DOI : 10.26171/carnets-oi_0805
La « coopération territoriale » vise (…) à atténuer « l’effet frontière » existant entre les territoires, pour leur permettre de répondre ensemble à leurs défis communs (…). Elle recèle un gisement de compétitivité encore insuffisamment exploité et participe à l’union sans cesse plus étroite entre les peuples1.
Ainsi définie, la coopération territoriale que l’Union européenne peut déployer dans la zone océan Indien à partir de ses régions ultrapériphériques (RUP), La Réunion et Mayotte, pourrait faire jouer à l’Indianocéanie « son rôle de socle et de tremplin de l’intégration régionale »2 que l’ex-secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI), Jean-Claude de l’Estrac, appelle de ses vœux. Née dans les années 1960, sous la plume d’un poète et écrivain mauricien, Camille de Rauville3, l’Indianocéanie est un néologisme à dimension littéraire, culturelle et politique. Le colloque international Définis-moi l’Indianocéanie, qui s’est tenu à l’Université de La Réunion en octobre 2018, a reconnu la difficulté à définir « une Indianocéanie vivante, expressive, dynamique », pour finalement la présenter comme
distingu(ant) un ensemble d’îles clairement identifiées, Madagascar, les Comores, Mayotte, les Seychelles, La Réunion, Maurice, Rodrigues dont la cohérence se construit sur un substrat historico-culturel et des liens anciens. Cet ensemble compose le cœur du système, une sorte de premier cercle originel, par rapport à un second composé de territoires bordiers de l’océan Indien dont l’appartenance au système indianocéanique fait débat4.
Au-delà des contradictions et des conflits territoriaux existants5, ces îles du Sud-Ouest de l’océan Indien partagent des défis et enjeux communs, tels que mondialisation, compétitivité, changement climatique, flux migratoires, gestion des risques naturels et sanitaires, gestion durable des ressources naturelles, autonomie énergétique, protection de la biodiversité, économie bleue, sciences spatiales, gouvernance des océans, etc. La coopération régionale constitue un outil devant leur permettre de faire face ensemble à ces défis. Elle est ressentie dans l’océan Indien « comme une nécessité partagée »6 qui se concrétise au prisme notamment de la politique européenne de cohésion, dont l’objectif de « coopération territoriale européenne (CTE) » déploie ses effets dans le bassin sud-ouest de l’océan Indien à partir des départements français de La Réunion et de Mayotte, en leur qualité de RUP intégrée à l’Union européenne7. La Réunion bénéficie de ce statut depuis l’émergence du concept d’ultrapériphérie8, alors que Mayotte, anciennement pays et territoire d’outre-mer9, n’en relève que depuis le 1er janvier 201410. Selon la Commission européenne, ces régions situées aux confins de l’Europe sont appelées à être des têtes de pont de l’action de l’Union vers les espaces environnants11, ou encore des « terres d’Europe dans le monde qui contribuent au rayonnement et à la cohésion de l’Union »12. Aussi celle-ci tend-elle de plus en plus à renforcer la coopération régionale de ses Outre-mers13, d’autant plus qu’elle « ne peut tenir ses ambitions mondiales que grâce à (ceux-ci) »14. La résolution du Parlement européen du 14 septembre 2021 souligne ainsi
« que 80 % de la biodiversité européenne se trouve dans les RUP et les (PTOM) et que ces territoires ont une valeur stratégique du point de vue de la géopolitique de la conservation de la biodiversité mondiale ; (…)
que les RUP accroissent la dimension maritime de l’Union européenne, lui offrant le premier espace maritime mondial avec plus de 25 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), et des opportunités économiques majeures ; (…)
que les RUP recèlent une extraordinaire richesse culturelle qui contribue au rayonnement de l’Europe et renforce son soft power dans le monde »15.(…)
« que les RUP présentent un fort potentiel et des atouts spécifiques susceptibles de profiter à l’ensemble de l’Union et que l’Europe doit miser sur les RUP, et sur leur coopération avec les pays situés dans leur voisinage »16.
