DOI : 10.26171/carnets-oi_0707
Dès le début des années 2000, la nouvelle génération d’artistes comoriens a donné une tournure beaucoup plus moderne à l’art dans l’archipel des Comores. Les performances artistiques déjouent la transgression des interdits, que ce soit religieux, traditionnels ou politiques. L’art intègre et se mêle à la vie en s’inscrivant dans le prolongement de revendication, de contestation, mais aussi en menant des critiques politiques et sociales vis-à-vis des injustices, des atteintes aux libertés et à la violence. Ainsi, des artistes comoriens font de l’art un objet de contestation contre « la présence coloniale à Mayotte » et de dénonciation contre les milliers des Comoriens des îles indépendantes qui risquent leurs vies en voulant se rendre sur l’île « comorienne » de Mayotte3. Les supports culturels et artistiques, en voulant transgresser le tabou politique sont considérés ainsi comme provocants ; ce qui expose l’objet artistique à la censure permanente.
En effet, les performances musicales, théâtrales… alimentent une esthétique et peuvent parvenir « à introduire du trouble, à perturber l’ordre existant, à susciter le questionnement et encourager l’esprit critique »4. L’engagement artistique emprunte donc de nouvelles formes, invente de nouvelles méthodes d’action, s’adapte à la réalité quotidienne afin de répondre le plus efficacement possible et résister au mieux au réel que l’on tente d’imposer à la société.
Par ailleurs, des metteurs en scène de pièces théâtrales suscitent la polémique au sein de la société. La pièce de théâtre de Said Ahmed Said Tourqui (Sast) intitulée Les Barbuffes, (ce mot-valise est un néologisme issu du mot tartuffe « hypocrite » de Molière et du terme barbu) mise en scène à l’Alliance française de Moroni en février 2016, a été jugée blasphématoire par un groupe de religieux que l’auteur qualifie de « scélérats »5.
Les musiciens contemporains comoriens n’échappent pas non plus aux menaces d’agressions. C’est le cas de la musique de Nawal Mlanao, révélatrice de tabous religieux et traditionnels. L’artiste a déjà fait l’objet d’intimidation de la part des fondamentalistes wahhabites qui lui reprochent de transgresser l’islam. Elle reçoit régulièrement des menaces d’agression lors de ses concerts. L’analyse des productions artistiques de Nawal permettra de comprendre les éléments qui relèvent du tabou traditionnel et religieux dans la société comorienne.
Cet article s’intéresse à l’étude de l’influence des pratiques artistiques telles que le théâtre et la musique et sur la façon dont les artistes contemporains lèvent le voile sur les tabous qui imprègnent la société comorienne en ce début du XXIe siècle. Pour parvenir à cet objectif, nous allons analyser deux œuvres artistiques, à savoir Les Barbuffes de Sast et la musique de Nawal, jugés révélatrices de tabous religieux et traditionnels. Ceci permettra de saisir la manière dont ces pratiques transgressent le sacré et l’interdit. Cette démarche permettra de comprendre également comment ses productions artistiques deviennent source de provocation et tombent sous le coup de la censure.
Nawal, une musicienne humaniste confrontée au tabou religieux6
L’artiste et musicienne franco-comorienne Nawal7 est parmi tant d’autres artistes du monde blâmée pour avoir transgressé les tabous religieux et traditionnels. Cette militante semble appartenir à la nouvelle génération de femmes artistes que décrit Rita El Khayat dans son ouvrage : « les femmes artistes qui revendiquent aujourd’hui haut et fort leur puissance créatrice qui consiste à se libérer et chercher à braver les interdits culturels »8. Ainsi, cette chanteuse, compositrice-interprète n’a de cesse de recevoir des menaces dues à ses œuvres musicales rythmées de traditions islamiques.
