ; les trois autres se partageaient le reste, avec par ordre d’éminence décroissante Le Cap, (4,5 Mt), Port Elizabeth (2,2 Mt) et East London (1,2 Mt). Ces ports se trouvent à l’origine des trois plus anciens corridors de transport du pays, qui convergent vers la province actuelle du Gauteng, axée sur la principale métropole du pays, Johannesbourg, et sur sa capitale, Pretoria (figure 1). Amorcé à Durban, le plus puissant et le plus plurimodal de ceux-ci, le Natcor (ou corridor du Natal) est aussi le plus court (722 kilomètres de gare centrale à gare centrale). Ayant son origine au Cap, le Capecor (ou corridor du Cap) est le plus ancien mais aussi le moins emprunté de nos jours par les flux d’import/export en raison d’une distance fort supérieure (1530 kilomètres ferroviaires). Entre les deux, il y a le Southcor, (ou corridor méridional) qui présente deux branches convergeant vers Springfontein ; la principale, qui est la seule significative de nos jours, est amorcé à Port Elizabeth (à 1112 kilomètres ferroviaires de Johannesbourg) ; aujourd’hui fortement délaissée, la seconde avait pour origine East London (à 1023 kilomètres ferroviaires de la métropole nationale, en tronc commun sur 548 kilomètres avec la ligne issue de Port Elizabeth).

Dans un pays comme l’Afrique du Sud, où le marché routier interprovincial n’a été libéralisé que dans les années 1990, les chemins de fer ont une importance toute particulière dans les relations d’arrière-pays des ports de commerce, même si des autoroutes et autres routes à fort débit doublent désormais les principales voies ferrées du pays ; leur configuration générale est identique à celle de ces dernières, à l’exception d’un axe littoral (auto)routier continu plus ou moins parallèle à la côte qui faisait défaut au niveau ferroviaire et se révèle un complément fort utile à celui-ci. C’est pourquoi est-ce avant tout le réseau ferroviaire hérité du passé qui conditionne la configuration des arrière-pays portuaires traditionnels (B. Wiese, 1981a ; M.-A. Lamy-Giner, 2005 ; J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner, 2019). Ceci s’explique d’autant plus aisément que les ports et les chemins de fer ont longtemps été gérés par une administration unique (la tentaculaire South African Railways and Harbours Administration ou SAR&HA) et constituent de nos jours encore les deux composantes majeures des activités de la puissante société d’état Transnet SOC Ltd. Sa principale division est en charge du transport de fret par voie ferrée (Transnet Freight Rail ou TFR), mais pas de ceux de voyageurs, qui ont été logés dans une autre structure (la Passenger Railway Authority of South Africa, ou PRASA) ; sa composante portuaire est double, avec d’une part une autorité portuaire nationale chargée de la gestion administrative neutre des huit ports du pays (Transnet National Port Authority ou TNPA) et d’autre part un opérateur de terminaux publics (Transnet Port Terminals ou TPT) à côté duquel on trouve aussi des opérateurs de terminaux privés (A. Meyima & M. Chasomeris, 2016)4.

Figure 1 – L’environnement ferroviaire des ports sud‑africains

Figure 1 – L’environnement ferroviaire des ports sud‑africains

Condition sine qua non du succès des deux opérations (B. Wiese, 1981b), la mise en service, en 1976, des nouveaux ports vraquiers de Richards Bay et de Saldanha Bay s’est accompagnée de celle de deux corridors supplémentaires, purement ferroviaires ceux-là, unissant ces deux ports aux régions où sont extraites les pondéreux concernés : le charbon, principalement dans l’actuel Mpumalanga, et le minerai de fer, dans la partie orientale du Cap septentrional, respectivement. C’est ainsi que la Coal Line (la ligne du charbon) et l’Orex Line (la ligne exportatrice du minerai de fer) sont venues compléter le dispositif ferroviaire national, sur respectivement 588 kilomètres depuis Ermelo et 861 km depuis Sishen (plus 36 kilomètres pour une antenne vers Postmasburg inaugurée en 2011), selon un schéma de couplage ferro-portuaire traditionnel en Afrique dans le cas des filières minières (R. Pourtier, 2004). Même si ces deux axes sont à voie étroite (1,067 m) comme la presque totalité du ré­seau de l’Afrique australe, ils écoulent un trafic considérable, de l’ordre de 100 Mt/an dans le premier cas et de 50 Mt/an dans le second. Il s’agit de lignes électrifiées (comme toutes les plus importantes du pays) et très lourdement équipées, parcourues par les plus gros trains de fret du pays et du continent ; d’une longueur respective de 2500 et de 3780 mètres, ceux-ci forment des convois de 204 et 342 wagons, qui acheminent des charges de 20.800 tonnes vers Richards Bay et de 41.400 tonnes vers Saldanha Bay.

Ce sont ces deux lignes spécialisées dans le trafic des pondéreux qui expliquent que Richards Bay et Saldanha Bay viennent aux premier et troisième rangs des ports sud-africains pour le tonnage total. Ainsi qu’il apparaît au tableau 1, ils affichaient respectivement 103,5 Mt et 63,4 Mt en 2018, contre 83,2 Mt pour Durban qui a perdu son premier rang national au profit de Richards Bay depuis les années 1980. Un grand écart s’observe par rapport aux trois ports moyens qui complètent le dispositif national, dont le trafic cumulé 2018 était inférieur à celui de Saldanha Bay : Le Cap (16,1 Mt), Port Elizabeth (13,5 Mt) et le dernier né, Coega (11,8 Mt). En tenant compte aussi des deux ports secondaires d’East London (2,2 Mt) et de Mossel Bay (1,6 Mt), le total national s’établissait à 295,3 Mt en 2018, faisant de l’Afrique du Sud la première puissance portuaire du continent africain.

Tableau 1 – Évolution récente du trafic total des ports sud‑africains (millions de tonnes)

Richards

Bay

Durban

Coega/

Ngqura

Port Eli-zabeth

Le Cap

Saldanha

Bay

Autres ports

Total général

2006

86,4

79,3

0

10,2

14,9

42,2

3,0

230,6

2007

84,6

75,4

0

11,2

14,4

43,7

4,1

223,4

2008

84,6

72,2

0

9,9

11,8

46,5

4,5

229,5

2009

85,0

74,2

2,4

10,5

12,5

50,1

4,4

239,1

2010

85,5

76,1

4,8

11,1

13,2

53,8

4,3

248,8

2011

86,6

80,8

7,1

11,9

13,9

59,7

4,5

264,5

2012

90,3

77,9

7,6

11,2

15,6

61,3

4,8

268,7

2013

94,9

80,4

10,5

12,3

16,1

59,0

4,6

277,8

2014

94,8

81,2

9,6

12,2

15,6

64,7

4,2

282,3

2015

102,7

79,8

8,7

11,5

16,7

71,8

5,5

296,7

2016

99,6

76,8

7,8

11,2

16,7

66,5

4,5

283,1

2017

99,9

78,6

11,0

11,8

15,9

69,9

4,0

291,1

2018

103,5

83,2

11,8

13,5

16,1

63,4

3,8

295,3

Élaboration inédite de l’auteur d’après le tableau 2 infra pour l’année 2018 et, pour la période 2006-2017, des chiffres annuels globaux de TNPA retravaillés par Africa Ports & Ships News en fixant le poids unitaire des EVP à 13,5 tonnes

Ce dernier chiffre s’inscrit en légère baisse par rapport au chiffre record national de 296,7 Mt enregistré en 2015, mais est en hausse par rapport aux deux années qui avaient suivi (2016 et 2017) dont la première avait été marquée par un véritable trou d’air économique au niveau national. Sur une période plus longue, les trafics portuaires sud-africains sont globalement orientés à la hausse, venant de 230,6 Mt en 2006 et de 268,7 Mt en 2012, notamment – mais très partiellement – sous l’effet de l’entrée en lice de Coega à partir de 2009. Pour près de la moitié, le trafic de Coega relève d’opérations conteneurisées qui y ont glissé depuis Durban ou Port Elizabeth ainsi que nous le verrons dans la seconde partie, de sorte que l’apport net actuel du nouveau port est de l’ordre de 6 Mt. Par rapport à 2006, la croissance d’ensemble est surtout due à Richards Bay et à Saldanha Bay (dans une moindre mesure et avec un recul récent5) ; globalement, Durban et Le Cap n’ont guère progressé sur douze ans, alors que Port Elizabeth a surpris en ne reculant pas (du moins pas encore) et en progressant même davantage en valeur relative que les deux précédents alors que le nouveau port de Coega venait de s’ouvrir tout à côté et de capter une partie de son trafic conteneurisé.

C’est ici que la nature des trafics, qui est précisée au tableau 2 pour l’année 2018, intervient dans l’analyse. Le caractère très spécialisé des ports de Richards Bay et de Saldanha Bay y apparaît fort clairement, avec respectivement 88,2 % et 77,6 % pour la catégorie des vracs solides, respectivement dominée par le charbon et le minerai de fer, comme indiqué plus haut. Durban est par contre un établissement très plurifonctionnel, avec une forte proportion de conteneurs (47,9 %) et de vracs liquides (34,1 %). Deux des ports moyens sont spécialisés dans le domaine des manutentions conteneurisées, Le Cap (75,2 %) et plus encore le nouveau venu de Coega (89 % en 2018), dont c’était jusqu’il y a peu la seule activité. Port Elizabeth relevait de la catégorie des ports plurifonctionnels jusqu’à ce qu’une partie de son trafic conteneurisé ne glisse vers Coega et que les exportations de manganèse ne s’y développent significativement, pour une raison sur laquelle nous reviendrons plus loin. Les vracs solides y dominent donc désormais largement (68,9 %) ; il ne s’agit cependant que d’une situation provisoire, puisque ce trafic devrait être transféré à Coega en 2022, transformant ce nouveau port en établissement plurifonctionnel dans le même temps que Port Elizabeth devrait glisser vers la catégorie des ports secondaires aux trafics résiduels de niche.