Afin de mesurer la contribution de l’Union à la coopération en particulier des RUP françaises de La Réunion et de Mayotte avec les pays de leur voisinage immédiat et d’identifier, par là, les liens qui ont pu être tissés avec les pays de l’Indianocéanie, il convient de rechercher, au travers d’une étude rétrospective, comment la coopération territoriale européenne (CTE), connue également sous l’acronyme Interreg, s’est développée dans l’océan Indien. Deux grandes périodes se dessinent alors. En devenir, des années 1990 jusqu’en 2013, l’ambition d’Interreg pour l’Indianocéanie se cherche et s’affirme progressivement (I). Puis, elle semble avoir, en dépit de ses limites, le vent en poupe à partir de 2013 et ce, sous l’effet du renforcement de la CTE à l’échelle européenne globale (II).
Une ambition en devenir de la CTE pour l’Indianocéanie, de la décennie 1990 à 2013
Dans le cadre de la politique européenne de cohésion17 née sous l’impulsion de l’Acte unique européen et de Jacques Delors, l’initiative communautaire Interreg voit le jour en 199018 afin de développer « la coopération sur les frontières internes des États membres en prévision de l’achèvement du marché unique »19. À dimension exclusivement transfrontalière à l’époque20, elle ne s’applique qu’aux régions de l’Europe continentale. Elle ignore donc les régions d’Outre-mer, qu’aucune frontière terrestre ne délimite21, et ne comporte jusqu’en 2000 aucune ambition pour l’Indianocéanie, concept alors lui-même en sommeil22. Après une émergence tardive (A), l’intérêt pour l’océan Indien de l’initiative Interreg, devenue l’objectif CTE en 2006, tend à se consolider sur la période 2007-2013 (B), en devenant « l’un des vecteurs de l’ambition indianocéanique que la Région Réunion porte dans la zone conjointement avec la COI »23.
La naissance tardive d’une ambition d’Interreg pour l’océan Indien
Exclues de l’initiative interreg jusqu’en 2000, les RUP – dont font partie les départements français d’outre-mer – vont bénéficier en guise de compensation de l’initiative pour « Régions isolées »24, spécifiquement applicable aux RUP. Gérée de façon déconcentrée par les préfets de région, l’initiative REGIS entend favoriser la coopération des RUP « avec les pays tiers voisins »25, souvent des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (dits ACP). Bien que relativement modestes les montants affectés, entre 1989 et 1999, à la coopération régionale ont permis de tisser les premiers liens avec les pays voisins, notamment dans les domaines culturel et scientifique26. Ainsi, un faible budget d’environ 2,04 millions d’euros, financés par le Fonds européen de développement régional (FEDER) au titre de REGIS II, a soutenu les actions de coopération régionale de La Réunion, menées essentiellement avec les pays tiers de la Commission de l’océan Indien (COI), organisation reposant sur le traité de Victoria de 1984. Sont à ce titre concernés Madagascar, Maurice, les Seychelles et les Comores27.
Cette première phase de rapprochement va s’accentuer à partir des années 2000 où, avec la disparition de l’initiative REGIS, les RUP deviennent enfin éligibles à l’initiative Interreg, financée par le FEDER28. Celle-ci se décline, en effet, pour la première fois en trois volets de coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale29 (volets A, B et C)30, qui sont toujours en vigueur31. À dimension exclusivement transnationale, le programme « MAC » qui concerne, dans l’espace macaronésien, les archipels de Madère, des Açores et des Canaries voit le jour, ainsi que les programmes « Espace Caraïbe » et « Océan Indien ». Doté de 5 millions d’euros32 sur la période 2000-2006, le programme « Océan Indien », dit Interreg III-B, trace, dans le prolongement des programmes REGIS I et II, un trait d’union timide entre les îles de l’Indianocéanie, regroupées au sein de la COI, et l’Union européenne. En germe, l’ambition indianocéanique est portée par La Réunion dont le Conseil régional gère le programme qui a pour but notamment « de faire intégrer La Réunion comme un membre à part entière de l’espace india océanique »33 et de renforcer son image dans la zone auprès des populations et États voisins.