Une musique qui brise les chaînes des interdits traditionnels
Prétendant être descendante de familles sharif9 (lignée du prophète) de Moroni, Nawal est issue d’un milieu religieux de la confrérie ou tarika shadhuliyya10 laquelle a été créée par son grand-père maternel Said Mohamed al-Maarouf11. Elle a passé son enfance à la zawiya de cette confrérie où elle a été initiée au soufisme (daira12, le wadhwifa, le tasbih)13. Mais, elle était aussi passionnée par la musique moderne occidentale depuis son jeune âge. À son arrivée en France, à Valence, en 1976, elle intègre des groupes et des associations musicales comme « Karthala » de son oncle Gilbert Alphonse Mlanao. Ces moments en France sont marqués par des restrictions violentes de la part de sa famille. Nawal était vue comme une jeune fille dépravée du simple fait de s’intéresser à la musique. Dans les années 1980, sous la pression de sa mère, elle dut également renoncer à jouer au handball sous prétexte que ce sport « n’est réservé qu’aux jeunes garçons »14.
Revenue aux Comores en 1985 pour passer son baccalauréat au lycée de Moroni, Nawal fréquenta l’Association musicale Ngaya. Plus tard au sortir du lycée, elle programma un concert qui fut boycotté par des membres de sa famille. Ces derniers jugèrent déshonorant de voir une fille, munie d’une guitare, chanter devant un public. Mais ces actes de boycott et de violence ont toujours permis à Nawal d’aller de l’avant. Le GAC15 rappelle que Nawal est une des premières femmes à se produire en public, la première à s’accompagner à la guitare, une des rares interprètes à maîtriser, tous sexes confondus, le gambusi16, la seule aux Comores à se produire en trio, avec des instruments inédits joués par des musiciens et choristes de talents : Idriss Mlanao (contrebasse) et Mélissa Cara Rigoli (Percussions, Mbira…).
Dans son premier album de 2001 Kweli (« Vérité »), on trouve une chanson intitulée Maondo niyaonao pvo yanimania, (« Les souffrances que je ressens de sa colère (sa mère) envers moi » puisqu’elle refuse d’abandonner la musique : chose que sa mère juge impardonnable. Depuis, les valeurs et les droits de la femme comorienne et musulmane demeurent parmi les thématiques les plus abordées dans ses chansons. Avec des titres comme Hima » (« Debout ») de son album Aman, 2007,17 composé de 12 titres, Nawal encourage les jeunes femmes à s’émanciper, à prendre leur destin en main, à se mettre debout et à briser les tabous qui constituent un obstacle majeur à leur épanouissement professionnel et intellectuel18.
Musique et tabou religieux dans les chansons de Nawal
Dans son album Kweli, imprégné de musique soufi, Nawal essaie de questionner Dieu. Dans sa chanson « al-djalil » (le Tout puissant), l’artiste se plaint devant son créateur de l’instrumentalisation de sa religion à travers ces quelques vers :
Yila dini ya masulaha
Dini ya mahaba
Dini yo hafadhu
Yire ndwa buda bo mgwe!
Wendji wa hurende bunda ya hurema wa ndru…
Ngwa soiliyo harara,
Ngwa anbuduwo harara.
« C’est une religion de paix
Une religion d’amour,
Une religion qui défend (les opprimés)
Elle est transformée en instrument de répression
Beaucoup font de toi une arme de répression.
Quand ils prient, ils ont peur
Quand ils adorent Dieu, ils ont peur. »
C’est surtout dans son album « Aman, 2007 », que Nawal oriente de plus en plus sa musique dans le mysticisme, à travers des chants qui relèvent du spirituel, de son vécu d’enfance dans les manifestations confrériques. C’est là qu’elle se rapproche beaucoup plus de son grand père al-Maarouf en évoquant sa philosophie religieuse dans une musique épurée. Dans la chanson intitulée « Salama » (Paix) de son album « Aman, 2007 », on trouve un couplet qui mentionne une parole du prophète : ’inna Allâh jamîl yuhibbu al-jamâl (« Dieu est beau et aime la beauté »). L’artiste a voulu dire surtout que Dieu aime la paix, la solidarité et l’amitié. Dans cette chanson, Nawal s’amuse avec la musique de mulidi19 comme pour guérir cette folie des fondamentalistes religieux.
