DOI : 10.26171/carnets-oi_0713
La première constatation que l’on peut faire en étudiant la situation de La Réunion dans les organisations internationales régionales de l’océan Indien est que celle-ci est absente, en tant que telle, de ces organisations. Si l’on s’interroge alors sur les raisons de cette non-participation sous l’angle de ce que permet ou ne permet pas le droit et donc sur les possibilités d’évolution de cette situation, on constatera que le droit international, c’est-à-dire en l’espèce le droit des organisations internationales, n’est pas en soi un obstacle à cette participation. Le droit de l’Union européenne n’est pas lui non plus un obstacle en soi puisqu’il respecte le principe de l’autonomie institutionnelle des États membres, si bien que finalement c’est de l’ordre juridique national que dépend essentiellement le développement de la « diplomatie ultramarine » en général et de La Réunion en particulier1.
L’absence de participation de La Réunion en tant que telle dans les organisations régionales de l’océan Indien
Ni la France ni La Réunion ne participent à la SADC, organisation fondée en 1980 et qui compte depuis août 2017, avec l’adhésion des Comores, 16 États membres, pays de l’Afrique australe et de l’océan Indien. L’article 7 de l’acte constitutif de la SADC dispose que « Les États énumérés dans le préambule sont, dès la signature et la ratification du présent traité, membres de la SADC », et l’article 8 que :
1. Tout État non énuméré dans le préambule du présent traité peut devenir membre de la SADC après avoir été admis par les membres actuels et avoir adhéré au présent traité ; 2. Le sommet détermine les procédures d’admission de nouveaux membres et d’adhésion de ceux-ci au présent traité ; 3. Le Conseil examinera et recommandera au Sommet toute demande d’adhésion à la SADC ; 4. L’admission d’un État à la SADC se fera par décision unanime du Sommet ; 5. L’adhésion à la SADC ne fera l’objet d’aucune réserve2.
C’est la France qui fait partie des « partenaires de dialogue » de l’IORA depuis 2001, ceux-ci étant « des États souverains individuels et non membres de l’IORA, mais ayant un intérêt particulier et/ou une capacité à contribuer à l’IORA, en particulier dans les domaines d’intérêt commun »3. L’article 4 de la Charte de l’IORA stipule :
(a) Tous les États souverains de l’océan Indien peuvent devenir membres de l’Association. Pour devenir membres, les États doivent adhérer aux principes et objectifs énoncés dans la Charte de l’Association. L’élargissement de la composition de l’Association sera décidé par les États membres ; (b) Le Conseil des ministres peut accorder le statut de partenaire de dialogue ou d’observateur à d’autres États ou Organisations ayant la capacité et l’intérêt de contribuer à l’IORA4.
Il y a actuellement 22 États membres à l’IORA.
C’est la France qui dispose d’un statut d’observateur depuis 2003 au sein du COMESA, qui regroupe 21 États membres. D’après l’article 1 § 2 du Traité du COMESA,
Peuvent devenir membres du Marché commun, les États membres de la Zone d’échanges préférentiels des États de l’Afrique orientale et australe suivants : République d’Angola ; République du Burundi ; République fédérale islamique des Comores ; République de Djibouti ; État d’Érythrée ; Gouvernement de transition d’Éthiopie ; République du Kenya ; Royaume du Lesotho ; République du Malawi ; République de Maurice ; République du Mozambique ; République de Namibie ; République de l’Ouganda ; République du Rwanda ; République des Seychelles ; République démocratique de Somalie ; République du Soudan ; Royaume du Swaziland ; République-Unie de Tanzanie ; République de Zambie ; et République du Zimbabwe.
Le § 3 du même article dispose :
Les États membres de l’Afrique orientale et australe ci-après peuvent devenir membres du Marché commun s’ils remplissent les conditions que détermine la Conférence : République du Botswana ; et République d’Afrique du Sud (post‑apartheid).
D’après le § 4,
La Conférence peut admettre tout État non repris dans les paragraphes 2 et 3 du présent article qui est voisin immédiat d’un État membre comme État membre du Marché commun de l’Afrique orientale et australe, lorsque cet État remplit les conditions arrêtées par ladite Conférence.
D’après l’article 8 § 7, la Conférence se prononce par consensus5.