Selon une contemporanéité troublante avec la loi française d’orientation pour l’outre-mer34, qui vient renforcer les pouvoirs des collectivités territoriales d’outre-mer dans le domaine des relations internationales35, le programme Interreg océan Indien est né en l’an 2000 avant d’être reconduit et conforté sur la période 2007-2013, où il apparaît comme le vecteur d’une ambition indianocéanique que La Réunion porte dans la zone.
L’ambition indianocéanique de la CTE portée par La Réunion
Sur cette période qui se caractérise notamment par la disparition des initiatives communautaires, la CTE est renforcée, en devenant un objectif à part entière de la politique de cohésion36. Ses moyens sont augmentés de 50 %, en « passant de 5,8 milliards d’euros (…) à 8,7 milliards d’euros (…) représentant 2,5 % du budget de la politique de cohésion »37. Parallèlement, la stratégie européenne en faveur des RUP38 fait, dès 2004, de la coopération régionale une de ses priorités d’action39, voire l’un de ses piliers essentiels40. En conséquence, le programme « Amazonie » au bénéfice notamment de la Guyane voit le jour41. Dans ce contexte favorable, avec un taux de cofinancement à 75 %, le programme « Océan Indien » est doté, de 35,4 millions d’euros42, contre 5 millions auparavant. Il promeut une coopération transnationale entre La Réunion et les pays du Sud-Ouest de l’océan Indien, essentiellement là encore les pays tiers de la COI, tandis que certains États riverains de l’océan Indien, comme l’Afrique du Sud, sont associés à la coopération. Géré de manière décentralisée par le Conseil régional de La Réunion, le programme utilise pour la première fois l’adjectif indianocéanique pour désigner les relations historiques entre les îles de la COI, qui « partagent une identité “indianocéanique” originale, héritage de pans d’histoire commune et de métissages multiples (humains, culturels et linguistiques) »43. Ailleurs, le programme utilise l’adjectif india-océanique sans le “n” avec pour ambition « de mettre en œuvre un développement harmonieux de cet espace india-océanique (…) afin de favoriser un rapprochement entre La Réunion et ses voisins »44. L’objectif est d’approfondir les liens reliant « les populations india-océaniques »45, « de mieux connaître et protéger durablement le patrimoine commun india-océanique »46, par des actions d’ordre culturel, de solidarité et de coopération en matière de formation, d’éducation et d’insertion.
Au total, sur la période 2007-2013, 175 opérations ont été programmées en faveur de 67 bénéficiaires, grâce à la coopération d’une centaine de partenaires dans la zone océan Indien47. Le taux d’exécution avoisine 100 %. Les actions ont été dirigées pour 81 % vers les îles de la COI, le cœur de l’Indianocéanie ; 80 % des projets impliquant par ailleurs un partenaire malgache. Pour les autres pays de la zone, trois États ont été dans l’ordre suivant les plus concernés : l’Afrique du Sud, l’Inde et le Mozambique48. Par exemple49 ont été financés la station de télédétection de surveillance de l’environnement assistée par satellite dans l’océan Indien (SEAS-OI), le projet CAMP (Connectivité entre les aires marines protégées du Sud-Ouest de l’océan Indien), l’amélioration de la gestion des risques de catastrophes dans la zone sud-ouest de l’océan Indien (portée par la Croix-Rouge française), la création d’antennes de représentation de La Réunion à Madagascar et à Maurice, ou encore les 9e Jeux des Îles qui se sont tenus à La Réunion début août 2015.
En définitive, par l’intermédiaire du FEDER qui finance la CTE, des moyens sont dévolus à La Réunion lui permettant de développer une stratégie régionale essentiellement vis-à-vis des îles du Sud-Ouest de l’océan Indien et de devenir, en particulier avec la COI, le fer de lance de l’Indianocéanie, concept revalorisé dans les années 2010 par le Secrétaire général de la COI, son excellence Jean-Claude de l’Estrac50. Cette période de renaissance et de reconquête du concept coïncide avec une période d’adaptation des textes de la politique européenne de cohésion qui entend faciliter la coopération des RUP avec les pays tiers voisins.
Une ambition de la CTE pour l’Indianocéanie en voie de renforcement, des années 2013 à nos jours ?