Cependant, cette adaptation artistique de sa musique au soufisme et l’évocation des traditions islamiques dans ces textes n’est pas sans conséquence. La compositrice-interprète Nawal est confrontée aux tabous religieux. Elle ne cesse de recevoir des menaces d’agression physique et d’intimidation dans certains pays où elle présente ses œuvres musicales.
Par exemple en 2009, à Mayotte, lors d’un concert à l’occasion de son nouvel album live avec les Femmes de la Lune, Nawal subit des intimidations à cause de ses chansons qui portent des récitations islamiques en particulier sa nouvelle chanson intitulée « hitima20 » à la mémoire de la sœur de sa mère victime du crash du vol Yémenia (2009). Des termes répétitifs, dans cette chanson comme « ye wadhwa » (ô Allah !), « ya rabbi » (ô Créateur !), choquent certaines personnes.
Ce sentiment de blasphème atteint son paroxysme lorsque Nawal cite un verset coranique21 dans cette chanson, ce qui est jugé tabou par l’islam orthodoxe. Les « Femmes de la Lune » de Mayotte ont même été sévèrement critiquées pour avoir accepté de monter sur scène avec une artiste qui ose chanter le daira avec des versets coraniques.
D’autres menaces et interdits ont marqué le parcours artistique de Nawal. Par exemple, à l’ouverture de ses concerts, elle avait l’habitude de lancer un « appel à la prière » (adhana) pour attirer l’attention, la concentration et le calme de son public. Mais, en 2011, lors d’une présentation musicale en France, un jeune fondamentaliste l’a menacée de lui porter préjudice si elle continuait à faire des « appels à la prière » sur scène. Les raisons de cette interdiction sont doubles : un, Nawal est une femme ; deux, le concert est une activité profane où se rencontrent des hommes et des femmes… Depuis ce jour-là, Nawal a fait « un compromis » : ne jamais évoquer le terme : haya anla salat (« venez à la prière »).
Autre exemple, en 2014, à Zanzibar, lors d’un grand Festival musical appelé « Sauti za busara Zanzibar » (Son de la sagesse de Zanzibar), un imam l’a formellement interdite de revenir dans cette île. Pourtant des jeunes femmes zanzibarites portant le voile étaient venues assister au concert, attirées par l’originalité du mélange du daira, des dhikr22 et récits arabes dans ses chansons à forte vibration émotionnelle.
Prenons un dernier exemple, en 2015, à La Réunion, lors d’une interview accordée à la chaîne de télévision « Réunion 1ère », l’artiste Nawal chanta la chanson « Al-djalil » (le Tout puissant) de l’album « Kweli » (vérité). Un fondamentaliste religieux tenta de l’agresser non seulement à cause de cette chanson chargée de traditions islamiques, mais surtout parce que Nawal a commis, involontairement, l’erreur de dire dans un couplet « …yila dini ya swilaha (c’est une religion des armes) au lieu de dire « yila dini ya maswilaha23 » (c’est une religion de concorde)… ».
Mais, toutes ces menaces de censure et de reproche ne font que donner de la force à Nawal qui continue sur sa lancée puisque l’essentiel de sa musique, selon ses propres termes, n’est pas de choquer ou de provoquer mais de guérir : « Ce n’est pas parce qu’il y a 1 % qui n’est pas content, injustement d’ailleurs, que je vais arrêter »24. Toutefois, d’autres personnes apprécient les œuvres de Nawal puisqu’elle évoque Dieu, elle perpétue la tradition de la confrérie shadhuliyya. D’ailleurs, l’originalité et la popularité de sa musique, réservée à une catégorie sociale cultivée, relève de ce mélange artistique et de la culture religieuse musulmane.