Tableau 2 – Structure catégorielle estimée des trafics portuaires sud‑africains en 2018 (millions de tonnes)

Vracs liquides

Vracs

solides

Conteneurs

Conventionnelles

Voitures

neuves

Trafic total

Part du total

KwaZulu-Natal

37,6

103,2

40,0

5,4

0,5

186,7

63,2 %

Richards Bay

9,0

91,3

0,1

3,1

<<

103,5

35,0 %

Durban

28,6

11,9

39,9

2,3

0,5

83,2

28,2 %

Océan Atlantique

16,2

50,0

12,1

1,2

0,0

79,5

26,9 %

Le Cap

2,7

0,8

12,1

0,5

<<

16,1

5,5 %

Saldanha Bay

13,5

49,2

0,0

0,7

0,0

63,4

21,4 %

Baie d’Algoa

1,7

10,0

13,3

0,2

0,1

25,3

8,6 %

Port Elizabeth

1,1

9,3

2,8

0,2

0,1

13,5

4,6 %

Coega

0,6

0,7

10,5

<<

0,0

11,8

4,0 %

Autres ports

2,7

0,1

0,9

<<

0,1

3,8

1,3 %

East London

1,1

0,1

0,9

<<

0,1

2,2

0,8 %

Mossel Bay

1,6

0,0

0,0

<<

0,0

1,6

0,5 %

Total national

58,2

163,2

66,3

6,8

0,7

295,3

100,0 %

Élaboration inédite de l’auteur d’après des chiffres détaillés pour 2018 publiés par TNPA ; cet organisme ne donne les tonnages que pour les première, deuxième et quatrième catégories de trafic, alors que les trafics des deux autres sont exprimés sous forme d’unités ; pour pouvoir calculer le trafic total, nous avons transformé ces dernières en tonnages sur base de 13,5 tonnes par EVP (selon la pratique de Africa Ports & Ships News) et de 1 tonne par voiture neuve.

Dans le tableau précédent, les six principaux ports du pays ont été regroupés par paires géographiques, avec dans chaque cas un port historique (respectivement Durban, Le Cap et Port Elizabeth) et un nouveau port (Richards Bay, Saldanha Bay et Coega). Même s’il s’est quelque peu réduit, le poids absolu et relatif de la paire portuaire du KwaZulu-Natal demeure dominant, voire écrasant pour certains trafics : en 2018, elle comptait pour 63,2 % du trafic total, avec 64,6 % des vracs liquides, 78,2 % des vracs solides, 60,3 % des conteneurs, 79,4 % pour les conventionnelles et 69,5 % pour les voitures neuves. La moyenne générale s’inscrit en recul par rapport à un calcul identique opéré en 1994, quand les deux ports du KwaZulu-Natal pesaient collectivement pour 70,5 % (J. Charlier, 1996). En l’espace de près d’un quart de siècle, la part globale des deux ports atlantiques est passée de 21,6 à 26,9 % et celle des autres ports de l’océan Indien, qui correspondent au ventre mou du système portuaire national, de 7,9 à 12,8 %, malgré la baisse de régime globale des deux ports secondaires d’East London et de Mossel Bay, dont la contribution collective s’est abaissée de 2,9 % en 1994 à seulement 1,3 % en 2018.

Au sein des quatre ports méridionaux, le bipôle de la Baie d’Algoa a par contre nettement émergé, avec une part globale de 8,6 % en 2018, contre seulement 2,1 % pour Port Elizabeth quand il était seul en piste en 1994. En valeur relative, ces deux ports peuvent être considérés comme les principaux bénéficiaires des mutations géostructurelles du système portuaire sud-africain. Cependant, ils n’interviennent actuellement que très marginalement dans le domaine des vracs liquides et des autres marchandises, leur point fort se situant dans les exportations de manganèse, prin­cipalement écoulées via le Cap oriental, et dans les conteneurs dont ils assurent collectivement 20,1 % du trafic national. Au niveau des ports individuels, la seconde spécialisation concerne davantage Coega que Port Elizabeth, le second port ayant été partiellement déshabillé dans ce domaine pour habiller le premier lors de sa mise en service (la part des conteneurs dans son trafic total tombant alors de 41,7 % en 1994 et même 48,2 % en 2006 à 20,7 % en 2016). Il a cependant trouvé une compensation (plus quantitative que qualitative) dans le domaine des vracs solides (en lien avec les exportations précitées de manganèse)6, mais ce n’est que temporaire puisque Coega est appelé à capter également ce trafic, en totalité dans ce cas ; le bipôle fonctionnel actuel unissant deux ports moyens complémentaires de la Baie d’Algoa devrait donc évoluer vers un port plurifonctionnel d’une taille supérieure captant l’essentiel du trafic régional, Coega, et un port devenu secondaire, Port Elizabeth, qui devrait renforcer sa spécialisation de niche dans le trafic des voitures neuves.

Coega, du hub à conteneurs au port plurifonctionnel

Alors que Richards Bay et Saldanha Bay peuvent être considérés comme deux purs produits des sombres années de l’apartheid, Coega relève de réflexions et de décisions remontant aux premières années de la « nouvelle Afrique du Sud ». Deux facteurs majeurs à la base de sa création doivent être mentionnés, dont il est difficile de dire lequel fut le plus déterminant. D’un côté, il y a la saturation chronique de Durban au niveau du trafic conteneurisé, qui est un problème fort ancien et est une question toujours pendante ; un premier volet du projet de Coega fut donc d’y prévoir un terminal à conteneurs qui viendrait soulager le port du KwaZulu-Natal. D’autre part, il y a ce qui est présenté de manière récurrente par les nouvelles autorités du pays comme une politique de développement territorial équilibré, avec un rattrapage au profit de la province du Cap oriental, défavorisée à ce niveau à l’époque de l’apartheid parce que formant le berceau de l’ANC7. Ce second volet prévoyait d’associer le nouveau port à une puissante zone industrialo-portuaire (ZIP), comme à Richards Bay et Saldanha Bay, mais n’avait initialement pas une composante exportatrice dans le domaine des pondéreux ; celle-ci est venue s’y ajouter par la suite et c’est elle qui va permettre en définitive au projet de véritablement décoller, en lien avec la mise en place d’un sixième corridor ferroviaire majeur (encore non dénommé officiellement) depuis les mines de manganèse de l’Est de la province du Cap septentrional qui sont proches de celles de minerai de fer évoquées plus haut (P. Nex & J. Kinnaird, 2019).

Le curieux couple Coega - Port Elizabeth pour les conteneurs

Port Elizabeth a derrière lui une longue histoire portuaire, dont les débuts remontent à 1826 sur un site proche du Cap Recife qui marque l’extrémité occidentale de la Baie d’Algoa (dont la découverte, par l’explorateur portugais Bartolemo Dias remonte à 1488) ; les premières opérations portuaires modernes s’y firent à partir de 1881, d’abord à un, puis deux et enfin trois wharfs de batelage, avant que des quais en eau profonde y soient progressivement mis en place à compter de 1933 à l’abri de deux jetées s’avançant dans la baie (B. Wiese, 1981a, p. 126‑127). Les installations de manutention et de stockage y étant proches du tissu urbain, les développements industriels associés de près ou de loin au port ont pris place plus au nord, le long de la côte au sud de l’estuaire du fleuve Swartskops dans la zone de Deal Party (qui accueille également des ateliers ferroviaires) et à l’intérieur des terres autour de Despatch (où il y a aussi de gros ateliers ferroviaires) et d’Uitenhage. Situé de l’autre côté de cet estuaire à une vingtaine de kilomètres au nord au débouché d’un plus petit cours d’eau, le port de Coega s’avance également dans la baie à l’abri, lui aussi, de deux jetées (figure 2). Contrairement à Richards Bay et à Saldanha Bay (qui n’étaient au départ qu’un hameau de 57 habitants et un petit bourg de 4500 habitants axé sur la pêche), il n’a pas donné naissance, vu la proximité de Port Elizabeth, à une ville éponyme ; au contraire, le modeste village de Coega, dont une briqueterie constituait la principale activité, a même été rasé pour éviter de laisser un noyau habité dans la future zone industrialo-portuaire. Les développements résidentiels associés à celle-ci (mais aussi plus généralement à l’aire métropolitaine, car les débuts remontent à 1984) ont pris place à l’extérieur de celle-ci dans la zone de Motherwell qui concentre essentiellement des populations défavorisées, avec beaucoup d’habitat précaire ; il s’agit d’un espace planifié un peu à la hâte, où une trentaine d’unités de voisinage sont reconnues mais qui n’a pas de véritable centre.

Figure 2 – Extraction Google Earth situant le bipôle portuaire de la baie d’Algoa dans son environnement urbain

Figure 2 – Extraction Google Earth situant le bipôle portuaire de la baie d’Algoa dans son environnement urbain

Lancés en 2002 au niveau de l’estuaire du petit fleuve Coega8 en profitant d’un paléo-chenal, les travaux du port visaient à réaliser, à l’abri de deux jetées extérieures (de respectivement 2700 et 1125 mètres), un terminal à conteneurs (TC1 à la figure 3 infra) et, pour desservir les usines de la zone industrielle adjacente, une jetée vraquière (PV à la même figure). Celle-ci est restée pratiquement sans usage jusqu’il y a peu, alors que le quai à conteneurs, dont la longueur initiale n’était que de 780 mètres, a dû être rapidement allongé à 1340 mètres, dont 1300 mètres utiles ; typiquement, deux unités océaniques d’une capacité allant jusqu’à 12.500 EVP9 et deux navires d’apport (feeders)10 peuvent y être accueillis simultanément. Le terminal est actuellement équipé de huit portiques de quai overpanamax (contre quatre au départ), avec 22 portiques de parc en support et une zone ferroviaire arrière dotée de deux portiques pour le chargement et le déchargement des trains-bloc de conteneurs unissant le nouveau port à son arrière-pays. En tenant compte des équipements de manutention et de stockage actuels, la capacité annuelle effective est actuellement de l’ordre de 1,4 million d’EVP, avec la possibilité de monter in situ à 2 millions d’EVP en renforçant ces équipements (PRDW, 2018, p. 2/58). À cette installation de manutention a été associée, fort logiquement, une zone logistique (ZL à la figure 3 infra) ; un secteur de la zone économique spéciale relevant de la Coega Development Corporation lui a été dédié et elle fonctionne en tandem avec les espaces logistiques plus anciens associés au port historique voisin, qui sont surtout localisés entre eux dans la zone de Deal Party.