Enfin, c’est la France et non La Réunion qui est membre de la COI depuis 1986 ; organisation qui réunit aujourd’hui les Comores, la France, Madagascar, l’île Maurice et les Seychelles. Les Comores, Madagascar, l’île Maurice et les Seychelles font partie des quatre organisations étudiées, ces quatre États étant également membres de l’Union africaine. L’article 13 de l’Accord général de coopération entre les États membres de la COI stipule que « La Commission examinera toute demande d’adhésion faite par tout État ou Entité de la Région, et statuera à l’unanimité de ses membres ». Et dans le protocole d’adhésion de la France, il est indiqué à l’article 1er :
La République française devient membre de la Commission de l’océan Indien et Partie à l’Accord instituant cette Commission pour permettre à son département et sa région de La Réunion de participer à la coopération régionale réalisée au sein de la Commission de l’océan Indien6.
La Réunion peut participer à la représentation de la France, voire être chef de la délégation, en principe dans la limite permise par l’acte constitutif
Que la France ait le statut de partenaire du dialogue, d’observateur ou de membre, c’est elle qui est représentée dans les organisations où elle participe et sa représentation dans les organes interétatiques obéit aux règles générales de représentation des États dans les organisations internationales. La règle générale est que les États sont libres du choix de leurs représentants sous réserve de dispositions particulières dans les actes constitutifs qui peuvent contenir des règles précises quant à la représentation dans certains organes7 ; la délégation de l’État, dirigée, le plus souvent par un représentant du gouvernement ou de l’administration, pouvant comprendre comme conseillers des experts non-gouvernementaux, représentants de l’industrie privée et du commerce, parlementaires, collectivités locales, etc. ; ces dernières assurant souvent la représentation de la France lorsque celle-ci n’a pas le statut de membre (par exemple à l’IORA ou au COMESA).
Ainsi, concernant les dispositions particulières, lors des quatre Sommets de chefs d’États et de gouvernements qui se sont tenus dans le cadre de la COI, la France était représentée, au premier sommet par le Premier ministre Michel Rocard, au second et au troisième par le président de la République Jacques Chirac et au quatrième par le président de la République François Hollande. À chaque fois, dans la délégation française, figurait le Président du Conseil régional et à partir du second sommet à côté du Président du Conseil régional, le Président du Conseil général était présent.
Concernant le Conseil de la COI, d’après l’article 2 du protocole additionnel de 1989, il correspond à « La COI, siégeant au niveau des ministres »8. La pratique suivie pour la représentation de la France dans cet organe a pu soulever parfois quelques difficultés. En effet, dans un premier temps, c’est le Préfet de La Réunion qui a été désigné pour représenter la France au Conseil alors que les autres membres de l’Organisation étaient représentés au niveau ministériel, le plus souvent le ministre des Affaires étrangères. Ce qui a été contesté par les autres membres, le Conseil des ministres réuni à Port-Louis convenant en 1986 que seul un représentant ayant le rang de ministre pourrait présider le Conseil. Depuis la délégation française a toujours été conduite par un ministre ou son représentant. Comme pour les Sommets de chef d’États et de Gouvernement, celui-ci est assisté du Président du Conseil régional et du Président du Conseil général, comme membres de la délégation française.
On notera cependant que, lors du Conseil des ministres extraordinaire de la COI qui s’est tenu à Flic en Flac (Maurice) en octobre 2017, le Président de Région, Didier Robert, à la demande de Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et du Développement international a conduit la délégation française comprenant notamment l’ambassadeur de France chargé de la coopération régionale dans l’océan Indien depuis 2015, Luc Hallade, et Daniel Gonthier le vice-président du conseil départemental de La Réunion et qu’en septembre 2018, à la 33e réunion du conseil des ministres de la COI à Balaclava (Maurice), c’est également Didier Robert Président du Conseil régional de La Réunion qui conduisait la délégation France/Réunion à la COI, à la demande du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Luc Hallade et Daniel Gonthier étant également membres de la délégation. Par contre, en février 2019, lors de la réunion extraordinaire du Conseil des ministres à Mahé (Seychelles) et le 6 août 2019 lors de la rencontre de haut niveau sur l’avenir de la COI qui s’est tenue à Moroni (Union des Comores), c’est Luc Hallade qui conduisait la délégation de la France représentant le chef de la diplomatie française et, dans la Déclaration de Moroni, il est indiqué que « La question de la représentation des États membres auprès de la COI devrait être clarifiée dans le cadre de la nouvelle architecture de l’organisation »9.