L’objectif de cette femme, à la voix originale, n’est pas de provoquer ou de choquer, mais selon elle d’unir et de rassembler les gens25. Son but aussi est de perpétuer la culture et la mémoire du daira vu que de nos jours les gens ne s’intéressent plus vraiment aux rites religieux. Dans ces concerts, beaucoup de gens l’encouragent et la remercient pour sa musique qui leur permet de méditer, de penser à Dieu à partir de la vibration musicale.
Le théâtre n’est pas en reste, ce XXIe siècle voit des pièces soumises à la pression des « censeurs religieux ».
Les Barbuffes de Sast, une pièce jugée blasphématoire
Né à Moroni en 1973, Said Ahmed Said Tourqui26, connu sous le nom Sast est à la fois comédien et auteur de plusieurs pièces de théâtre27. Sa nouvelle pièce satirique et comique, Les Barbuffes, mise en scène pour la première fois le 27 février 2016 à l’Alliance française de Moroni a fait polémique.
Qu’est-ce qui est choquant dans Les Barbuffes de Sast ?
Comme toute comédie, la pièce Les Barbuffes fait rire en levant le silence et en dénonçant le dogmatisme. Elle attire l’attention des citoyens comoriens sur la montée en puissance du courant salafiste28. Cette pièce s’aligne sur les courants artistiques internationaux contribuant à la lutte contre les extrémismes religieux et à mettre un frein au processus de radicalisation29.
Dans sa pièce, Sast lance un cri d’alarme en indiquant que la multiplication des courants religieux est venue bousculer les pratiques culturelles (comoriennes). Nous avons adopté le sunnisme de rite chaféite, malheureusement ces derniers temps on assiste à l’avènement de nouveaux courants radicaux dans notre pays. Cela constitue un réel danger30. En effet, cette pièce dénonce la cruauté et le fanatisme religieux qui
plongent l’humanité dans l’angoisse. L’auteur aspire en l’occurrence à la liberté, à l’humanisme et à la tolérance. Pourquoi donc, cette pièce divisée en cinq actes, est-elle jugée blasphématoire à l’islam ? Quelles sont les mises en scène jugées scandaleuses ?
Plusieurs éléments se conjuguent. D’abord, il y a la mise en scène d’un président appelé Raïssoul de la République salafiste connue sous le nom de Konfédération des Khalifats des Komor (KKK). Ensuite il y a l’allusion aux groupuscules terroristes dans le monde qui cherchent à tout prix à établir la Sharia dans leurs pays. Ainsi, le président Raïssoul exerce son pouvoir selon son bon vouloir dans une déraison qui le rend risible voire grotesque31.
Dans l’Acte 1, on assiste à la mise en place des lois tyranniques par le président Raïssoul dans la République de la Konfédération des Khalifats des Komor (KKK). Des lois qui sont d’ordre divin selon le président Raïssoul. Par exemple, dans l’article 1er de la constitution, il est noté que : « la Konfédération des Khalifats des Komor est une république halal, où les hommes, citoyens et étrangers qui y vivent où résident temporairement ont obligation d’entretenir la barbe ». L’article 2 spécifie que : « la barbe doit être la plus longue possible, mais sans pour autant dépasser la barbe sacrée, semblable à celle du prophète, du guide suprême, khalif des khalifs… »32. Cette mise en scène montre l’application de la charia qui explique l’extrémisme religieux dans le gouvernement KKK (lapidation, coup de fouet, etc.). Les décisions du Raïssoul « sultan président khalif suprême » font loi. Il affirme que tous ces décisions et actes viennent de Dieu et personne ne peut s’y opposer33.