Dans la perspective des programmations 2014-2020 et post 2020, le cadre réglementaire de la politique de cohésion a été renouvelé, d’abord en 2013, puis en 2021. En écho à l’objectif de cohésion territoriale inscrit en droit primaire depuis le traité de Lisbonne51, il vise à renforcer la coopération territoriale des régions de l’Union et comporte à ce titre des garanties et avancées52 en faveur des RUP, qui peuvent être mises en œuvre au profit des îles françaises de l’Indianocéanie et de leurs voisins (A). L’attestent les programmes Interreg V mobilisés dans l’océan Indien, qui constituent une contribution concrète, bien que limitée, à l’Indianocéanie (B).
Les cadres adaptés de la CTE pour 2014‑2020 et post 2020, propices à une ambition indianocéanique
Les textes pour 2007-2013 n’étaient pas pleinement adaptés aux besoins spécifiques de la coopération territoriale en outre-mer53. Les textes pour 2014-2020 comportent donc un certain nombre de garanties et d’avancées visant à faciliter la coopération territoriale des RUP, y compris dans l’océan Indien. Au nombre de celles-ci figurent l’élargissement de la couverture géographique de la CTE aux pays tiers et territoires voisins des RUP54 ; l’éligibilité de celles-ci à la coopération transfrontalière55 ; la combinaison possible dans un seul programme des deux volets de coopération transfrontalière et transnationale56 ; la possibilité du soutien du FEDER à des opérations hors UE jusqu’à 30 %57 ; des garanties financières d’augmentation des dotations dédiées à la CTE des RUP58, avec un taux de cofinancement à 85 %59 ; la naissance de deux nouveaux programmes, l’un pour Mayotte, l’autre pour Saint-Martin60, etc.
Dans le même esprit, la stratégie renouvelée et renforcée de l’UE pour les RUP de 2017 fait de la coopération de ses Outre-mers intégrés avec leurs voisins et au-delà un pilier essentiel qu’elle entend « renforce(r) dans les domaines où toutes les parties ont à y gagner »61, vu « les enjeux mondiaux et l’interdépendance croissante »62. Faut-il rappeler que « L’ensemble des défis planétaires (…) se jouent dans les Outre-mers »63 et que « c’est dans les îles que se trouvent les solutions pour l’avenir du monde »64. Dès lors, l’Union a tout intérêt à développer avec les îles et pays de l’Indianocéanie, qu’ils soient européens, semi-européens ou extra-européens (RUP, PTOM ou ACP), des relations privilégiées, au moyen notamment de projets communs de coopération. Forger ensemble une communauté de destin dans une logique « gagnant-gagnant » devrait devenir l’ambition commune, d’autant plus que le paradigme de valorisation des atouts des RUP démontre que ces régions peuvent être des laboratoires d’excellence où des solutions applicables à l’Europe et au monde entier peuvent émerger65. Or, en dépit des progrès réalisés depuis 2013, la coopération territoriale des RUP reste difficile, marquée par l’absence de prise en compte de leurs réalités géostratégiques et de contrepartie financière des pays tiers partenaires66. La combinaison des volets de coopération transfrontalière et transnationale dans un seul programme « n’a pas (non plus) entraîné une simplification suffisante pour les autorités chargées des programmes et les bénéficiaires »67.