Le principe du caractère intergouvernemental des organisations internationales n’empêche pas en droit international d’envisager une évolution de la participation de La Réunion aux organisations internationales régionales
Dans le droit de la participation aux organisations internationales, il convient de bien distinguer la participation au sens large et la participation au sens strict, ou la participation d’entités qui ne sont pas parties contractantes à l’acte constitutif et celle des entités qui sont parties contractantes. Les premières auront le statut d’observateur voire de « membre » à droits réduits, alors que les secondes seront des membres « à part entière ». Quand on parle du caractère intergouvernemental des organisations internationales, c’est à la participation au sens strict qu’il est fait référence, c’est-à-dire à l’idée qu’une organisation internationale est en principe un groupement d’États qui en sont membres du fait qu’ils participent à l’acte constitutif auquel ils sont en principe les seuls à être admis. En revanche, la participation au sens large peut concerner d’autres entités que les États, lesquels ne sont pas parties contractantes à l’acte constitutif, soit parce que celui-ci ne leur est pas ouvert, soit parce qu’elles n’ont pas la capacité de conclure des traités.
Cependant, de nombreux exemples montrent que si les organisations internationales sont en principe des organisations intergouvernementales, cela n’empêche pas d’envisager la participation (au sens large comme au sens strict) d’autres entités. Traditionnellement, l’organisation internationale est définie comme une « association d’États constituée par traité, dotée d’une constitution et d’organes communs, et possédant une personnalité juridique distincte de celle des États membres »10. Cependant, l’existence d’exceptions au caractère intergouvernemental et aussi, de manière plus limitée, d’autres bases que les Traités comme instrument de création ont conduit la Commission du droit international, dans le cadre de la rédaction de son projet d’articles sur la responsabilité des organisations internationales, à élargir cette définition pour prendre en compte ces exceptions :
Aux fins du présent projet d’articles, on entend par « organisation internationale » toute organisation instituée par un traité ou par tout autre instrument régi par le droit international et doté d’une personnalité juridique propre. Outre des États, une organisation internationale peut comprendre parmi ses membres, des entités autres que les États11.
À cet égard, les actes constitutifs ou la pratique des organisations régionales de la zone pacifique ou de la zone Amérique-Caraïbe permettent la participation comme membres, membres associés ou observateurs de territoires non indépendants. Par contre, mis à part l’acte constitutif de la COI qui prévoit expressément la participation à côté des États d’autres « Entités de la Région » (formule rédigée à l’intention de La Réunion mais non utilisée), les dispositions des actes constitutifs des organisations internationales régionales de l’océan Indien ne prévoient que la participation des États souverains pour la participation au sens strict et, parfois aussi, pour la participation au sens large. Dans ce cas, une modification des actes constitutifs est nécessaire dans les conditions prévues par l’acte constitutif ou en pratique, en respectant au moins les conditions prévues par l’acte constitutif pour le consentement des États, le plus souvent l’unanimité dans les organisations régionales de l’océan Indien (le consensus dans le cas du COMESA).
Finalement, la question est plus politique que juridique et se ramène, à supposer que la France souhaite et permette la participation de La Réunion en tant que telle, au fait de savoir si les États membres des organisations internationales régionales de l’océan Indien sont d’accord pour accueillir La Réunion dans l’organisation compte tenu du contexte régional dans lequel notamment un certain nombre de conflits liés à la décolonisation restent à régler. Et alors qu’un des objectifs du programme de l’Union africaine est l’achèvement de la décolonisation de l’Afrique. Une autre raison est l’application stricte du principe du monopole de l’État français en matière de relations extérieures. Celui-ci se traduit dans les limites fixées par le droit interne qui sont un des obstacles les plus sérieux à surmonter pour assurer la participation de La Réunion dans les organisations de l’océan Indien, malgré les encouragements de l’Union européenne, qui est tenue de son côté de respecter l’organisation interne des États membres.
Les encouragements de l’Union européenne relatifs à la coopération régionale sont limités par le principe du respect de l’autonomie institutionnelle des États membres
L’Union européenne apporte son soutien et ses encouragements aux Régions ultrapériphériques dont La Réunion fait partie et aux Outre-mer en général dans le cadre des dispositions des traités les concernant12 et l’exercice des compétences qui sont les siennes, en particulier en matière de coopération régionale13. À cet égard, on rappellera que l’Union européenne encourage la coopération des Pays et territoires d’outre-mer (PTOM), des Pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et des Régions ultrapériphériques (RUP) dans le cadre de sa politique de coopération au développement. Les RUP sont représentées auprès des institutions de l’Union et participent à l’élaboration des décisions encadrant notamment la coopération territoriale. On indiquera également que c’est l’Union européenne qui est compétente en matière de pêche et de conservation des ressources halieutiques. Et l’Union européenne apporte son soutien aux organisations régionales dans l’océan Indien. Ainsi, concernant la COI, l’Union européenne est son premier partenaire financier et technique notamment à travers les financements du Fonds européen de développement (FED), en particulier dans le domaine de la pêche, de la sécurité maritime et de la gestion durable des ressources naturelles et des initiatives novatrices menées dans le domaine de la connectivité (numérique, aérienne et maritime). Elle a accédé au statut d’observateur auprès de la COI, officialisé dans une déclaration les 2 et 3 octobre 2017. La France est le deuxième partenaire financier et technique de la COI, principalement au travers de l’Agence française de développement (AFD), le ministère des Affaires étrangères, le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) et les collectivités locales réunionnaises14.