De tous les ports à conteneurs sud-africains, dont la place périphérique dans le système conteneurisé mondial est très particulière (D. Fraser, C. Ducruet & T. Notteboom, 2016), Coega est celui qui a fait l’objet du plus d’attention dans la littérature récente économico-géographique (T. Notteboom, 2010, 2011et 2012), tou­jours en référence à Durban mais plus rarement au Cap, que sa situation excentrée à l’échelle nationale place un peu hors-jeu quand il s’agit des trafics d’arrière-pays (D. Fraser & T. Notteboom, 2014). Le contexte est celui présenté au tableau 3, où il apparaît que, sur les douze années considérées ici, le nombre des EVP manipulés à Durban est passé de 2,2 à près de 3 millions, dans le même temps que celui du Cap progressait de 800.000 à 900.000. Historiquement, quand la conteneurisation s’est imposée en Afrique du Sud à partir de 197711, Port Elizabeth a aussi été doté (contrairement à East London dont ceci a signifié la fin) d’un terminal à conteneurs pour le trafic océanique ; celui-ci a affiché un (modeste) trafic record d’un peu plus de 400.000 EVP en 2007-2008, contre désormais moins de 200.000 depuis 2016. De plus de 10 % du total national avant 2009, la part de Port Elizabeth dans les manutentions conteneurisés nationales est passée sous la barre des 4 % depuis 2016, mais elle n’est pas tombée à zéro (et n’y tombera sans doute pas à l’avenir) pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

Tableau 3 – Évolution récente du trafic conteneurisé des ports sud‑africains (milliers d’EVP)

Durban

Le Cap

Coega/

Ngqura

Port Eli-zabeth

Autres ports

Total général

Part de Coega

Part de Port Eliz.

2006

2.198

783

0

393

43

3.417

(0,0 %)

(11,5 %)

2007

2.479

764

0

423

46

3.712

(0,0 %)

(11,4 %)

2008

2.642

768

0

424

66

3.900

(0,0 %)

(10,9 %)

2009

2.598

739

175

375

82

3.969

(4,4 %)

(9,4 %)

2010

2.553

709

349

325

77

4.013

(8,7 %)

(8,1 %)

2011

2.713

755

524

326

75

4.393

(11,9 %)

(7,4 %)

2012

2.587

853

561

252

56

4.309

(13,2 %)

(5,8 %)

2013

2.633

921

775

290

65

4.684

(16,6 %)

(6,2 %)

2014

2.664

893

705

260

66

4.588

(15,4 %)

(5,7 %)

2015

2.770

889

636

217

66

4.578

(13,9 %)

(4,7 %)

2016

2.620

927

572

152

84

4.355

(13,1 %)

(3,5 %)

2017

2.700

882

806

168

78

4.634

(17,7 %)

(3,6 %)

2018

2.957

898

775

184

65

4.879

(15,9 %)

(3,8 %)

Élaboration inédite de l’auteur d’après des chiffres annuels globaux de TNPA repris par Africa Ports & Ships News

La montée en puissance de Coega à partir de 2010, première année entière, ne fut pas linéaire parce le nouveau port n’a pas fait que capter une partie du trafic de son voisin dans la Baie d’Algoa. La raison première du nouveau port était en fait de soulager Durban d’une partie de ses activités de transbordement, qui sont de type footloose et peuvent en fait se faire dans n’importe quel port doté d’un tirant d’eau suffisant12 pour l’accueil des gros navires-mères issus d’Asie ou d’Europe13. Atteignant une première fois près de 800.000 EVP en 2013, le trafic conteneurisé de Coega est retombé autour des 600.000 unités en 2015-2016, pour remonter à environ 800.000 en 2017-2018. Ces sensibles « coups d’accordéon » sont amplifiés – à la hausse comme à la baisse – par la nature même des activités de Coega, dont les transbordements représentent, comme nous allons le voir, plus de la moitié du total (avec donc prise en double compte d’une majorité de boîtes, d’abord à l’entrée puis, plus ou moins rapidement, en sortie). Passée à 17,7 % du total national en 2017 en raison d’une forte congestion à Durban, la part de Coega est retombée à 15,9 % en 2018, ce qui reste le troisième meilleur résultat relatif du port dans sa courte histoire.

Dans la comparaison avec Durban et Le Cap, il est légitime d’additionner le trafic résiduel de Port Elizabeth à celui de Coega pour mesurer le poids du pôle de la Baie d’Algoa par rapport aux deux autres principaux foyers portuaires sud-africains en matière de conteneurs. Pour l’année 2018 écoulée, il se situe, avec une part cumulée de 19,7 %, loin derrière Durban qui concentrait 60,6 % du trafic conteneurisé national, en baisse sensible cependant par rapport à la part record de 67,7 % observée en 2008, juste avant l’entrée en lice de Coega ; prise globalement, la Baie d’Algoa vient cependant devant Le Cap qui affichait une part nationale de 18,4 % en 2018, contre 19,7 % en 2008. Au total, les trois ports historiques ont perdu du terrain par rapport au nouveau venu dans le domaine des conteneurs qui est, à peu de choses près, le seul dans lequel il intervient jusqu’ici.

Autant la TNPA et les structures l’ayant précédée ont-elles toujours été fort avares de chiffres pour les trafics non conteneurisés, au sein desquels ceux de vracs liquides ont longtemps été occultés en raison du caractère sensible des importations d’hydrocarbures au temps de l’apartheid (et plus curieusement par la suite), autant une profusion de données s’observe à propos des manutentions conteneurisées. L’Afrique du Sud est ainsi un des rares pays au monde où il est possible de chiffrer très précisément, port par port, le relief des trafics en transbordement et donc d’obtenir, par soustraction par rapport au total général, ceux en lien avec l’arrière-pays ; ceux-ci relèvent quasi exclusivement d’opérations d’import/export, le cabotage national hors feedering étant négligeable dans le cas sud-africain et ayant été ajouté à la rubrique des imports/exports au tableau 4. En 2018, année pour laquelle nous nous sommes livré à l’exercice dans celui-ci, la part globale des transbordements (1 million d’EVP, soit en fait 500.000 boîtes équivalentes prises en double compte) s’élevait à 20,9 % des 4,9 millions d’EVP revendiqués par l’ensemble des ports du pays. Cette moyenne masque cependant d’importants contrastes, avec juste 14,6 % pour Le Cap et à peine 11,8 % pour Durban, dont une partie des activités dans ce domaine (surtout celle de la Mediterranean Shipping Company ou MSC) a glissé vers Coega où les transbordements forment par contre 57,2 % du trafic conteneurisé total. Pour cette fonction particulière, les 443.000 EVP transbordés à Coega en 2018 (43,3 % du total national) placent ce port devant Durban (349.000 EVP ou 34,1 % du total), ce qui témoigne du fait que l’objectif de soulager ce port a été atteint, du moins partiellement. Au niveau de la fonction de desserte de l’arrière-pays terrestre, qui reste dominante globalement, les rapports de force interportuaires sont cependant très différents ; dans ce cas (sur près de 3,9 millions d’EVP), Durban pèse pour 67,5 % de l’import/export, contre 19,9 % pour Le Cap, 8,6 % à peine pour Coega et juste 2,3 % pour Port Elizabeth (le reste allant à East London et à Richards Bay, où les transbordements sont anecdotiques).

Tableau 4 – Structure du trafic conteneurisé des ports sud‑africains en 2018 (milliers d’EVP)

Durban

Le Cap

Coega/

Ngqura

Port Eli-zabeth

(Baie d’Algoa)

Autres ports

Total général

Déchargements

1.461

444

397

85

(482)

33

2.420

Import/export

1.288

379

175

41

(216)

32

1.915

Transbordements

173

65

222

44

(266)

1

505

Chargements

1.496

454

378

99

(477)

36

2.463

Import/export

1.320

388

157

46

(203)

35

1.946

Transbordements

176

66

221

53

(274)

1

517

Trafic total

2.957

898

775

184

(959)

69

4.883

Import/export

2.608

767

332

87

(419)

67

3.861

Transbordements

349

131

443

97

(540)

2

1.022

Élaboration inédite de l’auteur d’après des chiffres détaillés pour 2018 publiés par TNPA

La révélation la plus surprenante de ce tableau réside cependant dans le fait que le modeste trafic résiduel de Port Elizabeth est lui aussi majoritairement axé sur les transbordements, qui forment 52,7 % du nombre des EVP manipulés. Ce port n’est pourtant pas très bien équipé pour cette activité en termes de nombre de portiques (trois fonctionnels) et de taille de ceux-ci (un seul overpanamax) ; par contre, la place y est largement disponible pour le stockage classique des boîtes sur le terre-plein, sans devoir y recourir à de coûteux engins de parc comme à Coega où l’espace est davan­tage compté. Le terminal à conteneurs de Port Elizabeth était initialement un terminal conventionnel où les hangars ont été arrasés et dont la largeur des terre-pleins a été quadruplée. Vu la forte baisse de son trafic, il a été réduit de trois postes océaniques à deux, celui situés en fond de darse ayant été converti pour le trafic des voitures neuves (une centaine de milliers en 2018, en lien avec les usines automobiles locales14). Durban saturant dans ce domaine, TNPA prévoit une forte augmentation du trafic voiturier de Port Elizabeth, où l’un des plans initiaux était de convertir totalement le terminal à conteneurs pour ce type de trafic. Mais ils ont maintenant évolué pour ne rogner encore qu’une vingtaine d’hectares sur cette installation et pour convertir plutôt en un second terminal voiturier les 25 ha de l’actuel terminal minéralier situé de l’autre côté du port quand le gros trafic de manganèse qui s’y exerce actuellement aura été transféré à Coega, en principe en 2022. (PRDW, 2018, p. 2/78). Aussi rien ne s’oppose désormais à conserver le terminal à conteneurs de Port Elizabeth, qui pourrait évoluer vers une sorte de terminal low cost et, dans le cadre d’une ouverture à la concurrence vis-à-vis de TPT, être proposé en concession à un opérateur privé ; cela vient d’être le cas d’une partie du terminal conventionnel du môle central voisin dont le trafic ne cessait de décliner, qui elle a été cédée au début 2019 au petit manutentionnaire privé sud-africain BPO (Bidvest Port Operations), déjà très présent à Durban, dans le cadre d’une formule inédite de BOT (Build, Operate, Transfer) sur dix ans (Freight & Trading Weekly, 28.01.2019)

C’est ici que se pose la question de l’ouverture du système conteneurisé sud-africain à des manutentionnaires privés, étrangers ou sud-africains, dont les seconds n’ont cependant pas la carrure pour exploiter de très gros terminaux. Les premiers relèvent du monde des GTO (global terminal operators) qui sont de plus en plus présents ailleurs en Afrique (N. Mareï, 2016 ; T. Notteboom & J.-P. Rodrigue, 2016). D’une part, il s’agit d’« acteurs purs » (pure players) du monde de la manutention, avec des sociétés comme Hutchinson Port Holdings, China Merchants Port Holdings (Hong Kong), Shanghai International Port Group (Chine), PSA (Singapour), DPW (Dubaï), Ports America (États-Unis), Eurogate et HHLA (Allemagne), Yilport Holdings (Turquie) ou encore ICTSI (Philippines) ; d’autre part, il y a ceux qui sont appariés à des grands armements conteneurisés, tels APMT (associé au groupe maritime danois Maersk), Terminal Investments (associé à la compagnie italo-suisse MSC), Cosco Ports (Chine) ou encore Terminal Link et CMA Terminals au sein du groupe français CMA CGM. Fort curieusement, tous ces grands acteurs mondiaux, ainsi qu’un opérateur très axé sur l’Afrique comme Bolloré Ports, sont absents d’Afrique du Sud. Ceci peut s’expliquer par deux facteurs complémentaires : d’une part, il y a le côté très protectionniste des pouvoirs publics et bien évidemment de l’opérateur de terminaux TPT qui en dépend ; d’autre part, il y a aussi, même s’il y a moins de littérature et de prises de position publiques à ce propos, le caractère éventuellement répulsif pour ces grands groupes internationaux de la quasi obligation de trouver des partenaires locaux dans des montages les associant à des intervenants de la galaxie du BEE (Black Economic Empowerment)15.