Aussi, les textes pour 2021-2027, présentés le 29 mai 2018 et adoptés le 24 juin 2021, entendent-ils y remédier. Aux côtés des volets classiques de coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale (volets A, B et C), un volet D spécifique, au titre de la CTE, est créé et réservé aux RUP afin de leur permettre « de coopérer avec les pays et territoires voisins de la manière la plus efficace et la plus simple »68. Ce volet inédit permet la coopération des RUP « entre elles et avec les pays tiers, pays partenaires ou PTOM voisins, ou avec des organisations d’intégration et de coopération régionales, ou plusieurs d’entre eux, afin de faciliter leur intégration régionale et leur développement harmonieux dans leur voisinage »69. Dans ce cadre, le soutien apporté par le FEDER et, le cas échéant, par les instruments de financement extérieur de l’Union est censé respecter « les principes de réciprocité et de proportionnalité »70, d’autant qu’il est prévu de favoriser un financement conjoint avec le FEDER71. Le volet D est doté, au titre du FEDER, d’un peu plus de 281 millions d’euros (M€)72 aux prix de 201873. Il bénéficie d’un taux de cofinancement à 85 %74, contre 80 % pour les volets A, B et C75. Dans l’espace indianocéanique, le programme « Océan Indien » se voit doter d’un peu plus de 62 M€76 et le programme « Canal du Mozambique » d’un peu plus de 10 M€77. Afin de tirer les leçons de la période précédente, leur champ géographique est élargi78. Le premier programme, qui associe les territoires français de La Réunion, Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) à plusieurs pays tiers79, voit le retour a priori de l’Afrique du Sud au sein de la coopération. Le second couvre dans le Canal du Mozambique outre La Réunion, Mayotte, Madagascar et les Comores, trois nouveaux pays80. Dans l’attente que les lignes de force de ces deux programmes Interreg VI D soient dévoilées après leur approbation par la Commission, les programmes Interreg V donnent un aperçu, au travers de leurs résultats et réalisations, des enjeux et défis d’une relation privilégiée entre l’UE et les territoires de l’Indianocéanie, en dépit de moyens somme toute modestes dans l’absolu.
La contribution des programmes Interreg V à l’Indianocéanie : réalisations et limites
Deux programmes de coopération territoriale se déploient actuellement dans l’océan Indien sous l’ombrelle européenne. Validé par la Commission le 23 septembre 2015 et opérationnel depuis juillet 201681, le programme Interreg V océan Indien est doté d’environ 63,2 M€ au titre du FEDER, pour une enveloppe totale de 74,3 M€82. Géré dans un cadre décentralisé par le Conseil régional de La Réunion, il comprend deux volets distincts. L’un à dimension transfrontalière (41,4 M€) concerne les pays membres de la COI, qui forment le noyau dur de l’Indianocéanie. L’autre à dimension transnationale (21,8 M€) couvre, outre les membres de la COI, Mayotte, les TAAF (au statut de PTOM), ainsi que l’Australie, l’Inde, le Kenya, les Maldives, le Mozambique et la Tanzanie. Le soutien du FEDER ne se limite donc pas au noyau dur de l’Indianocéanie, en s’étendant à certains pays du deuxième et du troisième cercle dans l’océan Indien. Cinq axes prioritaires de coopération sont financés : la recherche et l’innovation (45 % de l’enveloppe), l’intensification des échanges économiques (18,8 %), l’amélioration de la prévention et de la gestion des risques naturels liés au changement climatique (11,1 %), la préservation du patrimoine naturel et culturel de la zone (61 %) et le soutien aux actions de mobilité, de formation et d’échanges (19 %)83.
Au 31 décembre 2020, en dépit des difficultés engendrées par la pandémie de Covid-19, 209 opérations ont été programmées, représentant un taux de programmation de 84,12 %84. Le programme Interreg V océan Indien s’adresse principalement aux acteurs français de La Réunion et de Mayotte, la plupart des projets étant portés par les premiers. En outre, tous les projets soutenus impliquent au moins un partenaire étranger de la zone, avec une implication forte des pays de la COI. Ainsi Madagascar a pris part à 105 projets, Maurice à 101, les Seychelles à 82 et les Comores à 73 projets. Concernant les autres pays, le Mozambique a participé à 41 projets, la Tanzanie à 26, le Kenya à 22, l’Australie à 17 et l’Inde à 13 projets. Parmi les projets soutenus figurent, par exemple85, le programme de recherche « ReNovRisk »86 portant sur la prévention du risque cyclonique dans le bassin sud-ouest de l’océan Indien et associant La Réunion, le Mozambique, Madagascar, les Seychelles et l’île Maurice ; ou le projet de création à La Réunion d’un centre régional d’expertise dédié à la gestion des risques et au changement climatique (PIROI Center) ; ou encore celui de préservation du patrimoine naturel par l’Iconothèque historique de l’océan Indien (IHOI)87.