Mais tous ces encouragements et les évolutions qu’ils favorisent dans le sens du développement de la coopération régionale rencontrent leurs limites sur le plan juridique dans le principe de l’autonomie institutionnelle des États membres et l’article 4 § 2 du TUE qui déclare : « L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale »15. Il résulte de l’application de ces principes que le cadre statutaire et fonctionnel national des collectivités infra-étatiques et donc de La Réunion est déterminé par la France même si, comme l’a souligné Jacques Ziller, il existe un « découplage juridique entre l’évolution statutaire interne et l’évolution statutaire européenne »16, les catégories de RUP et de PTOM étant des catégories communautaires. Il en résulte que si la France n’est pas limitée par le droit de l’Union dans ses possibilités d’évolution institutionnelle interne (principe de l’autonomie institutionnelle des États membres), elle doit convaincre ses partenaires de réviser le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) en cas de souhait de changement de statut au niveau de l’Union, même si la procédure a été simplifiée dans le TFUE17.
Au niveau national, quelle que soit l’évolution des textes dans le sens du développement de la « diplomatie ultramarine »18, le cadre juridique de l’action extérieure des outre-mer et, en particulier, des départements et régions d’outre-mer reste marqué fondamentalement par le principe du monopole de l’État en matière de relations extérieures, même après l’adoption de la loi du 5 décembre 2016 « relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional »19 et de la circulaire du ministre des Affaires étrangères et du développement international et du ministre des outre-mer du 3 mai 2017, relative aux compétences exercées par les collectivités territoriales d’outre-mer en matière internationale20.
Un cadre juridique national restrictif…
Ce sont surtout les collectivités d’outre-mer de l’article 74 qui sont aussi des PTOM et particulièrement la Nouvelle-Calédonie, « collectivité d’outre-mer à statut particulier » dont le statut sui generis figure dans la Constitution, qui disposent aujourd’hui des attributions les plus étendues en matière de relations extérieures et qui sont les plus présentes avec des statuts divers (membre, membre associé ou observateur), et quelques fois depuis longtemps, dans des organisations internationales, particulièrement des organisations régionales.
Concernant les collectivités de l’article 73, dont relève La Réunion, la loi d’orientation pour l’Outre-mer (LOOM) du 13 décembre 2000 insérait dans le code général des collectivités territoriales un article L. 4433-4-5 indiquant que
Les régions de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et de La Réunion peuvent, avec l’accord des autorités de la République, être membres associés des organismes régionaux, mentionnés au premier alinéa de l’article L. 3441-3, ou observateurs auprès de ceux‑ci.
Le même article précisait que « Les conseils régionaux de ces régions peuvent saisir le Gouvernement de toutes propositions tendant à l’adhésion de la France à de tels organismes »21.
Dans la version consolidée de la loi du 5 décembre 2016 « relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional », à la date du 22 août 2019, ces dispositions sont restées inchangées, la seule modification concernant l’extension du champ d’application géographique de la coopération régionale (qui comprend pour La Réunion au-delà de la zone de l’océan Indien celle sur les continents voisins de l’océan Indien : article L. 3441-3 du code général des collectivités territoriales)22.
Comme l’explicite la circulaire du 3 mai 2017 du ministre des Affaires étrangères et du développement international et de la ministre des outre-mer sur « les compétences exercées par les collectivités territoriales d’outre-mer en matière internationale à la suite de l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à 1’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional », dans le cadre des dispositions précitées, il convient de distinguer la « participation de la France dans les organismes régionaux de celle des collectivités territoriales de l’outre-mer » (CTOM). Lorsque c’est la France qui participe « dans les conditions fixées par les statuts constitutifs », elle le fait « en général au titre d’une ou plusieurs de ses collectivités territoriales d’outre-mer situées dans la région ». Dans cette hypothèse se posent des problèmes de coordination et de représentation comme on l’a évoqué dans le cas de la COI. S’agissant de la participation des CTOM, les textes prévoient que
les collectivités uniques de Guyane et de la Martinique, les régions de Guadeloupe et de La Réunion et le Département de Mayotte peuvent, avec l’accord des autorités de la République, adhérer en leur nom propre à des organismes régionaux dans la zone Caraïbe, dans la zone de l’Atlantique Nord, au voisinage de la Guyane, ou dans la zone de l’océan Indien, y compris des organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations unies, en qualité de membres associés ou d’observateurs.