Dans le 5e et dernier acte le chargé du protocole se révolte contre la tyrannie et les injustices du président Raïssoul : « Trop c’est trop ! J’en ai marre de cette mascarade de justice, de ces crimes abjects, de vos décrets rétrogrades ! J’en ai assez de ces larbins, et de toutes ces lèches-culs ! Je dis merde à votre barbe, et à votre confédération sanguinaire et obscurantiste ». Le chargé du protocole poursuit son plaidoyer : « Tuez-moi, lapidez-moi, excommuniez-moi, lynchez-moi ! Je suis prêt à mourir, plutôt que continuer ce jeu hypocrite, avec les barbuffes fous »34. L’acte se termine par un président Raïssoul qui se sent trahi et demeure comme abandonné, seul sur scène…
Il est à souligner qu’une tentative de radicalisation islamiste a été ressentie aux Comores dans les années 198035 jusqu’aux années 1990. L’avènement de la démocratie dans les années 1990 a vu la naissance des partis politiques fondamentalistes se réclamant de l’islam : le Parti pour le Salut National et le Front National pour la Justice. Ils sont dirigés par des jeunes ressortissants des Universités de théologie d’Arabie Saoudite, du Soudan, d’Égypte et de l’Iran, qui proclament l’application pur et simple du Coran comme solution pour « gommer » les problèmes des Comores. Le programme politique du Front National pour la Justice se résume en cinq slogans : « Dieu est notre objectif », « le Prophète est notre guide », « le Coran est notre loi », « la consultation est notre système » et « la justice est notre slogan »36.
Ensuite, parmi les scenarii de Les Barbuffes jugés beaucoup plus choquants on retrouve la dénonciation des abus sexuels des maîtres d’écoles coraniques sur des jeunes élèves adolescents37. Les scènes ayant trait à ces aspects ont amplifié les réactions de certains religieux38. Enfin, comme l’a bien dit l’auteur, la pièce Les Barbuffes se veut un moyen de prévention et de sensibilisation des jeunes contre l’extrémisme religieux dans un pays où près de 99 % de la population est musulmane mais aussi contre les injustices sociales.
La censure et l’autocensure de cette pièce théâtrale
La création artistique de Sast, considérée comme une injure à l’islam, a suscité un tollé dans la classe religieuse de l’Union des Comores. Son écho le plus remarquable est l’annonce de cet évènement dans les discours du vendredi (hutɓa) de certains villes et village. Dans ces discours, l’œuvre de Sast est considéré comme portant atteinte à la tradition musulmane. Mohamed Mboreha Selemane, un des acteurs et comédiens de cette pièce a été indexé dans son village natal par le prédicateur religieux dans son discours du vendredi comme commettant l’apostasie et essayant de salir la personne du prophète39.
Ces réactions ont conduit à la censure de cette pièce après sa présentation à l’Alliance française de Moroni le 27 février 2016. Des menaces d’agression à l’encontre du réalisateur, des comédiens et de l’Alliance française ont été proférées par des auteurs anonymes mécontents de cette pièce théâtrale40. Sous la menace, les responsables de l’Alliance française ont annulé les autres tournées prévues à travers l’archipel et dans toutes les antennes des Alliances françaises pour des raisons de stabilité sociale, et quand bien même les comédiens étaient prêts à maintenir leur tournée41.
La conférence de presse tenue à l’Alliance française de Moroni pour annoncer la mise en scène de la pièce Les Barbuffes de Sast a été publiée dans le Journal National des Comores Al-watwan du 26 février 201643 sous le titre « Les salafistes à l’Alliance française ce samedi ». Face à ce titre jugé provocateur et pour montrer leur mécontentement certains imams ont envoyé des lettres44 adressées au directeur d’Al-watwan l’accusant de manque d’éthique. Parmi les thématiques abordées dans ces lettres, les imams ont montré que cette pièce ne correspondait pas à la réalité religieuse comorienne puisque le salafisme et l’intégrisme religieux que Sast dénonce dans sa pièce n’existent pas aux Comores. Aucun groupuscule fondamentaliste n’a jamais été formé et constaté, sans parler d’avoir porté atteinte aux intérêts étrangers ou nationaux45. Les expéditeurs religieux ont plutôt mentionné l’existence des différentes pratiques de l’islam liées aux rites religieux.