Dans le passé, un seul d’entre eux, la filiale portuaire de l’armement anglo-néerlandais P&O Nedlloyd, avait tenté l’aventure, à une époque où certains excès du BEE (et de ses déclinaisons successives) n’étaient pas encore visibles ; elle avait obtenu en 2000 la concession du futur terminal à conteneurs de Coega, dont la livraison était alors annoncée pour 2005. Entre-temps, le projet qui amenait au port un de ses partenaires d’ancrage (anchor partners) dans le cadre d’un BOT a capoté quand cet armement a été racheté en 2003 par (à l’époque) Maersk-Sealand et quand sa filière portuaire (P&O Australia) l’a été par DPW ; le groupe Transnet fut alors amené à un peu forcer la main de sa division TPT pour prendre à son compte et financer une installation que sa société sœur TNPA était occupée à construire au profit d’un tiers soudain défaillant et à réorienter vers ce terminal à conteneurs « tombé du ciel » une grande partie des moyens qu’elle aurait normalement dû affecter à ceux de Durban, du Cap et de Port Elizabeth (lequel fut alors particulièrement négligé). La question est maintenant de savoir si l’histoire se répétera – ou pas – à propos des projets de nouveau port à conteneurs à Durban et/ou d’une seconde installation conteneurisée à Coega, qui seront évoqués in fine.

Vers une diversification des activités de Coega

Depuis 2018, Coega ne dépend plus exclusivement des conteneurs qui formaient la quasi-totalité de son trafic depuis 2009, à quelques opérations ponctuelles près. Des entreprises de la ZIP adjacente se sont mises à utiliser régulièrement la jetée vraquière, suscitant un trafic de 0,7 Mt de vracs solides (notamment du ciment en vrac et du gypse) et quelques transbordements de produits pétroliers ont été réalisés (de navire à navire, le quai n’étant pas encore équipé de conduites et n’étant relié à aucune citerne de stockage), pour 0,6 Mt supplémentaires. À partir de 2021, Coega devrait accueillir un trafic de vracs liquides très supérieur, puisque l’actuel terminal pétrolier situé à côté du terminal minéralier de Port Elizabeth (où 1,1 million de tonnes d’hydrocarbures ont été notées en 2018) va y être transféré d’ici la fin 202016 et puisque le nouveau concessionnaire17 ambitionne un trafic annuel de plusieurs millions de tonnes en tablant sur des réexpéditions par voie maritime dans un large horizon. Un grand parc de stockage (SP à la figure 3) est en cours d’aménagement à proximité du port, auquel il sera relié par des conduites desservant un poste pétrolier ; les opérations débuteront à un poste provisoire sur la jetée vraquière, puis un poste définitif sera aménagé à la racine de la jetée extérieure (PP à cette même figure 3) ; il sera complété par la suite par un second poste pétrolier dans une darsette en encoche le long du rivage (également repérable à la figure 3). Contrairement à celui du trafic du manganèse, qui n’était pas envisagé initialement, ce transfert du trafic des produits raffinés de Port Elizabeth vers Coega était prévu dès l’origine du projet, mais il a mis une décennie à se concrétiser pour diverses raisons, dont la nécessité de trouver un concessionnaire privé.

Figure 3 – Extraction Google Earth présentant la situation actuelle du port de Coega

Figure 3 – Extraction Google Earth présentant la situation actuelle du port de Coega

Depuis le début des années 2000, il est aussi prévu que vienne prendre place dans la ZIP une grande raffinerie, qui y occuperait jusque 600 ha et rayonnerait sur l’océan Indien et dans l’Atlantique Sud. Elle générerait un trafic maritime assez considérable, puisque sa capacité annuelle se situerait entre 12,5 et 20 millions de tonnes, soit autant de pétrole brut à l’entrée et de 10 à 17,5 Mt en sortie (de raffinés, mais aussi de produits pétrochimiques issu des usines pétrochimiques qui y seraient associées) ; ce gros trafic s’exercerait surtout via le second poste pétrolier évoqué ci-dessus et par la suite peut-être aussi via un sealine connecté à une bouée pétrolière offshore. La question de savoir qui construirait cette raffinerie reste cependant ouverte. Au départ, ce projet Mthombo était porté en solitaire par la société d’état Petro SA, qui a ensuite essayé, tout en en réduisant la capacité annuelle de 20 à 12,5 Mt, de s’associer à la chinoise Sinopec, avant de s’en dégager totalement malgré les pressions gouvernementales. La société sud-africaine Mestosync Energy, dirigée notamment par un ancien directeur général de Petro SA, l’a repris récemment à son compte dans une vision présentée comme patriotique (The Mercury, 24.10.2018), avec à nouveau l’objectif d’être la plus grande du continent avec une capacité annuelle de 20 Mt ; de récentes informations de presse indiquent que l’Aramco saoudienne serait derrière cette nouvelle déclinaison du projet, mais que Coega serait en balance avec Richards Bay comme localisation finale car le port du KwaZulu-Natal dispose déjà d’une liaison par conduite avec le Gauteng, alors que le coût d’une nouvelle serait prohibitif au départ de celui du Cap oriental (The Herald, 13.02.2019).

Alors que ce projet de raffinerie reste incertain, les responsables de Transnet ont ajouté en 2014 une dimension nouvelle aux plans initiaux avec le transfert déjà évoqué du trafic minéralier depuis Port Elizabeth, qui interviendra en 2022/2023. Au départ, cette installation, dont la capacité annuelle maximale théorique est de 6 Mt (PRDW, 2018, p. 2/72) devait rester dans le port historique, mais ce trafic a pris une telle ampleur (de 3 Mt en 2006 à 9 Mt en 2018) et ses perspectives sont telles (16 Mt à l’horizon 2025, voire 23 Mt à plus long terme) qu’un terminal plus vaste et en eau plus profonde (16,5 mètres à Coega, contre 10,5 actuellement à Port Elizabeth) était nécessaire, avec deux postes exportateurs plutôt qu’un actuellement et une zone de stockage plus vaste (VS à la figure 3), reliée par des bandes transporteuses aux postes vraquiers du port. L’objectif de 16 Mt est d’autant plus raisonnable que le terminal minéralier actuel de Port Elizabeth en est à refuser du trafic et que les exportations sud-africaines de manganèse doivent provisoirement trouver partiellement d’autres exutoires maritimes, principalement Richards Bay et Saldanha Bay ; dans le premier cas, la distance ferroviaire est vraiment rédhibitoire et l’itinéraire est complexe, alors que dans le second il y a la crainte d’une contamination croisée avec le minerai de fer et d’un manque de capacité sur l’Orex Line18. La date de 2022/2023 est encore fort lointaine, mais il a d’ores et déjà été annoncé que TPT, qui exploite le terminal actuel de Port Elizabeth (totalement amorti et plutôt obsolète) allait équiper et exploiter celui de Coega.

Le laps de temps important d’ici au basculement du trafic d’un port à l’autre s’explique par la nécessité d’attendre l’achèvement de la modernisation par TFR de la ligne de chemin de fer qui va rendre viable ce projet grâce à l’action convergente de trois des divisions de Transnet (TNPA, TPT et TFR), comme au temps de la SAR&HA. Il est piquant d’observer que Saldanha Bay avait été préféré dans les années 1970 à Port Elizabeth pour les exportations massives de minerai de fer depuis Sishen précisément pour ne pas devoir recalibrer l’itinéraire Postmasburg-Kimberley-De Aar-Noupoort-Port Elizabeth. Ceci a alors suscité l’abandon du projet local d’un grand terminal minéralier qui aurait pu accueillir des vraquiers allant jusque 350.000 tpl (tonnes de port en lourd) sur l’île de Sainte-Croix (St. Croix Island) dans la Baie d’Algoa (B. Wiese, 1981a, p. 124) ; celle-ci est située à 3,9 km en mer pratiquement devant Coega19, qui a donc en quelque sorte un ancêtre dans la planification portuaire sud-africaine, d’autant plus qu’il était prévu à l’époque d’associer à ce terminal offshore une zone industrielle qui se serait située sur la terre ferme un peu au nord du site finalement retenu pour la ZIP de Coega.

Sans les voies ferrées lourdes unissant les régions d’extraction aux ports d’expédition maritime, les exportations sud-africaines massives de charbon via Richards Bay, de minerai de fer via Saldanha Bay et bientôt de manganèse via Coega (et entre-temps toujours via Port Elizabeth, mais dans des conditions de moins en moins bonnes) ne seraient tout simplement pas compétitives sur le marché international (où l’Asie, Chine en tête, devance désormais l’Europe au niveau des destinations). Après la Coal Line et l’Orex Line20, Transnet reprend pour le corridor du manganèse en gestation la même formule des trains longs et lourds, de 200 wagons et 16.000 tonnes dans ce cas21. Brancher Coega sur le réseau ferré national, d’abord pour les conteneurs et bientôt pour le manganèse, s’est avéré d’autant plus aisé et peu coûteux que le Southcor passe tout à côté du nouveau port. Pour l’atteindre, ce corridor sera emprunté sur 396 km depuis Noupoort, où les convois arriveront depuis De Aar, à 130 km plus au nord, via une ligne secondaire existante. Ils auront auparavant rejoint De Aar en empruntant sur 413 kilomètres le Capecor depuis Kimberley22, où ils seront d’abord parvenus en empruntant une ligne secondaire amorcée 341 km plus au nord à Hotazel, en plein cœur des principaux gisements de manganèse.

