DOI : 10.26171/carnets-oi_0808
Pourriez-vous nous donner les grandes lignes de votre parcours ?
Après un bac L à La Réunion, une prépa à Paris (Henri IV), je suis revenu poursuivre mes études en Lettres modernes à l’Université de La Réunion. Après une maîtrise de Lettres consacrée à Cyrano de Bergerac (sous la direction du Pr. Jean-Michel Racault) j’ai commencé à enseigner en lycée : une dizaine d’années très enrichissantes. Parallèlement, en 2004, je me suis inscrit en DEA (mémoire sur les voyages interplanétaires des 17e et 18e siècles, toujours sous la direction de J.-M. Racault), et j’ai commencé à donner des cours en Techniques d’expression puis en Licence de Lettres sur le campus du Moufia, parallèlement à mon enseignement au Lycée Georges Brassens. En 2005, je me suis inscrit en doctorat, et, tout en participant à divers colloques locaux, nationaux ou internationaux, j’ai rédigé une thèse sur la littérature scientifique de l’Ancien Régime : Les Fictions à vocation scientifique de Cyrano à Diderot. Vers une poétique hybride (dir. : J.-M. Racault et Aurélia Gaillard). Soutenue le 5 décembre 2009, avec mention Très Honorable et les Félicitions à l’unanimité du Jury, elle a depuis été publiée aux Presses Universitaires de Bordeaux. À partir de ce moment, j’ai commencé à diversifier ma recherche avec un axe dans la lignée de la thèse, sur les rapports entre savoirs et fiction aux 17e et 18e siècles, et un autre sur la littérature de l’océan Indien à la même période. En 2011, j’ai été recruté comme MCF à l’Université de La Réunion. J’ai alors donné des cours en DU Carrières Sociales (Campus de Terre Sainte), à l’ESPE et en Licence de Lettres. Lors de la réforme des IUFM, je me suis investi dans la création des MEEF Lettres et Lettres-Histoire-Géographie. Après 3 ans de responsabilité pédagogique, je suis devenu directeur du département de Lettres. Parallèlement, j’ai co-dirigé, puis dirigé un axe de recherche à DIRE (« Pensées, savoirs, (ré-)écritures et (contre-)discours ») et fondé la revue TrOPICS, puis contribué au lancement des CROI, où je suis ravi de revenir par le biais de cet entretien et vous en remercie.
À quel « courant » ou « école » vous vous rattachez ?
Je ne suis guère partisan des partitions en écoles, du moins en ce qui concerne ma propre recherche. La théorie littéraire, souvent passionnante, constitue un domaine souvent généralisant, et le travail du littéraire consiste à montrer les spécificités d’un auteur, d’une œuvre. La théorie doit donc constituer un ensemble d’outils, une palette de lunettes permettant d’envisager le texte sous différents prismes, mais elle n’est pas, selon moi, la finalité de l’étude. Comme le rappelle Julien Gracq, s’imaginer posséder la clé de lecture risque de transformer l’œuvre en serrure validant la clé. Si mon approche initiale des textes par le contexte et le style fait de moi principalement un historien de la littérature, jouant aussi sur l’épistémologie et l’histoire des idées, je fais feu de tout bois et me sers, en fonction de mes objets d’étude, d’autres « écoles », comme les théories postcoloniales, notamment quand j’aborde la littérature de Bourbon.
Quel a été le déclic de l’HDR ?
Le déclic se situe à plusieurs niveaux. Depuis le départ à la retraite du Professeur Jean-Michel Racault, il n’était plus possible de faire une thèse sur la littérature d’Ancien Régime, et offrir cette possibilité aux étudiants réunionnais, c’est-à-dire ouvrir l’offre de formation, m’a toujours paru essentiel. Quand Annette Deschamps, enseignante en reprise d’études dont j’ai dirigé le mémoire de M2, a souhaité poursuivre en thèse, cela correspondait au moment où mon projet d’inédit sur Diderot arrivait à maturation. La direction de sa thèse et l’engagement dans l’HDR ont donc été quasiment concomitants.
Quels sont vos objets de recherche ?
Globalement, ma recherche porte sur la littérature française des 17e et 18e siècles, en particulier sur les œuvres de Cyrano de Bergerac, Fontenelle, Voltaire, Diderot, pour les plus connus. Mais je m’intéresse aussi à ceux que l’on appelle les minores, des auteurs parfois laissés de côté par l’histoire littéraire, mais dont l’étude révèle toujours des trésors quant à l’histoire de la littérature, justement, ou des idées. Par exemple Tiphaigne de La Roche, au milieu du siècle des Lumières, possède une œuvre d’inspiration philosophique et scientifique foisonnante, avec des fictions mêlant voyages scientifiques et êtres élémentaires ; je pense encore à l’abbé Pluche, dont Le Spectacle de la Nature fut un vrai best-seller du 18e siècle, désormais un peu oublié, alors qu’il a inspiré nombre de philosophes des Lumières comme Diderot ou Voltaire – qui l’ont bien sûr vite critiqué par la suite (et ont donc concouru à son oubli). La science de cette époque étant en quelque sorte périmée, le domaine des fictions à vocation scientifique recèle des trésors insoupçonnés. L’axe principal selon lequel j’aborde ces textes est celui de l’articulation entre savoir et fiction : comment la littérature se sert des savoirs nouveaux, les exprime et les pense ? Et, inversement : qu’apporte la littérature – et notamment la fiction – à l’élaboration et à la diffusion de ces connaissances ?