Dans un article46 publié le 31 mars 2016 sur un site internet populaire aux Comores, l’artiste Mohamed Mboreha Selemane répond aux Imams et Hatubs qui qualifient les comédiens de mécréants pour avoir interprété la pièce de théâtre Les Barbuffes à l’Alliance Française de Moroni (27 février). D’abord, il commence par dire qu’il est un musulman fervent et qu’il ne « dénigre pas cette religion qui l’a élevé et instruit ». En s’appuyant sur des hadiths, le comédien montre ensuite que « cette pièce de théâtre n’a rien d’insultant à l’égard de l’islam, du Coran, du Prophète ni encore moins à une méconnaissance de ses préceptes. Ce n’est rien d’autre qu’un engagement artistique […] ». Le comédien des Barbuffes a aussi souligné que « les artistes, plus lucides, utilisent ce miroir (le théâtre) pour montrer les vérités dérangeantes. Car ils vont au-delà du paraître et touchent au fond de l’être qu’ils interrogent »47.
Dans cet article, Mohamed Mboreha Selemane répond aussi à ces imams en déclarant que « certes, les actes abominables dénoncées dans la pièce n’ont pas eu lieu aux Comores mais qu’il ne fallait pas oublier que nous vivons dans un village planétaire et que nous devrions pas rester neutres face à la menace du radicalisme religieux dans le monde48. Enfin, Mohamed Mboreha Selemane montre en réponse à l’imam de la mosquée du vendredi de son village qu’il n’y a pas de différence entre un imam qui prêche le bien et lutte contre les injustices à la mosquée et le comédien sur scène qui se veut aussi un « prêcheur » de la liberté, de la tolérance et des valeurs humaines. Il a également évoqué la question des financements de l’Arabie Saoudite qui ne construit pas des salles de spectacle pour l’épanouissement intellectuel et culturel des jeunes Comoriens mais seulement des mosquées49. En somme, en écho à la déclaration de Maud Favre-Bully : « l’œuvre d’art peut faire l’objet du scandale sans que cela soit le fruit volontaire de son initiateur. Il semble que la censure puisse elle aussi conduire à scandaliser mais dans ce processus, certains artistes refusent clairement ce mode de pression »50.
Conclusion
L’art est devenu, dans ce XXIe siècle, un outil dont se servent les artistes (comédiens, plasticiens, musiciens, cinématographes) pour déjouer les interdits religieux, coutumiers et politiques51. Nous avons suivi tout au long de ce travail les réactions et le degré de tensions sociales que peuvent engendrer les œuvres artistiques dans la transgression des tabous religieux, qui conduisent par conséquent, à la censure de ces productions. Toutefois, « ces divergences d’opinions, ne sont ni plus ni moins que le reflet tendu d’un miroir critique de l’époque. Il paraissait nécessaire de faire un point sur cette question du scandale et de la censure et cela dans l’espoir de mieux comprendre toutes les formes de rejet »52.
L’analyse des œuvres musicales de Nawal et la pièce de théâtre Les Barbuffes, riche d’exagération, permet d’appréhender de manière globale le contexte régional actuel sur la présence des groupuscules islamo-wahhabites-salafistes. Les Barbuffes se veut, ainsi, une prévention contre la radicalisation. Nous pensons enfin, que la censure ne doit pas être considérée comme un rejet de l’art, au contraire l’artiste doit redoubler d’audace, comme le souligne Maud Favre-Bully53, pour faire évoluer les mentalités et bousculer les traditions en les intégrant dans des nouvelles constructions de cultures beaucoup plus solides et stables. Il est à noter que la victoire des artistes « passe le plus souvent par le scandale et la censure qui représentent de nombreux cas de "jurisprudence". Cette stratégie artistique permet dans un premier temps d’élargir l’horizon des experts […] puis celui des amateurs d’arts, pour finalement intégrer la sphère du tout public ».