Dans le futur système d’exploitation, les trains-blocs de 200 wagons ne partiront pas d’Hotazel, mais seront formés au niveau d’un hub ferroviaire en construction à 20 km au sud de cette localité, à Mamathwane (C. Shiceka, 2014) ; la longueur totale du nouveau corridor sera donc en définitive de 1280 kilomètres, l’itinéraire actuel Hotazel-Port Elizabeth étant amputé de deux fois 20 kilomètres à ses deux extrémités. TFR formera dans ce faisceau de concentration des rames doubles avec des coupons de 100 wagons chargés sur les carreaux des principales mines de la région, exploitées par des compagnies dites majors23. La région est en plein boom minier (H. van Zyl, W. Bam & J. Steenkamp, 2016) et on y compte aussi de nombreuses mines aux mains de compagnies émergentes dites juniors24, dont les installations ne sont généralement pas embranchées ; dans ce cas, des navettes routières amèneront le manganèse vers le hub de Mamathwane, qui aura une fonction complémentaire de chargement dans des rames dédiées à ces plus petits clients auxquels les autorités entendent apporter les mêmes facilités et avantages qu’aux plus gros. Pour desservir ce nouveau corridor, TFR a commandé, outre 12 engins diesel pour les manœuvres terminales aux deux extrémités, 109 locomotives bicourant et bitension qui tractionneront les trains de bout en bout, en 3 kV continu jusque Kimberley et ensuite en 25 kV alternatif jusqu’au port ; le recours à de telles locomotives permettra d’accélérer la rotation des rames, qui changent actuellement de locomotives monocourant à Kimberley. Une flotte dédiée de 3200 wagons sera aussi mise en œuvre, incorporant 1527 wagons actuels reconditionnés et 1673 nouveaux (C. Shiceka, 2014) ; comme les locomotives, ces der­niers seront entretenus dans des nouvelles installations de maintenance établies à Coega, ce qui sera un important vecteur d’emplois qualifiés dans la zone industrialo-portuaire en émergence.

Comme indiqué plus haut, la jetée vraquière mise en place dès 2009 va enfin pouvoir être valorisée, mais elle ne le sera pas du tout pour satisfaire la demande qu’elle était supposée rencontrer au départ. Quand TNPA l’a réalisée, c’était en lien avec le projet d’une aluminerie d’une capacité annuelle de près de 500.000 ton­nes dont il a longtemps été question dans les années 1995-2005 pour faire office de catalyseur initial de la ZIP et du port ; porté par Péchiney puis par Alcan, il a finale­ment été abandonné en 2009 par Rio Tinto en raison, principalement, des difficultés à garantir un approvisionnement électrique fiable et à faible coût. Cette grosse unité de production (qui aurait suscité un trafic portuaire supérieur à 1 Mt, avec principalement des importations d’alumine) était le premier « client d’ancrage » (anchor tenant) industriel de la ZIP et un des deux initialement anticipés pour le port, où le terminal à conteneurs s’est donc retrouvé bien seul pendant une dizaine d’années quand le projet d’aluminerie a été abandonné. Il ne s’agissait en fait pas du premier gros échec de la région dans le domaine de la transformation des non ferreux puisqu’il avait question auparavant d’une raffinerie de zinc qu’un consortium unissant Billiton et Mitsui projetait de construire à Coega ; il a été abandonné en 2004, officiellement en raison de la conjoncture mondiale alors peu favorable mais peut-être aussi en raison d’une très forte opposition environnementale locale.

Dans les deux cas, il s’agissait de transformer des produits importés de l’étran­ger par voie maritime, alors que le projet phare actuel visant à implanter à Coega une fonderie de manganèse, vieux déjà d’une dizaine d’années, procède d’une autre logique, qui est celle d’une valorisation plus complète par le pays producteur, sous forme de ferro-alliages, d’une des ressources minières nationales. Une étude récente (J. Steenkamp & J. Basson, 2013) a mis en évidence le paradoxe qu’en 2010 l’Afrique du Sud ne comptait que pour 5 % de la production mondiale de ces ferro-alliages (principalement utilisés pour des aciers spéciaux) alors sa part dans la production mondiale de manganèse était très supérieure, ainsi que celle dans les réserves planétaires25. Les usines produisant ces ferro-alliages sont actuellement implantées dans le Gauteng (Mettaloys/South 32 à Meyerton et Mogal Alloys à Krugersdop), dans le Mpumalanga (Assmang à Machadodorp et Transalloys à eMalahleni) ainsi qu’au KwaZulu-Natal (Assmang à Cato Ridge, non loin de Durban) dans des localisations peu favorables, sauf la dernière, pour les exportations maritimes. Depuis 2008, il est question d’une nouvelle fonderie que Kalagadi Manganese implanterait (via une coentreprise avec ArcelorMittal) sur un terrain de 200 ha dans la ZIP de Coega, mais le projet tarde à se concrétiser, un peu pour les mêmes raisons que celui aujourd’hui aux oubliettes dans le domaine de l’aluminium, à savoir les incertitudes liées au coût et à la disponibilité d’électricité. La situation excentrée de Coega est ici fort pénalisante, mais sur le second point une solution se présente désormais localement avec la centrale électrique d’appoint Desida mise en service en 2017 dans la ZIP26 ; utilisée subsidiairement pour stabiliser le réseau local et régional lors de fluctuations de voltage, il s’agit d’une centrale de type Peaking Power qui est déclenchée pour fournir de l’énergie au réseau pendant les périodes de pointe dans la demande ainsi que pendant les situations d’urgence (lire : pendant les périodes de délestage, qui ne sont pas rares en Afrique du Sud). Cette unité, dont la taille est susceptible d’aug­menter à mesure de la montée en puissance de la ZIP et des besoins de ses gros clients industriels futurs, prélève du gaz naturel sur le réseau national, mais son approvisionnement pourrait être assuré à moyen et long termes par voie maritime si le projet d’un terminal méthanier, dont il est de plus en plus souvent question (pour lequel Engie et Mitsui seraient alors bien placés) finit par se concrétiser. Toujours dans le domaine gazier, Afrox (la filiale sud-africaine du géant allemand Linde) a récemment mis en service une unité de production de gaz industriels (oxygène, azote et argon) près de l’emplacement où le stockage d’Oil Tanking est en cours de construction, en voulant sans doute se positionner pour être en position favorable dans l’optique des développements industriels attendus.

Le flot des annonces relatives à de nouveaux investissements purement indus­triels s’est tari ces dernières années, mais dans les projets intégrés de ce genre, il faut « donner le temps au temps » avant que ne s’enclenche un cercle vertueux de croissance au travers de la création progressive d’un écosystème économique local et régional. Certes, les abords de plusieurs des larges avenues éclairées qui ont été tirées dans la ZIP de part et d’autre de la route nationale 2 la traversant de part en part sont encore fort déserts dans certains secteurs, mais le site internet de la CDC renseigne déjà une trentaine d’entreprises effectivement implantées ; pour la plupart de taille moyenne ou petite, elles sont actives dans divers domaines industriels (mais pas toujours en lien avec le port ou en support d’activités industrialo-portuaires) ou des services (y compris dans le domaine des centres d’appel, ce qui est bienvenu au niveau des emplois créés mais pose quand même question en termes de localisation) ; plus conformes aux attentes ont été les succès rencontrés dans le domaine de la logis­tique, même si ce secteur reste écartelé entre Coega et Port Elizabeth, en raison de la pesanteur de certaines localisations héritées et du fait que ce dernier port continue à traiter des conteneurs.

Port de Coega/Ngqura compris, la zone couverte par le projet est de 9000 hec­tares bruts, en excluant semble-t-il l’espace qui avait été réservé au départ pour un nouvel aéroport régional dont il n’est plus guère question ; à la façon de ce qui est arrivé en 2010 avec le nouvel aéroport de Durban, il était supposé remplacer celui de Port Elizabeth qui est incapable d’accueillir les gros porteurs, freinant les exportations de produits agro-alimentaires de forte valeur. Le projet d’ensemble de la ZIP arrêté au départ et ceux que la TNPA annonce pour sa part pour sa composante portuaire continuent par contre à envisager un double développement du port, dont les deux axes apparaissent à la figure 4 donnant une image de ce qu’il pourrait être à l’horizon 2045. D’une part, une darse serait creusée (en plusieurs phases) dans la vallée du fleuve Coega en la remontant jusqu’au pont sur la N2, avec un cercle d’évitage au fond du dispositif ; des postes multivalents (MV) y traiteraient les divers trafics non pétroliers ou non conteneurisés qui seraient générés par la ZIP et la région, voire un arrière-pays plus lointain (la voie ferrée en cours de recalibrage vers De Aar et Kimberley n’ayant pas vocation qu’à n’acheminer que des trains de manganèse). D’autre part, un avant-port en eau plus profonde qu’actuellement continue à être envisagé parallèlement à la côte en direction du Nord-Ouest à l’abri d’une extension de la grande jetée extérieure actuelle ; un deuxième terminal à conteneurs (CT2) y prendrait place sur la face orientale d’une nouvelle darse, voire un troisième (CT3) sur sa face occidentale ; la taille de ce dernier a cependant été réduite dans l’itération la plus récente (PRDW, 2018, p. 2/66) des documents successifs d’aménagement de la TNPA pour faire place aussi à un complexe de réparation navale (qui générerait bien plus d’emplois dans une région où le taux de chômage est l’un des plus élevés du pays).

Figure 4 – Le schéma d’aménagement à long terme du port de Coega

Figure 4 – Le schéma d’aménagement à long terme du port de Coega

Des chiffres annuels de plusieurs millions d’EVP ont été avancés dans le passé pour cette capacité supplémentaire, mais la composante conteneurisée de cette double extension du port semble compromise par le regain d’intérêt de la TNPA envers Durban, sous la pression des armateurs comme des chargeurs (majoritairement localisés dans le Gauteng ou à Durban). Comme indiqué plus haut, avec des équipements de manu­tention renforcés, le terminal actuel de TPT à Coega pourrait rencontrer la demande pendant encore un quart de siècle jusqu’à atteindre sa capacité théorique maximale de 2 millions d’EVP à l’horizon 2045 ; par ailleurs, la modernisation de celui de Port Elizabeth, même ramené de trois à deux postes, permettrait de porter à 2,8, voire 3 millions d’EVP la capacité totale des terminaux de la Baie d’Algoa à ce même horizon. Le passage à une dimension supérieure à Coega dépendra en fait des décisions qui seront prises – ou pas – à propos d’un renforcement significatif – ou pas – des capacités mises en œuvre dans le principal port du pays pour le type des conteneurs et Coega n’est en fait pas maître de son destin à ce niveau.