Parallèlement, je travaille sur l’émergence d’une littérature française dans ou sur le sud-ouest de l’océan Indien, en particulier à travers les œuvres de Parny, Bertin et Bernardin de Saint-Pierre. Dans ces deux grands axes, j’alterne entre deux pratiques principales : l’édition scientifique de textes (avec un fort appareil critique) souvent méconnus – comme les Œuvres Complètes d’Antoine de Bertin, Classiques Garnier, 2016 – et articles et ouvrages sur les œuvres ou leurs auteurs ; sans oublier l’organisation d’événements scientifiques.
Enfin, depuis quelques temps, j’étudie la question du goût en général et la littérature gastronomique de cette période.
Quels sont les principaux apports et résultats développés dans votre HDR ?
Il faut d’abord rappeler que le dossier d’HDR en Littérature française se compose de deux parties : une synthèse (d’une centaine de pages) qui clôt les volumes d’articles et les ouvrages publiés, dont elle fait le bilan projectif ; un inédit, sorte de deuxième thèse qui doit porter sur un sujet neuf : la mienne portait sur Diderot.
L’œuvre de cet auteur est extrêmement diverse. Il a écrit sur pratiquement tous les sujets, et dans tous les genres. Si bien que l’on a longtemps perçu cette œuvre comme éclatée, manquant d’unité, ce qui sied bien, d’ailleurs, à un auteur qui s’oppose philosophiquement à l’esprit de système. Mais comment comprendre qu’il puisse aussi bien écrire les si sulfureux Bijoux indiscrets, et prôner une vertu de petit bourgeois dans son théâtre ? Les travaux de Colas Duflo ont déjà permis de souligner la cohérence de son œuvre, d’en démontrer l’unité sans essayer d’en faire un système. Mon intuition sur la question était d’une effrayante trivialité : il m’a paru que les questions de paternité et de filiation étaient au cœur non seulement de la philosophie de Diderot, mais aussi de sa poétique. Or, il s’agit de thèmes éminemment banaux au 18e siècle, si banaux que personne n’avait encore songé à véritablement explorer cette piste à l’échelle de l’œuvre. Cette enquête a ainsi pu démontrer non seulement l’importance de ces notions, mais surtout combien elles permettent de saisir l’articulation, dans une philosophie matérialiste athée, entre droit naturel et droit civil, et enfin de saisir le rapport de Diderot à sa propre création, ses modèles et sa conception de la postérité. Ce travail sera publié prochainement chez Honoré Champion.
Quelle méthodologie de recherche ?
Contrairement au doctorat, où je suis parti d’une véritable hypothèse, démontrée tout du long, dans l’inédit de l’HDR, j’ai mené une enquête d’abord simplement thématique, qui a ensuite permis de dégager une double hypothèse littéraire et philosophique.
Plus globalement, je prône le retour au texte. Sans faire réellement de « poétique du sujet », conformément d’ailleurs à ce que Diderot explique, il convient de maîtriser au mieux l’ensemble de l’œuvre d’un auteur pour affiner la lecture du moindre de ses ouvrages. Comme aurait dit Voltaire, il faut lire par le gros et le petit bout de la lorgnette : du détail de style à la vue d’ensemble, laquelle passe aussi par le contexte et les influences diverses. Chez un auteur tel que lui, capable sinon de se contredire, du moins de se nuancer d’une œuvre à l’autre, chacune étant conçue comme une exploration philosophique – même les plus légères fictions – il ne faut pas, en effet, s’arrêter à une seule et unique interprétation qui figerait la pensée de Diderot, une pensée en mouvement perpétuel dont la cohérence s’établit dans le dialogue réflexif avec un lecteur attentif.
En quoi l’HDR a-t-elle été un exercice compliqué ?
Ce fut, d’abord sur le plan intellectuel un exercice des plus stimulants. La première difficulté a consisté dans la synthèse, dont on dit trop souvent qu’elle doit souligner l’unité et la cohérence des recherches de l’impétrant. Or, les miennes portent sur au moins deux axes qui ne sont pas toujours perméables. La seconde difficulté fut évidemment la question du temps. J’ai obtenu un CRCT local – étant membre du CNU, je n’y avais pas le droit au national – mais celui-ci est arrivé au moment des évaluations et de la visite de l’HCERES, une période d’investissement intense pour un responsable d’axe de recherche, sans intérim possible. Il a donc fallu travailler sur cette HDR dans les temps laissés libres entre les cours (avec un service de plus de 250 heures), les missions diverses (à DIRE, pour TrOPICS, pour le CNU) et les engagements déjà pris auparavant sur des recherches connexes.
Ce n’est pas une réelle difficulté, mais la soutenance en visio-conférence a ôté un peu de cette ambiance si particulière, entre solennité du moment et convivialité du pot, que j’avais connue pour ma thèse.
Quel encadrement doctoral ?
Actuellement je dirige une seule thèse, celle d’Annette Deschamps qui porte sur la pastorale de Fontenelle à Rousseau. Mais j’ai bon espoir de voir une de mes étudiantes de Master, très prometteuse, s’inscrire prochainement en doctorat.