Donc, seuls les statuts de membres associés ou d’observateur sont envisagés, pas celui de membre à part entière et, mis à part le cas de Mayotte, seules les collectivités uniques ou les régions peuvent participer, et enfin, dans tous les cas, cette participation des collectivités territoriales d’outre-mer en tant que telle n’est possible qu’avec l’accord de l’État23.
La procédure permettant la participation des CTOM, donc de La Réunion, comporte en principe deux phases, l’une interne, l’autre internationale, la première permettant d’établir l’accord des autorités de la République sollicitées par la Collectivité, la seconde de négocier avec l’organisation concernée en vue de l’obtention du statut souhaité, observateur ou membre associé. Dans les deux cas, un accord pourra être passé entre l’État et les collectivités et/ou entre l’État et l’organisation régionale, accord visant notamment à préciser les modalités de la participation des collectivités à l’organisation. En effet, la participation d’une CTOM à une organisation internationale soulève la question de la répartition des compétences entre l’État et cette collectivité, celle-ci ne pouvant participer que sur les questions de sa compétence et donc respecter la répartition des compétences entre elle et l’État, ce qui n’est pas toujours facile notamment en cas de compétences partagées, et « respecter les engagements internationaux et européens de la France » et donc respecter les compétences de l’Union européenne, en particulier ses compétences exclusives en matière commerciale ou dans le domaine des activités halieutiques. Cette question de la répartition des compétences est certainement un des plus gros obstacles à la participation aux organisations internationales des CTOM avec un statut de membre ou même de membre associé dans la mesure où ce statut peut parfois impliquer un droit de vote sur certaines questions.
… qui peut permettre des évolutions à certaines conditions
Des marges de manœuvre existent qui permettraient une plus large participation de La Réunion en tant que telle dans les organisations régionales de l’océan Indien. D’abord bien sûr, comme dans le cas des Antilles et de la Guyane, une simple mise en œuvre des textes permettrait une évolution de la participation en tant que telle de La Réunion aux organisations internationales régionales avec le statut d’observateur ou de membre associé. Ainsi, la Martinique en 2016, puis la Guadeloupe en 2019, ont pu devenir membres associés de l’OECO (Organisation des États de la Caraïbe orientale). La Guadeloupe et la Martinique (depuis les 14 et 11 avril 2014) et Saint-Martin (depuis le 3 juin 2016) sont membres associés de l’AEC (Association des États de la Caraïbe) en leur nom propre, sur les questions de leur compétence et enfin la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane française sont membres associés de la Commission pour l’Amérique latine et les Caraïbes, organe subsidiaire du Conseil économique et social des Nations Unies. Resterait alors à convaincre les États membres de la Zone de l’océan Indien, dans un contexte d’affirmation de la volonté d’achever la décolonisation, sans oublier aussi bien sûr les autres difficultés à surmonter en matière de coopération régionale, mais cela est une autre histoire.
Il est même possible d’envisager d’aller plus loin finalement si la volonté politique de l’État existait. On peut ainsi imaginer qu’une évolution des compétences en matière de relations extérieures combinée avec le souci des États de la région d’encourager l’autonomie voire l’indépendance des collectivités, la République française faisant preuve de son côté d’une certaine « flexibilité », aboutisse à une plus large participation de La Réunion dans les organisations régionales. Cette flexibilité est possible dans la mesure où finalement le cadre juridique n’est pas un véritable obstacle si la volonté politique de l’État existe. En effet, comme on le sait, l’ombre de l’acte de gouvernement plane sur tout ce qui touche aux relations internationales si bien que, comme l’a souligné Valérie Goesel-Le Bihan, « en ce domaine l’exécutif fait ce qu’il veut ou, en tout cas, agit sans contrôle, puisque le juge administratif n’y pénètre pas »24.
Mais, il reste encore du chemin à faire, non seulement sur le cadre statutaire et fonctionnel qui pour l’instant reste très classique, mais surtout sur le plan politique, car au-delà du cadre juridique, la question de la participation d’entités infra-étatiques aux organisations internationales est d’abord une question politique : elle dépend des États et de la place politique reconnue ou souhaitée pour ces collectivités qu’il s’agisse des États tiers ou de l’État français. À cet égard les questions en suspens dans l’indianocéanie, toutes liées à la décolonisation, pourraient, comme dans le Pacifique, jouer un rôle dans la place qui sera celle de La Réunion dans les organisations régionales ; ce qui évidemment dépend aussi des choix qui seront faits par La Réunion elle-même et par l’État.