À court et moyen termes, la TNPA prévoit de renforcer encore le double termi­nal actuel de Durban, en approfondissant les postes de la jetée n° 2 (pier two) et en en construisant de nouveaux à la jetée n° 1, voire en fusionnant les deux jetées actuelles en un seul ensemble restructuré. À plus long terme (ou en parallèle si une forte demande se manifeste), elle a aussi le projet d’une nouvelle darse en eau profonde sur le site de 800 ha de l’ancien aéroport de Durban, abandonné par l’aviation civile en 2000 et que Transnet a acquis en 2012 auprès de l’autorité nationale des aéroports (J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner, 2019). Il est ici question de plusieurs millions d’EVP annuels supplémentaires, mais la question qui se pose est finalement la même qu’à Coega, qui est celle du financement des lourdes infrastructures requises mais aussi des terminaux. D’un côté, s’agira-t-il des pouvoirs publics dans une formule classique ou ceux-ci privilégieront-ils un BOT avec un (ou des) acteur(s) privé(s) ? De l’autre, cela dépasse clairement les moyens de TPT (qui pourrait les avoir juste pour un des terminaux prévus sur le site de l’ancien aéroport de Durban), mais l’Afrique du Sud intéressera-t-elle enfin un opérateur global de terminaux (ou plusieurs) ? Les amé­nageurs ont donc affaire à une équation à plusieurs inconnues dont les termes ne se limitent pas aux possibilités techniques des sites portuaires.

Ceci d’autant que le projet d’un nouveau port à Boegoe Bay, près de la frontière namibienne est récemment venu compliquer la situation27. Nous retombons ici sur la question du développement territorial équilibré de l’espace sud-africain consub­stantielle au projet de Coega, puisque la province du Cap septentrional ne dispose pas de port de commerce, en dehors de Port Nolloth qui a perdu toute importance en raison de ses insuffisances nautiques ; ceci a clairement freiné son développement et elle frappe à son tour à la porte pour des financements même si, quand un ancien directeur général de la TNPA a mis le projet sur la place publique en 2014, il a claire­ment indiqué qu’il pensait à une formule de type BOT pour mettre en œuvre ce double projet portuaire et ferroviaire, dans le cadre de la section 5 de la nouvelle version de l’Acte national des ports (Mining Weekly, 08.12.2014). Sur papier, ceci pourrait être aussi le cas des projets qui viennent d’être évoqués pour les conteneurs à Coega et Durban ; la situation économique et politique actuelle de l’Afrique du Sud est telle que des décisions fortes et engageant le pays sur le long terme en matière portuaire ne semblent cependant pas s’annoncer pour les prochains mois.

Conclusion : les sables mouvants de la géographie portuaire sud‑africaine

L’Afrique du Sud a derrière elle une longue histoire portuaire, dont les pre­miers jalons datent d’avant la période de l’Union Sud-Africaine (1910-1948). Des quatre ports de commerce plurifonctionnels qui ont émergé avant et pendant celle-ci, un seul, Durban, s’est affirmé par la suite comme un port majeur à l’échelle nationale et même continentale, si pas mondiale ; son éminence est trop souvent attribuée seulement aux conteneurs, alors que c’est aussi un acteur national essentiel pour les hydrocarbures. Un autre port historique, Le Cap, a su se maintenir en bonne position dans une niche géographique liée à son éloignement par rapport aux autres et à sa spécialisation dans le domaine des cargaisons conteneurisées, en particulier réfrigérées. Pour les deux autres ports historiques, le bilan est plus mitigé : d’une part, East London, dont les aptitudes nautiques étaient les moins bonnes et dont l’arrière-pays était le plus fragile, a raté le virage de la conteneurisation et n’a plus qu’une importance locale ; d’autre part, Port Elizabeth a mieux résisté jusqu’ici et a même surfé sur l’essor récent des exportations de manganèse, mais celles-ci sont sur le point d’être transférées dans le nouveau port voisin de Coega, de sorte que le plus ancien des deux ports de la Baie d’Algoa va devoir tenter de continuer à exister au travers de niches complémentaires par rapport à son futur grand voisin.

La sombre période de l’apartheid a vu naître trois nouveaux ports spécialisés, dont un, Mossel Bay n’a pas percé depuis 1987 ; les deux autres s’avèrent par contre des histoires à succès, même si les pouvoirs publics les ont tenus jusqu’ici délibérément à l’écart des trafics conteneurisés. Nés l’un et l’autre en 1976 au débouché de puis­santes nouvelles voies ferrées, Richards Bay doivent leur essor aux exportations de pondéreux, le charbon à Richards Bay (où une certaine diversification s’observe cependant) et le minerai de fer à Saldanha Bay (où la seule diversification significative observée relève du stockage stratégique du pétrole brut) ; dans l’un et l’autre cas, une zone industrialo-portuaire et une ville sont nées à l’ombre du nouveau port, avec globalement plus de succès à Richards Bay qu’à Saldanha Bay. Ces deux nouveaux pôles de croissance relèvent d’une politique d’aménagement du territoire où les considérations politiques n’étaient pas absentes ; elles ne l’ont pas davantage été dans le cas du quatrième nouveau port sud-africain, Coega, conçu et mis en place dans les années post-apartheid, mais dont les germes remontent à la période antérieure avec le projet de l’Île Sainte-Croix, qui fut un moment en balance avec Saldanha Bay.

L’originalité de Coega, en service depuis 2009, est qu’il deviendra à terme un port plurifonctionnel, après n’avoir été qu’un port à conteneurs, davantage imaginé pour soulager Durban au niveau des trafics en transbordement que pour remplacer Port Elizabeth qui continue à être actif, mais à une échelle réduite. Le nouveau port de la Baie d’Algoa va bénéficier du transfert complet des trafics actuels de Port Elizabeth dans le domaine des raffinés (2020) et du manganèse (2022/2023), en lien dans le second cas avec la mise en place d’une troisième ligne ferroviaire lourde par reconstruction d’un itinéraire existant ; en année pleine, cela pourrait lui valoir un trafic total de l’ordre d’une trentaine de millions de tonnes et le quatrième rang national. Son avenir dans le domaine des conteneurs est conditionné par les décisions qui seront prises – ou pas – à propos du renforcement des capacités de Durban en la matière et de l’attrait – ou pas – qu’auront les ports sud-africains pour les opérateurs globaux étrangers de terminaux à conteneurs, alors que le système est actuellement cadenassé au profit du manutentionnaire public national Transnet Port Terminals.

Le succès de Coega dépendra aussi de l’arrivée dans la zone industrielle associée au port évoqué ci-dessus de très gros clients industriels et de la naissance à l’ombre de ceux-ci d’un écosystème local et régional. En charge de la promotion et de la gestion de cette zone, la Coega Development Corporation a rencontré de notables succès, mais aussi des échecs avec les projets avortés d’une fonderie de zinc puis d’une aluminerie ; deux autres gros dossiers tardent par ailleurs à se concrétiser, ceux d’une raffinerie et d’une fonderie de manganèse qui font pour l’instant ressembler Coega à une symphonie inachevée.

Il y a une quinzaine d’années, un journaliste maritime sud-africain hésitait, pour qualifier le projet alors en train de sortir de terre, entre les termes « éléphant blanc » et « touche de génie » (T. Hutson, 2004) ; le premier n’est certainement plus de mise et le second doit beaucoup à l’espèce d’acharnement dont les gouvernements post-apartheid successifs ont fait montre à l’égard d’une opération bénéficiant à la province ayant le plus les faveurs du nouveau pouvoir après avoir été négligée par le précédent. L’ancien président Thabo Mbeki est allé jusqu’à qualifier officiellement Coega de « projet pilote de la (nouvelle) Afrique du Sud », mais la roue n’est-elle pas en train de tourner ? Deux courants contraires s’observent en effet avec, d’une part, un retour à plus de réalité économique au travers du regain d’intérêt global qui s’observe pour Durban et, d’autre part, la prise en compte d’autres considérations de développement régional avec le projet de Boegoe Bay, qui mettrait enfin la province du Cap septentrional sur la carte portuaire sud‑africaine.

1 Que les Sud-Africains nomment aussi Ngqura en langue Xhosa pour le distinguer de la vaste zone de développement industriel et logistique adjacente (

2 Celle-ci dérive d’une thèse de doctorat soutenue deux ans auparavant sous le titre Les sept ports de commerce sud-africains, de Richards Bay à

3 Traduites notamment par des taux annuels de progression du PNB très différents, qui se chiffraient par exemple, selon la Banque mondiale, à 1,3 % en

4 TPT est présente dans tous les ports et opère tous les terminaux majeurs du pays, à deux exceptions près : la plupart des terminaux pétroliers (mais

5 Pour ce port, l’année 2018 n’est pas très représentative car marquée, d’une part, par des très grosses expéditions de pétrole brut en lien avec la

6 L’origine de ce trafic remonte à 1963 quand un terminal minéralier fut mis en place à Port Elizabeth pour exporter du minerai et du manganèse

7 Il suffira de rappeler ici que les deux premiers présidents de la période post-apartheid, Nelson Mandela et Thabo Mbeki, en sont originaires et que

8 Celui-ci a un débit fort modeste et, depuis les années 1950, son fond de vallée est occupé juste avant son débouché en mer (qui était généralement

9 Unités équivalentes de vingt pieds, le standard international pour exprimer la capacité des porte-conteneurs, mais aussi les trafics portuaires de

10 Le feedering consiste à redistribuer par voie maritime des conteneurs d’un port moyeu (hub) vers des ports secondaires ou, inversement, à y

11 Avec la mise en place, tout d’abord, du consortium SAECS (South Africa Europe Container Service) dont les membres (la Safmarine alors sud-africaine

12 Des unités enfoncées jusqu’à 16,5 mètres peuvent être actuellement accueillies à Coega. Au Cap, la situation est restée figée (13,8 mètres au

13 Et dans certains cas aussi de son trafic d’hinterland vers et depuis le Gauteng quand le Natcor sature ; dans le passé, Spoornet proposait alors le

14 VW à Uitenhage et General Motors (ex-Delta Motors) à Port Elizabeth, auxquels il faut ajouter Ford qui assemble des moteurs à Port Elizabeth ainsi

15 Le système des « partenaires » commerciaux obligés (qui n’est pas propre à l’Afrique du Sud et par rapport auquel bien des acteurs étrangers

16 Libérant ainsi un espace proche de la ville et de son front de mer où, après dépollution, une grosse opération de type « front d’eau » (waterfront)

17 Un consortium nommé OTCALULO piloté par la société allemande Oil Tanking (un des leaders mondiaux du secteur), associée à des intérêts

18 Le trafic du minerai de fer y passe actuellement par un creux conjoncturel, dont TRF a profité pour écouler un flux de manganèse estimé à 2 Mt en

19 C’est l’île principale d’un mini-archipel devenu une réserve marine (la St. Croix Island Reserve, qui abrite une colonie d’une espèce rare de