À dimension exclusivement transfrontalière, le second programme de coopération territoriale dans l’océan Indien est géré dans un cadre déconcentré par la préfecture de Mayotte. La collectivité bénéficie pour la première fois d’un programme Interreg en sa qualité de RUP acquise au 1er janvier 201488. Doté de 12 millions d’euros, pour une enveloppe globale de 16,8 M€, et approuvé par la Commission le 3 novembre 201589, le programme Interreg V-A « Mayotte-Comores-Madagascar » est ambitieux, en poursuivant trois axes prioritaires. Sans compter l’assistance technique dotée de 1,5 M€, il vise à accroître les échanges commerciaux au sein de la zone de coopération (33 % de l’enveloppe), à améliorer l’état de santé des populations et les capacités de secours aux personnes (42 %) et à développer l’accès à l’enseignement en mobilité dans l’espace transfrontalier (13 %)90. De par sa couverture géographique, un tel programme « représentait un pari audacieux dans le contexte diplomatique régional »91, marqué par l’ambivalence de la diplomatie comorienne92. Le programme se déploie, en effet, à l’ombre de litiges territoriaux peu propices à sa pleine réalisation93, l’Union des Comores arguant de ce que Mayotte est une partie intégrante de son territoire et s’étant opposée notamment à son appartenance à la COI94. Ainsi, si elle a accepté le principe de la coopération le 9 juillet 2015, l’Union des Comores a fait par la suite volte-face95 et a été absente aux comités de suivi du programme. En raison des crises politiques et sociales survenues aussi bien à Mayotte qu’aux Comores et à Madagascar en 2018, le programme a pris également du retard, avec un début de relance à la fin de l’année 2018. Le premier appel à projets n’a été lancé qu’en mai 2019 et un dégagement d’office est survenu en 2018 et en 201996. Au 31 décembre 2020, 13 opérations ont été programmées pour un coût total de 8,2 M€. Parmi les projets soutenus figurent notamment ceux portés par la Direction de la sécurité de l’aviation civile océan Indien (DSAC-OI), le lycée agricole de Coconi ou la Croix-Rouge française (Crf)97. Afin de prévenir les difficultés d’ordre structurel rencontrées par le programme de coopération, sa couverture géographique pour 2021-2027 a été élargie à trois nouveaux pays du canal du Mozambique98.
En conclusion, la CTE constitue le vecteur d’une ambition indianocéanique, qui se dessine progressivement au gré des différentes périodes de programmation de la politique européenne de cohésion. Cette ambition est portée en premier lieu par La Réunion, voire par Mayotte, en leur qualité de RUP, ainsi qu’en second lieu par les pays tiers de la COI, en tant que partenaires privilégiés, plus que par l’Union européenne elle-même dont l’ambition pour la zone ne se limite pas au noyau dur de l’Indianocéanie99. Tout en s’efforçant d’ouvrir ce noyau dur, la CTE souffre de difficultés inhérentes à la projection d’une politique interne de l’Union dans un contexte géopolitique et diplomatique régional, dominé par des pays ACP100 et marqué par l’existence de litiges territoriaux. Elle se heurte à de nombreux obstacles, tenant « notamment aux niveaux de vie, aux différences institutionnelles et normatives, aux difficultés de transport ou encore aux barrières linguistiques »101 ; ainsi qu’au manque de cohérence entre les politiques interne et extérieure de l’Union européenne, dites de cohésion et de coopération au développement, à mieux coordonner. À cet égard, dans la perspective de la prochaine stratégie européenne pour les RUP, « la France, l’Espagne, le Portugal et les RUP saluent les progrès d’Interreg tout en soulignant son besoin de synergies opérationnelles avec le nouveau cadre NDICI (ex-FED), et de manière générale avec les politiques et instruments extérieurs de l’Union européenne »102. Une stratégie européenne spécifique pour chaque bassin géographique, notamment indianocéanique, des RUP est espérée. Elle devrait reposer « sur un diagnostic préalable permettant d’identifier les principaux défis communs et fixant des objectifs spécifiques, qui tiennent compte à la fois des intérêts des RUP, de ceux des pays voisins et de ceux de l’UE dans son ensemble »103, pour s’orienter vers un destin commun et partagé.
Saint-Denis de La Réunion, le 12 avril 2022