20 En réalité, seule la première ligne fut conçue et réalisée par le prédécesseur de Transnet, la SAR&HA ; la seconde le fut par la société d’état min

21 La charge à l’essieu des wagons chargé de manganèse ne sera initialement que de 20 tonnes (contre 26 sur la ligne du charbon et 30 sur celle du

22 C’est sur cette section que les plus gros travaux sont en cours, avec en particulier le réta­blissement de la double voie sur 93 km pour assurer la

23 South 32 (anciennement BHP Billiton/Samcor Manganese), Assmang, Kalagadi Manganese, Tshipi Manganese et UMK (United Manganese of the Kalahari) ;

24 Quelques-unes de leurs mines sont proches de celles des majors, mais la plupart se situent quelques dizaines de kilomètres plus au sud, autour de

25 D’après le US Geological Survey, dont les chiffres sont exprimés en métal contenu (et non comme plus haut au niveau des tonnages de minerai

26 Sa puissance est actuellement de 335 MW et son propriétaire (un consortium unissant Engie, Mitsui et deux acteurs BEE sud-africains) a mis en

27 Schématiquement, cet éventuel neuvième port de commerce sud-africain serait construit au terminus d’une nouvelle voie ferrée plus ou moins

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1 Que les Sud-Africains nomment aussi Ngqura en langue Xhosa pour le distinguer de la vaste zone de développement industriel et logistique adjacente (la Coega Industrial Development Zone ou IDZ) gérée par la Coega Development Corporation (CDC), alors que le nouveau port qui en est le noyau relève de la Transnet National Port Authority (TNPA) ; pour éviter toute confusion, nous ne retiendrons pas ce distinguo dans la suite et nous utiliserons le nom de Coega à propos dudit port comme de la zone de développement industriel et logistique adjacente qui a le statut d’une zone économique spéciale (Special Economic Zone ou SEZ) jouissant d’avantages fiscaux et douaniers particuliers pour les entreprises axées sur l’exportation.

2 Celle-ci dérive d’une thèse de doctorat soutenue deux ans auparavant sous le titre Les sept ports de commerce sud-africains, de Richards Bay à Saldanha Bay, Saint-Denis, Université de la Réunion, 2005, 460 p.

3 Traduites notamment par des taux annuels de progression du PNB très différents, qui se chiffraient par exemple, selon la Banque mondiale, à 1,3 % en Afrique du Sud en 2017 contre 4,3 % au Maroc.

4 TPT est présente dans tous les ports et opère tous les terminaux majeurs du pays, à deux exceptions près : la plupart des terminaux pétroliers (mais bien celui de Saldanha Bay, pour le compte du Strategic Fuel Fund) et le Richards Bay Coal Terminal (RBCT), qui est aux mains d’un consortium de compagnies charbonnières. Tous les terminaux à conteneurs et voituriers du pays sont actuellement exploités par TPT et ce n’est finalement que dans le domaine des marchandises diverses conventionnelles et des vracs solides non énergé­tiques au port de Durban qu’une véritable concurrence entre ce gros acteur public et quelques opérateurs privés pouvait s’observer jusqu’à la fin 2018.

5 Pour ce port, l’année 2018 n’est pas très représentative car marquée, d’une part, par des très grosses expéditions de pétrole brut en lien avec la revente controversée d’une partie du stock stratégique du pays (laquelle est venue gonfler la rubrique des vracs liquides qui n’a normalement pas ce relief) et, d’autre part, par une forte baisse conjoncturelle des exportations de minerai de fer et par le blocage accidentel de l’Orex Line en fin d’année (qui a au contraire réduit la part des vracs solides).

6 L’origine de ce trafic remonte à 1963 quand un terminal minéralier fut mis en place à Port Elizabeth pour exporter du minerai et du manganèse extraits dans la région de Postmasburg et de Sishen (B. Wiese, 1981a, p. 120) ; le trafic du minerai de fer a été basculé sur Saldanha Bay quand l’Orex Line a été mise en service en 1976, acheminant alors des tonnages bien plus considérables ; Port Elizabeth s’est trouvé spécialisé de facto dans les exportations de manganèse qui ont pu augmenter, de la capacité étant libérée sur la ligne via Kimberley, De Aar et Noupoort dans le même temps que des nouvelles mines de manganèse entraient en service au nord de Sishen (vers Hotazel et Black Rock Mine).

7 Il suffira de rappeler ici que les deux premiers présidents de la période post-apartheid, Nelson Mandela et Thabo Mbeki, en sont originaires et que la résistance à l’apartheid fut particulièrement forte (et marquée par le meurtre de plusieurs militants) dans ce qui était alors la partie orientale de la très vaste province du Cap : lors de la réorganisation provinciale de 1984, celle-ci a été divisée en trois et les homelands du Ciskei et du Transkei ont été intégrés dans la nouvelle province du Cap oriental. Il est par ailleurs symptomatique que la vaste municipalité urbaine centrée sur la ville de Port Elizabeth et s’étendant jusque Despatch et Uitenhage ait été dénommée à partir de 2001 la Nelson Mandela Bay Metropolitan Municipality ; elle s’étend le long de la côte jusqu’au niveau de Colchester et inclut, au sud de celle-ci le port de Coega. Incidemment, l’adjectif métropolitain est quelque peu usurpé pour cette entité administrative au niveau des activités tertiaires supérieures (avec par exemple un gros déficit au niveau de l’enseignement supérieur, la création de l’Université de Port Elizabeth ne remontant qu’à 1964) ; elle l’est aussi en termes démographiques, avec moins de 1,3 million d’habitants en 2016, soit bien moins que deux des trois autres municipalités métropolitaines littorales, axées sur Le Cap (4 millions) et Durban (3,7 millions), mais plus que pour celle centrée sur East London (0,8 million) qui ne mérite non plus guère ce titre.

8 Celui-ci a un débit fort modeste et, depuis les années 1950, son fond de vallée est occupé juste avant son débouché en mer (qui était généralement barré par un cordon dunaire) par des marais salants (« Sel » à la figure 3 infra) ; à l’initiative de la Coega Development Corporation (CDC), une usine de traitement et de conditionnement moderne y a été mise en place en 2007 par Cerebos dans la zone 7 de la ZIP, à l’extérieure de la zone portuaire où était située l’ancienne usine dont la démolition a été demandée par TNPA en 2015. Des problèmes évidents de coexistence par rapport à cette activité très sensible à la qualité de l’air et de l’eau vont se poser avec les trafics d’hydrocarbures et de manganèse qui vont être transférés de Port Elizabeth à Coega ; à plus long terme, les marais salants et l’usine actuelle sont condamnés, puisque le schéma de développement à long terme de la zone donne à TNPA la possibilité de faire « remonter » le port dans l’estuaire et d’y construire des terminaux (figure 4 infra).

9 Unités équivalentes de vingt pieds, le standard international pour exprimer la capacité des porte-conteneurs, mais aussi les trafics portuaires de conteneurs (avec dans les deux cas une boîte de 40 pieds comptant pour deux de 20 pieds), en parallèle avec les ton­nages auxquels il a été fait référence au tableau 2 pour permettre la comparaison avec les autres types de trafic ; aux tableaux 3 et 4 qui vont suivre, nous exprimerons plutôt les trafics portuaires en nombre de boîtes équivalentes, car les données sur les trafics en transbordement dont nous allons exploiter au tableau 4 ne sont disponibles que sous la forme du nombre des boîtes équivalentes manipulées.

10 Le feedering consiste à redistribuer par voie maritime des conteneurs d’un port moyeu (hub) vers des ports secondaires ou, inversement, à y collecter des boîtes qui vont être concentrées dans le port principal ; les grosses unités fréquentant les hubs négligent les ports secondaires pour des raisons de tirant d’eau, de détour trop important ou d’aliment insuffisant, mais ces ports secondaires restent branchés sur le système maritime mondial grâce aux feeders dont le tirant d’eau plus limité permet une couverture fine des espaces littoraux continentaux et des territoires insulaires.

11 Avec la mise en place, tout d’abord, du consortium SAECS (South Africa Europe Container Service) dont les membres (la Safmarine alors sud-africaine et plusieurs armements euro­péens) ont fait basculer du conventionnel vers le conteneur leur trafic de ligne régulière sur l’Europe (B. Wiese, 1981a, p. 68) ; à l’échelle mondiale, c’est le premier grand trafic de type Nord-Sud qui fit l’objet d’une telle révolution technique, au niveau des navires mis en œuvre mais aussi des ports desservis et de leurs relations ferroviaires d’arrière-pays qui furent également massivement conteneurisées par Spoornet (le nom précédent de TRF), avec aussi la mise en place de ports secs intérieurs dont le principal (City Deep) se situe près de Johannesbourg (C. Kunaka, 2016) ; c’est toute un chaîne logistique verticalement intégrée qui fut mise en place à l’époque du côté sud-africain, dans le cadre d’une politique gouvernementale particulièrement volontariste.

12 Des unités enfoncées jusqu’à 16,5 mètres peuvent être actuellement accueillies à Coega. Au Cap, la situation est restée figée (13,8 mètres au maximum) mais le tirant d’eau maximal admissible pour les porte-conteneurs est passé de 12,5 à 14,5 mètres à Durban après élargissement et approfondissement du chenal d’entrée et recreusement, toujours en cours, de certains postes ; le différentiel s’est ainsi réduit, mais au travers de la fonction de transbordement, Coega peut toujours continuer à fonctionner comme port d’allègement pour les unités trop enfoncées que pour escaler en direct à Durban ou au Cap (ou inversement en sortie).

13 Et dans certains cas aussi de son trafic d’hinterland vers et depuis le Gauteng quand le Natcor sature ; dans le passé, Spoornet proposait alors le même tarif sur Port Elizabeth (et même sur Le Cap) que sur Durban, mais nous ignorons si cette pratique est toujours d’actualité. Il s’agissait (et s’agirait peut-être encore, y compris dans le futur) d’un bel exemple de manipulation des arrière-pays portuaires par les pouvoirs publics ; on peut cependant considérer aussi que c’est dans l’intérêt général puisque le but d’une telle égalisation tarifaire ferroviaire est de tirer parti des capacités portuaires disponibles dans un système où les ports et les chemins de fer sont vus comme les deux faces d’une même pièce.

14 VW à Uitenhage et General Motors (ex-Delta Motors) à Port Elizabeth, auxquels il faut ajouter Ford qui assemble des moteurs à Port Elizabeth ainsi que les fabricants de pneus Goodyear à Uitenhage et Continental à Port Elizabeth ; les entreprises chinoises First Automobile Works (FAW) et Beijing Automotive (BAIC) ont par ailleurs inauguré en 2016 et en 2018 des unités d’assemblage (de camions et de voitures, respectivement) dans la ZIP de Coega, mais leur trafic ne passera pas par ce port où aucun terminal voiturier n’est prévu. Les autres usines automobiles sud-africaines sont localisées à East London (Mercedes) et dans le Gauteng (les plus nombreuses, qui ont alors Durban comme exutoire maritime logique). La production totale nationale était de 600.000 unités en 2017, majoritairement destinées à l’exportation, avec un objectif de 1,2 million en 2020 (BusinessTech, 21.08.2018).

15 Le système des « partenaires » commerciaux obligés (qui n’est pas propre à l’Afrique du Sud et par rapport auquel bien des acteurs étrangers potentiels sont assez frileux) intervient désormais presque toujours dans les investissements privés nationaux ou internationaux réalisés en Afrique du Sud (G. Genre-Grandpierre, 2004). Il a eu des effets très positifs en favorisant l’émergence de nouveaux acteurs économiques (y compris féminins) issus de la communauté autrefois discriminée et en accélérant l’effet redistributif au bénéfice de ceux que le système antérieur défavorisait. Divers excès, qui auraient surtout profité aux cercles proches du pouvoir, ont cependant été dénoncés ; dans le domaine des transports, il y eut en particulier le récent scandale lié à la surfacturation, de l’ordre de 20 %, de plus de 1000 locomotives commandées en Chine, associée à des rétrocommissions vers cette dernière sphère.

16 Libérant ainsi un espace proche de la ville et de son front de mer où, après dépollution, une grosse opération de type « front d’eau » (waterfront) est prévue de longue date (G. Pirie, 1994 ; M.-A. Lamy-Giner, 2013). Inspirée du très réussi Victoria & Alfred Waterfront (V&AW) du Cap (J. Charlier, 2009), elle combinerait des activités résidentielles, commerciales et récréatives au contact des actuels ports de pêche et de plaisance qui seraient revitalisés ; le tout en continuité avec la zone touristique balnéaire actuelle et dans un « port propre » débarrassé de ses activités vraquières polluantes transférées à Coega. Un point de friction entre les planificateurs portuaires et urbains réside dans le sort qui serait réservé à l’actuel terminal minéralier, que TNPA prévoit de convertir en terminal voiturier pour ne pas devoir fermer le terminal à conteneurs, alors que les acteurs urbains convoitent cet espace pour une seconde phase de leur opération urbano-portuaire.

17 Un consortium nommé OTCALULO piloté par la société allemande Oil Tanking (un des leaders mondiaux du secteur), associée à des intérêts sud-africains agréés BBBEE de niveau 2, Grindrod South Africa et Calulo Terminals. Oil Tanking, dont le nom est ainsi mis en avant comme opérateur industriel même s’il est minoritaire dans l’actionnariat est également impliqué dans un montage du même genre à Saldanha Bay, axé dans ce cas sur le stockage et le trading de pétrole brut, toujours en visant un large avant-pays (étendu dans ce cas à l’Océan Atlantique) mais à une plus grande échelle encore (J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner, 2019) ; la société pétrolière saoudienne Aramco a été récemment citée comme un gros utilisateur possible du futur terminal de Saldanha Bay.

18 Le trafic du minerai de fer y passe actuellement par un creux conjoncturel, dont TRF a profité pour écouler un flux de manganèse estimé à 2 Mt en 2018 ; la densité du minerai de manganèse étant inférieure à celle du minerai de fer, la compagnie ferroviaire a été jusqu’à expérimenter en 2018 sur cette ligne un convoi de 375 wagons, formé de trois coupons de 125 wagons, d’une longueur de 4 kilomètres et d’une charge marchande totale de 22.500 tonnes (International Railway Journal, 12.10.2018).

19 C’est l’île principale d’un mini-archipel devenu une réserve marine (la St. Croix Island Reserve, qui abrite une colonie d’une espèce rare de pingouins) ; il comporte aussi deux îles plus petites, Brenton plus au large et Jahleel à seulement 1000 mètres de la plage de Coega. La présence de cette dernière a conditionné la forme de la jetée extérieure septen­trionale du nouveau port, qu’il a fallu infléchir en laissant une zone marine tampon de 500 mètres entre elle et l’île. Des discussions informelles que nous avons eues lors de deux visites de terrain pendant les travaux se dégageait l’idée que cette forme n’était pas optimale pour les manœuvres d’entrée et de sortie des grands navires lors des exercices sur simulateur menés à l’époque. Il en est résulté que TNPA a longtemps parlé d’une accessibilité maximale du port pour des porte-conteneurs de seulement 6.500 EVP et des vraquiers panamax de 85.000 tpl ; moyennant des remorqueurs plus puissants, des propulseurs latéraux eux aussi plus puissants pour les navires modernes et une meilleure maîtrise des opérations par les pilotes, des chiffres de 12.500 EVP et de 120.000 tpl sont désormais mentionnés, mais on sent bien que Coega a « un clou dans sa chaussure » dans sa configuration actuelle.

20 En réalité, seule la première ligne fut conçue et réalisée par le prédécesseur de Transnet, la SAR&HA ; la seconde le fut par la société d’état minière et sidérurgique ISCOR, qui en a cependant cédé la propriété et l’exploitation (et celle du port de Saldanha Bay) dès 1977 à la SAR&HA, laquelle s’est alors empressée d’électrifier la ligne, à l’image de sa nouvelle artère charbonnière qui l’avait été d’emblée.

21 La charge à l’essieu des wagons chargé de manganèse ne sera initialement que de 20 tonnes (contre 26 sur la ligne du charbon et 30 sur celle du minerai de fer) mais l’objectif à long terme est d’atteindre 26 tonnes à l’essieu ici aussi et donc des trains de 19.200 tonnes. Alors que les rames actuelles de manganèse (limitée à 70 wagons) et celles de la ligne du charbon sont tirées par des locomotives groupées en tête, c’est la formule de la traction répartie qui a été retenue pour le futur pour la ligne du manganèse (comme sur l’Orex Line), avec des locomotives en tête ainsi qu’en queue et d’autres en position intermédiaire.

22 C’est sur cette section que les plus gros travaux sont en cours, avec en particulier le réta­blissement de la double voie sur 93 km pour assurer la fluidité du trafic commun à ce Southcor et à la ligne du manganèse ; tout au long de l’itinéraire, certains évitements seront allongés pour permettre le croisement des trains de 200 wagons et plusieurs autres seront construits ; un renforcement général des infrastructures, dont les ponts et l’alimentation électrique, s’est par ailleurs avéré nécessaire et est également en cours (C. Shiceka, 2014).

23 South 32 (anciennement BHP Billiton/Samcor Manganese), Assmang, Kalagadi Manganese, Tshipi Manganese et UMK (United Manganese of the Kalahari) ; leurs gisements se situent près de Hotazel et de Black Rock Mine, jusqu’où une antenne ferroviaire non électrifiée a été poussé depuis Hotazel pour desservir directement les mines mises en valeur récem­ment plus dans cette zone.

24 Quelques-unes de leurs mines sont proches de celles des majors, mais la plupart se situent quelques dizaines de kilomètres plus au sud, autour de Lohatla entre Sishen et Postmasburg ; le manque actuel de wagons-tombereaux disponibles pour acheminer ce manganèse en vrac est tel que nous avons pu y observer lors d’un séjour de terrain en novembre 2016 que certains de ces junior miners chargeaient alors du manganèse dans des vieux conteneurs maritimes qui étaient surtout exportés via Durban.

25 D’après le US Geological Survey, dont les chiffres sont exprimés en métal contenu (et non comme plus haut au niveau des tonnages de minerai transportés ou expédiés, avec des teneurs qui varient dans l’espace et dans le temps), la part de l’Afrique du Sud dans la production mondiale était de 33,1 % en 2017 (5,3 Mt sur un total de 16 Mt de manganèse pur) ; pour les réserves prouvées, la même source donnait 29,4 % (200 Mt sur 680 Mt). Toujours en métal contenu, l’Afrique du Sud se situait de loin au premier rang mondial en 2017 en termes de production, devant la Chine (2,5 Mt), l’Australie (2,2 Mt), le Gabon (1,6 Mt), le Brésil (1,2 Mt), l’Inde (0,8 Mt) et le Ghana (0,6 Mt).

26 Sa puissance est actuellement de 335 MW et son propriétaire (un consortium unissant Engie, Mitsui et deux acteurs BEE sud-africains) a mis en service en 2016 une unité semblable de 670 MW à Avon au KwaZulu-Natal ; dans les deux cas, un accord le lie pour 15 ans à la société électrique nationale Eskom ; comme Transnet, celle-ci est une sorte d’état dans l’état, envers laquelle le pouvoir n’a pas manqué de faire aussi pression pour favoriser le succès du projet de Coega.

27 Schématiquement, cet éventuel neuvième port de commerce sud-africain serait construit au terminus d’une nouvelle voie ferrée plus ou moins parallèle à cette frontière et serait principalement axé sur des exportations vraquières ; son trafic serait généré par certaines mines existantes dont les flux y seraient redirigés et par des nouvelles mines qui pourraient être mises en valeur dans l’arrière-pays national potentiel, voire en Namibie selon la configuration ferroviaire retenue (J. Charlier & M.-A. Lamy-Giner, 2019). Ce trafic est estimé comme suit : entre 5 et 10 Mt de minerai de fer, entre 2,5 et 5 Mt de manganèse (dans les deux cas par des junior miners trop petits que pour exporter via Saldanha Bay ou Coega), entre 1 et 2 Mt de cuivre et de zinc, ainsi que 500.000 tonnes de cargaisons générales (Global Africa Network du 12.01.2019) ; il a aussi été question de charbon issu du Botswana, en concurrence avec des projets transkalahariens axés sur Walvis Bay ou Lüderitz.

Figure 1 – L’environnement ferroviaire des ports sud‑africains

Figure 1 – L’environnement ferroviaire des ports sud‑africains

Figure 2 – Extraction Google Earth situant le bipôle portuaire de la baie d’Algoa dans son environnement urbain

Figure 2 – Extraction Google Earth situant le bipôle portuaire de la baie d’Algoa dans son environnement urbain

Figure 3 – Extraction Google Earth présentant la situation actuelle du port de Coega

Figure 3 – Extraction Google Earth présentant la situation actuelle du port de Coega

Figure 4 – Le schéma d’aménagement à long terme du port de Coega

Figure 4 – Le schéma d’aménagement à long terme du port de Coega

Jacques Charlier

Professeur émérite de géographie
Département de géographie de l’Université de Louvain-la-Neuve
jacquescharlier@yahoo.fr

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